« Parlez-moi de la pluie » d’Agnès Jaoui : la météorologie des âmes… (26/09/2008)
Agathe Villanova (Agnès Jaoui), féministe nouvellement engagée en politique, revient pour dix jours dans la maison de son enfance, dans le sud de la France, aider sa sœur Florence (Pascale Arbillot) à ranger les affaires de leur mère, décédée un an auparavant.
Agathe n'aime pas cette région, elle en est partie dès qu'elle a pu mais les impératifs de la parité l'ont parachutée ici à l'occasion des prochaines échéances électorales.
Dans cette maison vivent Florence, son mari, et ses enfants mais aussi Mimouna (Mimouna Hadji), que les Villanova ont ramenée avec eux d'Algérie, au moment de l'indépendance et qui a élevé les enfants.
Le fils de Mimouna, Karim (Jamel Debbouze), et son ami Michel Ronsard (Jean-Pierre Bacri) entreprennent de tourner un documentaire sur Agathe Villanova, dans le cadre d'une collection sur "les femmes qui ont réussi".
C’est un mois d'Août gris et pluvieux : ce n’est pas normal…mais rien ne va se passer normalement.
« Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps
Le beau temps me dégoute et m'fait grincer les dents
Le bel azur me met en rage
Car le plus grand amour qui m'fut donné sur terr'
Je l'dois au mauvais temps, je l'dois à Jupiter
Il me tomba d'un ciel d'orage »
Voilà les premiers vers de la chanson « L’orage » de Georges Brassens dont le titre du film est tiré. De l’orage surgit la vérité, parfois l’amour mais avant d’en arriver là les personnages de « Parlez-moi de la pluie » auront dû affronter des humiliations ordinaires et non moins blessantes, leurs certitudes parfois erronées ou une injustice lancinante, une condescendance.
Je revoyais le magnifique et intemporel « César et Rosalie » de Claude Sautet avant-hier, encore, pour la énième fois, avec toujours cette même envie de suivre les personnages, de les connaître même, et même si Agnès Jaoui récuserait peut-être cette comparaison (n’aime-t-elle pas plutôt, aussi, Kusturica, où par bribes visuelles et musicales, son film m’a aussi fait songer ?), je trouve que leurs films ont cela en commun de donner vie et profondeur à des personnages à tel point qu’on imagine leur passé, leur avenir, une existence réelle, qu’on les découvre différemment à chaque visionnage, dans toute leur touchante ambivalence. Et puis Claude Sautet aussi aimait « parler de la pluie ». Dans chacun de ses films ou presque, elle cristallisait les sentiments, rapprochait les êtres.
Ce qu’on remarque en premier, c’est donc cela : le sentiment d’être plongés dans l’intériorité des personnages, de les connaître déjà ou de les avoir rencontrés ou d’avoir envie de les rencontrer tant les scénaristes Bacri et Jaoui les humanise. Karim et Mimouna sont victimes du racisme, d'autant plus terrible qu'insidieux, Agathe du sexisme et des préjugés concernant sa condition de femme politique, Michel de ne pas exercer pleinement son métier ni d’avoir pleinement la garde de son fils, Florence de ne pas être assez aimée… Chaque personnage est boiteux, que son apparence soit forte ou fragile.
La caméra d’Agnès Jaoui est plus nerveuse qu’à l’accoutumée comme si les doutes de ses personnages s’emparaient de la forme mais c’est quand elle se pose, reprend le plan séquence qu’elle est la plus poignante et drôle : vivante. Comme dans cette scène où Karim, Michel, Agathe se retrouvent chez un agriculteur qui les a « recueillis » : scène troublante de justesse, ne négligeant aucun personnage, aucun lieu commun pour mieux le désarçonner, en souligner l’absurdité.
L’écriture de Bacri et Jaoui est toujours nuancée, la complexité des êtres, leurs faiblesses que leur écriture précise dissèque devient ce qui fait leur force. Les dialogues sont toujours aussi ciselés, peut-être moins percutants et acerbes que dans le caustique et si touchant « Un air de famille » de Cédric Klapisch, plus mélancolique aussi. Jaoui et Bacri ont décidément le goût des autres à tel point qu’ils nous font aimer et comprendre leurs imperfections, et forcément nous y reconnaître. Aucun rôle n’est négligé. Le second rôle n’existe pas. L’écriture de Jaoui et Bacri n’a pas son pareil pour faire s’enlacer pluie et soleil, émotion et rire, force et faiblesse : pour faire danser l’humanité sous nos yeux. Jaoui et Bacri n’ont pas leur pareil pour décrire la météo lunatique des âmes.
Jamel Debbouze n’a jamais été aussi bien filmé, n’a jamais aussi bien joué : dans la retenue, l’émotion, la conviction. Adulte, enfin.
Le personnage d’Agathe incarné par Agnès Jaoui est une salutaire réponse au poujadisme toujours régnant qui voudrait qu’ils soient « tous pourris » et rend hommage à l’engagement parfois compliqué que constitue la politique.
Drôle, poétique, touchant, convaincant : cette pluie vous met du baume au cœur.
On en ressort l’âme ensoleillée après que se soit dissipée la brume qui pesait sur celles de ses personnages que l’on quitte avec regrets, heureux malgré tout de les voir cheminer vers une nouvelle étape de leur existence qui s’annonce plus radieuse.
Si comme l’écrivait Kirkegaard cité dans le film, l’angoisse est le possible de la liberté. La pluie sur les âmes sans doute est-elle le possible de son soleil, teinté d’une bienheureuse mélancolie à l’image de ce film réconfortant, brillamment écrit et réalisé.
Sandra.M
12:56 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : cinéma, parlez-moi de la pluie, agnès jaoui, jean-pierre bacri, jamel debbouze, cédric klapisch | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Vive la liberté alors !
Et la chanson de Nina Simone est une splendeur aussi.
Écrit par : Pascale | 27/09/2008
Oui...vive la liberté...surtout la mienne comme dirait Jean Gabin.:-)
D'accord pour la splendeur...
Écrit par : Sandra.M | 27/09/2008
Jaoui, Bacri et Debouze s’en vont faire leur film-documentaire. Ils grimpent les Alpilles en ronchonnant, contournent les fourrés, évitent les épineux. Bacri insiste pour persuader les deux autres qu’il y a là-haut, « un endroit d’où l’on peut voir toute la France ». BiBi s’interroge alors dans son fauteuil et sort de son ennui : « Existerait-il un point de vue d’où l’on peut tout voir ? ». BiBi se dit que ça part mal cette histoire de pré-voyance. Et en effet, ça s’arrête en chemin. Le trio se pose un peu là, pas forcément où le Désir commande. BiBi se dit qu’il va y avoir un moment de vérité qui va donner toute sa grandeur à ce petit film. Et voilà que derrière ce trio, par dizaines, viennent bêler des moutons. A ce moment du film, ils ne sont pas invités, ils s’invitent. A une autre époque, Charles De Gaulle vociférait que « Les Français étaient des veaux », voilà que le troupeau avait changé : les Français seraient-ils devenus des moutons ?
Bibi se dit qu’il a mal compris, que le trio Agnès Jaoui-Jean-Pierre Bacri-Jamel Debouze ne peut pas penser ça. Ils ont dû lire « La Misère du Monde » de Bourdieu avant de se lancer dans cette aventure. Ils ont sûrement compris qu’on pouvait très bien montrer et analyser, jouir et être Jaoui, crier et être Bacri en même temps.
Et puis vient la scène des deux pèquenots du Lubéron. BiBi se souvient que dans « Les Bronzés », il y avait une scène similaire, très réussie, avec les bouseux qui sortaient un alcool bien de chez eux et qui l’offraient à des Parigots-têtes-de-veaux. BiBi se souvient, tordu de rire qu’il était, devant Michel Blanc et Josiane Balasko irrésistibles (et leur tord-boyau). Mais jeunesse se passe. BiBi a vingt ans de plus et il regarde Jaoui-Bacri-Debouze autour de la table. Que va-t-il voir ? Deux moutons haineux (pas laineux). Lorsque le premier des deux bouseux crie sa hargne contre Bruxelles,BiBi sent le cliché Front national. Et en effet, ça ne rate pas : Jaoui répond que « quand-même, faut pas exagérer, y a des subventions ». Rien à dire, c’est politiquement très très correct. Plus loin, le même bouseux pousse un peu et dit assez justement son réel : « Je travaille 15 heures par jour et je suis de plus en plus pauvre »…
Et c’est ici, c’est ici, hélas, que Jaoui gomme toute la complexité du Monde et étouffe toute la richesse possible de ce personnage… auquel elle ne va donner aucune chance. Là, Jaoui aurait pu faire un cinéma qui cherche, qui prospecte, soulève les contradictions, de celles qui font que les Damnés de la Terre participent hélas à leur propre domination. Ou encore filmer quelque chose d’approchant qui dit cela… Mais non : Jaoui squizze ce paysan tendance FN qui pourrait dire des choses intéressantes sur sa condition. Mieux même : pour se venger, Jaoui fait intervenir le second mouton, obsédé sexuel, deuxième bouc émissaire. Pourtant ce Paysan préhistorique va dire une des répliques les plus poétiques du film. Yeux rivés sur Agnès Jaoui, il lui lance : « Vous avez de jolis bras blancs ».
Pour la suite allez voir le site de BiBi...
Bibi (http://www.pensezbibi.com)
Écrit par : BiBi | 28/09/2008
Bibi aime beaucoup parler de Bibi (il se cite combien de fois au juste ?) dans son très long monologue retrouvé sur plusieurs blogs (Jaoui et Bacri eux, au moins, différencient leurs interlocuteurs.) Les commentaires sont les bienvenus sur ce blog à condition d’être des commentaires et non des monologues recopiés partout (il aurait été plus intéressant de répondre à mon article et non d’y plaquer le vôtre comme un spam)… et gratuitement cyniques. Il n’y a rien de plus facile que le cynisme pour montrer que l’on sait faire danser cruellement et vainement les mots. La liberté s’arrête là où commence celle des autres. Et la mienne est entravée par le cynisme gratuit (et la publicité outrancière à laquelle s’apparente aussi ce « commentaire) »).
Écrit par : Sandra.M | 28/09/2008
BiBi parle beaucoup de BiBi mais il parle aussi du film ! En particulier de cette scène-pivot sur ces deux bouseux qui connaissent cette humiliation ordinaire dont vous faites peu de cas dans votre article...
Cordialement.
BiBi
Écrit par : BiBi | 28/09/2008
(BiBi encore...)
BiBi insiste : Jaoui rate son film sur le détail suivant qui est d'importance à mes yeux.
Le bouseux : " Vous avez de jolis bras blancs".
Reaction de Jaoui : elle couvre ses bras, ses épaules, se couvre, fuit, se cache, regarde ailleurs...
BiBi en déduit simplement que, là, Jaoui est incapable de sortir de la caricature. Elle se rate sur les seuls "personnages" qui n'appartiennent pas à son monde. Avec ces deux bouseux, nulle complexité, un rejet non interrogé, une humilation ordinaire que de les exhiber dans la caricature non ?... BiBi insiste : C'est la grande faiblesse de son film. Sont-ce là propos "outranciers" ? "cyniques" ?
Cordialement.
BiBi (htpp://www.pensezbibi.com)
Écrit par : BiBi | 28/09/2008
Très cher Bibi, vous auriez lu mon article au lieu de vous contenter de citer le vôtre, vous auriez vu que je parle effectivement de cette scène (!) que, pour ma part, je trouve très réussie. Je n'ai pas vu l'humilation du même côté que vous... mais je n'ai probablement pas le privilège de connaître aussi bien le monde agricole que vous...quoique... Je ne trouve pas cette scène caricaturale, il m'est arrivé d'entendre de tels propos, ne vous en déplaise. Et l'art n'a pas forcément pour vocation d'être le reflet exact de la réalité, juste une perception de celle-ci. Quant à l'aspect outrancier, il fasiait référence à la publicité que vous faîtes pour votre site, ici et ailleurs.
Écrit par : Sandra.M | 28/09/2008
Ah...et j'oubliais: peut-être l'ignorez-vous mais avec le blog it express présent sur ce blog, je connais les adresses ip des visiteurs et de quels sites ils proviennent, j'ai donc vu que c'est par wkio et le classement des blogs au top cinéma que vous êtes arrivé sur ce site et un autre que je connais bien : votre démarche est donc effectivement purement désintéressée et sans le moindre objectif publicitaire.:-)
Écrit par : Sandra.M | 28/09/2008