Avant-première - Critique de « L’homme qui voulait vivre sa vie » d’Eric Lartigau : une adaptation elliptique sur la quête d’identité (23/10/2010)
Je vous parlais hier ( ici) à du roman éponyme de Douglas Kennedy publié en France en 1998, « L’homme qui voulait vivre sa vie », dont j’étais particulièrement curieuse de découvrir l’adaptation cinématographique étant donné que pour moi le roman, dans le fond comme dans la forme, est déjà très (trop) cinématographique. Douglas Kennedy lui-même ayant échoué à l’adapter en scénario, le projet a mis plusieurs années à se monter pour finalement voir le jour, produit par Pierre-Ange Le Pogam (Europacorp), et réalisé et écrit par Eric Lartigau (Laurent de Bartillat, Emmanuelle Bercot, Bernard Jeanjean ayant été consultés à différentes étapes de l’écriture) avec la bénédiction de Douglas Kennedy enchanté de cette adaptation et qui participe même à sa promotion.
Synopsis : Paul Exben (Romain Duris ) présente tous les signes extérieurs de bonheur : une femme Sarah (Marina Foïs), deux enfants, une profession prenante et lucrative (avocat d’affaires s’occupant des grandes fortunes), une belle maison au Vésinet. Tout juste échappe-t-il à ce cliché de la réussite en s’évadant dans la photographie, sa passion…jusqu’au jour où il découvre en sa femme une Emma Bovary qui trompe son mal être et son ennui dans les bras de leur voisin photographe Grégoire (Eric Ruf), arrogant et imbuvable. Sarah demande le divorce. Resté seul chez lui, Paul rend visite à Grégoire qui le provoque avec un cruel dédain. D’un geste de colère impulsive, Paul le tue involontairement. Un instant irréparable qui va à jamais bouleverser son existence. Le condamner à changer de vie et à devenir quelqu’un d’autre. Le condamner et peut-être le libérer…
Faut-il avoir tout perdu, et donc n’avoir plus rien à perdre pour se trouver ? Telle est la passionnante et complexe question que pose le film et, davantage que le livre qui par moments pouvait lorgner du côté du thriller, le film d’Eric Lartigau se concentre sur cette quête identitaire. C’est aussi la seconde partie, comme dans le roman, qui me semble plus intéressante, même si son intérêt ne résulte que de son contraste avec la première, donc indispensable. Paul devient alors réellement lui-même, non parce qu’il l’a réellement choisi, mais par la force des choses. Condamné à cette liberté vertigineuse et effrayante que symbolisent si bien le Montenegro et ses paysages beaux, âpres et sauvages. Une liberté paradoxalement contrainte.
Ce n’est en effet pas dans le Montana mais en Bretagne puis au Montenegro où l’histoire a été transposée (l’avocat de Wall Street devenant avocat parisien) que fuit Paul. Venant tout juste de terminer la lecture du roman (donc très frais dans ma mémoire), je me suis concentrée sur les ressemblances et dissemblances entre ce dernier et le film et il faut souligner la manière habile dont le film est fidèle au roman … tout en lui étant infidèle. Pour cela les scénaristes ont majoritairement recouru à l’ellipse et à la simplification, réduisant le nombre de personnages, expliquant en une scène ou une réplique (parfois trop rapidement pour que spectateur comprenne réellement un des éléments essentiels du roman : en quoi ce bonheur n’est qu’une image, en quoi cette réussite est pour lui un échec et une prison) ce qui l’était en plusieurs dans le roman, le but étant que le spectateur s’identifie à Paul, Paul que la caméra ne quitte pas, accrochée à sa peur et à son regard.
Les scénaristes ont aussi choisi de faire une réelle séparation entre les deux parties et les deux vies de Paul alors que dans le livre sa vie d’avant ressurgissait de différentes manières. Quelques scènes ont par ailleurs été édulcorées (comme ce que Paul fait subir au cadavre). Là où le roman s’évertuait tout de même à justifier ses rebondissements abracadabrantesques, le film ne prend pas cette peine : Paul n’efface pas ses empreintes après le meurtre, il a curieusement à sa disposition tout le matériel de l’assassin souhaitant effacer ses traces… et d’autres scènes en revanche superflues nous montrent ses allers et venues pour préparer son départ.
C’est donc sur sa quête de lui-même, de sa vraie vie que se concentre la deuxième partie, même si cette nouvelle vie se déroule la peur chevillée au corps. Le changement de style, de décor, de manière de filmer (majoritairement caméra à l’épaule) épousent cette nouvelle identité et de nouveau le regard de Paul qui, désormais, voit ce qu’il regarde. Un regard d’une telle acuité que ses (très belles) photos le reflètent et lui valent un soudain succès.
Le problème, c’est qu’à force de vouloir être trop elliptique et d’être régi selon le principe une scène = une idée (exemple : Paul, en tant qu’avocat, reçoit un riche héritier et pour le forcer à travailler lui subtilise l’objet de sa passion comme son père le fit avec lui) , le film présente le même défaut que le roman qui vise l’efficacité avant tout. A l’image de son personnage principal, constamment sur le qui-vive, le spectateur n’a le temps de s’attacher à rien, là où justement Paul devrait lui donner le sentiment de vivre réellement (dans la seconde partie).
Certains personnages secondaires font par ailleurs de la figuration malgré l’importance de leur rôle (surtout Ivana-Branka Katic dont un regard évasif résume son passé douloureux et expliqué dans le roman, et dont rien d’autre ne justifie son attachement soudain à Paul).
Les plans les plus intéressants sont pour moi ceux où Paul photographie et découvre, fier et effrayé, ces images qu’il a enfantées. L’art comme une nouvelle naissance … une piste qu’il aurait été intéressant d’explorer.
Les scénaristes ont donc délibérément choisi d’axer l’histoire sur la quête identitaire quitte à bâcler d’autres éléments importants, ils ont également choisi une fin différente de celle du livre, l’une faisant le pari de la liberté, l’autre de l’enfermement et dans l’un et l’autre cas nous laissant le loisir d’imaginer la suite à moins que Douglas Kennedy ou les scénaristes ne s’en chargent prochainement…
Malgré ses ellipses redondantes, malgré quelques facilités et improbabilités scénaristiques, la grande force du film qui parvient à en faire oublier les faiblesses, c’est Romain Duris qui incarne à la perfection cet homme enfermé dans sa liberté, ses contradictions, sa culpabilité, et qui, par la richesse de son jeu, parvient à montrer deux visages du même homme et à nous rendre proche cet homme qui pourrait être si lointain. Il ne faut pas oublier non plus les seconds rôles tous parfaits… de Catherine Deneuve en « père » spirituel, toujours aussi flamboyante, à Marina Foïs, en épouse aigrie et malgré tout touchante sans oublier Niels Arestrup aussi mystérieux, volcanique qu’inquiétant.
15:28 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, l'homme qui voulait vivre sa vie, romain duris, eric lartigau, niels arestrup, marina foïs, douglas kennedy | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |