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borgo

  • Critique de BORGO de Stéphane Demoustier

     

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    Dans mon compte-rendu du Arras Film Festival 2023, je vous avais fait part de mon enthousiasme pour ce film qui sort cette semaine en salles et qui vient d'obtenir le prix du jury au Festival Reims Polar.

    Parmi la large sélection de films français projetés en avant-première dans le cadre de ce festival, j’avais en effet découvert le nouveau film de Stéphane Demoustier, Borgo, qui nous tient en haleine de la première à la dernière seconde, un film signant le retour du cinéaste au cinéma après le complexe et palpitant La Fille au bracelet (2019).

    Borgo nous raconte l’histoire de Mélissa (Hafsia Herzi), surnommée "Ibiza" par les détenus, surveillante pénitentiaire expérimentée, qui s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. Là, elle intègre les équipes d’un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres dans lequel on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens et non l’inverse !

    Si ce film a pour matériau de départ l'histoire vraie d’une surveillante pénitentiaire mise en cause dans le double assassinat de Poretta en 2017, et en particulier des comptes-rendus lus dans la presse, le réalisateur s’est avant tout inspiré du personnage de la surveillante qu’il dépeint ici dans toute sa complexité comme il le fit pour la protagoniste de La fille au bracelet. Dans le film, son intégration est facilitée par Saveriu qui, tout en la protégeant à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison, tisse peu à peu sa toile pour l'enfermer dans un piège inextricable. Fascinée, Mélissa ne voit pas le piège se refermer sur elle et la protection se transformer en emprise.

    Le film sonde l’âme du personnage et son basculement, sa proximité de plus en plus forte avec le monde mafieux, les rapports de force, le glissement progressif dont elle ne semble pas se rendre compte.

    La minutie de la reconstitution (notamment de la vie de la prison, fortement documentée), la tension constante (entre le racisme dont est victime le mari de Mélissa, et la prison où finalement elle semble mieux accueillie et protégée, avec parmi de nombreuses remarquables scènes celle où les prisonniers, d’une cellule à l’autre, chantent en son honneur, scène lors de laquelle le visage de la surveillante s’illumine, la joie et la fierté l’emportant sur le sérieux qu’imposent ses fonctions), l’interprétation magistrale de Hafsia Herzi mais aussi de tous les seconds rôles judicieusement choisis (notamment de nombreux acteurs insulaires), la musique de Philippe Sarde, le scénario particulièrement audacieux, jouant avec les temporalités et points de vue, en font un film d’une maîtrise impressionnante qui nous laisse ko lors de « l’évasion » finale, et certainement un des films qui fera beaucoup parler de lui en 2024.

    Lors du débat qui a succédé à la projection, le réalisateur a expliqué avoir voulu raconter « comment cette femme pouvait avoir une vie normale » et comment « elle pouvait dans le même temps être partie prenante de crime organisé », que selon lui « le monstre n'existe pas » mais qu’il l’intéressait de comprendre « comment on peut commettre des actes monstrueux ». Il est également revenu sur l’idée formelle de départ avec la double narration, « au plus proche de sa subjectivité et en parallèle les images de vidéo surveillance prétendument incontestables alors que la vérité leur échappe » avec « ces caméras qui ont trop de points de vue pour avoir un intérêt. » Il a également évoqué ses cinéastes de prédilection, Clouzot, Hitchcock, mais aussi la différence entre la France et les Etats-Unis, où « on invente des mythes », tandis qu’en France il « faut être plus proche du réel ». Il a aussi expliqué avoir beaucoup enquêté sur le rapport de force en Corse. Enfin, il a loué les formidables qualités d’actrice de Hafsia Herzi, une « actrice qui ne triche jamais, ultra bosseuse, qui ne s’use jamais, qui aime qu’il y ait énormément de prises. »