Bilan du Festival du Film de Cabourg (Journées romantiques ) : 25ème anniversaire (23/06/2011)
Cette année, Cabourg célébrait ses 25 années de cinéma romantique, un romantisme qui, dans la sélection de cette année, était souvent désenchanté, déçu, timoré, condamné, vain quand il n’était pas implicite ou même absent des films présentés. Les âmes des personnages étaient en effet plus souvent esseulées ou perdues que tourmentées. Le romantisme était peut-être finalement davantage dans l’atmosphère follement mélancolique et passionnément pluvieuse de Cabourg que dans les salles obscures. Quelques films néanmoins (heureusement ) répondaient à cette définition et sortaient du lot.
Parmi ceux-ci, « J’aime regarder les filles », premier long métrage de Frédéric Louf présenté dans la section Panorama du festival et dont l’action débute la veille du 10 mai 1981. C’est ce jour-là que Primo (Pierre Niney) et Gabrielle (Lou de Laâge) se rencontrent. Ils ont 18 ans. Primo va bientôt passer le bac. Gabrielle fait partie de la bourgeoisie parisienne, lui est fils de petits commerçants de province. Primo est ébloui par le charme de Gabrielle. Il va s’inventer une vie qui n’est pas la sienne… Frédéric Louf arrive à transcrire la fébrilité et la fougue de la jeunesse, cet âge où tout est possible, à la fois infiniment grave et profondément léger, où tout peut basculer d’un instant à l’autre dans un bonheur ou un malheur pareillement excessifs, où les sentiments peuvent éclore, évoluer ou mourir d’un instant à l’autre, où tout est brûlant et incandescent. De son film et de ses interprètes se dégagent toute la candeur, la fraîcheur mais aussi parfois la violence et l’intransigeance de cet âge décisif. Et puis il y a la littérature qui cristallise magnifiquement les sentiments avec une des œuvres les plus marquantes du romantisme « On ne badine pas avec l’amour » de Musset car romantique « J’aime regarder les filles » l’est indéniablement. Et en arrière plan l’éveil à la politique, la violence sociale étant d’ailleurs aussi présente comme dans l’œuvre de Musset. Un film simple, touchant, drôle qui a la grâce des 18 ans de ses personnages, à la fois fragiles et résolus, audacieux, insouciants et tourmentés et qui incarnent à merveille les héros romantiques intemporels même si le film est volontairement très ancré dans les années 80. Au sommet de la distribution, Pierre Niney (que vous avez pu notamment voir dans « les Emotifs anonymes » et « L’autre monde ») et Audrey Bastien qui incarnent toutes les nuances, les excès, les passions, la vulnérabilité et la force de la jeunesse avec un naturel confondant et avec ce petit quelque chose en plus, si rare et précieux, qui se nomme la grâce, le tout servi par des dialogues bien écrits. Mon coup de cœur de cette édition 2011 dont je vous reparlerai.
Mon autre coup de cœur s’intitule « Au cul du loup » et est le premier long métrage de Pierre Duculot présenté dans la section Panorama du festival. Il suit Cristina, presque trentenaire, qui vit dans la région de Charleroi avec son petit ami ; elle y travaille comme serveuse. L’héritage d’une maison en Corse que lui a léguée sa grand-mère va chambouler son existence. Alors que tout le monde l’incite à vendre, elle va peu à peu y trouver un sens à sa vie et le goût de vivre, vraiment. Pierre Duculot filme son anti-héroïne avec beaucoup de délicatesse, d’empathie, de sensibilité et son éveil à un nouvel amour (surtout celui de la vie mais aussi celui d’un berger) au contact de la rudesse et de la beauté des paysages corses. Le film est porté par sa fascinante actrice principale Christelle Cornil, une actrice malheureusement encore méconnue d’une étonnante présence. « J’aime la beauté des filles ordinaires qui ne le sont pas » a déclaré Pierre Duculot lors du débat d’après film et c’est exactement ça. Christelle Cornil derrière une apparence banale révèle peu à peu, grâce à la délicatesse du regard de Pierre Duculot derrière la caméra, une beauté, une détermination et un caractère tout sauf ordinaires. Pierre Duculot a débuté sa carrière comme assistant des Dardenne et on retrouve dans son cinéma cette manière de révéler le meilleur des acteurs et des êtres derrière leur froideur parfois, cette manière d’accorder beaucoup de place au silence, à l’implicite, aux fêlures tacites des personnages, cinéaste également de l’intime et de l’universel. Son film a été « fait avec le budget de la bande-annonce de l’élève Ducobu » a ironisé le réalisateur (800 000 euros) et c’est insensé qu’il n’ait pas de distributeur. J’espère que cette sélection l’aidera à en trouver un.
« Bonsaï » film en compétition du chilien Cristian Jimenez entrelaçait lui aussi fiction, réalité et littérature comme les branches du Bonsaï qui donne son titre au film. Julio (Diego Noguera) y rencontre un écrivain qui cherche un assistant pour dactylographier son roman mais il n’est pas retenu. Il décide cependant d’écrire un manuscrit qu’il fait passer pour celui de l’écrivain auprès de sa maîtresse. Il s’inspire en réalité de son histoire d’amour passionnelle avec Emilia, huit ans plus tôt, lorsqu’ils étaient étudiants en littérature. La complexité et la fragilité de l’architecture du bonsaï mais aussi le soin qu’il faut lui apporter constituent une parabole de son histoire d’amour. «Bonsaï » est avant tout une belle déclaration d’amour à Proust et à la littérature. « On n'aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d'inaccessible, on n'aime que ce qu'on ne possède pas », écrivait par exemple Proust dans « La Prisonnière ». Cette citation pourrait parfaitement résumer ce film triste et sensuel comme une recherche du temps perdu…celui vécu entre le jeune romancier et son héroïne, amour de jeunesse, sans doute le seul véritable amour de sa vie…
Proust décidément omniprésent puisqu’il l’était également dans « En ville » de Valérie Mréjen et Bertrand Schefer qui suit la jeune Iris, 16 ans, qui vit dans une petite ville de province la fin de son adolescence. Elle rencontre par hasard Jean, photographe parisien d’une quarantaine d’années. Leur relation va évoluer en amitié amoureuse. Proust est cette fois présent par son célèbre questionnaire. Là aussi un film très littéraire aux accents parfois truffaldiens qui vaut surtout par la relation trouble entre Jean interprété par le beaucoup trop rare Stanislas Merhar (son très beau monologue dans lequel il exprime ce sentiment amoureux qu’il voit renaitre avec bonheur vaut à lui seul le déplacement) et Iris interprétée par la lumineuse Lola Créton. Une parenthèse qui a pour eux toute la beauté ambivalente d’une amitié amoureuse, celle d’une renaissance. Vous y retrouverez Valérie Donzelli…présente dans 3 films de ce festival !
Littérature toujours avec « Brighton rock » de Rowan Joffe adapté d’un roman de Graham Greene de 1938 ( par le scénariste de l’excellent « The American » de Anton Corbijn dont l’atmosphère était d’ailleurs déjà menaçante et fascinante) transposé dans les années 1960. Entre le thriller et la romance, « Brighton Rock » vaut surtout pour la beauté mélancolique et inquiétante de Brighton et du personnage principal qui emprunte au cadre du film ce mélange de rudesse et de fragilité mélancoliques. Sam Riley interprète à merveille ce personnage complexe de Pinkie Brown, petite frappe de 17 ans tourmenté et mégalomane qui veut venger le meurtre de son chef de gang et s’imposer comme leader. Lorsque Rose, une jeune et innocente serveuse tombe sur les preuves le liant à un règlement de comptes, il décide de la séduire afin de s’assurer de son silence. Elle tombe sous son charme aussi envoûtant qu’inquiétant… Le traitement comme la réalisation manquent un peu de fougue pour donner à cette histoire les accents lyriques auxquels elle aurait pu se prêter, néanmoins une des bonnes surprises de cette édition avec une distribution remarquable : Helen Mirren, John Hurt, Andrea Riseborough dans le rôle, sur le fil, de la candide et passionnée Rose.
Je passe sur la déception Miranda July qui cette fois avec son nouveau film « The future » oublie un peu la poésie (toujours néanmoins présente par petite touches) pour privilégier l’absurde en abordant la difficulté de créer, de vivre dans le présent dont elle fait l’éloge en oubliant peut-être un peu trop celui du spectateur. Je passe également sur le sympathique « L’art de séduire » de Guy Mazarguil qui vaut surtout pour Mathieu Demy formidable en personnage de comédie romantique maladroit…et une nouvelle fois pour Valérie Donzelli fantasque et volubile à souhait.
Comme chaque année, la compétition des courts-métrages réservait de belles surprises même si là aussi romantisme signifiait plutôt solitude, amours désenchantés ou déçus, voire morbides, avec un réel coup de cœur pour « Alexis Ivanovich vous êtes mon héros » de Guillaume Gouix, malheureusement oublié du palmarès : « Alex et Cerise s’aiment d’un amour joyeux. Un jour, Alex est agressé devant Cerise et la peur l’empêche de réagir. Alors que Cerise fait de cette histoire une simple anecdote, Alex la vit comme une réelle humiliation. Et si son amour-propre le faisait passer à côté du bonheur. » Le fait que Guillaume Gouix soit acteur n’est sûrement pas étranger au jeu des comédiens qui résonne ici si juste (Swann Arlaud est réellement remarquable et me fait aussi penser à cette phrase plus haut de Pierre Duculot à propos de son actrice principale « la beauté des filles ordinaires qui ne le sont pas », Swann Arnaud a ainsi la beauté d’un garçon ordinaire dont Guillaume Gouix révèle la belle fragilité, cela confirme d’ailleurs au passage le talent de découvreur d’acteurs de Jean-Pierre Améris puisque, Swann Arlaud, comme Pierre Niney, dont je vous parlais plus haut jouait dans « Les Emotifs anonymes », son dernier film.) Guillaume Gouix arrive à rendre particulièrement touchant ce personnage radieux et joyeusement désinvolte qui, en une fraction seconde, blessé dans son orgueil, va tout remettre en question, découvrant ne pas être le héros qu’il aurait aimé être aux yeux de son amoureuse. Ce film recèle de ces instants de vérité dont parle si souvent Lelouch ( même si ce court-métrage n’a rien d’un Lelouch) qui auraient à eux seuls valu une récompense à ce film très juste et sensible.
Mention spéciale (de ma part et non de celle du jury puisque ce film ne figurait pas non plus au palmarès) également pour « Aglaée » de Rudi Rosenberg (« un collégien perd un pari et a pour gage de proposer à une jeune handicapée de sortir avec lui ») dans lequel tous les jeunes comédiens sont étonnants de justesse à commencer par l’interprète principale mais aussi pour « Cheveu » de Julien Hallard pour lequel Franc Bruneau a obtenu le prix d’interprétation masculine et dans lequel « Philippe perd ses cheveux. Combien de temps lui reste-t-il avant la calvitie ? Son dermatologue est formel : seul son père a la réponse à cette question ». Cette rencontre avec son père va le ramener vers le passé, et confronter l’essentiel et le dérisoire avec là aussi beaucoup de justesse...même si ce film, à mon sens n’a rien de romantique.
« Prochainement sur vos écrans » de Fabrice Maruca est à voir absolument pour sa succession de bandes annonces pour raconter une rencontre : comédie romantique, film d’horreur, film d’action, mélo et témoigne d’un réel don de l’observation mais aussi d’adaptation de son auteur. Un pastiche très drôle de ces différents styles cinématographiques et accessoirement une formidable carte de visite pour le réalisateur qui témoigne de sa faculté d’adaptation à ces différents genres.
Et enfin « Hymen » de Cédric Prévost pour l’interprétation remarquable notamment de Grégory Gadebois (déjà remarquable dans le prix Michel d’Ornano du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville « Angèle et Tony »).
Dommage que pour la clôture la salle ait été divisée en deux (retrouvez le palmarès complet en cliquant ici), ce qui a rendu inaudible les propos des lauréats pour la moitié des spectateurs réduits à regarder la cérémonie sur des écrans. Toute la salle a néanmoins pu se retrouver pour profiter du karaoké et du concert improvisé qui a suivi entre l’improbable hommage de Dominique Besnehard à Sylvie Vartan (bien meilleur agent et désormais producteur que chanteur donc), celui de Pauline Lefevre à Elvis et « Stand by me » remarquablement chanté par Tomer Sisley (un petit extrait ci-dessous).
Je me réjouis du prix du public attribué à « Et maintenant on va où » dont je vous parlais le premier jour du festival, ici. Sans grande surprise Valérie Donzelli a obtenu le Swann d’or avec « La guerre est déclarée » inspiré du combat qu’elle a mené avec son compagnon contre la maladie de son fils. Une déclaration de guerre mais surtout d’amour. Un hymne à la vie, au courage, à la fugacité du bonheur, un film plein de douce fantaisie, avec une inspiration toujours très truffaldienne, et jamais mièvre. Un film bouleversant d’une beauté subtile et sensible. A cette occasion, je vous invite à redécouvrir ma vidéo du passionnant débat qui avait suivi la projection à Cannes et je vous rappelle que vous pourrez également voir ce film à Paris Cinéma puisqu’il figurera en compétition.
Un festival qui a au moins le mérite de mettre en avant un cinéma populaire parfois méprisé par une certaine presse, un festival malheureusement boudé par les grands médias et dont le grand mérite est d’avoir révélé de nombreux cinéastes et comédiens qui reviennent d’ailleurs chaque année avec plaisir. Un festival pour moi aussi rythmé par la mélodie douce et mélancolique des souvenirs, réminiscence proustienne sans doute même si contrairement l’auteur indissociable de Cabourg (et a fortiori cette année où il était tellement présent dans les films en sélection), je ne pense heureusement pas que seul le temps écoulé, perdu, a une valeur. Un festival qui, à défaut de nous parler vraiment d’amour, a renforcé le mien pour les mots, l’écriture…et les festivals une fois de plus indissociables de jolis rencontres et de précieux moments hors du temps, fut-il irrémédiablement pluvieux. Dommage d’ailleurs que la météo capricieuse ait empêché les projections des films sur la plage comme « Voir la mer » de Patrice Leconte, « Les Yeux de sa mère » de Thierry Klifa et « Les émotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris que je vous encourage à voir si ce n’est déjà fait.
Prochains festivals à suivre en direct sur inthemoodforcinema.com : Paris cinéma du 30 juin au 13 juillet, Festival du Cinéma Américain de Deauville du 2 au 11 septembre 2011 et Festival du Film Britannique de Dinard du 5 au 9 octobre 2011. Et très bientôt, le retour des critiques de films un peu délaissées ces derniers temps.
Et en attendant, je vous engage à revoir quelques chefs d’œuvre du cinéma romantique dont vous pouvez lire mes critiques en cliquant sur leurs titres:
Sur la route de Madison de Clint Eastwood
Un coeur en hiver de Claude Sautet
La femme d'à côté de François Truffaut
Un homme et une femme de Claude Lelouch
Le Quai des brumes de Marcel Carné
La fièvre dans le sang d'Elia Kazan
Les Enchaînés d'Alfred Hitchcock
Gatsby le Magnifique de Jack Clayton
Ludwig ou le crépuscule des Dieux de Luchino Visconti
Etreintes brisées de Pedro Almodovar
César et Rosalie de Claude Sautet
L’étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher
Les noces rebelles de Sam Mendes
Les amours imaginaires de Xavier Dolan
22:33 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (5) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Très beau résumé !
(il manque le film de la vache dans la liste!)
Écrit par : nivrae | 23/06/2011
Merci.:-) Bien remise du festival? Bah si elle y est la vache!!:-) Le docteur, lui, en revanche n'y est pas...
Écrit par : Sandra.M | 23/06/2011
Bonsoir,
J'aimerai savoir il est possible de publier votre article sur "J'aime regarder les filles" sur mon blog, celui-ci étant consacré à Pierre Niney.
Je ferais bien sûre figurer un lien vers votre blog.
Jordane
Écrit par : Jordane | 24/06/2011
Bonsoir Jordane,
Aucun problème.
Bonne soirée.
Sandra
Écrit par : Sandra.M | 24/06/2011
Merci beaucoup, j'ai publié l'article concernant "J'Aime regarder les filles" donc, avec la photo, et j'ai mis le lien vers ce blog en disant que je les ai pris ici.
Encore merci,
Bonne journée
Jordane
Écrit par : Jordane | 25/06/2011