Avant-première- "L'échange" de Clint Eastwood: politique et manichéen (11/11/2008)
C'est avec fébrilité que j'entrai donc dans la salle, m'apprêtant à vivre une expérience cinématographique aussi intense que "Sur la route de Madison" (mon préféré de Clint Eastwood cinéaste mais aussi acteur, voir ma critique de "Sur la route de Madison" en cliquant ici).
Le synopsis était en effet particulièrement attractif et propice à un suspense eastwoodien. Clint Eastwood revenait ainsi hier sur la Croisette de nouveau avec un film noir 5 ans après y avoir présenté "Mystic River" dans lequel jouait un certain Sean Penn...
Synopsis: Los Angeles, 1928 : un samedi matin, dans une banlieue ouvrière, Christine (Angelina Jolie) dit au revoir à son fils Walter et part au travail. Quand elle rentre à la maison, Walter a disparu. Une recherche effrénée s’ensuit et, quelques mois plus tard, un garçon de neuf ans affirmant être Walter lui est restitué. Désorientée par l’avalanche de policiers et de reporters et par ses propres émotions, Christine ramène le garçon à la maison. Mais au fond de son coeur elle sait qu’il n’est pas son fils.
Il en va des films comme des personnes: il y en a que l'on aimerait savoir détester ou par lesquels on aimerait savoir être envoûté. J'aurais aimé porter (et être portée par) un enthousiasme inconditionnel pour ce film d'un des maîtres du cinéma américain, malheureusement j'en suis ressortie avec une impression très mitigée.
Inspiré de faits réels le scénario a été écrit par Joe Michael Straczynski et nous plonge dans l'angoisse puis le combat de cette mère dont le fils était la raison de vivre et dont le retrouver est la raison de se battre. C'est d'abord un portrait de femme meurtrie, courageuse, déterminée, portée par la foi et un espoir irrationnel qu'Angelina Jolie incarne avec beaucoup de talent, de sensibilité, avec l'aura des stars hollywoodiennes des années 40 et 50, un cinéma auquel Clint Eastwood rend d'ailleurs ouvertement hommage, notamment en nimbant la photographie, magnifique, d'une lumière subtilement surannée.
Vous vous demanderez alors probablement pourquoi ce film dont l'action débute en 1928 et qui traite d'une réalité lointaine est pressenti pour recevoir la palme d'or alors que Sean Penn a précisé qu'il faudrait que le lauréat ait "conscience du monde dans lequel il vit", tout simplement parce que, et c'est là le grand intérêt du film, en nous parlant des injustices hier, Clint Eastwood nous parle de celles d'aujourd'hui. A quelques détails près, le sujet est finalement effroyablement actuel et le combat de Christine a une résonance intemporelle et universelle, de même que la corruption, le poids de la religion dans la société ou encore le rôle de la presse .
Au risque de susciter de nombreuses réactions de désapprobation, ce qui m'a avant tout gênée c'est ce qui m'avait gênée dans la fin du scénario de "Million dollar baby": son caractère outrancièrement mélodramatique et davantage encore ici, ce à quoi se prête le style, en l'occurrence celui du film noir: le manichéisme. Ainsi Angelina Jolie incarne une femme qui ne fléchit ni ne doute jamais, le capitaine Jones incarne la corruption sourde des autorités, prêtes à tout pour voiler la vérité, imposer la leur, (même interner une femme saine d'esprit, tenter de lui faire croire et de faire croire à tous qu'un enfant qui lui est étranger est le sien) et donner l'image d'une police exemplaire. La vérité face au mensonge. La justice du combat d'une femme pour retrouver son fils face à l'injustice d'institutions corrompues. L'identification devrait être immédiate et pourtant ce manichéisme a fait que je suis toujours restée à distance, certes constamment là, mais à distance.
Par ailleurs, si le sujet n'avait été tiré d'un fait réel, j'aurais eu du mal à adhérer à cette histoire de tueur en série bourreau d'enfants(dont un instant j'ai imaginé qu'il serait manipulé par la police, créant de nouvelles ramifications dans cette histoire finalement un peu trop limpide à l'image de sa réalisation d'un classicisme certes impeccablement maîtrisé) .
Clint Eastwood reste un raconteur d'histoire exemplaire, sachant magnifier ses histoires et ses acteurs par une réalisation fluide mais à force de trop vouloir magnifier, à force de vouloir lui aussi, avec beaucoup de conviction, nous imposer sa vérité, il en oublie d'en donner le sentiment ave tout ce qu'elle recèle d'ambivalence. Certaines scènes demeurent particulièrement réussies comme celle qui nous glace le sang, de la confession de l'enfant ou celle dans laquelle un psychiatre tente de convaincre et se convaincre de la folie de Christine. Nous retrouvons alors ici l'ambivalence qui fait défaut au reste du film, chacune de ses paroles ayant un double sens, chaque rictus, chaque regard, chaque mot pouvant témoigner de sa folie. Une démonstration implacable du caractère alors subjectif de la vérité.
Clint Eastwood toujours reparti bredouille de la compétition cannoise (à l'exception d'un prix d'interprétation pour Forest Whitaker dans "Bird") n'a rien obtenu à nouveau pour "L'échange", il a en revanche été récompensé par le jury présidé par Sean Penn d'un prix pour l'ensemble de sa carrière.
12:28 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cinéma, l'échange, clint eastwood, angelina jolie, john malkovich, festival du cinéma américain de deauville, festival de cannes | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
D'accord avec le manichéisme mais je ne l'ai trouvé à aucun moment outrancièrement mélodramatique, bien au contraire.
Bon et puis... c'est Clint alors là vraiment que dire sinon : j'aime !
Écrit par : Pascale | 11/11/2008
Peut-être aurais-je réagi différemment en le voyant hors du contexte du Festival de Cannes au cours duquel les projections s'enchaînent, mais je maintiens pour le côté manichéen et mélo (la raison aussi pour laquelle je n'avais pas vraiment aimé "Million dollar baby") et je suis moins inconditionnelle que toi du cinéma de Clint, à l'exception de "Sur la route de Madison", son chef d'oeuvre!
Écrit par : Sandra.M | 11/11/2008
J'ai peut-être mal cherché, mais y a-t-il un moteur de recherche de ton blog, ou des archives où l'on peut vérifier si un film a été commenté ou non ?
Je n'ai pas vu ce film, désolée, si je ne donne pas mon avis.
Écrit par : Ed | 11/11/2008
@ Ed: Tu fais bien de m'y faire penser. Je viens de rajouter un moteur de recherche en-dessous du blogit express (en bas à droite du blog).
Sinon, c'est très simple : tu peux retrouver les films dans le sommaire (en haut à gauche du blog), classés en 4 catégories: "gros plans sur des classiques du septième art" pour les classiques donc, "critiques de films à l'affiche entre 2004 et 2007", "critiques de films à l'affiche en 2008" et "Avant-premières" pour ceux qui ne sont pas encore sortis en salles.
Enfin, certains figurent sur mes deux autres blogs "In the mood for Cannes" et "In the mood for Deauville" et seront repris ici lors de leur sortie en salle.
Mais si tu cherches une critique en particulier que tu ne trouves pas, n'hésite pas à me demander!
Et tu n'as pas à être désolée.:-)
Écrit par : Sandra.M | 11/11/2008
J'ai ressenti exactement la même chose que vous à la vision de ce film."Et pourtant" je suis une grande admiratrice, habituellement, de Eastwood. Mais là, je ne peux pas le suivre. Pas de cette manière. A part ça, ça fait surement du bien de pleurer un bon coup... Je vais vite revoir ses autres (meilleurs) films.
Merci!!
Stéphanie
Écrit par : stephanie majors | 19/11/2008
@stéphanie majors: Je suis contente de voir que je ne suis pas la seule sceptique devant ce film certes esthétiquement très réussi.
Écrit par : Sandra.M | 20/11/2008