En direct de la 23ème cérémonie des Prix Lumières ce lundi 5 février 2018 (30/01/2018)
Chaque année, je vous parle ici des Prix Lumières, les prix annuels créés en 1995 à l’initiative de Daniel Toscan du Plantier et du journaliste américain Edward Behr. Comme chaque année, vous pourrez me suivre en direct de la cérémonie (suivez-moi sur twitter @Sandra_Meziere) qui aura lieu ce lundi 5 février à 20H30 à l'Institut du Monde Arabe.
Une centaine de films sortis en salles en 2017 concouraient pour les nominations aux Lumières de la presse internationale et 44 seront soumis au vote final de 80 académiciens représentant plus de trente pays.
En bas de cet article, retrouvez mes critiques de quelques-uns des films nommés.
Jean-Paul Belmondo et Monica Bellucci seront les invités d'honneur de la cérémonie.
Ci-dessus, photo personnelle prise lors de l'hommage rendu à Jean-Paul Belmondo dans le cadre du Festival de Cannes.
Les films 120 battements par minute, Barbara, Orpheline, Le sens de la fête, arrivent en tête des nominations pour les 23èmes Lumières de la presse internationale. Se détachent aussi Félicité, Au revoir là-haut, Le redoutable, Le brio, En attendant les hirondelles ou encore Une famille syrienne. Les réalisateurs Mathieu Amalric, Robin Campillo, Laurent Cantet, Philippe Garrel, Alain Gomis et Michel Hazanavicius ; les actrices Jeanne Balibar, Juliette Binoche, Emmanuelle Devos, Charlotte Gainsbourg, Karin Viard et, pour la première fois nommée pour un film francophone, Hiam Abbass ; les acteurs Swann Arlaud, Daniel Auteuil, Jean-Pierre Bacri, Louis Garrel, Reda Kateb et Nahuel Pérez Biscayart figurent également parmi les nommés dans cette première sélection des Lumières de la presse internationale qui met en avant des noms confirmés, des talents émergents et des révélations éclatantes. Christophe Agou, Barbet Schroeder, Eric Caravaca, Thierry Frémaux, Emmanuel Gras, Agnès Varda et JR sont nommés pour des documentaires qui, comme le reste des catégories, viennent illustrer encore une fois la richesse et la diversité du cinéma français.
Suivent les nommés pour les Lumières 2018 de la presse internationale, candidats aux nouveaux trophées créés par Joaquín Jiménez et la Monnaie de Paris.
Film
120 battements par minute, de Robin Campillo
Au revoir là-haut, de Albert Dupontel
Barbara, de Mathieu Amalric
Félicité, de Alain Gomis Orpheline, de Arnaud des Pallières
Le sens de la fête, de Eric Toledano et Olivier Nakache
Réalisateur
Mathieu Amalric - Barbara
Robin Campillo - 120 battements par minute
Laurent Cantet - L'atelier
Philippe Garrel - L'amant d’un jour
Alain Gomis - Félicité
Michel Hazanavicius - Le redoutable
Actrice
Hiam Abbass - Une famille syrienne
Jeanne Balibar - Barbara
Juliette Binoche - Un beau soleil intérieur
Emmanuelle Devos - Numéro une
Charlotte Gainsbourg - La promesse de l’aube
Karin Viard - Jalouse
Acteur
Swann Arlaud - Petit paysan
Daniel Auteuil - Le brio
Jean-Pierre Bacri - Le sens de la fête
Louis Garrel - Le redoutable
Reda Kateb - Django
Nahuel Pérez Biscayart - 120 battements par minute
Scénario
Christelle Berthevas, Arnaud des Pallières - Orpheline
Robin Campillo, Philippe Mangeot - 120 battements par minute
Albert Dupontel, Pierre Lemaitre - Au revoir là-haut
Karim Moussaoui, Maud Ameline - En attendant les hirondelles
Eric Toledano, Olivier Nakache - Le sens de la fête
Image
Christophe Beaucarne - Barbara
Céline Bozon - Félicité
Caroline Champetier - Les gardiennes
Alain Duplantier - Le semeur
Irina Lubtchansky - Les fantômes d’Ismaël
Vincent Mathias - Au revoir là-haut
Révélation masculine
Khaled Alouach - De toutes mes forces
Matthieu Lucci - L’atelier
Nekfeu - Tout nous sépare
Finnegan Oldfield - Marvin ou La belle éducation
Pablo Pauly - Patients
Arnaud Valois - 120 battements par minute
Révélation féminine
Iris Bry - Les gardiennes
Laetitia Dosch - Jeune femme
Eye Haïdara - Le sens de la fête
Camélia Jordana - Le brio
Pamela Ramos - Tous les rêves du monde
Solène Rigot - Orpheline
Premier film
Les bienheureux, de Sofia Djama
En attendant les hirondelles, de Karim Moussaoui
Grave, de Julia Ducournau
Jeune femme, de Léonor Serraille
Patients, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir
Petit paysan, de Hubert Charuel
Film francophone
Avant la fin de l’été, de Maryam Goormaghtigh
La belle et la meute, de Kaouther Ben Hania
Noces, de Stephan Streker
Paris pieds nus, de Dominique Abel et Fiona Gordon
Une famille syrienne, de Philippe Van Leeuw
Film d'animation
Drôles de petites bêtes, de Antoon Krings et Arnaud Bouron
Le grand méchant Renard et autres contes, de Benjamin Renner et Patrick Imbert
Zombillenium, d'Arthur de Pins et Alexis Ducord
Documentaire
Carré 35, de Eric Caravaca
Lumière! L'aventure commence, de Thierry Frémaux
Makala, d'Emmanuel Gras
Sans adieu, de Christophe Agou
Le vénérable W, de Barbet Schroeder
Visages Villages, d'Agnès Varda et JR
Musique
Gaspar Claus - Makala
Angelo Foley et Grand Corps Malade - Patients
Grégoire Hetzel - Les fantômes d'Ismaël
Igorrr - Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc
Arnaud Rebotini - 120 battements par minute
Philippe Rombi - L'amant double
CRITIQUES DES FILMS EN LICE
CRITIQUE DE "120 BATTEMENTS PAR MINUTE" de ROBIN CAMPILLO
Cette critique est extraite de mon compte rendu du Festival de Cannes 2017 à retrouver ici. "120 battements par minute" a également obtenu le prix du public du Festival du Film de Cabourg 2017 dont vous pouvez retrouver mon bilan, là.
C’est le film qui avait bouleversé les festivaliers au début de la 70ème édition du Festival de Cannes et qui méritait amplement son Grand Prix. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’émotion que Pedro Almodovar l’avait évoqué lors de la conférence de presse du jury du festival. On sentait d’ailleurs poindre un regret lorsqu’il a déclaré : « J'ai adoré 120 battements par minute. Je ne peux pas être plus touché par un film. C'est un jury démocratique. Et je suis 1/9ème seulement. » Il avait également déclaré : « Campillo raconte l'histoire de héros qui ont sauvé de nombreuses vies. Nous avons pris conscience de cela. »
Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan (Arnaud Valois) va être bouleversé par la radicalité de Sean (Nahuel Perez Biscayart) qui consume ses dernières forces dans l’action. Sean est un des premiers militants d' Act Up. Atteint du VIH, il est membre de la commission prisons. Au film politique va s’ajouter ensuite le récit de son histoire avec Nathan, nouveau militant, séronégatif.
Le film s’attache en effet à nous raconter à la fois la grande Histoire et celle de ces deux personnages. Celle d’Act Up se heurtant aux groupes pharmaceutiques, essayant d’alerter l’opinion publique et le gouvernement insensible à sa cause. Celle de l’histoire d’amour entre Sean et Nathan. Deux manières de combattre la mort. La première est racontée avec une précision documentaire. La seconde est esquissée comme un tableau avec de judicieuses ellipses. L’une domine tout le début du film avant que la seconde ne prenne une place grandissante, le film se focalisant de plus en plus sur l’intime même si le combat est toujours présent, en arrière-plan.
La durée du film (2H10) devient alors un véritable atout nous permettant de nous immerger pleinement dans leur action et de faire exister chaque personnage, de nous les rendre attachants, de nous permettre d'appréhender la violence apparente de leurs actions qui deviennent alors simplement à nos yeux des appels au secours, des cris de colère, si compréhensibles. Parce qu’il n’y a pas d’autre solution face à l’indifférence et l’inertie. Parce que le temps court et leur manque. La caméra s’attache et s’attarde à filmer les visages et les corps, vivants, amoureux, mais aussi les particules qui les détruisent inéluctablement. Deux réalités qui s’opposent. Une course contre la montre. Contre la mort.
Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois et Antoine Reinartz sont impressionnants de force, d’intensité, de justesse, de combattivité. Ils rendent leurs personnages furieusement vivants et Adèle Haenel impose sa colère avec force, totalement imprégnée de son rôle.
Campillo démontre ici une nouvelle fois son talent de scénariste (il fut notamment celui d’ « Entre les murs », palme d’or 2008 mais aussi notamment des autres films de Laurent Cantet), dosant brillamment l’intime et le collectif, l’histoire d’amour et le combat politique et parvenant à faire de chacun des débats, parfois virulents, des moments passionnants, témoignant toujours de ce sentiment d’urgence. Certains ont reproché au film d’être trop long ou bavard mais aucun de ces échanges n’est vain ou gratuit. Ils sont toujours vifs et incisifs, enragés de l’urgence dictée par la maladie et la mort qui rôde. Ne pas s’arrêter, ne pas se taire pour ne pas mourir.
La dernière partie du film, poignante, ne tombe pourtant jamais dans le pathos ni dans la facilité. Campillo raconte avec minutie et pudeur les derniers sursauts de vie, puis la mort et le deuil, leur triviale absurdité. « Mince » réagit une mère à la mort de son enfant. Et c’est plus bouleversant que si elle s’était écroulée, éplorée.
En immortalisant ces combats personnels et ce combat collectif, Campillo a réalisé un film universel, transpirant la fougue et la vie dont chaque dialogue, chaque seconde, chaque plan palpitent d'une urgence absolue. A l’image de la réalisation, effrénée, nerveuse, d’une énergie folle qui ne nous laisse pas le temps de respirer. Avec sa musique exaltant la vie. Ses images fortes aussi comme ces corps allongés sur le sol de Paris symbolisant les défunts, des corps que la caméra surplombe, tourbillonnant autour comme si elle filmait un ballet funèbre. Sa poésie aussi. Un film jalonné de moments de grâce et d’images fortes qui nous laissent une trace indélébile. Lorsque la Seine devient rouge. Lorsque Sean évoque le ciel et la vie, plus prégnante avec la maladie, et que Paris défile, insolemment belle et mélancolique, derrière la vitre, irradiée de soleil.
Un film qui rend magnifiquement hommage à ces combattants, à leur ténacité. Lorsque, finalement, le désir de vie l’emporte, avec ces battements musicaux et cardiaques, qui s’enlacent et se confondent dans un tourbillon sonore et de lumières stroboscopiques, qui exaltent la force de l’instant, et nous accompagnent bien après le générique de film, Campillo nous donne envie d’étreindre furieusement le moment présent. Un grand film.
CRITIQUE DE "VISAGES VILLAGES" d'AGNES VARDA
Que de poésie dans ce film, révélateur de la profondeur, la noblesse, la beauté et la vérité des êtres ! Présenté hors-compétition du dernier Festival de Cannes où il a reçu le prix L’œil d’or du meilleur documentaire, il est coréalisé par Agnès Varda et JR.
Agnès Varda et JR ont des points communs : passion et questionnement sur les images en général et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. Agnès a choisi le cinéma. JR a choisi de créer des galeries de photographies en plein air. Quand Agnès et JR se sont rencontrés en 2015, ils ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique (et magique) de JR. Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés et parfois affichés. Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries, en se riant des différences.
Dès le générique, le spectateur est saisi par la délicatesse et la poésie. Poésie ludique des images. Et des mots, aussi : « tu sais bien que j’ai mal aux escaliers » dit Agnès Varda lorsqu’elle peine à rejoindre JR, « Les poissons sont contents, maintenant ils mènent la vie de château» à propos de photos de poissons que l'équipe de JR a collées sur un château d’eau.
« Le hasard a toujours été le meilleur de mes assistants », a ainsi déclaré Agnès Varda et en effet, de chacune de ces rencontres surgissent des instants magiques, de profonde humanité. Sur chacun des clichés, dans chacun de leurs échanges avec ces « visages » affleurent les regrets et la noblesse de leurs détenteurs.
En parallèle de ces explorations des visages et des villages, se développe l’amitié entre ces deux humanistes qui tous deux ont à cœur de montrer la grandeur d’âme de ceux que certains appellent avec condescendance les petites gens (terme qui m’horripile), de la révéler (au sens photographique et pas seulement).
En les immortalisant, en reflétant la vérité des visages que ce soit celui de la dernière habitante de sa rue, dans un coron du Nord voué à la destruction en collant sa photo sur sa maison, à ces employés d'un site chimique, ils en révèlent la beauté simple et fulgurante. Et nous bouleversent. Comme cet homme à la veille de sa retraite qui leur dit avoir « l’impression d’arriver au bout d’une falaise et que ce soir je vais sauter dans le vide ». Et dans cette phrase et dans son regard un avenir effrayant et vertigineux semble passer.
Le photographe de 33 ans et la réalisatrice de « 88 printemps » forment un duo singulier, attachant, complice et attendrissant. Le grand trentenaire aux lunettes noires (qu’Agnès Varda s’évertuera pendant tout le film à lui faire enlever) et la petite octogénaire au casque gris et roux. Deux silhouettes de dessin animé. Les mettre l’un avec l’autre est déjà un moment de cinéma. Tous deux se dévoilent aussi au fil des minutes et des kilomètres de ce road movie inclassable. Et ces visages dont les portraits se dessinent sont aussi, bien sûr, les leur. Ce voyage est aussi leur parcours initiatique. Celui d’un JR gentiment taquin, empathique, et d’une Agnès Varda tout aussi à l’écoute des autres, tantôt malicieuse et légère (impayable notamment quand elle chante avec la radio) tantôt grave et nous serrant le cœur lorsqu’elle dit « la mort j’ai envie d’y être parce que ce sera fini ».
Ce récit plein de vie et fantaisie est aussi jalonné par l’évocation tout en pudeur de ceux qui ne sont plus, du temps qui efface tout (parce que photographier les visages c’est faire en sorte qu’ils « ne tombent pas dans les trous de la mémoire ») comme la mer qui engloutit ce portrait de cet ami d’Agnès Varda qui avait pourtant été soigneusement choisi pour être collé sur un bunker en bord de mer. Et la nostalgie et la mélancolie gagnent peu à peu du terrain jusqu’à la fin. Jusqu’à cette « rencontre » avec le « redoutable » Jean-Luc Godard qui donne lieu à un grand moment de cinéma poignant et terriblement cruel. Jusqu’au lac où la vérité et le regard sont, enfin, à nu. Et le nôtre embué de larmes.
Ajoutez à cela la musique de M. Et vous obtiendrez une ode au « pouvoir de l’imagination », un petit bijou de délicatesse et de bienveillance. Un pied de nez au cynisme. Passionnant. Poétique. Surprenant. Ensorcelant. Emouvant. Rare. A voir absolument.
CRITIQUE DE "BARBARA" de MATHIEU AMALRIC
« Barbara » de Mathieu Amalric était en ouverture de la sélection Un premier regard, un pur moment de poésie, un choix judicieux pour l'ouverture.
Une actrice (Jeanne Balibar) va jouer Barbara, le tournage va commencer bientôt. Elle travaille son personnage, la voix, les chansons, les partitions, les gestes, le tricot, les scènes à apprendre, ça va, ça avance, ça grandit, ça l'envahit même. Le réalisateur aussi travaille, par ses rencontres, par les archives, la musique, il se laisse submerger, envahir comme elle, par elle.
Après son Prix de la mise en scène en 2010 pour le formidable « Tournée », Amalric s’intéressait donc à nouveau à une artiste, et faisait cette fois l’ouverture de Un Certain Regard après avoir déjà été en lice dans cette section avec « La Chambre bleue ».
Ce film singulier ne cherche pas forcément à séduire et encore moins à nous prendre par la main avec des facilités scénaristiques. Il se mérite, se dérobe et se cherche. Et capture pourtant notre attention et notre émotion comme le ferait une chanson de Barbara, avec intensité. Celle que met l’étonnante Jeanne Balibar pour l’incarner au point de se confondre avec celle dont elle joue le rôle comme son personnage se confond avec la chanteuse qu’elle interprète.
J’aurais aussi pu placer ce film dans ma catégorie « mise en abyme » mais ici c’est le sentiment d’une œuvre poétique, abrupte, confuse, audacieuse, inclassable qui domine. Tour à tour agaçante et séduisante. Quatre femmes en une. Balibar la femme que la caméra caresse. Balibar l’actrice. L’actrice qu’elle incarne dans le film, Brigitte. Barbara qu’incarne l’actrice qu’elle incarne dans le film réalisé par le réalisateur Amalric,…lui-même réalisateur dans son film.
De ce dédale inénarrable, on ressort avec le souvenir d’une voix, celle de Barbara/Balibar, envoûtante, et d’une femme, de femmes, fantaisistes, captivantes et fuyantes. Et d’une actrice impressionnante.
« Vous faites un film sur Barbara ou un film sur vous. » demande ainsi Brigitte interprétant Barbara au réalisateur Amalric dans le film. « -C’est pareil » lui répond le réalisateur s’immisçant dans la scène du film. Sans doute Amalric réalisateur pourrait-il nous faire la même réponse tant et surtout ces images parcellaires dessinent une déclaration d’amour du réalisateur dans le film à son actrice dans le film, à la chanteuse Barbara, et peut-être du réalisateur Amalric à l’actrice Balibar.
CRITIQUE "LES FANTÖMES D'ISMAËL" de DESPLECHIN
Longtemps le festival a choisi pour film d’ouverture des grosses productions, souvent américaines, s’accompagnant de génériques et montées des marches prestigieux. Après Woody Allen et son « Café Society » l’an passé –au passage retrouvez ma critique du film actuellement à l’honneur sur le site de Canal plus- ( un cinéaste qui, lui aussi, d’ailleurs, a souvent recouru à la mise en abyme) c’était au tour du français Arnaud Desplechin d’ouvrir le bal avec « Les fantômes d’Ismaël », hors compétition, après cinq sélections en compétition. « J'ai appris avec une grande émotion que le film faisait l'ouverture. C'est un honneur. J'étais très touché », a ainsi déclaré Arnaud Desplechin lors de la conférence de presse du film.
À la veille du tournage de son nouveau film, la vie d’un cinéaste, Ismaël (Mathieu Amalric) est chamboulée par la réapparition d’un amour disparu, Carlotta disparue 20 ans auparavant, plus exactement 21 ans, 8 mois et 6 jours… Ce personnage irréel à la présence troublante et fantomatique est incarné par Marion Cotillard. La manière dont elle est filmée, comme une apparition, instille constamment le doute dans notre esprit notamment lorsqu’elle est filmée dans l’embrasure d’une porte, ses vêtements flottant autour d’elle. Quand elle danse pourtant (magnifique scène d’une grâce infinie sur «It Ain't Me Babe», de Bob Dylan), elle semble incroyablement vivante et envoûtante. Présente. « La scène de la danse est à 95% une invention de Marion » a ainsi précisé Arnaud Desplechin.
Desplechin jongle avec les codes du cinéma pour mieux les tordre et nous perdre. Les dialogues sont magistralement écrits et interprétés « Je voulais déchirer ma vie » dit Carlotta. Ismaël répond : « C'est ma vie que tu as déchirée. » Qu’importe si certains les trouvent trop littéraires. C'est ce qui rend ce film poétique, évanescent.
A la frontière du réel, à la frontière des genres (drame, espionnage, fantastique, comédie, histoire d’amour), à la frontière des influences (truffaldiennes, hitchcockiennes –Carlotta est bien sûr ici une référence à Carlotta Valdes dans « Vertigo » d’Hitchcock-) ce nouveau film d’Arnaud Desplechin est savoureusement inclassable, et à l’image du personnage de Marion Cotillard : insaisissable et nous laissant une forte empreinte. Comme le ferait un rêve ou un cauchemar.
Le film est porté par des acteurs remarquables au premier rang desquels Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg (ses échanges avec Ismaël sont souvent exquis). « Charlotte Gainsbourg fait partie des gens qui m'ont donné envie de faire ce métier » a ainsi déclaré Marion Cotillard en conférence de presse. « J'ai le sentiment d'avoir trouvé un personnage quand j'ai trouvé sa manière de respirer » a-t-elle également ajouté. « Depuis "L'Effrontée" j'avais envie de tourner avec Charlotte Gainsbourg et cette fois-ci fut la bonne » a déclaré Desplechin.
La fin du film était elle aussi une ouverture. Un espoir. Un film plein de vie, un dédale dans lequel on s’égare avec délice porté par deux personnages énigmatiques, deux actrices magistrales. « Tout le film est résumé dans la réplique suivante : la vie m'est arrivée », a ainsi déclaré Arnaud Desplechin en conférence de presse. La vie avec ses vicissitudes imprévisibles que la poésie du cinéma enchante et adoucit. Le cinéma de Desplechin indéniablement.
Retrouvez également mes critiques des films (également en lice) "Le Brio" et "Tout nous sépare" dans mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, ici.
17:28 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-paul belmondo, cinéma, prix lumières, 120 battements par minute, film, in the mood for cinema | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |