Critique de "Poupoupidou" de Gérald Hustache-Mathieu, ce soir, à 20H55, sur Canal+ (24/01/2012)
« Poupoupidou » est le second long métrage de Gérald Hustache-Mathieu, 4 ans après « Avril ».
David Rousseau (Jean-Paul Rouve) est l’auteur de romans policiers aux titres à son image, burlesques et improbables, et à l’image du lieu où il se rend pour toucher un héritage : Mouthe. Enfin, ce sont surtout les températures qui y sont burlesques et improbables puisque c’est le village le plus froid de France. En guise d’héritage, il va uniquement récolter un chien empaillé, en revanche il va y trouver l’inspiration pour son prochain roman. Le jour de son arrivée, on découvre en effet le corps de Candice Lecoeur (Sophie Quinton), l’effigie blonde du fromage Belle du Jura, star locale persuadée d’être la réincarnation de Marylin Monroe. La gendarmerie a conclu à un suicide. David Rousseau n’y croit pas et va enquêter. Il va alors trouver à Mouthe bien plus qu’un sujet de roman...
Beaucoup d’éléments m’ont enchantée dans ce « Poupoupidou », et en premier lieu le fait qu’il soit délicieusement à contre-courant. A contre-courant, parce qu’il ne considère pas que le monde s’arrête aux frontières du périphérique parisien. La première bonne idée est en effet d’avoir situé l’intrigue à Mouthe, d’abord pour l’élément dramatique que constitue le froid polaire qui y règne mais aussi pour le décor à la fois familier et inhabituel, sorte d’ailleurs proche et lointain qui brouille nos repères. Gérald Hustache-Mathieu regarde la province avec une tendresse lucide jamais condescendante mais non moins drôle.
A contre-courant ensuite parce qu’il appartient à plusieurs genres, là où le cinéma français cherche de plus en plus à construire des films concepts réductibles à un slogan en guise de pitch (comme celui-ci, par exemple), Poupoupidou appartient à plusieurs genres et crée ainsi le sien propre que nous pourrions qualifier de policier burlesque et romantique.
A contre-courant par l’originalité de la construction scénaristique également puisque s’enchevêtrent plusieurs points de vue, celui de Candice à travers son journal et celui de David Rousseau, celui du vivant et de la défunte sans que jamais cela devienne morbide mais au contraire onirique, leurs deux voix se faisant ainsi poétiquement, tantôt humoristiquement ou tragiquement écho.
A contre-courant enfin parce que son réalisateur est un incorrigible romantique dont il a dit hier soir qu’il devrait s’en guérir. Surtout qu’il ne change rien. D’ailleurs amusant qu’un romantique cherche à se guérir quand des cyniques ne cherchent qu’à s’en enorgueillir (faîtes un tour sur twitter, cela vous en donnera une idée...) En passant, j’ai été plutôt admirative de l’énergie déployée par Gérald Hustache-Mathieu hier soir pour défendre son film face à une salle qui en termes d’empathie me semblait être à peu près l’équivalent de celle des César (c’est dire…)
A contre-courant pour le casting. Gérald Hustache-Mathieu n’a pas choisi des acteurs « bankable » mais son choix n’en était que plus judicieux. Sophie Quinton présente cette sensualité, cette tristesse, cette gaieté joliment feinte de Marylin sans jamais la singer. Et Jean-Paul Rouve adopte un jeu tantôt touchant, tantôt décalé confirmant son César du meilleur espoir masculin pour son rôle de collabo dans « Monsieur Batignole » et qu’il peut tout jouer. Ils incarnent l’un et l’autre des personnages à qui la confiance en eux fait défaut et qui ont besoin de s’identifier à ce fameux mythe américain, l’un à une actrice, l’autre à un romancier. Ces deux-la étaient faits pour se rencontrer. Et c’est la magie du cinéma et de l’écriture scénaristique que de permettre qu’ils le fassent par-delà la mort.
Plus que l’intrigue policière, c’est finalement le portrait de ces êtres qui rêvent d’ailleurs, (personnages principaux et secondaires croqués par petites touches mais non moins présents), antihéros fascinés par le mythe américain dont le film tout entier est imprégné, hommage au mythe Marylin et au mythe en général. Plus que l’enquête du véritable meurtrier de Candice c’est finalement celle qui consiste à établir le parallèle avec la vie de Norma Jean/Marylin (comme un 5 omniprésent qui rappelle sa célèbre réponse à une question d’un journaliste), désirée et presque toujours mal aimée et incomprise, qui donne au film ce ton à la fois ludique et nostalgique. Gérald Hustache-Mathieu déjoue les apparences et se joue des apparences avec humour et sensibilité.
Poupoupidou n’emprunte pas seulement son titre à Marylin : on retrouve son mélange de fragilité, de gravité et de légèreté et ce petit plus indéfinissable qu’on appelle la grâce et qui vous fera oublier le temps qui passe. Un polar tendrement drôle et décalé, une histoire d’amour posthume burlesque joliment inclassable portée par le souci du détail de son réalisateur, une bande originale ensorcelante, et deux acteurs aussi touchants que drôles avec en toile de fond la beauté tragique du mythe.
16:40 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |