Critique - « Les Hommes libres » d’Ismaël Ferroukhi avec Tahar Rahim, Michael Lonsdale, à 20H55, ce soir, sur Canal plus (20/10/2012)
1942. Paris occupé (outragé, brisé, martyrisé). Younes (Tahar Rahim), jeune émigré algérien vit du marché noir. Arrêté par la police française, il est contraint d’espionner la Mosquée de Paris dont les responsables et notamment le Recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit (Michael Lonsdale), sont soupçonnés de délivrer de faux-papiers à des Juifs et à des résistants. Sa rencontre avec le chanteur juif d’origine algérienne Salim Halali (Mahmoud Shalaby) dont la voix et la personnalité vont le toucher mais aussi avec la troublante résistante Leila (Lubna Azabal) vont le conduire à choisir son camp, au péril de sa vie. Younes va peu à peu s’éveiller au combat, celui de la liberté.
En 2006, Rachid Bouchareb rendait hommage aux « Indigènes », soldats oubliés de la première armée française recrutée en Afrique. En 2009, avec « L’Armée du crime », Robert Guédiguian avait choisi de rendre hommage aux immigrés morts pour la France en relatant les destinées tragiques d'un groupe de jeunes juifs résistants et communistes (Hongrois, Polonais, Roumains, Espagnols, Italien, Arméniens) déterminés à combattre pour libérer la France. Des films de qualités peut-être inégales mais en tout cas pareillement nécessaires à l’image du film d’Ismaël Ferroukhi qui se base sur des faits réels et rend lui aussi hommage à des combattants de la liberté et à cet aspect méconnu de la résistance au sein de la Mosquée de Paris.
Les grands films sur la résistance ne sont finalement pas si nombreux et le cinéma n’a sans aucun doute pas fini de chercher à mettre en lumière cette période sombre de l’Histoire et ceux qui ont contribué à son dénouement. Si je devais vous en recommander un seul, ce serait sans doute « L’Armée des ombres » de Jean-Pierre Melville (cliquez ici pour lire mon article de « L’Armée des ombres » à « L’Armée du crime »)…même si des films comme ceux précités ou celui-ci apportent leur pierre à l’édifice. Bien que leur intérêt cinématographique soit discutable, leur intérêt historique est incontestable (ce fut aussi le cas de « La Rafle » de Rose Bosch dont les qualités cinématographiques étaient contestables mais qui n'en étaient pas moins un film nécessaire). D’autant plus incontestable dans une période d’exacerbation des communautarismes quand un film comme celui-ci montre des hommes qui les ont dépassés pour un combat plus grand : celui de la liberté.
C’est aussi la rencontre entre deux générations d’acteurs (très belle idée que de confronter Michael Lonsdale et Tahar Rahim) portés par la même sincérité, le même enthousiasme et le même effacement devant le message que délivrent leurs personnages. Un message fort porté par un casting de choix. Mahmoud Shalaby au regard d’une intensité troublante. Tahar Rahim dont le jeu et le corps incarnent brillamment ce jeune homme qui passe d’une relative inconscience au combat, qui dit que cette guerre n’est pas la sienne et fait son entrée en résistance et qui s’éveille, à la conscience, à l’amour, à la politique, à la liberté. Lubna Azabal (inoubliable dans « Incendies ») parfaite pour incarner cette « ombre » grave et mystérieuse. Michael Lonsdale au jeu ambigu à souhait mais dont se dégage toujours cette belle humanité, personnage complexe à l’image de cette période trouble, fréquentant des ministres de Vichy et des officiers allemands et dans le même temps délivrant de faux-papiers à des Juifs et des résistants.
« Les hommes libres » n’est pas un film qui assène ou qui cherche à capturer le spectateur et à provoquer son émotion. Non, à l’image de ces hommes de l’ombre, il délivre son message tout en retenue évoquant tout aussi bien des évènements historiques comme la Rafle du Vel d’Hiv (scène forte qui montre toute la cruauté absurde et obscène où des papiers prouvant que vous êtes « Mahométans » vous font échapper à la mort, où des papiers classent des hommes dans une case qui les destine à la vie ou à la mort comme de vulgaires dossiers) que les sentiments sans vraiment les démontrer ou nommer.
Sans doute pour des raisons budgétaires, mais aussi pour montrer cette vie invisible, le film ne quitte pratiquement pas la Mosquée et le Cabaret Oriental où vivent et résistent ces hommes de l’ombre.
Qu’est-ce qu’être un homme libre ? Sans doute celui qui choisit son combat, celui de la liberté, fut-ce au péril de sa vie à l’image de ces « Hommes libres » auxquels le film rend un bel hommage. Un sujet en or, un film fait avec sincérité, porté par un casting de choix et une musique arabo-andalouse envoûtante, à l’intérêt historique incontestable. Dommage qu’il y ait parfois un problème de rythme et que la fin soit aussi brusque et que le scénario s’efface à ce point devant le sujet et le combat auxquels il rend hommage, mais finalement une belle manière de faire coïncider la forme et le fond que cette sobriété et cette modestie...devenues de plus en plus rare quand la mode est à un cinéma qui cherche à en mettre plein la vue pour masquer la vacuité du message. Je songe à un film récemment primé d’un prix de la mise en scène …mais il s’agit là d’un autre sujet.
Bonus: ma critique de "Or noir" de Jean-Jacques Annaud avec Tahar Rahim et l'interview de ces derniers.
00:09 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, film, tahar rahim | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |