European Film Awards 2011: "Melancholia" de Lars von Trier, meilleur film 2011 (03/12/2011)
Ce soir, à Berlin, se tenait la cérémonie des European Film Awards. C’est le film que je considère comme le meilleur film européen mais également le meilleur film mondial de l’année qui a reçu le prix du European Film 2011: « Melancholia » de Lars von Trier (dont vous pouvez retrouver ma critique en bas de cet article). L’autre grand film européen de cette année, « The Artist » de Michel Hazanvicius n’a reçu « que » le prix de la meilleure musique mais gageons que, au regard de son accueil aux Etats-Unis, il figurera au palmarès des Oscars…et pas seulement pour la musique.
PALMARES COMPLET DES EUROPEAN FILM AWARDS 2011
EUROPEAN FILM 2011:
MELANCHOLIA, Denmark/Sweden/France/Germany
WRITTEN & DIRECTED BY: Lars von Trier
PRODUCED BY: Meta Louise Foldager & Louise Vesth
EUROPEAN FILM ACADEMY SHORT FILM 2011:
EFA Short Film Nominee Drama:
THE WHOLLY FAMILY by Terry Gilliam
EUROPEAN FILM ACADEMY LIFETIME ACHIEVEMENT AWARD 2011:
Stephen Frears
EFA People’s Choice Award 2011:
The King’s Speech
EUROPEAN EDITOR 2011:
Tariq Anwar for THE KING’S SPEECH
EUROPEAN PRODUCTION DESIGNER 2011:
Jette Lehmann for MELANCHOLIA
EUROPEAN ACTOR 2011:
Colin Firth in THE KING’S SPEECH
EUROPEAN ACTRESS 2011:
Tilda Swinton in WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN
EUROPEAN FILM ACADEMY DOCUMENTARY 2011 – Prix ARTE:
PINA, Germany
written & directed by Wim Wenders
produced by Gian-Piero Ringel & Wim Wenders
EUROPEAN COMPOSER 2011:
Ludovic Bource for THE ARTIST
EUROPEAN SCREENWRITER 2011:
Jean-Pierre & Luc Dardenne for LE GAMIN AU VELO (The Kid with a Bike)
EUROPEAN ACHIEVEMENT IN WORLD CINEMA 2011:
Mads Mikkelsen
EUROPEAN DISCOVERY 2011 – Prix FIPRESCI:
ADEM (Oxygen), Belgium/the Netherlands
written & directed by Hans Van Nuffel
EUROPEAN DIRECTOR 2011
Susanne Bier for HÆVNEN (In a Better World)
EUROPEAN CO-PRODUCTION AWARD – Prix EURIMAGES 2011:
Mariela Besuievsky
EFA SPECIAL HONORARY AWARD 2011:
Michel Piccoli
CARLO DI PALMA EUROPEAN CINEMATOGRAPHER AWARD 2011:
Manuel Alberto Claro for MELANCHOLIA
EUROPEAN FILM ACADEMY ANIMATED FEATURE FILM 2011:
CHICO & RITA, Spain/Isle of Man
directed by Tono Errando, Javier Mariscal & Fernando Trueba
Critique de « Melancholia » de Lars von Trier
C’est quelques semaines après la mémorable projection cannoise que j’ai réuni mes impressions pour écrire cette critique… De cette projection, je garde une impression à la fois jubilatoire et dérangeante, et de fascination, accentuée par le fait que j’ai vu ce film dans le cadre de sa projection cannoise officielle suite à la conférence de presse tonitruante en raison des déclarations pathétiques de Lars von Trier dont le film n’avait vraiment pas besoin et dont nous ne saurons jamais si elles lui ont coûté la palme d’or que, à mon avis, il méritait beaucoup plus que « Tree of life ». Rarement (jamais ?) en 11 ans de festival, l’atmosphère dans la salle avant une projection ne m’avait semblée si pesante et jamais, sans doute, un film n’aura reçu un accueil aussi froid (d’ailleurs finalement pas tant que ça) alors qu’il aurait mérité un tonnerre d’applaudissements.
Je pourrais vous en livrer le pitch. Ce pitch vous dirait que, à l’occasion de leur mariage, Justine (Kirsten Dunst) et Michael (Alexander Skarsgård ) donnent une somptueuse réception dans le château de la sœur de Justine, Claire(Charlotte Gainsbourg) et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige inéluctablement vers la Terre…
Mais ce film est tellement plus que cela…
Dès la séquence d’ouverture, d’une beauté sombre et déroutante, envoûtante et terrifiante (une succession de séquences et photos sur la musique de Wagner mêlant les images de Justine et les images de la collision cosmique), j’ai été éblouie, subjuguée, happée par ce qui se passait sur l’écran pour ne plus pouvoir en détacher mon attention. Après ce prologue fantasmagorique et éblouissant, cauchemardesque, place au « réalisme » avec les mariés qui sont entravés dans leur route vers le château où se déroulera le mariage. Entravés comme Justine l’est dans son esprit. Entravés comme le sera la suite des évènements car rien ne se passera comme prévu dans ce film brillamment dichotomique, dans le fond comme dans la forme.
Lars von Trier nous emmène ensuite dans un château en Suède, cadre à la fois familier et intemporel, contemporain et anachronique, lieu du mariage de Justine, hermétique au bonheur. La première partie lui est consacrée tandis que la seconde est consacrée à sa sœur Claire. La première est aussi mal à l’aise avec l’existence que la seconde semble la maitriser jusqu’à ce que la menaçante planète « Melancholia » n’inverse les rôles, cette planète miroir allégorique des tourments de Justine provoquant chez tous cette peur qui l’étreint constamment, et la rassurant quand elle effraie les autres pour qui, jusque là, sa propre mélancolie était incompréhensible.
Melancholia, c’est aussi le titre d’un poème de Théophile Gautier et d’un autre de Victor Hugo (extrait des « Contemplations ») et le titre que Sartre voulait initialement donner à « La nausée », en référence à une gravure de Dürer dont c’est également le titre. Le film de Lars von Trier est la transposition visuelle de tout cela, ce romantisme désenchanté et cruel. Ce pourrait être prétentieux (comme l’est « Tree of life » qui semble proclamer chaque seconde sa certitude d’être un chef d’œuvre, et qui, pour cette raison, m’a autant agacée qu’il m’a fascinée) mais au lieu de se laisser écraser par ses brillantes références (picturales, musicales, cinématographiques), Lars von Trier les transcende pour donner un film d’une beauté, d’une cruauté et d’une lucidité renversantes.
C’est aussi un poème vertigineux, une peinture éblouissante, un opéra tragiquement romantique, bref une œuvre d’art à part entière. Un tableau cruel d’un monde qui se meurt ( dont la clairvoyance cruelle de la première partie fait penser à « Festen » de Vinterberg) dans lequel rien n’échappe au regard acéré du cinéaste : ni la lâcheté, ni l’amertume, ni la misanthropie, et encore moins la tristesse incurable, la solitude glaçante face à cette « Mélancholia », planète vorace et assassine, comme l’est la mélancolie dévorante de Justine.
« Melancholia » est un film bienheureusement inclassable, qui mêle les genres habituellement dissociés (anticipation, science-fiction, suspense, métaphysique, film intimiste…et parfois comédie certes cruelle) et les styles (majorité du film tourné caméra à l’épaule) .
Un film de contrastes et d’oppositions. Entre rêve et cauchemar. Blancheur et noirceur. La brune et la blonde. L’union et l’éclatement. La terreur et le soulagement. La proximité (de la planète) et l’éloignement (des êtres).
Un film à contre-courant, à la fois pessimiste et éblouissant. L’histoire d’une héroïne incapable d’être heureuse dans une époque qui galvaude cet état précieux et rare avec cette expression exaspérante « que du bonheur ».
Un film dans lequel rien n’est laissé au hasard, dans lequel tout semble concourir vers cette fin…et quelle fin ! Lars von Trier parvient ainsi à instaurer un véritable suspense terriblement effrayant et réjouissant qui s’achève par une scène redoutablement tragique d’une beauté saisissante aussi sombre que poignante et captivante qui, à elle seule, aurait justifié une palme d’or. Une fin sidérante de beauté et de douleur. A couper le souffle. D’ailleurs, je crois être restée de longues minutes sur mon siège dans cette salle du Grand Théâtre Lumière, vertigineuse à l’image de ce dénouement, à la fois incapable et impatiente de transcrire la multitude d’émotions procurées par ce film si intense et sombrement flamboyant.
Et puis… comment aurais-je pu ne pas être envoûtée par ce film aux accents viscontiens (« Le Guépard » et « Ludwig- Le crépuscule des Dieux » de Visconti ne racontant finalement pas autre chose que la déliquescence d’un monde et d’une certaine manière la fin du monde tout comme « Melancholia »), étant inconditionnelle du cinéaste italien en question ? (J’en profite pour vous rappeler que « Ludwig- Le Crépuscule des Dieux de Visconti » est ressorti en salles la semaine dernière. A -re-voir absolument).
Le jury de ce 64ème Festival de Cannes a d’ailleurs semble-t-il beaucoup débattu du « cas Melancholia » (cf vidéo en bas de cette page). Ainsi, selon Olivier Assayas, lors de la conférence de presse du jury : « En ce qui me concerne, c’est un de ses meilleurs films. Je pense que c’est un grand film. Je pense que nous sommes tous d’’accord pour condamner ce qui a été dit dans la conférence de presse. C’est une œuvre d’art accomplie. »
Kirsten Dunst incarne la mélancolie (d’ailleurs pas pour la première fois, tout comme dans « Marie-Antoinette » et « Virgin Suicides ») à la perfection dans un rôle écrit au départ pour Penelope Cruz. Lui attribuer le prix d’interprétation féminine était sans doute une manière judicieuse pour le jury de récompenser le film sans l’associer directement au cinéaste et à ses propos, lequel cinéaste permettait pour la troisième fois à une de ses comédiennes d’obtenir le prix d’interprétation cannois (se révélant ainsi un incontestable très grand directeur d’acteurs au même titre que les Dardenne dans un style certes très différent), et précédemment Charlotte Gainsbourg pour « Antichrist », d’ailleurs ici également époustouflante.
Un très grand film qui bouscule, bouleverse, éblouit, sublimement cauchemaresque et d’une rare finesse psychologique qui, trois mois après l’avoir vu, me laisse le souvenir lancinant et puissant d’un film qui mêle savamment les émotions d’un poème cruel et désenchanté, d’un opéra et d’un tableau mélancoliques et crépusculaires.
Alors je sais que vous êtes nombreux à vous dire réfractaires au cinéma de Lars von Trier…mais ne passez pas à côté de ce chef d’œuvre (et je n’ai employé ce terme pour aucun autre film cette année) qui vous procurera plus d’émotions que la plus redoutablement drôle des comédies, que le plus haletant des blockbusters, et que le plus poignant des films d’auteurs et dont je vous garantis que la fin est d’une splendeur qui confine au vertige. Inégalée et inoubliable.
23:49 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Comment choisir en Melancholia et The Artist ?
Écrit par : Pascale | 06/12/2011