Cérémonie d’ouverture du 77ème Festival de Cannes et Critique – LE DEUXIÈME ACTE de Quentin Dupieux (14/05/2024)
Cette 77ème édition du Festival de Cannes s’est ouverte sous le signe du talent et de l’élégance avec Camille Cottin en maîtresse de cérémonie. Mais aussi une mémorable palme d’or d’honneur décernée à Meryl Streep, trente-cinq ans après son Prix d'interprétation pour Un cri dans la nuit, et une prestation musicale de Zaho de Sagazan qui a rendu hommage à la présidente du jury, Greta Gerwig, en interprétant une reprise Modern Love de David Bowie (une chanson présente dans le film de la réalisatrice américaine, Frances Ha.)
La réalisatrice de Barbie préside en effet le jury prestigieux de cette 77ème édition composé de : Ebru Ceylan, Lily Gladstone, Eva Green, Nadine Labaki, Juan Antonio Bayona, Pierfrancesco Favino, Hirokazu Kore-eda, Omar Sy, lequel jury devra départager les 22 films en compétition.
Avec beaucoup d’humour, Camille Cottin a évoqué le « vortex cannois » : « Vous vous apprêtez à entrer dans un monde parallèle qu'on appelle le vortex cannois. Dans ce monde, l'espace, le temps, la santé aussi, vont devenir des notions un peu floues ». Sept ans après les révélations sur Harvey Weinstein et quelques mois après la prise de parole de Judith Godrèche, elle a aussi fait référence au mouvement #Metoo : « Je précise que les rendez-vous professionnels nocturnes, dans les chambres d'hôtel des messieurs tout puissants ne font plus partie des us et coutumes du vortex cannois, suite à l'adoption de la loi MeToo ».
C’est sur l’air de la sublime musique de Out of Africa de John Barry qu’est arrivée Meryl Streep pour recevoir sa palme d’or d’honneur. Deux autres Palmes d'honneur seront attribuées pendant cette 77ème édition : la première au studio Ghibli le 20 mai et la seconde au réalisateur George Lucas lors de la cérémonie de clôture.
Lors de cette cérémonie d’ouverture qui a mis les femmes à l’honneur, ce sont donc Juliette Binoche et Meryl Streep qui ont déclaré ouverte cette 77ème édition qui s’annonce exceptionnelle.
A ensuite été projeté le film d’ouverture, Le Deuxième acte de Quentin Dupieux, un judicieux choix que cette mise en abyme et cette réflexion sur le métier d’acteur pour lancer les festivités. L’univers décalé, sarcastique, inventif, sombre, teinté de cynisme, des Dupieux était en effet une mise en bouche idéale pour ce 77ème Festival de Cannes.
Florence (Léa Seydoux) veut présenter David (Louis Garrel), l’homme dont elle est follement amoureuse, à son père Guillaume (Vincent Lindon). Mais David n’est pas attiré par Florence et souhaite s’en débarrasser en la jetant dans les bras de son ami Willy (Raphaël Quenard). Les quatre personnages se retrouvent dans un restaurant au milieu de nulle part, dont le serveur (Manuel Guillot) est passablement nerveux. Le restaurant s’appelle Le Deuxième Acte.
Enfin c’est un peu plus compliqué que cela puisque nous découvrons rapidement que dans le film, Vincent Lindon, Léa Seydoux, Louis Garrel et Raphaël Quenard incarnent des acteurs qui jouent le scénario décrit ci-dessus. Alors, le cinéma est-il la réalité ? Le reflet de la réalité ? Et la réalité, n’est-elle pas que du cinéma ?
Si le sujet peut sembler très théorique, son traitement n’en est pas moins captivant d’autant qu’il survole et égratigne pas mal de sujets très actuels au passage avec beaucoup de mordant.
Truffaut (avec La Nuit américaine) est bien sûr le maître en matière de film sur les coulisses d’un tournage. Mais c’était une autre époque. Depuis est arrivée l’Intelligence Artificielle, MeToo est passée par là, les salles ont connu la désaffection du public, tandis que les acteurs rêvent toujours d’Hollywood. Autant de thèmes abordés aussi bien lors de longs plans séquences aux dialogues ciselés hors du café qu’en plans fixes dans le café.
On imagine à quel point il fut jubilatoire pour Lindon d’interpréter cet acteur qui veut arrêter le cinéma car il n’en « peut plus de faire semblant » (« C'est bientôt la fin de l'humanité et tu veux continuer à faire semblant d'être ma fille avec un film d'auteur. Tu croyais quoi que tu allais sauver des vies avec le cinéma là ? » dit-il ainsi à sa fille dans le film du film) jusqu’à ce qu’un coup de fil lui annonce que Paul Thomas Anderson le veut dans son prochain film et qu’il s’illumine à cette idée, et change radicalement de point de vue (« Tu vois qui c'est Paul Thomas Anderson ? Il veut que je joue dans son prochain film. C'est sidérant ce qui m'arrive. Le plus grand metteur en scène de la planète qui me veut moi, c'est la gifle du siècle. I am back. »)
Le deuxième acte oscille brillamment entre fiction et fiction dans la fiction pour brouiller nos repères et c’est aussi jubilatoire à regarder que cela le fut visiblement à jouer...même si tout est probablement millimétré.
Un dédale vertigineux, cruel, sombre, drôle, satirique, grinçant, ludique, et déroutant dans lequel les acteurs font preuve d’une savoureuse autodérision : « Tu te rends compte de l’image qu’on est en train de donner de nous ? demande ainsi David (Louis Garrel) Déjà que les salles sont à moitié vides… Les gens vont nous détester ! ».
Et puis quoi de mieux que débuter cette 77ème édition avec cette réflexion extraite du film (?) :
« Ce que tu crois être la réalité, tout cela c'est fictif alors que les films, les rêves, les histoires qu'on se raconte les fantasmes, ça c'est vraiment réel. C'était juste toi qui préfères l'imaginaire. »
23:55 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |