Critique - LES EBLOUIS de Sarah Suco (désormais disponible en VOD) (03/04/2020)

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1 jour. 1 film. 1 critique.

En cette période de réalité irréelle pendant laquelle il est absolument vital de rester chez soi, mais de s'évader en restant chez soi, aussi, alors pour paraphraser Lagardère, le héros de Paul Féval, « Si tu ne viens pas au cinéma, le cinéma ira à toi ! ». Ainsi, j’ai décidé de vous proposer chaque jour de découvrir un film, un film récent disponible en VOD ou un classique du cinéma. Hier, ce fut MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan (disponible depuis cette semaine en VOD). Aujourd’hui, je vous recommande vivement de découvrir Les Eblouis de Sarah Suco, disponible depuis hier en VOD.

Présenté au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2019 et au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz 2019, et par ailleurs lauréat du prix « Cinéma 2019 » de la Fondation Barrière ou encore du Prix « Célestine 2019 » du festival du film français d’Helvétie, Les Eblouis est le premier long-métrage en grande partie autobiographique de la comédienne Sarah Suco.

A travers le regard de Camille (Céleste Brunnquell, une révélation, d’ailleurs nommée dans la catégorie éponyme aux César 2020), une adolescente de 12 ans, passionnée de cirque, aînée d’une famille nombreuse, la réalisatrice filme à hauteur d’enfant(s) l’emprise sur les âmes mais aussi les corps d’une communauté religieuse, « La colombe ». Derrière la vitrine altruiste d’actions sociales se dissimule en réalité une secte qui peu à peu tisse sa toile arachnéenne insidieuse et enferme dans sa prison doctrinaire inextricable.

Camille Cottin est surprenante dans ce contre-emploi de mère fragile et manquant de confiance qui va trouver dans cette communauté un emploi mais croit surtout y trouver l’écoute qu’elle reproche à son mari (naïf et velléitaire, incarné par Eric Caravaca) de ne plus lui accorder, et la confiance qui lui fait défaut, au point d’abandonner toute résistance, tout esprit critique, toute conscience. Au point d’être complètement infantilisée. Au point de trouver normal de bêler quand le gourou qui se fait appeler le berger d’une douceur sournoise arrive. Au point d’abandonner ses enfants pour aller en pèlerinage. Au point de ne pas vouloir voir l’ignominie quand sa propre fille la dénonce. Au point de se transformer psychologiquement et physiquement, façonnée, remodelée par la secte.

Captivant de la première scène lors de laquelle Camille s’adonne à des acrobaties sur la musique flamboyante et envoûtante de Laurent Perez Del Mar, à la dernière scène, le film de Sarah Suco, « écartelé » entre ombre et lumière comme l’est Camille, portée par ses premiers éblouissements amoureux, décrypte comment le gourou tisse sa toile (Jean-Pierre Darroussin, affreusement parfait avec sa fausse bonhomie obséquieuse), comment le piège se referme peu à peu, comment un amour ou une foi fallacieux peuvent être le refuge de cœurs blessés et les emprisonner davantage encore plutôt que de les soigner.

Sans que cela ne soit jamais didactique, Sarah Suco explore les rouages des esprits manipulateurs qui s’engouffrent dans les failles d’âmes fragilisées et comment l’emprise insidieuse referme le piège sur les cœurs et les corps qui aussi se modifient pour correspondre au cadre carcéral édicté par la communauté.

Cet éblouissement aveuglant, cette emprise insidieuse, cette violence psychologique, Camille la rebelle, libre, courageuse va peu à peu s’en affranchir. Et avec elle nous retenons notre souffle, de la première à la dernière seconde, comme devant la plus périlleuse des acrobaties qui mettrait sa vie en péril, comme elle l’est d’ailleurs dans cet environnement qui broie les êtres.

Un très beau portrait d’adolescente qui prend son envol. Un film palpitant, nuancé, jamais manichéen, d’une force indéniable, coécrit avec beaucoup de pudeur et de justesse par Nicolas Silhol et Sarah Suco. Un plaidoyer percutant contre les fanatismes. Un film poignant, à la fois glaçant et lumineux. Et absolument nécessaire.

11:51 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | | Pin it! | |