"Match point" de Woody Allen: ce soir, sur France 2, à 20H35 (16/11/2008)
Je vous parle très souvent de ce film (oui, oui, je le sais) mais il figure en bonne place dans mon top 10 de tous les temps et donc ce n'est certainement pas la dernière fois que je vous en parle. Alors que le prochain film de Woody Allen "Minuit à Paris" fera l'ouverture du prochain Festival de Cannes, il serait dommage de manquer de chef d'oeuvre d'orfèvrerie scénaristique. Retrouvez ma critique ci-dessous. Vous pouvez également retrouver mon dossier consacré à Woody Allen, en cliquant ici. A ne pas manquer donc, demain soir, à 20H35, sur France 2.
Un film de Woody Allen comme le sont ceux de la plupart des grands cinéastes est habituellement immédiatement reconnaissable, notamment par le ton, un humour noir corrosif, par la façon dont il (se) met en scène, par la musique jazz, par le lieu (en général New York).
Cette fois il ne s'agit pas d'un Juif New Yorkais en proie à des questions existentielles mais d'un jeune irlandais d'origine modeste, Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer), qui se fait employer comme professeur de tennis dans un club huppé londonien. C'est là qu'il sympathise avec Tom Hewett (Matthew Goode), jeune homme de la haute société britannique avec qui il partage une passion pour l'opéra. Chris fréquente alors régulièrement les Hewett et fait la connaissance de Chloe (Emily Mortimer), la sœur de Tom, qui tombe immédiatement sous son charme. Alors qu'il s'apprête à l'épouser et donc à gravir l'échelle sociale, il rencontre Nola Rice (Scarlett Johansson), la pulpeuse fiancée de Tom venue tenter sa chance comme comédienne en Angleterre et, comme lui, d'origine modeste. Il éprouve pour elle une attirance immédiate, réciproque. Va alors commencer entre eux une relation torride...
Je mets au défi quiconque n'ayant pas vu le nom du réalisateur au préalable de deviner qu'il s'agit là d'un film de Woody Allen, si ce n'est qu'il y prouve son génie, dans la mise en scène, le choix et la direction d'acteurs, dans les dialogues et dans le scénario, « Match point » atteignant d'ailleurs pour moi la perfection scénaristique.
Woody Allen réussit ainsi à nous surprendre, en s'affranchissant des quelques « règles » qui le distinguent habituellement : d'abord en ne se mettant pas en scène, ou en ne mettant pas en scène un acteur mimétique de ses tergiversations existentielles, ensuite en quittant New York qu'il a tant sublimée. Cette fois, il a en effet quitté Manhattan pour Londres, Londres d'une luminosité obscure ou d'une obscurité lumineuse, en tout cas ambiguë, à l'image du personnage principal, indéfinissable.
Dès la métaphore initiale, Woody Allen nous prévient (en annonçant le thème de la chance) et nous manipule (pour une raison que je vous laisse découvrir), cette métaphore faisant écho à un rebondissement (dans les deux sens du terme) clé du film. Une métaphore sportive qu'il ne cessera ensuite de filer : Chris et Nola Rice se rencontrent ainsi autour d'une table de ping pong et cette dernière qualifie son jeu de « très agressif »...
« Match point » contrairement à ce que son synopsis pourrait laisser entendre n'est pas une histoire de passion parmi d'autres (passion dont il filme d'ailleurs et néanmoins brillamment l'irrationalité et la frénésie suffocante que sa caméra épouse) et encore moins une comédie romantique (rien à voir avec « Tout le monde dit I love you » pour lequel Woody Allen avait également quitté les Etats-Unis) ; ainsi dès le début s'immisce une fausse note presque imperceptible, sous la forme d'une récurrente thématique pécuniaire, symbole du mépris insidieux, souvent inconscient, que la situation sociale inférieure du jeune professeur de tennis suscite chez sa nouvelle famille, du sentiment d'infériorité que cela suscite chez lui mais aussi de sa rageuse ambition que cela accentue ; fausse note qui va aller crescendo jusqu'à la dissonance paroxystique, dénouement empruntant autant à l'opéra qu'à la tragédie grecque. La musique, notamment de Verdi et de Bizet, exacerbe ainsi encore cette beauté lyrique et tragique.
C'est aussi le film des choix cornéliens, d'une balle qui hésite entre deux camps : celui de la passion d'un côté, et de l'amour, voire du devoir, de l'autre croit-on d'abord ; celui de la passion amoureuse d'un côté et d'un autre désir, celui de réussite sociale, de l'autre (Chris dit vouloir « apporter sa contribution à la société ») réalise-t-on progressivement. C'est aussi donc le match de la raison et de la certitude sociale contre la déraison et l'incertitude amoureuse.
A travers le regard de l'étranger à ce monde, Woody Allen dresse le portrait acide de la « bonne » société londonienne avec un cynisme chabrolien auquel il emprunte d'ailleurs une certaine noirceur et une critique de la bourgeoisie digne de La cérémonie que le dénouement rappelle d'ailleurs.
Le talent du metteur en scène réside également dans l'identification du spectateur au (anti)héros et à son malaise croissant qui trouve finalement la résolution du choix cornélien inéluctable, aussi odieuse soit-elle. En ne le condamnant pas, en mettant la chance de son côté, la balle dans son camp, c'est finalement notre propre aveuglement ou celui d'une société éblouie par l'arrivisme que Woody Allen stigmatise. Parce-que s'il aime (et d'ailleurs surtout désire) la jeune actrice, Chris aime plus encore l'image de lui-même que lui renvoie son épouse : celle de son ascension.
Il y a aussi du Renoir dans ce Woody Allen là qui y dissèque les règles d'un jeu social, d'un match fatalement cruel ou même du Balzac car rarement le ballet de la comédie humaine aura été aussi bien orchestré.
Woody Allen signe un film d'une férocité jubilatoire, un film cynique sur l'ironie du destin, l'implication du hasard et de la chance. Un thème que l'on pouvait notamment trouver dans « La Fille sur le pont » de Patrice Leconte. Le fossé qui sépare le traitement de ce thème dans les deux films est néanmoins immense : le hiatus est ici celui de la morale puisque dans le film de Leconte cette chance était en quelque sorte juste alors qu'elle est ici amorale, voire immorale, ...pour notre plus grand plaisir. C'est donc l'histoire d'un crime sans châtiment dont le héros, sorte de double de Raskolnikov, est d'ailleurs un lecteur assidu de Dostoïevski (mais aussi d'un livre sur Dostoïevski, raison pour laquelle il épatera son futur beau-père sur le sujet), tout comme Woody Allen à en croire une partie la trame du récit qu'il lui « emprunte ».
Quel soin du détail pour caractériser ses personnages, aussi bien dans la tenue de Nola Rice la première fois que Chris la voit que dans la manière de Chloé de jeter négligemment un disque que Chris vient de lui offrir, sans même le remercier . Les dialogues sont tantôt le reflet du thème récurrent de la chance, tantôt d'une savoureuse noirceur (« Celui qui a dit je préfère la chance au talent avait un regard pénétrant sur la vie », ou citant Sophocle : « n'être jamais venu au monde est peut-être le plus grand bienfait »...). Il y montre aussi on génie de l'ellipse (en quelques détails il nous montre l'évolution de la situation de Chris...).
Cette réussite doit aussi beaucoup au choix des interprètes principaux : Jonathan Rhys-Meyer qui interprète Chris, par la profondeur et la nuance de son jeu, nous donnant l'impression de jouer un rôle différent avec chacun de ses interlocuteurs et d'être constamment en proie à un conflit intérieur ; Scarlett Johansson d'une sensualité à fleur de peau qui laisse affleurer une certaine fragilité (celle d'une actrice en apparence sûre d'elle mais en proie aux doutes quant à son avenir de comédienne) pour le rôle de Nola Rice qui devait être pourtant initialement dévolu à Kate Winslet ; Emily Mortimer absolument parfaite en jeune fille de la bourgeoisie londonienne, naïve, désinvolte et snob qui prononce avec la plus grande candeur des répliques inconsciemment cruelles(« je veux mes propres enfants » quand Chris lui parle d'adoption ...). Le couple que forment Chris et Nola s'enrichit ainsi de la fougue, du charme électrique, lascif et sensuel de ses deux interprètes principaux.
La réalisation de Woody Allen a ici l'élégance perfide de son personnage principal, et la photographie une blancheur glaciale semble le reflet de son permanent conflit intérieur.
Le film, d'une noirceur, d'un cynisme, d'une amoralité inhabituels chez le cinéaste, s'achève par une balle de match grandiose au dénouement d'un rebondissement magistral qui par tout autre serait apparu téléphoné mais qui, par le talent de Woody Allen et de son scénario ciselé, apparaît comme une issue d'une implacable et sinistre logique et qui montre avec quelle habileté le cinéaste a manipulé le spectateur (donc à l'image de Chris qui manipule son entourage, dans une sorte de mise en abyme). Un match palpitant, incontournable, inoubliable. Un film audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu'à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d'un regard désabusé et d'une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un chef d'œuvre à voir et à revoir !
« Match point » est le premier film de la trilogie londonienne de Woody Allen avant « Scoop » et « Le rêve de Cassandre ».
00:52 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : cinéma, télévision, match point, woody allen, france 2, scarlett johansson, jonathan rhys meyer | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Match quoi de qui ???
Ah oui, c'est cti qu'a fait "Vicky" que je décommande moi...
mouarf !
Écrit par : Pascale | 16/11/2008
Tout à fait d'accord avec votre anamyse, c'est un woody Allen qui plait forcément, à ses fans habituels, mais qui ravira aussi, ceux, moi séduits par son cinéma, qui lui préfèrent Sautet, par exemple.
Écrit par : MademoiselleSix | 16/11/2008
@ Pascale: D'un petit jeune qui débute et qui a de l'avenir.
@MademoiselleSix: C'est vrai que c'est un film qui marque un tournant dans le style de Woody Allen et grâce auquel certains l'ont peut-être découvert, mais finalement chacun de ses films recèle une vraie bonne idée. Même si "Match point" est peut-être le moins "woodyallenien", il reste mon préféré.
Écrit par : Sandra.M | 16/11/2008
Je suis assez d'accord avec cette critique. Enfin un bon woody allen, d'ailleurs si on le regarde sans savoir qui l'a réalisé, dur d'y retrouver la patte du réalisateur New-Yorkais. Comme quoi, c'est aussi sympa quand il ne joue pas le personnage central de son film !
Écrit par : Netzah | 16/11/2008
Poulala !
Je me souvenais de l'histoire en gros mais plus trop de la bande de pourris qui sévissent là dedans.
Et le coup de l'alliance qui doit tomber et rebondit j'avais oublié !
C'est "amazing". On approche la perfection parfois.
PS. : Ce qui rend la Vicky encore plus infréquantable bien sûr ... :-)))
Écrit par : Pascale | 17/11/2008
@ Netziah: "Enfin un bon Woody Allen", je dirais plutôt "toujours un bon Woody Allen"! Mais c'est vrai que je ne suis pas forcément fan de Woody acteur.
@ Pascale: Ils sont vraiment délectables ces pourris. Quel regard aiguisé. Chaque réplique sonne juste. Chaque personnage sonne vrai, que ce soit dans l'aspect snob et hautain et détestable ou dans les fêlures (pour Scarlett). Scénaristiquement, c'est la perfection, je trouve: tout concourt au meurtre et au dénouement, presque inéluctables. Ce qui rend Vicky encore plus incontournable bien sûr.:-)
Écrit par : Sandra.M | 17/11/2008
Le film me revenait au fur et à mesure. Et je me disais que ça avait dû être un plaisir inouï à la première vision de se demander "mais qu'est-ce qu'il mijote ?.. pourquoi ci, pourquoi ça ?" Dans mon souvenir "il" ne s'en sortait pas... Que je suis naïve. J'ai trouvé que seul le père avait un côté "humain" touchant.
P.S. : et cette perfection rend d'autant plus La Cristina évitable évidemment :-(
Écrit par : Pascale | 18/11/2008
Ah bon, tu trouves le père touchant? Moi, il n'y a que Scarlett que je trouve touchante, mais finalement les autres sont tellement antipathiques que c'est jubilatoire d'imaginer qu'ils ignorent avoir un assassin parmi eux.
Écrit par : Sandra.M | 18/11/2008
Ouais un peu... Un gros naïf moins puant que sa conne de meuf et ses tarés de moutards.
Scarlett forcément est la seule qui souffre donc je souffre avec elle, tu me connais !
P.S. : ce qui rend la Vicky d'autant plus impardonnable bien sûr.
Écrit par : Pascale | 18/11/2008