« Vicky Cristina Barcelona » de Woody Allen : entre romantisme sulfureux et légèreté mélancolique (11/10/2008)
Quoiqu’il advienne, quel que soit le sujet, je ne manque JAMAIS un film de Woody Allen et ils sont peu nombreux ces réalisateurs dont chaque film recèle une trouvaille, dont chaque film est une réussite (même si certains évidemment sont meilleurs que d’autres, ou plus légers que d’autres), une véritable gageure quand on connaît la productivité de Woody Allen qui sort quasiment un film par an.
Imaginez donc mon désarroi d’avoir manqué celui-ci au dernier Festival de Cannes (non, vous ne pouvez pas : c’est insoutenable surtout sachant que mes acolytes festivaliers en sortaient tous le sourire aux lèvres, réjouis et un brin narquois envers ma malchance…) et mon impatience de le voir dès sa sortie en salles. Je me demande comment j’ai pu attendre trois jours après sa sortie surtout sachant que, dans mon impatience, je pensais qu’il sortait la semaine dernière… Bref, alors ce dernier Woody Allen était-il à la hauteur de l’attente ?
Evidemment, il serait malvenu de le comparer à la trilogie londonienne (cliquez ici pour accéder à mes critiques des trois films de la trilogie), véritable bijou d’écriture scénaristique et de noirceur jubilatoire. Ce dernier est plus léger (quoique…), et pourtant..., et pourtant c’est encore une véritable réussite, qui ne manque ni de sel (pour faire référence à une réplique du film), ni d’ailleurs d’aucun ingrédient qui fait d’un film un moment unique et réjouissant.
Pitch : Vicky (Rebecca Hall) et Cristina (Scarlett Johanson) sont d'excellentes amies, avec des visions diamétralement opposées de l'amour : la première est plutôt raisonnable, fiancée à un jeune homme « respectable » ; la seconde est plutôt instinctive, dénuée d'inhibitions et perpétuellement à la recherche de nouvelles expériences passionnelles. Vicky et Cristina sont hébergées chez Judy et Mark, deux lointains parents de Vicky, Vicky pour y consacrer les derniers mois avant son mariage et y terminer son mémoire sur l’identité catalane; Cristina pour goûter un changement de décor. Un soir, dans une galerie d'art, Cristina remarque le ténébreux peintre Juan Antonio (Javier Bardem). Son intérêt redouble lorsque Judy lui murmure que Juan Antonio entretient une relation si orageuse avec son ex-femme, Maria Elena (Pénélope Cruz), qu'ils ont failli s'entre-tuer. Plus tard, au restaurant, Juan Antonio aborde Vicky et Cristina avec une « proposition indécente ». Vicky est horrifiée ; Cristina, ravie, la persuade de tenter l'aventure...
Les jeux de l’amour et du hasard. Un marivaudage de plus. Woody Allen fait son Truffaut et son « Jules et Jim » pourrait-on se dire à la lecture de ce pitch. Oui mais non. Surtout non. Non parce que derrière un sujet apparemment léger d’un chassé-croisé amoureux, le film est aussi empreint de mélancolie et même parfois de gravité. Non parce qu’il ne se contente pas de faire claquer des portes mais d’ouvrir celles sur les âmes, toujours tourmentées, du moins alambiquées, de ses protagonistes, et même de ses personnages secondaires toujours croqués avec talent, psychologie, une psychologie d’une douce cruauté ou tendresse, c’est selon. Non parce que le style de Woody Allen ne ressemble à aucun autre : mélange ici de dérision (souvent, d’habitude chez lui d’auto-dérision), de sensualité, de passion, de mélancolie, de gravité, de drôlerie, de cruauté, de romantisme, d’ironie...
Woody Allen est dit-on le plus européen des cinéastes américains, alors certes on a quitté Londres et sa grisaille pour Barcelone dont des couleurs chaudes l’habillent et la déshabillent mais ce qu’il a perdu en noirceur par rapport à la trilogie londonienne, il l’a gagné en sensualité, et légèreté, non pour autant dénuées de profondeur. Il suffit de voir comment il traduit le trouble et le tiraillement sentimental de Vicky lors d’une scène de repas où apparait tout l’ennui de la vie qui l’attend pour en être persuadé. Ou encore simplement de voir comment dans une simple scène la beauté d’une guitare espagnole cristallise les émotions et avec quelle simplicité et quel talent il nous les fait ressentir. (Eh oui Woody Allen a aussi délaissé le jazz pour la variété et la guitare espagnoles…)
Javier Bardem, ténébreux et troublant, Penelope Cruz, volcanique et passionnelle, Scarlett Johanson (dont c’est ici la troisième collaboration avec Woody Allen après « Match point » et « Scoop »…et certainement pas la dernière), sensuelle et libre, Rebecca Hall, sensible et hésitante : chacun dans leurs rôles ils sont tous parfaits, et cette dernière arrive à imposer son personnage, tout en douceur, face à ces trois acteurs reconnus et imposants. (Dommage d'ailleurs que son personnage n'apparaisse même pas sur l'affiche, c'est finalement le plus intéressant mais certes aussi peut-être le plus effacé...dans tous les sens du terme.)
A la fois hymne à la beauté (notamment de Barcelone, ville impétueuse, bouillonnante, insaisissable, véritable personnage avec ses bâtiments conçus par Gaudi , le film ne s’intitulant pas « Vicky Cristina Barcelona » pour rien) et à l’art, réflexion sur l’amoralité amoureuse et les errements et les atermoiements du corps et du cœur, Woody Allen signe une comédie (on rit autant que l’on est ému) romantiquement sulfureuse et mélancoliquement légère, alliant avec toute sa virtuosité ces paradoxes et s’éloignant des clichés ou de la vulgarité qui auraient été si faciles pour signer un film aussi élégant que sensuel. Cet exil barcelonais pourra en déconcerter certains, mais c’est aussi ce qui imprègne ce film de cette atmosphère aussi fougueuse que cette ville et ces personnages.
Malgré les 72 ans du cinéaste, le cinéma de Woody Allen n’a pas pris une ride : il fait preuve d’une acuité, d’une jeunesse, d’une insolence, d’une inventivité toujours étonnantes, remarquables et inégalées. Un voyage barcelonais et initiatique décidément réjouissant. Vivement le prochain ! En attendant je vous laisse réfléchir à l’idée défendue dans le film selon laquelle l’amour romantique serait celui qui n’est jamais satisfait… A méditer !
09:27 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : cinéma, woody alle, vicky cristina barcelona, javier bardem, pénélope cruz, scarlett johansson, rebecca hall | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Je n'ai pas ri et n'ai pas été émue.
Bon je n'y reviens pas.
Je suis bien seule à avoir trouvé ce film inutile et sans queue (même Javier dort avec sa culotte !!!) ni tête et pas trop de coeur non plus.
Écrit par : Pascale | 12/10/2008
Egalement abonné au 'Woody nouveau' comme d'autres attendent leur beaujolais... je ne manquerai pas celui-là. Pour moi, Woody Allen est le Rohmer français, ou inversement... A méditer là aussi... ;) Et puis oui, les Jeux de l'amour et du hasard... passion très souvent romantique... rarement satisfaite car l'idéal est une virtualité insaisissable, inaccessible. 'Nul ne rencontre deux fois l'idéal. Combien peu le rencontrent même une fois !', Oscar Wilde in Le portrait de Dorian Gray.
Écrit par : Moïse | 12/10/2008
Comparé Woody Allen à Rohmer... c'est aller beaucoup trop loin ! De quoi me dégouter d'aller voir Vicky, etc.
Mais non, je ne peux pas c'est sur mon planning depuis 2 mois ! Et après ta critique Sandra, rien de pourra m'en empécher ;-)
Écrit par : Cinevip | 13/10/2008
@ Pascale: Moi qui croyais connaître tes goûts, je n'en reviens pas. Et si tu le revoyais dans quelques temps pour voir si tu as changé d'avis?
@Moïse : Alors disons que ce serait Rohmer qui aurait croisé la route d'Oscar Wilde! Voilà qui me plait beaucoup étant une inconditionnelle de l'un et de l'autre J'attends ton avis sur ces commentairs après la projection...
@Cinevip: Même en n'aimant pas le cinéma de Rohmer, on peut aimer Woody Allen et celui-ci en particulier. Je porte désormais une lourde responbilité si ce film ne te plait pas!
Écrit par : Sandra.M | 14/10/2008
Effectivement, je me laisserai bien tenter... Je n'en reviens pas moi-même !!!
La comparaison avec Rohmer a de quoi faire fuir en tout cas...
Écrit par : Pascale | 15/10/2008
Ah chouette alors!! J'attends le mea culpa.:-)
Mais qu'est-ce que vous avez tous contre Rohmer? J'aime beaucoup ce qu'il fait, moi!
Écrit par : Sandra.M | 15/10/2008
G rien kontre Romaire sof kil ment nuit !
Écrit par : LaRousse | 19/10/2008
A la vue de ce film absolument décevant, je serai tenté de dire que Allen est à Rohmer ce que Tarantino est à Godard... un pâle copieur sans âme.
Écrit par : groschkau | 21/10/2008
VCB, où le goût amer de l’incomplétude… Les bons Woody sont comme des coupes de champagne. Ils vous entraînent dans leur effervescence avec toute la vivacité d’esprit de leur auteur prolixe, avant de vous griser légèrement pour mieux vous laisser sur une petite note d’amertume. Au fond, comme toute passion éphémère... non ? Cette dernière cuvée n’échappe pas à la règle. Dans ce marivaudage pétillant et solaire, les deux (3 ?) héroïnes se cherchent un peu elles-mêmes en cherchant beaucoup leur complément, leur… moitié. Avant de voir le film, j’avais suggéré l’analogie avec Rohmer. Après, je persiste et je signe. Woody Allen, comme Rohmer sur le ‘vieux continent’, badine avec l’amour en le soumettant à la question en de longs dialogues apparemment légers mais tout empreints de profondeur. De Ma Nuit chez Maud aux Contes des Quatre Saisons, le cinéaste français raconte lui aussi le hasard des rencontres, l’ambivalence des sentiments et la quête de l’amour parfait, de l’absolu. Cet amour-là, nos deux américaines ne le ramèneront pas dans leur valise au terme de leur parenthèse ibérique. Elles n’auront pas trouvé leur idéal mais s’en seront sans doute approché, comme un peu plus d’elles-mêmes. Pour ma part, je me suis plutôt laissé charmer par Cristina qui fait le choix de continuer désespérément sa quête d’idéal contrairement à Vicky qui préfère confortablement s’accommoder avec l’à-peu-près. Mais les non choix sont aussi des choix, juste une autre forme de renoncement. Le film se termine donc sur un parfum de mélancolie mais Woody nous enchantera encore et l’amour nous surprendra toujours. Je ne sais si l’idéal existe mais je le cherche encore et j’espère malgré tout qu’au soir de ma vie, je pourrai me sentir ‘accompli’, comblé par le bonheur d’avoir pu aimé au moins une femme ‘complètement’. L’espoir fait vivre les éternels romantiques...
Écrit par : Moïse | 25/10/2008
Plutôt d'accord avec ta critique. Puis Woody Allen est l'un des plus grands génies de notre génération alors !!
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Écrit par : Doublevey | 30/09/2013