Critique de « Biutiful » d’Alejandro Gonzales Inarritu, ce soir sur Ciné + premier (09/11/2012)
Pendant tout le festival, la rumeur selon laquelle Javier Bardem obtiendrait le prix d’interprétation n’a cessé de courir. C’est le dernier jour, en séance de rattrapage que j’ai pu découvrir ce dernier film du réalisateur de « Babel » primé du prix de la mise en scène pour celui-ci à Cannes en 2006, de retour sur la Croisette en compétition, cette fois sans son scénariste Guillermo Arriaga.
Premier des films d’Alejandro Gonzales Inarritu écrit sans Guillermo Arriaga, scénariste de ses célèbres films choraux, « Biutiful » n’en était pas moins attendu notamment parce que Javier Bardem, lui aussi habitué de la Croisette (membre du jury d’Emir Kusturica en 2005, en compétition avec « No country for old men » en 2007 et hors compétition pour « Vicky Cristina Barcelona » de Woody Allen l’an passé) en incarne le rôle principal.
Synopsis de « Biutiful »: Uxbal (Javier Bardem), un homme solitaire, jongle entre la difficulté d’un quotidien en marge de la société et sa détermination à protéger ses enfants, qui devront apprendre à voler de leurs propres ailes, ce dernier venant d’apprendre qu’il est atteint d’un mal incurable…
Difficile d’imaginer un autre acteur dans le rôle d’Uxbal tant Javier Bardem porte et incarne le film, tant l’intérêt et la complexité de son personnage doivent tout à son jeu à la fois en forces et nuances. Pas de film choral et de multiplicité des lieux cette fois mais une seule ville, Barcelone, et un personnage central que la caméra d’Inarritu encercle, enserre, suit jusqu’à son dernier souffle. Unité de temps, de lieu, d’action pour renforcer l’impression de fatalité inéluctable.
Ceux qui comme moi connaissent et aiment Barcelone auront sans doute du mal à reconnaître en ces rues pauvres, tristes, sombres, parfois même sordides, la belle et lumineuse ville de Gaudi. Ce pourrait être n’importe où ailleurs, cette histoire, tristement universelle, pourrait se dérouler dans tout autre endroit du monde.
Epouse bipolaire, trahison du frère, maladie incurable, morts causées par sa faute et par accident, orphelin : rien n’est épargné à Uxbal. Certes, le scénario y va un peu fort dans le drame mais la force du jeu de Javier Bardem est telle que tout passe, et que cet homme qui vit pourtant de trafics peu recommandables, prêt à tout pour assurer un avenir meilleur à ses enfants et en quête de rédemption, finit par être attachant. En arrière plan, l’immigration et l’exploitation des travailleurs clandestins dont la peinture de l’âpre réalité nous fait davantage penser à des cinéastes plus engagés qu’aux précédents films d’Inarritu même si on trouvait déjà ces thématiques dans « Babel ».
Evidemment « Biutiful » déconcertera comme moi les habitués d’Inarritu, époque Arriaga, non seulement en raison de cette construction plus linéaire mais aussi en raison d’incursions oniriques dans un film par ailleurs extrêmement réaliste comme si le seul espoir possible était dans un ailleurs poétique mais irréel. Certes « Biutiful » désigne les enfants d’Uxbal qui, à l’image de ce mot, égratigné, blessé, représente un avenir bancal, incertain, mais bel et bien là. La vie est là malgré tout même imparfaite.
« Biutiful » reste un film suffocant ne laissant entrevoir qu’une mince lueur d’espoir, un film dont les excès mélodramatiques au lieu de nous agacer nous touchent grâce au jeu d’un acteur au talent sidérant et grâce à la réalisation qui insuffle un troublant réalisme. Scénaristiquement moins éblouissant que « Babel » ou même « 21 grammes », par le talent de celui qui incarne son personnage principal et par la complexité de ce personnage, condamné et digne, « Biutiful » ne lâche pas notre attention une seule seconde. Un prix d’interprétation d’une incontestable évidence.
08:29 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |