Le coup de cœur du mois : « Locataires » ludique et mélancolique errance de Kim Ki Duk. (14/04/2005)
N’ayant pas eu le temps de voir ce film au festival du film asiatique de Deauville, ma curiosité était d’ores et déjà suscitée par le nom du prolifique et éclectique Kim Ki Duk gardant encore un souvenir émerveillé de sa symphonie picturale : « printemps, été, automne, hiver et printemps ». J’étais aussi intriguée par le silence évocateur de ceux qui avaient eu la chance de le voir.
Résumer ce film ne ferait qu’en dénaturer immodestement l’originalité tout comme donner la parole à ses personnages aurait amoindri l’intensité et la beauté de leur relation. Alors en vous transmettant quelques bribes d’éléments j’espère vous donner envie de courir dans les salles obscures et d’accompagner ces Locataires dans leur errance langoureuse et mélancolique. Kim Ki Duk invente en effet un univers (à moins que ce ne soit les personnages qui l’inventent, une réalisation parfaitement maîtrisée entretenant délibérément l’ambiguïté) où les paroles sont superflues, inutiles, vaines puisque les deux personnages principaux n’échangent pas un mot. Ils n’ont d’ailleurs pas besoin de dire pour exprimer, pour ressentir l’étrange et immédiate harmonie qui les unit, un peu comme la musique transcrivait les sentiments dans le sublime « In the mood for love » de Wong Kar Waï sans nécessiter le moindre dialogue. La parole n’est ici que source de maux et d’hypocrisie. Le décor (réel protagoniste du récit ?) agit comme un symbole (espaces vides symbolisant la solitude des personnages mais aussi symbole de l’image que souhaitent donner d’eux-mêmes les propriétaires) mais aussi une cristallisation puis une réminiscence de l’histoire d’amour, comme un lien entre ces deux âmes solitaires et blessées. Lien intense et (car) indicible. L’humour, comme la violence d’ailleurs, est judicieusement distillé et apporte un aspect ludique, voire fantaisiste. Kim Ki Duk n’oublie pas non plus d’égratigner la société coréenne : corruption de la police etc.
Cette balade poétique et surréaliste nous emmène et nous déconcerte. La frontière entre rêve et réalité (y) est parfois si étanche…alors si vous ne craignez pas de la franchir laissez-vous dériver en suivant ces Locataires et leur réjouissante et onirique errance. « Locataires » est de ces films dont vous sortez le cœur léger, ignorant la pluie et la foule, encore délicieusement endoloris, encore dans le monde dans lequel ils vous aura transportés et dont seul un silence évocateur, oui effectivement, pourra approcher l’intensité comme unique réponse aux interrogations des non initiés dont, je l’espère, vous ne ferez bientôt plus partie !
Ce film a reçu le Lion d’Argent, prix de la mise en scène Venise 2004.
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19:40 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Kim Ki-duk a écrit ce poème à propos de son film : « Nous sommes tous des maisons vides, attendant ardemment que quelqu'un vienne ouvrir la porte et nous libère... Et un beau jour, un homme, comme un fantôme, apparaît et ouvre la porte pour m'emmener avec lui. Aujourd'hui, je fais confiance à cet homme pour le suivre sans réserve, vers un destin nouveau »...
Voilà de quoi nous mettre merveilleusement sur la voie, indiquant très bien la personnalité de ce metteur en scène sud-coréen. Un artiste la recherche de lui-même et de l’autre, plutôt angoissé au sein d’une société monocorde. Son travail cinématographique ressemble à sa personnalité, en perpétuelle recherche des sens, pas totalement aboutie. Sûr que Kim Ki-duk possède quelque chose dans le ventre et dans la tête, comme une tornade qui ne demande qu’à exploser à la face du monde. Une tornade avec ses forces et ses faiblesses…
« Locataires », un scénario très original avec cet homme qui change de maison comme d’autres changent de chemises. Il s’introduit, profite de l’espace tout en le nourrissant. Un échange étrange de bons procédés. Coté face, un violeur d’espace, côté pile, une aide gratuite à domicile.
La question qui se pose rapidement est de savoir qui est cet homme. Le réalisateur suggère des réponses diverses sans vraiment se dévoiler. Qui est cet homme ? Est-ce un homme ? Est-ce un symbole ? On pense à un ange, à un fantôme. Dans son poème à propos du film, Kim Ki-duk suggère plutôt un fantôme, alors suivons-le sur cette voie. La structure du récit frôle le surréalisme ou le fantastique, sans jamais y entrer totalement. Le réalisateur cherche à jouer sur les deux possibilités : Un fantôme et/ou un homme. Un personnage extrêmement intéressant donc, puisqu’à multiples facettes qui induit le récit dans une structure entre le réalisme et le fantastique.
Le metteur en scène cherche à surprendre en frôlant l’exercice de style. Les deux personnages principaux vont vivre leur rencontre dans un silence absolu. Pas un seul dialogue entre eux deux, tout étant suggéré uniquement par l’image. Par ce biais, le réalisateur s’invite dans la cour des grands avec de l’inédit, de l’image qui parle et des silences explicites !
Kim Ki-duk utilise énormément la métaphore visuelle, parfois trop, s’embourbant ci et là dans des symboliques brumeuses, qu’il a du mal à contrôler, et qui peuvent induire des interprétations diverses, peut-être loin de ce que le réalisateur aurait voulu suggérer. Par exemple, ce club de golf, qui peut être interprété comme symbole de la bourgeoisie nauséabonde, et qui d’ailleurs finira par tuer. Peut-être que oui, peut-être que non. Impossible d’accréditer complètement cette thèse au regard du film. Une façon de procéder qui me fait penser à un certain cinéma de Greenaway ou de Fellini, parfois devenu illisible, parce que le metteur en scène en a trop dit ou pas assez, dans une utilisation des symboles à outrance.
Et puis, Kim Ki-duk se fait piéger à son propre jeu avec un récit qui semble clairement critiquer une société fade, conformiste, sans surprise, consumériste. Alors pourquoi l’épouse battue reste-t-elle chez elle et ne s’enfuit pas avec son amour fantôme ? Pourquoi si ce n’est pour le réconfort matérialiste ? L’homme fantôme, à la fin du récit, semble lui aussi jouir des bienfaits du monde matérialiste et superficiel alors qu’il en incarne le symbole dénonciateur ??? Pas très clair tout ça, comme si le metteur en scène avait fini par complètement s’embourber dans ses propres ficelles. Un metteur en scène qui ne fait toujours dans la dentelle non plus, avec le mari, crapule, lourdement caricatural, sans aucune humanité, invitant facilement le spectateur à s’unir au couple silencieux. Un peu grossier comme procédé manichéen, avec lequel le cinéma asiatique ne s’associe que très rarement.
Pour résumer, beaucoup de très bon et un peu de moins bon, pour un cinéaste en recherche et en devenir, avec une très grosse personnalité surdouée et intéressante, mais qui doit s’affiner.
Écrit par : CHRIS | 04/08/2005