« Home » de Yann Arthus-Bertrand : des vérités qui dérangent ? (05/06/2009)
Impossible de passer à côté de « Home », le plaidoyer pour la sauvegarde de la planète de Yann Arthus-Bertrand disponible depuis aujourd’hui, à l’occasion de la journée de l’environnement, et pour 10 jours sur youtube, ici, projeté dans 184 salles en France et aussi dans 130 pays, diffusé sur France 2 ce soir à 20H35 (diffusion suivie d’un débat intitulé « Comment sauver la planète », présenté par Yves Calvi, avec notamment Yann Arthus-Bertrand, Maud Fontenoy…) sans compter la projection géante ce soir sur le Champ de Mars à partir de 22H et la sortie en DVD. C’est donc at « home » que j’ai décidé de regarder le film éponyme.
Ce qui m'a d'abord interloquée, ce sont les noms des marques qui apparaissent en guise de générique puis le ton de la voix off à la fois familière et pédagogique, lente et emphatique qui débute par un très grandiloquent « Toi homo-sapiens, homme qui pense ». Cela commence comme une fable que l’on raconterait pour assagir des enfants indisciplinés, les habitants de cette gigantesque maison sans frontières que représente la terre.
Puis, évidemment on ne peut rester insensibles devant ces étendues gigantesques et époustouflantes, ces images aériennes, spectaculaires, d’une beauté à couper le souffle ou parfois d’une terrifiante beauté, qui font parfois ressembler ces images pourtant réelles à une peinture abstraite dont le mélange subtil des couleurs, l’assemblage des formes, la juxtaposition des matières leur feraient atteindre la perfection. En remontant aux origines de la terre, en traversant la planète, grâce à des images filmées dans 54 pays, nous voyageons à travers la terre vue du ciel, chaque image nous faisant prendre conscience de sa beauté infinie, de sa richesse, de sa diversité, de ses disparités criantes. Aussi. Surtout.
On ne peut non plus rester insensibles devant cet hymne à la terre qui nous explique qu’en 200 000 ans d'existence, l'Homme a rompu un équilibre fait de près de 4 milliards d'années d'évolution. On ne peut rester insensibles devant la fragilité et la subtilité de cet équilibre qui se rompt. On ne peut rester insensibles devant ces tours insolentes et dévastatrices qui conquièrent le ciel de Shanghai : 3000 tours érigées en 20 ans. On ne peut rester insensibles devant ces villes tentaculaires qui se gorgent d’eau face à ces étendues asséchées, dans d’autres endroits de la planète, où elle est une quête quotidienne et vitale (500 millions d’Hommes habitent ainsi des contrées désertiques !). On ne peut rester insensibles devant cette sidérante standardisation, jusqu’aux pavillons de Pékin qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de Palm Springs. On ne peut rester insensibles devant la construction à outrance, la monstruosité bétonnée, vulgaire et sophistiquée de Dubaï qui contraste tellement avec l'image sublimement simple et rare qui lui succède, celle d’une baleine qui nage dans la mer. Ni devant ces fleuves qui n’atteignent plus la mer. Ni devant ces mégapoles comme Lagos qui croissent à une vitesse spectaculairement inquiétante. L’exemple de l’île de Pâques où la civilisation n’a pas survécu après avoir été exploitée jusqu’au bout, autrefois une des plus brillantes, est également très parlant. Certains chiffres dont il use et abuse ne peuvent non plus laisser indifférents comme la banquise du pôle nord qui a perdu 30% de sa surface en 30 ans, comme les 80% des glaces du Kilimandjaro qui ont disparu, ou ces 20% des Hommes qui consomment 80% des ressources de la planète.
Yann Arthus- Bertrand, parfois avec un peu trop de manichéisme, s’inscrit donc dans un débat philosophique de longue date opposant la culture dévastatrice à la nature bienveillante, avec une musique angoissante lorsque sont montrées des mégalopoles ou une musique lénifiante et rassurante quand ce sont des paysages vierges de toute habitation ou du moins de toute modernité.
Alors évidemment je ne vais pas tomber dans le travers cynique à la mode qui consiste à voir derrière chaque bonne action un intérêt fallacieux ou une mauvaise intention. C’est vrai que c’est finalement plus facile de ne rien faire, de ne rien dire. Et rien que l’initiative déjà est louable et nécessaire. Mais tout de même quelques aspects m’ont dérangée…
D’abord les noms des marques partenaires (au début et à la fin) quand, dans le même temps, il dénonce « la croissance qui exige toujours plus de combustible » , certaines d’entre elles étant par ailleurs des marques de cosmétiques alors que dans le documentaire même il nous interpelle sur les demandes croissantes en cosmétiques et leurs conséquences écologiques désastreuses ! Ne démontre-t-il pas là malgré lui les limites de son manichéisme?
Ensuite, la date de diffusion, dont je suppose qu’elle est indépendante des souhaits du réalisateur, à la veille des élections européennes, me semble avoir un côté opportuniste alors que justement il aurait été passionnant et plus constructif qu’elle donne lieu à un débat entre les différents partis et candidats, ce qui aurait peut-être épargné celui, affligeant d’hier soir (l’Europe mérite mieux que ça non ?).
Peut-être aussi les accusations sont-elles trop tournées vers l’industrie pétrochimique, oubliant le nucléaire, oubliant (ou le feignant, sans doute pour des raisons légitimes de faisabilité du projet) les responsabilités de certains Etats.
En revanche, je ne lui reprocherai pas l’utilisation de l’hélicoptère qui a fait l’objet de commentaires, d'abord, parce que, comme dirait Machiavel « la fin justifie les moyens »,(même si le réalisateur récuserait cette justification, ou alors il serait en contradiction avec son propos) et ensuite parce que toutes les émissions de gaz carbonique engendrées par le film sont calculées et compensées par des sommes d’argent qui servent à donner de l’énergie propre à ceux qui n’en ont pas. Les bénéfices du film iront ainsi à l'ONG de Yann Arthus-Bertrand, GoodPlanet , et la pollution générée par le tournage sera « compensée carbone “.
Si vraiment je voulais chipoter je vous parlerais d’une faute de français que je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer, un peu dérangeante néanmoins quand tout se veut aussi lisse… (« les éléments sur lequel il repose sont perturbés » au lieu de lesquels).
Et puis je me suis aussi souvenue de la condamnation du producteur du film en question à démolir une partie de sa propriété dans le Var construite illégalement et de ça (la marque étant une de celles citées)…, sans vouloir stigmatiser qui que ce soit mais simplement pour dire que rien n'est aussi simple, voire simpliste...
De plus, les vérités sont assénées, c’est vrai révoltantes, sans peut-être la révolte qui s’impose même si, sans doute, la réalisation du projet, les autorisations qu’il impliquait et sa large diffusion ont forcément imposé des concessions, et une certaine sagesse diplomatique.
Je suis cependant mille fois plus sensible à un projet comme celui-ci ("Women are heroes" de JR) dont je vous ai parlé lors de ma rencontre avec sa productrice au Festival de Cannes et dont je vous reparlerai. Les moyens déployés ici, le ton parfois à la limite du blockbuster avec musique et catastrophisme de rigueur me paraissant finalement en contradiction avec le sujet.
A trop survoler le problème (dans tous les sens du terme), peut-être ne fait-on finalement aussi que le surplomber sans vraiment lui donner un visage humain, aussi imparfait soit-il (et finalement le documentaire de Davis Guggenheim « Un vérité qui dérange » avec toutes ses imperfections étaient peut-être plus parlant).
Le côté anxiogène est heureusement compensé par l’éveil actuel des consciences qu’il met en avant à la fin du documentaire tout en mettant l'accent sur la nécessité d’agir face à cette emprise croissante de l’Homme sur l’environnement.
Au final un documentaire visuellement époustouflant, pédagogique mais qui est loin d’être exempt de contradictions, prouvant qu’il serait simpliste d’opposer simplement nature et culture, mais qui aura le mérite, et non des moindres (!), -espérons-le- d'éveiller ou de réveiller les consciences, individuelles, politiques, étatiques. A vous de juger …
18:32 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : cinéma, home, yann arthus-bertrand, youtube, écologie, européennes, élections, environnement, france 2 | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
C'est bien ce qui me pose problème : il est en effet impossible ou du moins difficile de passer à côté de Yann Arthus-Bertrand. Je le mets dans la même catégorie que Nicolas Hulot (j'ai failli écrire dans le même sac…) YAB surfe sur une vague et pour l'avoir écouté à plusieurs reprises, je doute très sérieusement de sa sincérité. Son crédo : ça marche profitons-en. D'accord, les images sont belles. Mais une belle image ne fait pas un grand photographe. Surtout lorsqu'on a toute une équipe qui fait le travail pour soi et qu'on a plus qu'à prendre un hélicoptère et à appuyer sur un bouton. Ils sont là pour nous donner bonne conscience un point c'est tout. Et j'irai même jusqu'à dire que ces personnes sont dangereuses. Parce que leur discours n'est pas suivi des faits. Qu'ils sont un paravent pour cacher la misère, la nôtre. Leur vocation première est de faire de l'argent, il ne faut pas rêver. Et je trouve cette médiatisation outrancière, voire obscène. Voilà, j'ai été un peu virulent, mais cette hypocrisie commence vraiment à me fatiguer.
Écrit par : vladivostak | 05/06/2009
Je ne sais pas si la démarche est sincère ou non (et j'en ai moi aussi douté) mais en tout cas je suis certaine que c'est beaucoup plus facile de critiquer en restant dans son canapé que d'agir, c'est pourquoi je ne serai pas aussi virulente que vous... Quant aux effets, il est encore tôt pour en juger... et je pense que vous vouliez dire qu'ils sont là pour SE donner bonne conscience et NOUS donner mauvaise conscience et non pour "nous donner bonne conscience". Me trompé-je? Avez-vous vu le film? Sinon, j'espère que le sac n'est pas en plastique...:-)
Écrit par : Sandra.M | 07/06/2009
Home, ou le retour du film composés de couvertures de Geo.
C'est beau, mais ce n'est pas du cinéma, ce n'est pas un documentaire. C'est un diaporama. Une suite de moments Kodak, affublée d'une grosse voix off, pour faire peur, pour te faire comprendre à toi, l'homo sapiens qui pense, que t'es pas cool avec la planète, quand même.
Et quand les choses sont bien faites, cette grosse voix off pourra faire peur à toute la planète, simultanément, grâce à 25 sponsors différents, des DVD vendus en masse à 5€ dans leurs beaux Amarays en plastoc dérivés du pétrole et leurs sur-fourreaux en carton plastifié non recyclés.
Merci Yann, pour ce grand moment de cinéma et de prise de conscience.
Les euro-députés verts, en tout cas, te remercient de tout cœur.
Écrit par : tenia | 27/09/2009
@ tenia: je partage en partie cet avis mais je me dis aussi que c'est toujours plus facile de critiquer tranquillement assis devant un écran d'ordinateur (moi y compris) que d'agir...
Écrit par : Sandra.M | 29/09/2009