Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 – épisode 1 (édito, cérémonie d’ouverture, hommage à Kirk Douglas et Minari)
Selon Saint-Exupéry « Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction » : ainsi, avec tous ces regards avides tournés vers un même écran, le cinéma serait-il le paroxysme amoureux ? Ne nous fait-il pas régulièrement chavirer d’émotion(s) ? Ne nous rend-il pas souvent plus clairvoyants ? Plus intensément vivants même parfois ? Comme Amélie Poulain, n’avez-vous jamais éprouvé la tentation de vous retourner pour regarder cette salle envoûtée? (Moi, si). Je l’aime un peu, beaucoup, passionnément ce cinéma. Mais que serait-il ce palpitant voyage immobile, ce jubilatoire rendez-vous avec des destins capturés ou sublimés, sans cet antre familier évocateur et projecteur de mystères qui en exalte et exacerbe la puissance évocatrice ? Des rêves bridés. Une fenêtre sur le monde seulement entrebâillée. Une étreinte avec l'imaginaire bâclée. Incomparable est la fébrilité impatiente d'une salle qui retient son souffle quand le générique s'élance ou à la fin juste avant qu'un film ne balbutie ses derniers secrets. Et ce bruissement quand une salle entière vacille de la même émotion ! Et cet étourdissement quand on ressort de la salle, ignorant la foule et la réalité et le présent et le lendemain et même que tout cela n'est « que » du cinéma, transportés ailleurs, loin, avec l'envie parfois même de « chanter sous la pluie » et de croire en tous ces (im)possibles auxquels il donne vie et invite et incite ! Sans salle de cinéma, lanterne décidément magique qui suspend le vol de notre temps insatiablement impatient, le 7ème art, comme le personnage de Gabin dans « Le jour se lève », a « un œil gai et un œil triste ». Et moi aussi j'ai l'impression de ne voir qu'à ½ émotion ou indistinctement ces images qui méritent d'étinceler. Alors quelle joie de retrouver cette salle de cinéma à l’occasion de ce Festival du Cinéma Américain de Deauville qui a relevé le défi de se maintenir contre vents et marées, une édition sans Américains certes mais avec toujours de belles découvertes de films américains et en prime des films de la sélection du label « Cannes 2020 ». Une idée judicieuse qui permet au festival aussi de se renouveler en accueillant les films du Festival de Cannes 2020 qui n’a pu avoir lieu sur la Croisette en mai comme d’habitude (mais qui a tout de même proposé une sélection de films avec ce label).
Un instant suspendu. Palpitant. Subrepticement inquiétant comme l'est l'inconnu, aussi. Voilà ce que sont les heures qui précèdent les pérégrinations immobiles auxquelles invite un festival de cinéma, toujours riche d'oxymores surtout quand il a pour cadre la mélancolie gaie et réconfortante de Deauville. Alors, c’est le cœur battant que nous avons assisté à l’ouverture de la 46ème du Festival du Cinéma Américain de Deauville avec la projection de l'un des 15 films en compétition, « Minari » de Lee Isaac Chung précédée de l'hommage à Kirk Douglas. C’était au moins la 25ème cérémonie d'ouverture successive de ce festival à laquelle j'assistais, et mon 28ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. C'est à la fois rassurant et vertigineux ce rendez-vous qui résiste à l'écoulement implacable des ans. Rassurant car c'est un peu comme la douce réminiscence de ce premier festival ici, au temps de l'enfance et de sa découverte émue et éblouie. Comme si on remontait le fil du temps, arrêté à jamais à ce premier festival.
Cette édition, je l'imagine telle sa présidente du jury, dans ce film dans lequel elle crève l'écran, « La fille sur le pont ». Mêlant gravité et légèreté. Une sorte de fantaisie désenchantée pleine de charme et ébréchée de séduisantes fêlures. 9 jours pour s'acharner à tenter de laisser un peu la réalité de l'autre côté de la Touques, là, aux portes de Deauville. Pour juste se laisser emporter par le « tourbillon de la vie ». Et du cinéma.
« C’est un signe de médiocrité que d’être incapable d’enthousiasme » écrivait Balzac. Alors laissons la médiocrité de côté et n'ayons pas peur de nous laisser transporter d'enthousiasme. Enthousiasme pour ce festival, pour le cinéma et pour la vie qu'ils célèbrent. A l'issue de ces 9 jours qui sait si, comme
dans « La fille sur le pont », je ne vous dirai pas :
« Peut-être qu’on a rêvé [...]et que c’était pas si mal. »
La « fenêtre ouverte sur le monde » pour la première fois de son histoire depuis 1895 s'était refermée ces derniers mois alors, lors de la cérémonie d'ouverture, ce vendredi soir, c'est non sans émotion qu'elle s'est à nouveau entrouverte après ces semaines qui ont bousculé toute habitude, toute certitude, tout repère. C'est aussi avec émotion que s'est exprimé Michael Douglas lors de son discours enregistré (la COVID-19 oblige, aucune équipe de film américaine évidemment ne pourra être présente à Deauville pendant cette édition 2021) pour l'hommage vibrant rendu à son père qui ouvrait cette 46ème édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, louant notamment sa ténacité et sa générosité. Ensuite, quelques notes bien connues d'Ennio Morricone interprétées au piano par Steve Nieve ont fait frissonner la salle nous rappelant à la fois sa disparition et des musiques grâce auxquelles tant de films sont devenus des chefs-d’œuvre, eux, immortels.
Plus prosaïquement, les différents intervenants ont ensuite rappelé que ce festival, en cette année si particulière, serait la fête du cinéma avant tout, avant même d'être celle du cinéma américain après une année au cours de laquelle 300 festivals ont été reportés ou annulés.
Cette année, à Deauville, c'est un peu mai en septembre puisque 10 films de Cannes sont invités de même que le Délégué Général, Thierry Frémaux et le Président dudit festival, Pierre Lescure, également présents sur scène lors de l'ouverture. Un festival au tapis rouge très politique, une ancienne Ministre, un ancien Premier Ministre et l'actuelle Ministre de la Culture sans oublier deputé(s) et sénateur(s), là pour souligner la force de cette reprise amorcée par ce festival, ce dont chacun avait conscience lors de cette ouverture.
« L'art dérange comme les films de cette année » nous a également annoncé le directeur du festival Bruno Barde pour cette édition inédite.
Cette année, c’est donc Minari de Lee Isaac Chung qui a ouvert le festival.
Synopsis : Une famille américaine d’origine sud-coréenne s’installe dans l’Arkansas où le père de famille veut devenir fermier. Son petit garçon devra s’habituer à cette nouvelle vie et à la présence d’une grand-mère coréenne qu’il ne connaissait pas.
« L’art du cinéma consiste à s’approcher de la vérité des hommes et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes. » disait Jean Renoir.
C'est plutôt à cette catégorie qu'appartenait le film d'ouverture en partie autobiographique, premier film des 15 de la compétition et 5ème de son réalisateur. « Minari » de Lee Isaac Chung évoque ainsi le rêve américain d'une famille coréenne qui emménage dans un mobile home posé au milieu d’un champ, dans l’Arkansas.
Leurs cœurs malades (au figuré et au propre pour le petit garçon de la famille) vont cicatriser et renaître au milieu de ce champ de ruines. Pour que tout renaisse, il faudra que tout s'embrase, réellement et symboliquement. Que tout vole en éclats pour qu'explosent et se ressoudent les sentiments essentiels...finalement presque une métaphore involontaire de la situation singulière que nous connaissons.
Inspiré de l’enfance de son réalisateur, « Minari » charme par sa simplicité dénuée de cynisme, centré presque entièrement sur cette famille, comme si le monde extérieur n'existait plus. Une chronique sociale sur le rêve américain et la difficile situation des migrants. Un film tendre et sensible qui place ce début de festival sous le signe de l’optimisme et la bienveillance. Tout ce dont nous avions besoin, non ?
« Minari » a remporté le Grand Prix du Jury et le Prix du public au Festival de Sundance. Emportera-t-il aussi le cœur du jury et du public à Deauville ? Réponse dans une semaine.