Critique - LE PROPHETE de Roger Allers d'après l'oeuvre de Khalil Gibran (02/12/2015)
Sombre et solaire, ainsi pourrait-on définir « Le Prophète » de Roger Allers. Au programme du dernier Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule (dont vous pouvez retrouver mon compte rendu, ici) figurait ainsi également un film d’animation que j’attendais de voir avec d’autant plus d’impatience que j’en avais découvert les premières images, dont la poésie m’avait captivée et fascinée, lors du Festival de Cannes. Cette séance « jeune public » a autant marqué les adultes que les enfants qui en ont certainement eu une lecture différente.
Synopsis : Sur l’île fictionnelle d’Orphalese, Almitra, une petite fille de huit ans, rencontre Mustafa, prisonnier politique assigné à résidence. Contre toute attente, cette rencontre se transforme en amitié. Ce même jour, les autorités apprennent à Mustafa sa libération. Des gardes sont chargés de l’escorter immédiatement au bateau qui le ramènera vers son pays natal. Sur son chemin, Mustafa partage ses poèmes et sa vision de la vie avec les habitants d’Orphalese. Almitra, qui le suit discrètement, se représente ces paroles dans des séquences oniriques visuellement éblouissantes. Mais lorsqu’elle réalise que les intentions des gardes sont beaucoup moins nobles qu’annoncées, elle fait tout son possible pour aider son ami. Arrivera-t-elle à le sauver ?
« Le Prophète » est un best-seller, universel et intemporel, de l’auteur libanais Khalil Gibran, c’est un recueil de 26 essais philosophiques rédigés en anglais dans une prose poétique. Ce livre a été traduit en plus de 40 langues et vendu à plus de 100 millions d’exemplaires ne cessant d’être réédité depuis sa première publication en 1923. Les sujets sont pourtant terriblement actuels, parfois tristement intemporels: l'intolérance, la libre pensée politique condamnée au silence quand elle dérange le régime en place, le choc émotionnel lié au deuil (la petite Almitra a perdu son père et, depuis, ne parle plus -tout cela est évoqué en filigrane-) mais aussi des thèmes plus fédérateurs comme l'amitié ou l'amour d'une mère pour sa fille.
Pour les producteurs, seule l’animation était capable de rendre le lyrisme intemporel du livre à l’écran. «L’animation nous semble être en quelque sorte la forme cinématographique la plus proche de la poésie » ont-ils ainsi déclaré. Au départ, le film était conçu comme une suite de courts-métrages animés, mais l’actrice et productrice Salma Hayek-Pinault, quand elle a rejoint le projet, s’est prononcée en faveur d’une trame narrative unique pour établir le lien entre chacun des « chapitres » inspirés par le chef-d’œuvre de Khalil Gibran. « Je voulais que le film soit encore plus important, encore plus unique », dit-elle. « J’ai proposé d’utiliser une histoire principale pour accompagner les poèmes et rendre ainsi le film plus accessible, plus familial." L’histoire permet de relier une suite de courts-métrages animés dont l’un est notamment réalisé par Joann Sfar (sur le mariage et le couple avec un tango chorégraphié par Philippe Découflé) et huit autres des plus grands noms de l’animation internationale que sont Tomm Moore, Michal Socha, Joan Gratz, Nina Paley, Bill Plympton, Mohammed Harib ainsi que Paul et Gaëtan Brizzi. Le long-métrage est une galerie de tableaux où les animateurs ont puisé dans les techniques picturales les plus anciennes. Huit des 26 poèmes du livre composent ainsi le scénario: L’Amour, le Travail, la Liberté, les Enfants, le Manger et le Boire, le Mariage, le Bien et le Mal et la Mort.
Pour imaginer ce fil conducteur, les producteurs se sont tournés vers Roger Allers, un scénariste-réalisateur plébiscité et réputé pour son travail sur certains dessins animés Disney qui ont remporté le plus de succès. Après avoir signé le scénario de « La Belle et la Bête » et d’ « Aladdin », il a réalisé le blockbuster « Le Roi Lion ». Il l’a également adapté pour la comédie musicale éponyme donnée à Broadway depuis de nombreuses années.
Le livre de Gibran aborde toutes les grandes questions de l’existence et prend une résonance toute particulière ces jours-ci. Il évoque ainsi l’amour et de la mort, les enfants et le travail. Voici quelques citations extraites du film :
« L’amour ne possède pas, ni ne veut être possédé. »
« Car la liberté n’est possible que lorsqu’elle n’est plus un but. »
« Le travail, c’est l’amour rendu visible. »
« Aimez- vous mais ne faites pas un lien d’amour : qu’il soit plutôt une mer mouvante entre les rivages de votre âme. »
« Car qu’est- ce que le mal sinon le bien torturé par sa propre faim et sa propre soif ? »
« La vie et la mort ne font qu’un, comme ne font qu’un la rivière et la mer. »
« Quand le bien a faim il cherche partout de quoi se nourrir. »
« Que me reste-t-il si je renie mes convictions les plus profondes. »
« Lorsqu’on aime un ami, on ne doit pas pleurer car ce qu’on aime en lui peut être plus clair en son absence. En amitié seule compte la profondeur de l’âme. »
La musique douce et envoûtante de Gabriel Yared (notamment) permet de lier ces différents chapitres et souligne magistralement le lyrisme et la poésie des mots et des images. J’ai entendu parfois (de la part d’adultes -sans doute insensibles à la poésie- et non d’enfants) que ce film était ennuyeux. Il est tout le contraire. Il nous touche en plein cœur et nous met du baume à l’âme, il nous emporte et nous élève. La musique, les personnages, les textes, tout contribue à l’ensorcellement du spectateur. A l’image d’Almitra, le spectateur effectue un parcours initiatique dont chaque étape exhale une poésie lyrique et fascinante. La fin, bouleversante, intelligemment polysémique, fera sourire les enfants et pleurer les adultes. Ajoutez à cela la voix douce du talentueux Mika, celle délicate de Salma Hayek et celle de Nicolas Duvauchelle et vous obtiendrez un divertissement brillant, passionnant, lyrique et poétique. Une adaptation qui était un vrai défi, relevé sans aucun doute avec pour résultat un film d'une grande délicatesse et des messages de paix, de tolérance qu'il est plus que jamais nécessaire de véhiculer. Une vibrante ode à la paix, à la tolérance et à la liberté à voir absolument.
Je vous laisse imaginer l’effet que produit ce texte magnifique prononcé par la voix de Mika (voir ci-dessous) et qui est à l'image de ce bijou d'animation, de bienveillance, d'humanisme et de poésie:
« Je vais te dire un secret, je me suis souvent envolé loin d’ici. Nous ne sommes emprisonnés ni par des murs ni par nos corps. Nous sommes des esprits, libres comme l’air. Pour être libres, il faut briser les liens avec lesquels on s’est soi-même enchainés. Quand l’amour te fait signe, il faut le suivre même si la route est difficile et abrupte. Les mots sont mes ailes et toi tu es mon messager. »
Sortie en salles: le mercredi 2 décembre 2015
A propos de Mika:
Je vous parle (trop) rarement de musique ici et je vais y remédier, le dernier article à ce sujet remontant au concert du groupe Archimède à Laval en début d'année mais je ne pouvais pas ne pas évoquer le nouvel album après avoir eu le plaisir d'assister à son concert privé à Paris au 1515 en 2010, 45 minutes de spectacle inoubliables, un concert lors duquel il avait déployé une énergie incroyable, un enthousiasme communicatif et bondissant, faisant oublier l'étroitesse de la scène où il était pourtant a priori impossible de danser ! (enfin pas pour lui...) Et quelle danse, toujours si savamment singulière, décalée et entraînante!
Ce furent 45 minutes de flamboyance entrecoupées, avec humour, de quelques allusions au volcan qui paralysait alors l'Europe ou d'incitation à chanter et danser, même auprès de Bernadette Chirac à qui il s'était directement adressé, présente en tant que représentante de la Fondation Hôpitaux de Paris au profit de laquelle était donné le concert.
Au-delà de sa voix éblouissante aux capacités vertigineuses (dont la tessiture couvrirait 4 octaves), au-delà de ses chansons pop qui se retiennent après une seule écoute et vous embarquent dans leur arc-en-ciel de couleurs et leur joie de vivre, au-delà et de son univers ludique, psychédélique, haut en couleurs, entre enfance et adolescence, ce qui me marque à chacune de ses interviews, c'est un sourire d'une belle candeur (un pudique masque pour dissimuler la mélancolie sous-jacente peut-être -que reflètent ses plus beaux titres-, et peut-être des blessures d'enfance et d'adolescence) mais surtout son humilité ainsi que son professionnalisme servi par une culture musicale époustouflante qu'il a si bien démontré dans "The Voice" dont il est un des 4 coachs. Il a ainsi notamment étudié au Royal College of Music de Londres.
"Life in Cartoon Motion", son premier album, fut en France l'album le plus vendu en 2007 et, en 2009, il avait vendu plus de 19 millions de disques dans le monde.
Par ailleurs, il ne prend pas de posture et assume pleinement ce que d'autres (les cyniques, les aigris) jugeront certainement obscène: un aspiration au bonheur et une envie de le transmettre d'une apparente naïveté (alors que d'autres se complaisent dans la morosité et le cynisme) et que, d'ailleurs, plus que le reflet d'une naïveté enfantine sont certainement, au contraire, davantage celui d'une maturité et d'une générosité.
Je me souviens de ce concert, volcanique, comme d'un bel instant dont l'éphémère a renforcé l'intensité et le plaisir, bref, un condensé métaphorique de l'existence en somme... Un concert qui donnait envie de faire de l'existence un film coloré avec, comme bande originale, le titre le plus connu ( qui avait terminé ce concert décidément trop court): "Relax".
Alors, évidemment, je ne pouvais que me précipiter sur son quatrième album sorti le 15 juin 2015, "No Place in Heaven" (qui succède au magnifique "The Origin of love", sorti en 2012 qui comprenait notamment le splendide "Underwater"), un nouvel album dont vous avez certainement d'ores et déjà entendu le single "Talk about you" (qui, systématiquement, me donne le sourire et une irrésistible envie de danser, allez voir le clip une fois de plus très cinématographique et coloré si vous ne l'avez pas encore visionné) et "Boum boum boum", le single sorti près d'un an avant la sortie de l'album.
Ce nouvel album a été enregistré à Londres et Los Angeles, co-réalisé par Gregg Wells. ll comprend 4 titres en français. Il a encore gagné en maturité et, plus que jamais, intègre son impressionnante culture musicale et la richesse de ses différentes cultures (Mika est britannico-libanais et a étudié au lycée français de Londres, il a également résidé en France), s'assumant pleinement.
Au fil des 14 titres de l'album, j'y retrouve ce mélange subtile de musiques pop et entraînantes ( réjouissant "No place in heaven") et de ballades mélancoliques, même romantiques (sublimes "Last party" et "Hurts" porté par le son envoûtant du piano, magnifique "Les baisers perdus"), et cette voix, toujours si inimitable, qui se fait cristalline, ensorcelante...
Alors, vous savez ce qu'il vous reste à faire si vous voulez assister à un vrai spectacle et voir en concert une des rares stars du 21ème siècle, terme souvent usurpé quand il en qualifie d'autres qui n'en sont que des simulacres mais dont il est pour moi l'incarnation. Allez le voir en concert, chanter, danser comme personne et vous ne pourrez qu'acquiescer et avoir envie de le suivre dans ce feu d'artifices musical...
09:09 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : critique, cinéma, film, film d'animation, mika, salma hayek, nicolas duvauchelle, le prophète, khalil gibran, liban, festival de cannes, festival du cinéma et musique de film de la baule, la baule, gabriel yared | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |