Les comédies de la semaine: tout est grave, rien n'est sérieux... (20/04/2006)
Evidemment je pourrais vous parler des nombreuses comédies françaises à l’affiche actuellement. Je pourrais vous dire que vous avez l’embarras du choix entre Francis Veber avec La Doublure qui signe là le retour du naïf au grand coeur François Pignon, cette fois incarné par Gad Elmaleh, Albert Dupontel et sa "comédie sociale" Enfermés dehors qui nous narre les tribulations burlesques d’un SDF ayant trouvé un costume de policier et l’utilisant pour imposer sa propre loi déjantée, et Laurent Tuel avec Jean-Philippe qui nous entraîne dans une autre dimension où Johnny Hallyday serait resté Jean-Philippe Smet, sans compter Cabaret Paradis de Corinne et Gilles Benizio et OSS117,Le Caire nid d'espions de Michel Hazanavicius (je n’ai pas vu les deux derniers films cités).
Je pourrais encore vous dire que Francis Veber a toujours le don des dialogues incisifs et des bons mots percutants, du rythme haletant même s’il s’essouffle dans la deuxième partie, sa doublure se hasardant sur le terrain glissant de la comédie romantique dans lequel il est moins à l’aise que dans la comédie pure.
Je pourrais vous dire que si vous aimez Tex Avery, vous serez certainement ravis d’être « enfermés dehors » avec Albert Dupontel dans son univers coloré même s’il imite, emprunte à Jean-Pierre Jeunet un peu, beaucoup, trop,... sans jamais l’égaler dans un film certes fantaisiste dans la forme comme dans le fond dont le rythme déchaîné, voire harassant, en emportera néanmoins certains, en agacera d’autres, tout comme la référence affirmée par son auteur à Chaplin et Keaton, référence pour le moins exagérée. Il ne suffit pas de s’auto-proclamer poétique pour le devenir. Je l’avoue : j’ai ri néanmoins, du moins plus qu’à la projection des Bronzés, amis pour la vie, ce qui n’est pas un défi insurmontable, je vous l’accorde.
Alors je pourrais surtout vous dire que malgré la bande annonce maintes fois diffusée, l’idée donc dévoilée, de Jean-Philippe, la nouvelle production de Fidélité n’en demeure pas moins très originale, d’après un scénario écrit par Christophe Turpin, nous offrant un face à face exceptionnel entre un Luchini dont le talent n’est certes plus à prouver mais dont le don pour la comédie est ici éclatant face à un Johnny Hallyday tout en retenue comme dans L’Homme du train, ici il fait de surcroît preuve d’une auto-dérision désarmante . Je pourrais en effet vous dire tout ça et encore que je vous recommanderais sûrement le dernier. Parce qu’il n’imite personne même s’il a un petit air de Being John Malkovich (au risque d'en agacer certains avec cette intouchable réfèrence) davantage que de Podium, même production et malgré un clin d’œil désopilant au film en question. Parce que, aussi, il nous parle des rendez-vous manqués ou décisifs, du destin, parce que le sujet est moins léger qu’il n’en a l’air, en tout cas universel. Je pourrais encore, justement, vous parler des rendez-vous manqués, esquivés ou essentiels.
Oui, je pourrais toujours vous dire tout ça mais, j’ai eu le malheur ( le bonheur plutôt) de revoir César et Rosalie de Claude Sautet et justement je me suis demandée ce qu’aurait été ma vie si je n’avais pas rencontré les films de Claude Sautet, car certains films, certains cinéastes sont comme des rencontres, qui vous portent, vous enrichissent, vous influencent ou vous transforment même parfois. Et là, je n’ai plus eu envie que de vous parler de ce film-là que je revoyais peut-être pour la dixième fois. Peut-être pas celui que je préfère du cinéaste, Un cœur en hiver ayant à jamais décroché ma palme d’or, mais un film qui n’a néanmoins pas pris une ride, et arrive toujours à me dérider justement. Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour la Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement. Derrière l’exubérance et la truculence de César, on ressent en effet la mélancolie sous-jacente. César donc c’est Yves Montand, un ferrailleur qui a réussi, mariée à Rosalie (Romy Schneider) divorcée d’Antoine (Umberto Orsini), et qui aime toujours David (Sami Frey), un dessinateur de bandes dessinées, sans cesser d’aimer César. Ce dernier se fâche puis réfléchit et abandonne Rosalie à David. Des liens de complicité et même d’amitié se tissent entre les deux hommes si bien que Rosalie, qui veut être aimée séparément par l’un et par l’autre, va tenter de s’interposer entre eux, puis va partir... Dans ce film de 1972, qui fut souvent comparé à Jules et Jim de Truffaut, on retrouve ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de café, de groupe et la solitude dans le groupe, la fugacité du bonheur immortalisée, l’implicite dans ce qui n’est pas- les ellipses- comme dans ce qui est-les regards- (Ah, ces derniers regards entre les trois personnages principaux! Ah, le regard de David lorsque l’enfant passe des bras de Rosalie à ceux de César, scène triangulaire parfaitement construite!).
« Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. », disait Truffaut. Ainsi, personne mieux que Claude Sautet ne savait et n’a su dépeindre des personnages attachants, fragiles mais si vivants (à l’exception de Stephan interprété par Daniel Auteuil dans Un cœur en hiver, personnage aux émotions anesthésiées quoique..., critique ici prochainement). Ici au contraire ce n’est pas un cœur en hiver, mais un cœur qui bat la chamade et qui hésite, celui de Rosalie, qui virevolte avec sincérité, et qui emporte le spectateur dans ses battements effrénés. Et effectivement on retrouve cette vitalité, celle de la mise en scène qui épouse le rythme trépidant de César face au taciturne David. César qui pourrait agacer, flambeur, gouailleur, lâche parfois face à la fragilité et la discrétion de l’artiste David. Deux hommes si différents, voire opposés, dans leur caractérisation comme dans leur relation à Rosalie que Sautet dépeint avec tendresse, parfois plutôt une tendre cruauté concernant César. Là se trouve la fantaisie, dans ce personnage interprété magistralement par Yves Montand, ou dans la relation singulière des trois personnages, si moderne. Un film qui n’est pas conventionnel jusque dans sa magnifique fin, ambiguë à souhait. Sans effets spéciaux à la Tex Avery. Simplement par la caractérisation ciselée de personnages avec leurs fêlures et leur déraison si humaines.
Un film à l’image de son personnage principal qui insuffle ce rythme précis et exalté : truculent et émouvant, mélancolique et joyeux, exubérant et secret. Un film intemporel et libre, qui oscille entre le rire et les larmes, dans lequel tout est grave et rien n’est sérieux (devise crétoise, un peu la mienne aussi). Un film délicieusement amoral que vous devez absolument voir ou revoir…
Sandra.M
09:00 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Inclassable, déjanté, pas asseptisé, imaginatif et super bien joué , je vous parle d'Enfermés dehors . Quand on va voir ce type de film, on sait pourquoi on a payé sa place de ciné.
Écrit par : Semiramis | 20/04/2006