Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2017 : résumé et palmarès (29/12/2017)
Je n’ai manqué aucune des 4 premières éditions du Festival du Cinéma et Musique de Film de la Baule qui s’installe progressivement comme un rendez-vous cinématographique incontournable. Lors des trois premières éditions de ce festival créé en 2014 par Sam Bobino ( qui a aussi notamment à son actif d’être délégué général de la Semaine du Cinéma Positif) et par le cinéaste Christophe Barratier, je vous avais fait part de mon enthousiasme pour ce nouvel évènement cinématographique et musical qui a lieu dans le décor idyllique de La Baule, entre la plus belle plage du monde bordée de ses célèbres pins, ses palaces mythiques, la majestueuse salle Atlantia et le cinéma le Gulf Stream, un festival qui est d'ailleurs le cadre de l’une des nouvelles de mon recueil « Les illusions parallèles » (Editions du 38).
Une séance de dédicaces de celui-ci avait d'ailleurs été organisée dans le cadre du festival l'an passé.
Ci-dessus, souvenir du Festival de La Baule 2016, je dédicace en même temps que Lalo Schifrin.
Petite parenthèse pour vous informer en avant-première de ma prochaine rencontre dédicace qui aura lieu au Salon du Livre de Paris en mars 2018. Je vous en dirai bientôt plus sur ce rendez-vous que j'attends avec grande impatience. Mais revenons à La Baule, au septième art, à la musique...
Cette année, le festival fut aussi pour moi l’occasion d’une séance photos à l'hôtel Barrière Le Royal de la Baule -quelques extraits ci-dessus- (autre cadre de la nouvelle en question) dont je remercie à nouveau toutes les équipes pour l’accueil :
Retrouvez mon article complet consacré à l’hôtel Royal de la Baule ici, avec mon avis sur celui-ci,
et retrouvez mon article consacré à l’hôtel Barrière L’Hermitage, là, avec également mon avis sur celui-ci.
Un grand merci au passage à Lilia du Groupe Barrière pour sa bienveillance et ses délicates attentions et à la direction de la salle Atlantia sans lesquelles ce festival n'aurait pas été pour moi un moment aussi agréable. Merci également à Patricia Menant pour sa disponibilité.
Au programme de cette quatrième édition du festival : 48 films dont 20 avant-premières, 2 concerts, 3 Master class, 2 ciné-concerts, une exposition De Funès avec une durée en plus rallongée d'une journée cette année ! Ajoutez à cela une affiche de festival avec l'inimitable silhouette dégingandée de M.Hulot voilà qui promettait le meilleur !
Comme chaque année, le temps fort du festival fut la cérémonie de remise des prix en présence du Jury et de nombreux invités avec, surtout, un hommage à Catherine Deneuve et un concert dirigé par Vladimir Cosma intitulé « Vladimir Cosma, dirige ses plus grandes musiques de films » (avec un Orchestre de 60 musiciens !). Un moment magique qui nous a transportés dans ses plus grands succès et surtout qui nous a rappelé le rôle majeur de la musique dans les films en question. Ponctué de quelques mots du Maestro entre humour et émotion, ce concert qui a enchanté les festivaliers valait à lui seul le déplacement au festival. De la musique de La septième cible (ma préférée) en passant par celles de La Boum (avec son chanteur Richard Sanderson venu interpréter le célèbre Reality) à la musique des Aventures de Rabbi Jacob, La Chèvre et tant d'autres, ce fut un moment hors du temps, dont on aurait aimé qu'il s'éternise, a fortiori dans la somptueuse salle Atlantia qui en a été l'écrin. Après l’hommage rendu à Francis Lai en 2014, le concert de Michel Legrand en 2015 et celui de Lalo Schifrin, dirigé par Jean-Michel Bernard l’an passé, le concert de Vladimir Cosma a encore été une indéniable réussite grâce aussi à la présence de solistes exceptionnels : la soprano Irina Baiant, l’harmoniciste Greg Zlap, le joueur de cymbalum Marius Preda, le trompettiste Emil Bizga, le violoniste David Castro-Balbi, le flûtiste de pan César Cazanoi et, pour la rythmique, Fifi Chayeb (basse), Claude Salmieri (batterie) et Hervé Noirot (clavier). Chaque musique nous a replongés dans une atmosphère, un film, ou même un moment de notre vie. Un voyage enchanteur qui nous a fait frissonner, battre le cœur et la mesure, dont chacun un ressorti avec un air célèbre en tête et le sourire aux lèvres. Merci M.Cosma pour ce grand moment...
Le lendemain de son concert, Vladimir Cosma donnait également une passionnante master class au cinéma le Gulf Stream.
Parmi une multitude d'anecdotes, il a raconté comment il est arrivé en France à 22 ans, comment il a enregistré avec des solistes classiques comme Chet Baker, comment il a travaillé pendant plusieurs années comme assistant de Michel Legrand qu'il "vénère", comment il a débuté avec Yves Robert. Ainsi définit-il son rôle : "La musique ne doit pas prendre la place des bruitages mais elle doit apporter une dimension supplémentaire ". "Cosma a des idées très arrêtées mais il sait les vendre "dit ainsi de lui Francis Veber. Il fallait ainsi avoir le culot d'écrire toute une partition avec une flûte de pan soliste comme dans "Le grand blond avec une chaussure noire" d'Yves Robert. "Je ne fais pas de musique descriptive mais une musique qui s'entend et qui se remarque " a-t-il également souligné. Il a ainsi travaillé 14 fois pour des films avec Pierre Richard . "Les Aventures de Rabbi Jacob" a selon lui été un tournant car "j'allais voir 20 fois un film pour voir De Funès" a-t-il ainsi raconté.
Un autre des temps forts de ce festival et de la cérémonie de clôture fut l'hommage à Catherine Deneuve, également présente à La Baule pour présenter en avant-première Tout nous sépare de Thierry Klifa aux côtés de ce dernier et de Nicolas Duvauchelle.
Catherine Deneuve a reçu un Ibis d'or pour l'ensemble de sa carrière.
Cette année, Jacques Tati, les comédies mais aussi Jean-Pierre Melville étaient à l'honneur, l'occasion de revoir des chefs-d'oeuvre de ce dernier comme Le cercle rouge (qui joue d'ailleurs un rôle central dans mon premier roman "L'amor dans l'âme") et que j'ai revu avec grand plaisir dans le cadre du festival, de même que "L'armée des ombres").
Critique - Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville
Synopsis : Le commissaire Matteï (André Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s'enfuir et demeure introuvable malgré l'importance des moyens déployés. A même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit la visite d'un gardien dans sa cellule venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l'affaire proposée par le gardien : le cambriolage d'une bijouterie place Vendôme. Ils s'adjoignent ensuite les services d'un tireur d'élite : Janson, un ancien policier, rongé par l'alcool.
Dès la phrase d'exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et la fatalité : " Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".
C'est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policier et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu'à l'inspecteur général pour qui les hommes sont « tous coupables ». Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l'un est policier et l'autre un prévenu. Il n'y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu'ils traquent sont des hommes seuls. A deux reprises il nous est montré avec ses chats qu'il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie « les habitants du placard », des animaux hostiles que l'alcool lui fait imaginer.
Tous sont prisonniers. Prisonniers d'une vie de solitude. Prisonniers d'intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l'appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l'extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d'une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu'elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).
Avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu'un mot soit échangé), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe un polar d'une noirceur, d'une intensité, d'une sobriété rarement égalées.
Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c'est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l'alcool, et Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s'il tourna ensuite « Le mur de l'Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ». Ce sont pourtant d'autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour « Le commissaire Matteï », Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.
La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu'il est l'auteur du scénario original et de cette idée qu'il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu' j'ai tournés, parce que j'en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l'écrivant. »
En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernières fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu'inoubliable.
Passionné par son métier, Julien voyage énormément à l’étranger. Ce manque de présence a fait exploser son couple quelques années auparavant. Lors d’une escale en France, il découvre sur son répondeur un message de son ex femme en larmes : leur petit garçon de sept ans a disparu lors d’un bivouac en montagne avec sa classe. Julien se précipite à sa recherche et rien ne pourra l’arrêter.
Ce cinquième long-métrage de Christian Carion, troisième avec Guillaume Canet, thriller haletant du début à la fin doit beaucoup au procédé (film tourné dans l’ordre chronologique en 6 jours, Guillaume Canet n’avait pas le scénario et était donc dans la situation du personnage principal, improvisant constamment face aux situations auxquelles il était confronté) qui contribue à l’intensité du jeu de l’acteur mais aussi à l’identification immédiate du spectateur, renforcée par un judicieux travail sur le hors-champ, le son, la musique. La caméra le suit au plus près, épouse sa fébrilité et sa rage, et nous immerge ainsi dans l’action. Le décor naturel avec ses tons gris et blancs menaçants est un personnage à part entière qui joue sa partition dans ce cauchemar. Une véritable expérience de cinéma sous haute tension, oppressante et captivante. Mention spéciale à celui qui interprète le compagnon formidablement agaçant de l’ex femme, Olivier de Benoist, qui fait preuve d’une suspicieuse indifférence au drame qui se joue. Une traque rageuse, prenante et finalement bouleversante à voir absolument.
Lors de la master class qui a suivi la projection Christian Carion a expliqué que Guillaume Canet connaissait juste le nom et le prénom du personnage, la raison pour laquelle il avait divorcé, et son métier. Rien d'autre. Il a évoqué sa passion pour l'environnement, la présence du thème de l'engagement dans chacun de ses films."Ma maman est la plus grande conteuse que j'ai pu rencontrer. Je suis ch'timi. Les dimanches il pleut et ma mère racontait des histoires" , a-t-il également expliqué. "Mon envie de cinéma vient de là, raconter des histoires et avec le cinéma, on peut toucher plus de gens qu'à table le dimanche." "Je n'ai pas fait d'école de cinéma mais des courts métrages." a-t-il également précisé. Il a également évoqué sa passion pour Ford et Hitchock. "C'est avec Hitchcock que j'ai appris la grammaire de cinéma." "Avec Ford il y a une esthétique, une manière de filmer l'espace dont je me lasse pas comme dans L'homme qui tua Liberty Valance que je peux voir 20 fois sans m'en lasser." "J'étais ingénieur. Je travaillais pour le Ministère de l'Agriculture. Mais ma passion était ailleurs." Il a également raconté comme il s'était arrangé pour que Michel Serrault obtienne la médaille du mérite agricole, ce qui avait bouleversé ce dernier. Si son film fut Une hirondelle a fait le printemps fut son premier film, il a expliqué que sa première envie de long-métrage était de raconter la fraternisation qui a donné lieu au magnifique Joyeux Noël. Il a également fustigé le manque d'imagination des chaînes qui voulaient qu'il fasse "Une hirondelle 2". Il a aussi expliqué qu'une partie de l'armée française ne voulait pas que le film Joyeux Noël soit tourné et qu'il a ainsi été tourné en Roumanie. Il a également raconté que le film avait engrangé 2100000 entrées alors qu'à TF1 on lui avait dit qu'on ne pouvait faire plus 400000 entrées pour un films avec des sous-titres.
Il a ensuite raconté sa rencontre avec Morricone. Faute de musique pour son film En mai, fais ce qu'il te plaît (que je vous recommande au passage), il a réalisé un montage avec des musiques de films préexistantes dont principalement celles de Morricone. Le récit de cette rencontre est un film en soi. Christian Carion a dressé un portrait très vivant du grand maître de la musique, du récit inénarrable du moment où celui-ci a regardé le film avec ses musiques, à la découverte de son appartement à Rome, à celui-ci racontant que son studio se situe sous une église disant "je compose mieux sous Dieu" ou encore comment Morricone a réclamé une minute de silence au lendemain des attentats de Charlie Hebdo avant de frapper dans les mains en disant "cinéma !" signifiant à la fois sa compassion et son émotion et la nécessité de continuer.
Ce fut ensuite au tour de Laurent Perez del mar d'évoquer son parcours, de ses études de médecine (il a été urgentiste, ostéopathe), au Grand bleu de Luc Besson à la sortie de la séance duquel il a dit à son père "je veux faire de la musique de film". Il a également raconté comment il s'est retrouvé en compétition avec 11 autres musiciens pour la musique de La tortue rouge (prix de la meilleure musique de film à La Baule l'an passé.) Le film a notamment été nommé comme meilleur film d'animation aux Oscars 2017.
Ce conte philosophique et écologique est un éblouissement permanent qui nous attrape dès le premier plan, dès la première note de musique pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions que ce passage sur cette île déserte n’était qu’un voyage cinématographique, celui de la vie, dont le film est la magnifique allégorie.« La Tortue rouge » a été cosignée par les prestigieux studios d’animation japonaise Ghibli. C’est la première fois que Ghibli collabore avec un artiste extérieur au studio, a fortiori étranger. Le résultat est un film universel d’une force foudroyante de beauté et d’émotions, celle d’une Nature démiurgique, fascinante et poétique.
Le festival proposait également, comme chaque année, une compétition de longs-métrages que le jury présidé par Diane Kurys a eu la charge de départager. Ces films ont en commun de présenter des univers et personnages contrastés qui s'opposent, se confrontent, et parfois, malgré les oppositions et les différences, se retrouvent et se réunissent. Le miracle de la musique...: allez savoir ! Si de musique bien sûr il était question, c'est souvent celle des mots qui a été à l'honneur pendant ce festival avec des films aux dialogues ciselés, réjouissants, mélodieux.
Parmi ces longs-métrages figurait notamment "Gook" (un film qui était également en compétition du 43ème Festival du Cinéma Américain de Deauville dont vous pouvez retrouver mon compte rendu, ici).
Avec une précision quasi documentaire, « Gook » nous immerge dans le quartier de Paramount à L.A en avril 1992, le jour où de violentes émeutes éclatent suite à la décision de justice de déclarer les policiers non-coupables d’une agression sur un jeune noir, Rodney King. Ce sont deux frères d’origine coréenne, Eli et Daniel, sur lequel le réalisateur braque sa caméra ainsi qu’une jeune fille noire de onze ans, Kamilla, qui préfère les aider à la boutique plutôt que d’aller à l’école. « Gook » est un film de contrastes. Pas seulement entre le noir et le blanc pour lequel le cinéaste a opté. Contraste entre la candeur, la naïveté des scènes entre Kamilla et les deux frères qui se chamaillent tels des enfants. Et la violence qui les environne. Contrastes entre la gaieté de leurs danses et les agressions verbales. Contrastes entre les rêves (Daniel rêve se rêve en chanteur de RnB) et la réalité (il finira par jeter sa démo car en toile de fond figurent des aboiements de chien). C’est un deuil du passé qui a divisé ces deux communautés. Un autre les réunira. Entre les deux une tranche de vie et des personnages bouleversants brillamment interprétés. Malheureusement comme à Deauville, "Gook" est reparti de La Baule sans prix...
Ce ne fut en revanche pas le cas de Bravo virtuose de Levon Minasian ( Sortie en salles le 14 février 2018) qui est reparti avec le prix du public Barrière remis ici par Dominique Desseigne et Elodie Frégé, membre du jury.
Arménie. Alik, 25 ans, musicien d’exception, membre d’un orchestre de musique classique prépare un grand concert. Tout bascule quand le mécène de l’orchestre est assassiné. Par un concours de circonstances, Alik se retrouve en possession du téléphone d’un tueur à gage nommé “Virtuose”.
Un premier film produit par Robert Guédiguian dans lequel le réalisateur a fait le choix audacieux du mélange des genres et du film DE genre : romantisme, polar, comédie. Ce film très personnel nous embarque en Arménie dont le cadre et la découverte de ce qui corrompt la société sont pour beaucoup dans la réussite du projet. La musique y joue un rôle à part entière. Difficile de savoir si le kitsch l'emporte sur l'originalité ou l'inverse mais toujours est-il que ce premier film nous fait passer un moment jubilatoire grâce à cette plongée dans une Arménie qui devient le cadre et le personnage de cette comédie noire, singulière et savoureuse.
Fariha une escort-girl (Alexandra Naoum) et Youssouf (Benoit Rabille) converti à l’islam radical, sont deux français, à la vision du monde opposée. Ils se rendent à une même Soirée sur un yacht...
L’autre objet filmique non identifié de ce festival (également reparti sans prix) fut Fractures la première réalisation du journaliste Harry Roselmack qui a là aussi le mérite de l’audace. S’il avait déjà produit des documentaires, ce film est en revanche sa première réalisation. Pour son premier long-métrage qu’il a écrit, réalisé et coproduit, indéniablement le journaliste n’a pas choisi la facilité. Saluons d’abord la volonté et l'engagement de son réalisateur pour mener à bien ce projet périlleux. Je vous le disais antérieurement, c'était le point commun des films de cette compétition : la confrontation de mondes qui n’étaient pas destinés à se rencontrer. Là encore le hasard met en présence deux mondes que tout oppose a priori : celui d’une prostituée et d’un terroriste potentiel. Deux égarés. Roselmack n’a pas choisi le réalisme mais la fable pour opposer deux réalités, pour évoquer la radicalisation et le communautarisme, les fractures de la société. Cette volonté de scruter, ausculter, décrypter, sans la juger la société française lui a été inspirée par ses rencontres, lors de ses différentes enquêtes journalistiques. Les personnages sont ici des archétypes qu’il a rencontrés et qu’il assume d’avoir mis en scène. Ce qui donne d’ailleurs toute sa force à la joute verbale centrale du film qui pourrait avoir lieu dans un tribunal. Le film n’est pas dénué de partis pris de réalisation (que je vous laisse découvrir, très originale utilisation du hors-champ) qui captent notre attention, décontenancent, suscitent la curiosité, bousculent de potentiels préjugés et font la richesse de cette première œuvre qui ose aborder un sujet sensible avec un point de vue et un regard. Là aussi les genres se mêlent : film noir...et même comédie romantique par le biais des personnages secondaires joliment écrits et interprétés notamment par Alix Bénézech qui apporte une belle candeur à son personnage (à retrouver bientôt dans Mission impossible). Quant à Alexandra Naoum et Benoit Rabille, ils crèvent littéralement l'écran et apportent toutes les nuances nécessaires à leurs personnages fiévreux pourtant pétris de certitudes que leur rencontre fera voler en éclats. Même s'il s'agit d'un véritable exercice d'équilibriste, Harry Roselmack parvient sans justifier l'innommable, à une tentative d'explication es racines du "mal". L'exercice périlleux, conduit toujours au bord du gouffre mais évite tous les écueils grâce à des dialogues minutieusement élaborés dans lesquels chaque mot compte et grâce à des comédiens remarquables qui les exaltent avec fougue et conviction.
Le grand lauréat de cette édition, c’est Tout nous sépare de Thierry Klifa : meilleur film, meilleure interprétation masculine pour Nekfeu et Nicolas Duvauchelle et meilleure musique.
Une maison bourgeoise au milieu de nulle part. Une cité à Sète. Une mère et sa fille. Deux amis d’enfance. Une disparition. Un chantage. La confrontation de deux mondes.
Une nouvelle fois, après Les yeux de sa mère, Thierry Klifa braque sa caméra sur la figure maternelle à nouveau incarnée par Catherine Deneuve. Dans le film précité, Thierry Klifa revendiquait d’emblée le genre du film, celui du mélodrame auquel il était une sorte d’hommage. Un cinéma des sentiments exacerbés, des secrets enfouis, des trahisons amères, des amours impossibles. Dans cette nouvelle réalisation, Thierry Klifa joue et jongle avec les codes du film noir et de la chronique sociale, entre Chabrol et Corneau, avec la légende que transporte avec elle son actrice principale. Toujours parfaite, Diane Krüger (ne la manquez pas dans "In the fade" de Fatih Akin) incarne sans retenue ce personnage écorché, fragile, brisé. Un film qui assume son côté romanesque et qui confronte deux réalités, deux mondes, deux fragilités. C’est avant tout un film "de personnages", à la fois moins sombres et moins irréprochables qu'ils ne le paraissent. Si Catherine Deneuve est, comme toujours, magistrale, dans ce nouveau rôle de femme forte, la vraie révélation est Nekfeu dont l'interprétation, d'une étonnante justesse pour un premier rôle, permet à rendre crédible cette improbable alliance. Le paysage et le décor symbolisent aussi la confrontation de ces univers que rien ne devait destiner à se rencontrer : celui des paysages interlopes à la fois menaçants et captivants de l'Ile de Thau de Sète, avec ses marécages inquiétants, la grande maison bourgeoise avec ses pièces immenses et la Cité de Sète. Les lieux, les vêtements, les véhicules, le langage : tout symbolise l'opposition, les "fractures" là aussi, entre ces deux mondes qui vont pourtant les réunir. Si les invraisemblances du scénario font parfois sortir un peu de l'histoire, la force de l'interprétation nous incite à l'indulgence et à nous laisser embarquer avec ces personnages violemment vivants.
Belle surprise de cette compétition, « La Mélodie » de Rachid Hami qui s’annonçait, à la lecture de son pitch, comme caricatural et larmoyant et qui s’avère être tout l’inverse, une comédie émouvante et subtile.
A bientôt cinquante ans, Simon est un violoniste émérite et désabusé. Faute de mieux, il échoue dans un collège parisien pour enseigner le violon aux élèves de la classe de 6ème de Farid. Ses méthodes d’enseignement rigides rendent ses débuts laborieux et ne facilitent pas ses rapports avec des élèves difficiles. Arnold est fasciné par le violon, sa gestuelle et ses sons. Une révélation pour cet enfant à la timidité maladive. Peu à peu, au contact du talent brut d'Arnold et de l'énergie joyeuse du reste de la classe, Simon revit et renoue avec les joies de la musique. Aura-t-il assez d’énergie pour surmonter les obstacles et tenir sa promesse d’emmener les enfants jouer à la Philharmonie ?
De ce premier film émane beaucoup de douceur, de bienveillance, de luminosité, d'espoir, d'optimisme, de tendresse. Et cela fait un bien fou dans une époque qui glorifie si souvent le cynisme. Si un film avait bien sa place dans cette compétition, c'est bien celui-ci dans lequel la musique classique reconstruit les êtres et le lien entre eux. Ce feel good movie ne serait pas ce qu'il est sans ses jeunes comédiens épatants (un prix spécial du jury leur a été décerné) et sans Kad Merad (qui lui n'a pas eu le prix qu'il aurait aussi mérité) qui interprète avec mesure, subtilité, lenteur, ce personnage dépressif qui va retrouver le goût de la vie et des autres au contact de ses jeunes élèves qui eux vont grandir et s'émanciper au contact de la musique.
Le festival, ce sont aussi des avant-premières parmi lesquelles "Brillantissime", gentille comédie de Michèle Laroque et surtout mon coup de cœur : « Jalouse » de Stéphane et David Foenkinos.
Nathalie Pêcheux, professeure de lettres divorcée, passe quasiment du jour au lendemain de mère attentionnée à jalouse maladive. Si sa première cible est sa ravissante fille de 18 ans, Mathilde, danseuse classique, son champ d'action s'étend bientôt à ses amis, ses collègues, voire son voisinage... Entre comédie grinçante et suspense psychologique, la bascule inattendue d’une femme.
Comme dans le film de Thierry Klifa, l'exploration de leur part d'ombre permet de dresser le portrait de magnifiques personnages féminins trop rares au cinéma. Plus que "Jalouse", Nathalie Pêcheux est seule, malheureuse, fragile, confrontée aux tourments physiques et moraux qui vont avec l'âge qui avance, loin de l'image de la femme quinquagénaire forcément épanouie que les médias nous vendent un peu trop souvent. Comme dans leur film éponyme, les frères Foenkinos font une nouvelle fois preuve de beaucoup de "délicatesse" pour dessiner ce personnage qui en manque pourtant parfois. Tout comme dans La Délicatesse, ils s'intéressent ici à un personnage à un tournant de sa vie qui le fait basculer . Quoique Nathalie dise, quoiqu'elle fasse, ils parviennent à ne jamais nous la rendre antipathique. Il faut dire que Karin Viard excelle dans ce rôle riche et complexe qui réussit la gageure d'être agaçant et attendrissant. La dextérité avec laquelle elle passe d'un registre à un autre (parfois dans une même réplique) est fascinante notamment quand la jalousie presque attendrissante devient dangereuse. Il en faut du talent pour incarner un personnage qui dit à sa meilleure amie "Tu peux pas comprendre toi tout va bien, en plus ta fille elle est moche" sans nous être tout à fait antipathique. Là aussi (décidément !), c'est un film à la frontière des genres, entre comédie et drame et qui lorgne même du côté du thriller, une comédie noire en somme. Un oxymore à l'image de son personnage principal d'une touchante cruauté. Un film à voir aussi pour Dara Tombroff ( qui incarne Mathilde, la fille de Nathalie), ancienne danseuse de l’Opéra de Bordeaux dont c’est ici le premier rôle et qui est d'une rare justesse. Un divertissement intelligent, à la fois délicat et grinçant, corrosif et tendre, des dialogues brillamment écrits (j'insiste: rarement des dialogues sont aussi bien écrits, aussi justes, sans doute aussi en raison de la bienveillance avec laquelle ses auteurs regardent les failles de leur personnage principal), une interprétation magistrale du rôle principal aux rôles "secondaires" (Marie-Julie Baup, Anne Dorval également parfaites) : la comédie de l'année qui en explorant la part sombre de son personnage principal la rend plus touchante, humaine et dont la caustique drôlerie est finalement le pudique masque de la mélancolie qui affleure et qui au dénouement nous cueille et nous émeut.
Egalement en avant-première « Le Brio » de Yvan Attal qui plus que la musique fait l’éloge de la mélodie des mots, avec moins de "brio" que dans "Ridicule" de Patrice Leconte mais tout de même avec beaucoup de conviction. Eloge de l'éloquence pourrait d'ailleurs le titre de ce film qui est un véritable hymne au pouvoir et à la beauté du langage. Les mots ici permettent de se cacher mais aussi de se libérer, de s'émanciper, d'exister
Neïla Salah a grandi à Créteil et rêve de devenir avocate. Inscrite à la grande université parisienne d’Assas, elle se confronte dès le premier jour à Pierre Mazard, professeur connu pour ses provocations et ses dérapages. Pour se racheter une conduite, ce dernier accepte de préparer Neïla au prestigieux concours d’éloquence. A la fois cynique et exigeant, Pierre pourrait devenir le mentor dont elle a besoin… Encore faut-il qu’ils parviennent tous les deux à dépasser leurs préjugés.
Là encore, de la confrontation de deux mondes nait la force de la fiction. Deux personnages qui s'opposent par l'origine sociale, l'âge, le caractère, et au départ le langage. La qualité des dialogues et de l'interprétation nous font passer outre les invraisemblances (Neïla franchit les étapes avec une facilité déconcertante sans que nous la voyions vraiment se confronter à ses adversaires). Il faut dire que Camelia Jordana met toute son énergie dans ce rôle de composition dans lequel elle se glisse à merveille. Face à elle, Daniel Auteuil est une fois de plus remarquable dans ce rôle de misanthrope solitaire et malheureux qui retrouve au contact de sa jeune élève le goût de sourire et des autres. Une radiographie de notre société aux mondes parfois cloisonnés dont la rencontre improbable et les joutes jouissives permettent l'éclosion de l'émotion et du plaisir du spectateur, nous faisant occulter certaines facilités et ellipses scénaristiques. L'autre "feel good movie" de ce festival.
Le festival propose en effet aussi des documentaires parmi lesquels le très réussi "Mon Prince est parti..." de Thierry Guedj.
Après un documentaire sur Al JArreau, Thierry Guedj réalise un nouveau documentaire, cette fois-ci consacré à un autre artiste qu’il admire : Prince. Pendant presque un an, il a rencontré des personnes ayant eu un lien (direct, d'admiration, artistique, émotionnel, personnel) avec l’artiste. Avec Larry Graham, Raphaël Melki, Antoine de Caunes, Jackie Lombard, Jean-Paul Gaultier, Mathieu & Hubert Blanc-Francard, Sandra Nkaké, Emma de Caunes, Matthieu Chedid, Juan Rozoff, Médéric Collignon, Guillaume Perret, Mathilda May, David Lanzmann, Alfred Bernardin, Madje Malki, Hakim Hachouche, Carla Estarque, Gérad Bar-David, Frédéric Goaty, Jeanne Added, Thomas de Pourquery, Georges Montredon, Bertrand Chamayou, Frédéric Yonnet
Une façon originale de revisiter la carrière de l'artiste disparu l'an passé puisque celui-ci n'apparaît jamais à l'écran. Sa musique est pourtant omniprésente dans le regard (ému, souvent), dans les paroles et fredonnements de ceux qui l'ont côtoyé et admiré. Cela commence par Larry Graham, bassiste et ami qui chante "Purple rain" et nous voilà partis pour une heure de témoignages qui permettent d'esquisser la personnalité complexe de l'homme et surtout de l'artiste. Ainsi pour Jean-Paul Gaultier, il n'était "pas du tout politiquement correct". Pour Sinclair, ce qui le rendait exceptionnel était sa "quête permanente de nouveauté et de recherche". Il apparaît comme un artiste très perfectionniste, imprévisible qui pouvait par exemple décider de louer au Stade de France 3 semaines avant. "Il ne fallait pas qu'il ait d'entraves sans sa création. C'est l'audace qui définit le niveau de l'artiste et son importance dans la société. Prince a eu de l'audace au début et jusqu'au bout." a également déclaré Mathilda May. La réussite de l'ensemble est indéniable, suscitant intérêt et curiosité pour l'artiste. J'en veux pour preuve que moi qui, je l'avoue, connaissais mal l'artiste n'ai eu qu'une envie à la fin de celui-ci : me plonger dans l'œuvre de Prince !
La plus belle déclaration à son propos est sans doute celle de Sandra Nkaké : "cela donne envie d'être soi de l'écouter. " Finalement la définition parfaite de l'artiste et de l'art pour terminer ce compte rendu. Une définition qui sans aucun doute réunit le cinéma et la musique qui, séparés ou alliés, procurent cette féroce et inestimable envie d'être soi...
PALMARES
Comme chaque année, un jury de professionnels avait pour passionnante charge de décerner les différents Ibis (du meilleur film, de la meilleure musique de film, du meilleur scénario, du meilleur acteur, de la meilleure actrice, du meilleur court-métrage AG2R La Mondiale, du prix du public Groupe Barrière). Le jury 2017était présidé par la réalisatrice et scénariste Diane Kurys (réalisatrice notamment de La Baule Les Pins) qui était entourée : du compositeur Laurent Perez del mar (Ibis d'or de la meilleure musique 2016 pour "La tortue rouge"), de la productrice journaliste et présentatrice Daniela Lumbroso, de l'actrice, compositrice, interprète Elodie Frégé), de l'acteur, humoriste, chanteur Elie Seimon.
Retrouvez mes bilans des éditions précédentes :
mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014
et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015
et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2016.
Retrouvez également mes premiers articles consacrés à cette édition 2017 :
Programme détaillé et commenté
Jacques Tati à l'honneur : critique de "Playtime"
Melville à l'honneur au festival : critiques du "Samouraï", "Le Cercle rouge", L'armée des ombres"
Retrouvez également mon recueil de nouvelles "Les illusions parallèles" (Editions du 38) dont une nouvelle se déroule intégralement dans le cadre du festival et dont j'aurai l'occasion de vous reparler la semaine prochaine. Toutes les critiques ici dans mon "actualité de romancière".
15:10 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |