Critique – « Le Gamin au vélo » de Jean-Pierre et Luc Dardenne (Compétition officielle du Festival de Cannes 2011) (17/05/2011)
Alors qu’hier la majorité des festivaliers n’aspirait qu’à découvrir le nouveau et tant attendu nouveau film de Terrence Malick (finalement sifflé, qui divise la Croisette et que je verrai tout à l’heure), pour ma part je n’aspirais qu’à découvrir le film des frères Dardenne pour la 5ème fois en compétition officielle, après avoir obtenu déjà deux fois la palme d’or (en 1999 pour « Rosetta » et en 2005 pour « L’enfant ») sans oublier leurs prix d’interprétations et le prix du scénario pour « Le silence de Lorna » en 2008. Un film que j’attendais d’autant plus que la bande-annonce me donnait déjà des frissons et que les premiers échos étaient unanimement favorables.
Synopsis : Cyril, bientôt 12 ans, n'a qu'une idée en tête : retrouver son père qui l'a placé provisoirement dans un foyer pour enfants. Il rencontre par hasard Samantha, qui tient un salon de coiffure et qui accepte de l'accueillir chez elle pendant les week-ends. Mais Cyril ne voit pas encore l'amour que Samantha lui porte, cet amour dont il a pourtant besoin pour apaiser sa colère ...
Dès les premières minutes, ce qui frappe chez les Dardenne, c’est « la vitalité » (pour reprendre un terme de François Truffaut à propos d’un autre cinéaste que je cite souvent ici), c’est aussi la force de l’interprétation. Comme toujours, ce sont des êtres blessés par la vie dont les souffrances se heurtent et s’aimantent. Comme toujours, c’est un cinéma à la fois de l’intime et de l’universel dans lequel tout peut basculer en une précieuse et douloureuse seconde, cette seconde ou Cyril s’accroche à Samantha comme il s’accrochait à ce téléphone, cette seconde aussi où il fera une mauvaise rencontre. Comme toujours, la direction d’acteurs est époustouflante. Comme souvent, les Dardenne s’attache au thème de l’enfance et des relations parents-enfants, comme (« Le Fils », « La Promesse », « L’enfant »). Comme toujours, ils ne jugent pas mais considèrent leur personnage avec empathie et clairvoyance.
Comme toujours ou presque. Presque comme toujours parce que pour une fois ils ont dérogé à leurs règle d’acteurs non professionnels en attribuant un des rôles principaux à Cécile de France face à l’acteur non professionnel, le jeune Thomas Doret, remarquable avec son air frondeur, buté, presque renfrogné, ses gestes vifs (également à signaler la présence d’Olivier Gourmet et de Jérémie Rénier). Presque parce qu’on retrouve la noirceur humaine qui caractérise leur cinéma avec un père effroyablement indifférent ou un ado qui exploite le jeune garçon. De la noirceur mais moins d’ âpreté, d’abord par la bienveillance du personnage incarné par Cécile de France (dont on ne connaîtra jamais vraiment les motivations qui n’obéissent d’ailleurs à aucun calcul sans doute à une tendresse spontanée même s’il n’est pas anodin qu’il la rencontre dans un cabinet médical et on peut imaginer que la raison pour laquelle elle s’y trouvait n’est pas étrangère à son affection pour cet enfant) qui illumine la route du jeune garçon mais aussi par une photographie plus lumineuse (l’action se déroule en plein été) que celle des précédents films des Dardenne. Presque comme toujours parce que cette fois les Dardenne ont recouru à la musique, certes pas n’importe laquelle, des extraits du concerto n°5 de Beethoven qui apportent une force, une puissance, une émotion indéniable et qui n’enlève rien à la pudeur caractéristique du cinéma des Dardenne, règle à laquelle ce film ne déroge par ailleurs pas.
Et pourtant, ce film me semble en-dessous de leurs précédents pendant lesquels mon souffle restait suspendu, où, chaque seconde, tout semblait pouvoir basculer. Différent aussi parce que plus elliptique et concentré avant tout sur ce « gamin au vélo », au centre de l’action et l’attention. Ce film n’en résonne pas moins comme un cri de colère. Un film lumineux, enragé, énergique, puissant, tendre et lucide qui a la force et la beauté sombre d’un concerto de Beethoven. D’un téléphone qui amène au néant à une route qui mène, peut-être, à la lumière, les Dardenne nous auront encore une fois brillamment embarqués avec leurs personnages avec ce qui est sans aucun doute leur film le plus « grand public ».
Pronostics pour le palmarès : le seul prix potentiel me semble être le prix d’interprétation pour le jeune Thomas Doret, un prix du jury ou de la mise en scène, résonnant sans doute presque comme un échec (certes très relatif) pour ces abonnés de la palme d’or.
A nouveau une critique plus courte qu’à l’accoutumée sur mes blogs et le temps me manque pour relire (donc désolée pour les imprécisions) et vous parler des autres évènements de la journée d’hier sur lesquels je reviendrai ultérieurement : la déception suscitée par le nouveau film d’André Téchiné présenté hier à la Quinzaine des Réalisateurs « Impardonnables », la présentation de la copie restaurée du « Sauvage » en présence de Jean-Paul Rappeneau et Catherine Deneuve, et le passage furtif de l’équipe de Terrence Malick sans oublier une soirée au vip room pour clore cette journée avec une atmosphère aux antipodes de celle du film avec laquelle elle avait commencé (et honnêtement je préfère l’atmosphère des Dardenne dont a contrario le cinéma n’est jamais pathétique, la première n’en étant cependant pas moins une comédie humaine instructive à observer).
09:05 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |