Discours de Gilles Jacob lors de la remise de la palme d'honneur à Clint Eastwood (02/03/2009)
Pour patienter, en attendant ma critique de "Gran Torino" (très très bientôt ), le dernier film de et avec Clint Eastwood que je n'ai pas encore eu le temps de voir, voici le discours de Gilles Jacob en l'honneur de Clint Eastwood lors de la remise d'une palme d'honneur à ce dernier, le 25 février 2009.
Pour moi, en tout cas, son meilleur film, son chef d'oeuvre incontesté est pour le moment celui-là.
DISCOURS DE GILLES JACOB LORS DE LA REMISE DE LA PALME D'HONNEUR A CLINT EASTWOOD, CE 25 FEVRIER 2009
"Mon cher Clint, laissez-moi commencer par une petite devinette. Quelle est à votre avis la plus grande frustration qu’un président de festival puisse éprouver ? Vous ne voyez pas ? C’est pourtant bien simple : il n’a jamais son mot à dire lorsqu’arrive le moment crucial du festival, je veux parler bien sûr de l’attribution des prix. C’est la raison de notre réunion d’aujourd’hui, entre vieux amis. Ne le prenez pas mal : je suis né 15 jours après vous !
Mais j’en viens au fait. Nous avons décidé de nous accorder, à titre exceptionnel, un privilège qui d’ordinaire nous échappe, à Thierry comme à moi. Il y a bien eu un précédent, la Palme des Palmes décernée à Bergman : aujourd’hui, c’est vous que nous souhaitons honorer, au nom du Festival de Cannes.
En cela, le Festival ne commet pas un acte révolutionnaire mais accompagne plutôt, par ce geste hautement symbolique, la faveur que le public et la critique internationale unanime vous ont déjà accordée d’enthousiasme. D’ailleurs, il serait impossible de désigner l’une plutôt que l’autre de vos œuvres comme digne de la récompense suprême. Comment choisir entre BIRD, MYSTIC RIVER, MILLION DOLLAR BABY, votre diptyque japonais, ou encore GRAN TORINO, acclamé aujourd’hui comme le film « où Clint Eastwood rassemble toute sa pensée sur son cinéma, sa carrière et son pays ».
C’est donc le bon moment pour dédier la Palme à Clint Eastwood, auteur de tous ces chefs d’œuvre. Et tant pis pour votre modestie légendaire… J’ai parlé de votre immense talent. Il faut savoir qu’il y a deux Clint Eastwood, tous deux se confondant sous les traits de l’American lonesome hero qui fait tant battre les cœurs de notre Vieux monde. Il y a celui, fameux pour son charisme, son caractère et sa faculté de défourailler son 38 Magnum plus vite que la foudre, je veux parler de l’Inspecteur Harry et autres caractères très populaires, que vous assassinez une bonne fois pour toutes dans GRAN TORINO. Ils vous ont pourtant permis de conquérir votre indépendance et une certaine renommée. Et ils ont permis à l’autre Clint, plus confidentiel celui-là, en tout cas à ses débuts, de réaliser des films personnels, qui ont surpris ceux qui ne vous connaissaient pas par leur charme, leur originalité, leur petite musique de nuit, mon cher Mozart – eh oui, il n’y a pas que le jazz dans la vie - et leur lyrisme bien tempéré. Dans ces deux courants de votre travail, la Brute et le Troublant, chacun ici reconnaîtra sans peine le main stream américain et l’European touch. Je vous laisse deviner lequel des deux je préfère. Mais le réconfortant de la chose est que le public s’est peu à peu intéressé, autant sinon plus, à vos films « about people » qu’à vos films d’action. Car, tel est l’art de votre mise en scène, vous filmez les scènes de tendresse comme des thrillers, et les thrillers comme…des thrillers ! L’itinéraire de MILLION DOLLAR BABY pour lequel j’ai le plus d’affection est à cet égard très convainquant : qui eut dit que ce film nocturne, d’une tristesse infinie, toucherait à ce point le cœur de tous les publics et deviendrait de la sorte un classique ?
De même pour vos autres chefs d’œuvre. Comme pour les grands metteurs en scène de tous les pays, Bresson, Ford, Ozu, Satyajit Ray, Rossellini, vous avez très vite compris que la simplicité, la caméra à hauteur d’homme, l’exacte durée d’un plan, la nature de l’objectif, la coupe au montage, la situation des plages musicales, étaient affaire de choix. Dans chaque domaine, il n’y en a qu’un seul – et pas un autre. C’est ainsi qu’on s’installe tout doucement dans l’Histoire du cinéma.
Il peut se faire enfin qu’on soit un grand artiste, mais un égoïste forcené. Ca arrive ! Ce n’est pas votre cas. Quand Pierre Rissient, votre « porte-drapeau » depuis la nuit des temps, s’est retrouvé hospitalisé, atteint d’un mal inconnu au Cedar Sinaï Hospital, il s’est réveillé, vaguement conscient, et en ouvrant les yeux, Clint Eastwood était à son chevet. Depuis combien de temps, on ne sait pas, mais vous aviez tout arrangé pour les soins, pour l’intendance, pour tout, et cet étranger s’est miraculeusement retrouvé nimbé d’une aura de popularité de nature à impressionner l’infirmière la plus rébarbative. Pourquoi j’ai cité en passant cette anecdote inconnue ? C’est que ces qualités humaines, si rares de nos jours, ne sont pas pour rien dans l’honneur que nous vous faisons aujourd’hui. Faisant mentir Scott Fitzgerald que vous citez en exergue de BIRD : « Il n’y a pas de deuxième chance pour un héros américain », je vais maintenant, mon cher Clint, vous remettre la Palme d’or en témoignage de notre admiration et d’une longue connivence d’un quart de siècle. "
17:49 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, gilles jacob, palme, cannes, festival, clint eastwood | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |