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IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) - Page 5

  • César 2021 : les films incontournables à voir avant l'annonce des nominations le 10 février

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    En amont de l’annonce des nominations pour les César2021 qui aura lieu ce 10 février tandis que la cérémonie se tiendra le 12 mars, voici (dans un ordre aléatoire) mes 13 films coups de cœur de 2020. Si vous êtes membre votant de l’Académie des César, il est encore temps de les découvrir. Parmi ces films qui témoignent de la vitalité et de la diversité du cinéma français, beaucoup de premiers longs métrages. On y retrouve des thèmes récurrents (deuil, quête d’identité, amours contrariées). Des films souvent bouleversants, beaucoup de drames intimes aux frontières du thriller, portés par des comédiens remarquables et des mises en scène inventives. Tous méritent d’être nommés dans plusieurs catégories.

    Quelques mots en bref sur chacun d’entre eux et les nominations qu’ils méritent :

    MADRE de Rodrigo Sorogoyen

    Le téléphone sonne. Le fils d’Elena, 6 ans, paniqué, perdu, seul, sur une plage des Landes, appelle sa mère, à des kilomètres de là et dit ne plus trouver son père.  C’est par ce plan séquence brillantissime, haletant, qui nous met dans la peau d’Helena, saisie par cette angoisse absolue, que débute ce film captivant, suffocant, déroutant, comme il le sera jusqu’à la dernière seconde. Constamment, il brouille les pistes, les genres même, comme le deuil lui-même abolit toute notion de réalité, aux frontières de la morale et de la folie : savant écho entre le fond et la forme dans ce thriller sur la confusion des sentiments autant que sur l’absence inacceptable. Ajoutez à cela un sens rare du cadre et hors-champ, une interprétation magistrale (de Marta Nieto et Jules Porier) et vous obtiendrez un film palpitant. Et rare.

    ETE 85 de François Ozon

    (Extrait de ma critique complète à lire, ici, sur Inthemoodforcinema.com.) Les premières minutes des films d’Ozon, brillants exercices d’exposition mais aussi de manipulation, sont des éléments incontournables de ses scénarii ciselés, délicieusement retors et labyrinthiques, et sont toujours annonciatrices des thématiques que chacun de ses films explore : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant.  Avec toujours ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traitre), riche de mises en abyme. Dès les premières secondes, il happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera bien souvent à le déconstruire. « Été 85 » ne déroge pas à la règle. […] Un film fougueux, électrique, malicieusement dichotomique, sombre et lumineux, cruel et doux, tragique et ironique, qui enfièvre la réalité, enragé de fureur de vivre et d’aimer, pour raconter la mort. Ou la défier peut-être... Et une fois de plus, une passionnante réflexion sur le pouvoir des illusions, artistiques ou amoureuses, qui, au dénouement de ce film intense, portent et emportent vers un avenir radieux empreint de la beauté mélancolique d’un vers de Verlaine. Ou d’une danse funèbre, terriblement sublime, à jamais gravée dans nos mémoires de spectateurs. Sélection Cannes 2020. Film lauréat des Prix Lumières de la meilleure image pour Hichame Alaouié et de la révélation masculine pour Félix Lefebvre et Benjamin voisin.

    SOL de Jézabel Marques

    Sol (Chantal Lauby), célèbre interprète de Tango argentin, vit à Buenos-Aires depuis longtemps. Elle ne s’est jamais réellement remise de la perte de son fils unique avec qui elle avait rompu tout lien. Elle revient à Paris dans l’espoir de rencontrer enfin son petit-fils. Elle loue le studio situé sur le palier où vivent sa belle-fille (Camille Chamoux) qu’elle ne connaît pas et ce dernier…Ce premier long métrage possède une grâce ineffable, celle d’une histoire poignante racontée avec une touchante modestie qui fait affleurer l’émotion de la première à la dernière seconde. Un film à l’image de la musique qui le porte et lui donne la note : un tango argentin chaleureux et mélancolique, réconfortant et nostalgique, qui étreint l’âme et entremêle force, délicatesse et sensualité. Un film embrasé de douceur et de lumière malgré l’ombre de l’absence qui, constamment, plane. Un film qui exhale l’innocence inestimable de l’enfance et la force des liens du cœur. Des dialogues savoureux, caustiques et tendres (scénario de Jézabel Marques, Faïza Guène et Vincent Cappello). Chantal Lauby est remarquable en grand-mère fantasque d’une justesse et vitalité communicative qui se fait « adopter » par son petit-fils et sa belle-fille (Camille Chamoux, très sobre, qui traine sa tristesse abyssale). Des solitudes qui s’apprivoisent et dont la rencontre va panser les plaies béantes et culpabilités et qui vont se redonner le goût de vivre et d’aimer comme ce tango envoûtant (musique signée Laurent Perez del Mar) y enjoint. Un petit bijou de simplicité et de sensibilité, d’une tendre drôlerie, à fleur d’âme et de peau.

    LA NUIT VENUE de Frédéric Farrucci

    (Extrait de ma critique complète à lire ici) Les films auxquels nous fait songer cette « nuit venue » ne manquent pas : « Taxi Driver », « Drive », « Collatéral », « Le Samouraï », « In the mood for love » mais ce premier long métrage de fiction de Frédéric Farrucci, notamment grâce au scénario coécrit avec Nicolas Journet et Benjamin Charbit, avec son identité singulière, son propre rythme poétique qui vous emporte dans sa danse tragique ne ressemble finalement à aucun autre. « La nuit venue » a obtenu les prix de la mise en scène et de la meilleure musique originale (signée Rone) au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz 2019, c’était déjà une bonne raison de le découvrir. Je vous y engage fortement.  […] Peut-être peut-on trouver un dernier point commun avec « Le Samouraï », des plans de début et de fin qui se répondent. Ici, ce sont deux visages en miroir. Là, en revanche, contrairement à ce qui se joue dans le film de Melville, l’espoir est, malgré tout, permis, celui que porte la musique qui électrise et immortalise les émotions dont ce film foisonne à l'image de celle qui, parfois, nous saisit une fois la nuit venue : d'une mélancolie troublante.

    DEUX de FILIPPO MENEGHETTI

    Aux yeux des autres seulement voisines de palier, Nina et Madeleine sont en réalité profondément amoureuses l’une de l’autre. Elles projettent de vendre leurs appartements respectifs et de terminer leur vie à Rome. Mais Madeleine n’a rien dit de cette relation à ses enfants. Jusqu’au jour où elle subit un AVC ... En un instant, pour Nina tout s’effondre. Le palier qui sépare leurs deux appartements devient alors comme une frontière infranchissable. Le symbole de l’enfermement. De l’amour cadenassé, condamné au silence. Prenant et claustrophobique comme un thriller (on songe au brillant « Jusqu’à la garde » où là aussi la quotidienneté se transforme en horreur) et bouleversant comme la sublime histoire d’amour qu’il est aussi, ce film mérite amplement sa sélection comme représentant de la France aux #Oscars2021. Barbara Sukowa et Martine Chevallier sont lumineuses, intenses, infiniment émouvantes dans ces rôles de femmes qui s’aiment envers et contre tout et tous. Là aussi l’émotion affleure du début à la fin. Un premier long métrage incroyablement maitrisé, avec une utilisation judicieuse du cadre, du hors-champ, de l’arrière-plan dès la première seconde. Aussi, un tableau sans concessions et juste de l’infantilisation de ceux qu’on « abrutit de médicaments pour qu'ils vous obéissent ». Ce mélodrame subtil est avant tout une histoire d’amour aux frontières du thriller qui s’achève par une danse d’une beauté renversante. « Deux » vient de recevoir les Prix Lumières du meilleur film et de la meilleure interprétation féminine pour ses deux actrices, en effet exceptionnelles.

    LES CHOSES QU’ON DIT, LES CHOSES QU’ON FAIT d’Emmanuel Mouret

    Un chassé-croisé amoureux délicieusement drôle, infiniment romanesque, sur les rendez-vous manqués et la complexité et la beauté des vertiges de l’amour. Le scénario particulièrement inventif entrelace les histoires avec brio, servi par des dialogues ciselés joués par quatre comédiens d’une justesse admirable : Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne et Emilie Dequenne qui irradient de talent. Un film plein de fantaisie qui n’est pas sans rappeler Rohmer ou Woody Allen, l’élégance de la mise en scène comprise. Un film maitrisé (quel sens de la construction du récit !) sur l’inconstance, sur nos conflits intérieurs, des variations auxquelles font écho les musiques de Chopin, Debussy, Vivaldi, Mozart qui accompagnent cette promenade au charme renversant. Une histoire non pas d’amour mais de sentiments qui se déguste sans modération… qui nous dit que « l'amour c'est quelque chose de grave et c'est justement parce que c'est grave que c'est important et que c'est beau », « Pour qu'il y ait une faute il fa utqu'il y ait une règle bien claire mais en amour quelle est la règle ? »,  «Le véritable amour ne s'intéresse qu'au bonheur de l'autre. Il ne se soucie pas de posséder. », « C'est fou comme quelques mots alignés les uns derrière les autres peuvent changer quelque chose en nous. » Sélection Cannes 2020.  

    UN FILS de Mehdi M.Barsaoui

    Farès et Meriem forment avec Aziz, leur fils de 9 ans, une famille tunisienne moderne issue d’un milieu privilégié. Lors d’une virée dans le sud de la Tunisie, leur voiture est prise pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé. Le film se déroule en 2011, année d’un tournant politique et social en Tunisie.  Le tsunami provoqué par l’accident sur la famille est aussi celui, politique, qu’a vécu le pays avec la chute de Ben Ali dans une Tunisie où règnent la corruption, les lois iniques, et rigoristes. Cette course contre le temps est haletante et comme dans les premières minutes de « Madre » l’identification est immédiate face à cette douleur absolue : la mise en danger d’un enfant face à laquelle les parents se sentent impuissants. Comme dans « Madre » toujours, le drame indicible fait frôler voire franchir les frontières de la morale et de la folie. Encore un premier long métrage, pour lequel Sami Bouajila a remporté le prix du meilleur acteur à Venise mais aussi aux @prixlumieres (Najla Ben Abdallah aurait aussi mérité d’être récompensée). Un drame intime aux frontières du thriller, là encore. Mais aussi un film politique et une radiographie de la société tunisienne de 2011. Le chaos politique fait ainsi écho au chaos intime, un piège inextricable, et l’exacerbe encore. Un suspense encore accru par la nervosité de la caméra à l’épaule au plus près de la solitude et de l’enfermement des personnages. Un suspense qui s’achève par un dernier plan qui suspend notre souffle au pardon possible.

    POLICE d’Anne Fontaine

    Police est l'adaptation du roman éponyme d’Hugo Boris. On y suit trois policiers parisiens : Virginie, Erik et Aristide, obligés d’accepter une mission inhabituelle : reconduire un étranger à la frontière. Sur le chemin de l’aéroport, Virginie comprend que leur prisonnier risque la mort s’il rentre dans son pays. Face à cet insoutenable cas de conscience, elle cherche à convaincre ses collègues de le laisser s’échapper. Anne Fontaine nous plonge dans l’intimité de ces trois policiers, leurs doutes, leurs fragilités, leurs blessures dissimulés derrière le masque de la fonction. Parfois la même scène est montrée sous trois points de vue différents, mettant ainsi en exergue la polysémie de la vie et de l’âme. L’éblouissante photo d’Yves Angelo nous donne l’impression que la caméra les caresse avec empathie, enfermés dans leurs cas de conscience. Là encore (décidément !), un drame intime aux frontières du thriller interprété par trois comédiens talentueux, Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois. Comme la caméra sur eux, l’étau se resserre, et le portrait de groupe devient un huis-clos oppressant. Passionnant !

    K CONTRAIRE de Sarah Marx

    Quand Ulysse, 25 ans sort de prison, il doit gérer sa réinsertion et la prise en charge de sa mère malade. Sans aide sociale, il lui faut gagner de l’argent et vite. Avec son ami David, ils mettent en place un plan : vendre de la Kétamine. Une drogue.  La même que celle avec laquelle on veut aussi soigner sa mère. D’où le K « contraire ». D’où le paradoxe. Comme celui du fils qui devient finalement le « parent » de sa propre mère. Comme cette vie « en liberté » qui devient finalement synonyme d’enfermement. Là encore un premier long métrage qui vaut d’abord pour sa mise en scène nerveuse et l’éclosion d’un acteur impressionnant (Sandor Funtek) face à une Sandrine Bonnaire qui l’est toujours autant.

    LA DERNIERE VIE DE SIMON de Léo Karmann

    Simon a 8 ans, il est orphelin et rêve de trouver une famille prête à l’accueillir. Mais Simon n’est pas un enfant comme les autres, il a un pouvoir secret : il est capable de prendre l’apparence de chaque personne qu’il a déjà touchée. Ce premier long métrage que j’ai découvert au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2019 est un hommage à Spielberg, Zemeckis, Cameron, à ces films à double lecture souvent, qui font briller autant les yeux des enfants que des adultes. Malgré ses brillantes références, il possède sa propre singularité. Celle d’un drame enchanteur. Un conte sombre, hybride, dans une Bretagne ensorcelante. Un conte merveilleux et cruel sur un amour sacrificiel qui évoque donc des sujets graves (deuil, maladie, quête d’identité, métaphore des mutations de l’adolescence) par le biais du fantastique. Un film à la hauteur de ses ambitions, avec un scénario d’une indéniable originalité, d’une réconfortante naïveté, et pourtant dénué de toute mièvrerie.

    LES PARFUMS de Grégory Magne

    Anne Walberg (Emmanuelle Devos) est « nez » : elle crée des fragrances et vend son incroyable talent à toutes sortes de sociétés. Véritable diva, elle a pour nouveau chauffeur le seul qui n’a pas peur de lui tenir tête, sans doute la raison pour laquelle elle ne le renvoie pas. Ce film rempli de charme vaut avant tout pour son personnage féminin attachant, subtilement (d)écrit, dénué de manichéisme, et pour le formidable duo qu’elle forme avec le tout aussi juste Grégory Montel. Les personnages secondaires sont aussi particulièrement bien écrits. Une comédie délicieuse et séduisante.

    ADOLESCENTES de Sébastien Lifshitz

    Emma et Anaïs sont inséparables et, pourtant, tout les oppose. Adolescentes suit leur parcours depuis leurs 13 ans jusqu’à leur majorité. A travers cette chronique de la jeunesse, le film dresse aussi le portrait de la France de ces 5 dernières années. Quel talent, quelle patience, quelle acuité, quelle sensibilité faut-il pour atteindre un tel niveau d’intimité (sans que cela ne soit jamais impudique), une telle force dans chaque seconde de ce documentaire qui ressemble à une fiction tant la vie « a plus d’imagination que nous ». Ajoutez à cela une réalisation inspirée, la malice, la vitalité de ces deux adolescentes et vous obtiendrez un film fort et délicat où l’émotion est constamment présente. Un tableau saisissant de notre époque ( de ses drames aussi dont on revit toute l’horreur) mais aussi des réminiscences de ce âge, instant suspendu, fragile, fiévreux, où tout se décide, âge de tous les possibles, de tous les émois.  A la fois intime et universel, drôle, vif, émouvant, mélancolique, cruel parfois, ce documentaire est porté par une magie imprévisible, celle de la vie qui éclate sous nos yeux. Fascinant. Prix Louis-Delluc 2021.

    LA FILLE AU BRACELET de Stéphane Demoustier

    Lise (Melissa Guers), 18 ans, vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d'avoir son bac. Depuis deux ans, Lise porte un bracelet car elle est accusée d'avoir assassiné sa meilleure amie. Cet examen quasi clinique d’un procès est avant tout celui des adolescents d’aujourd’hui dont le procès permet finalement de livrer le portrait, comme des boîtes de gigogne qui délivreraient sans cesse de nouveaux secrets et feraient peu à peu tomber le masque d’impassibilité, sans pour autant lever complètement le mystère de celle qui est une inconnue pour ses proches. Un thriller intime sur une personnalité insaisissable, déstabilisante. Un scénario brillant (de Stéphane Demoustier) et des seconds rôles là aussi ciselés (Anaïs Demoustier en avocate générale, Chiara Mastroianni et Roschdy Zem en parents dépassés). Une démonstration implacable et glaçante.

    Retrouvez la plupart de ces films sur Universcine.com.

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  • Lecture (incontournable) - « L’échelle des Jacob » de Gilles Jacob (Grasset)

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    Selon Oscar Wilde, «L’émotion nous égare : c’est son principal mérite.» Alors, sans doute faudra-t-il me pardonner les égarements et digressions de cet article dicté uniquement par l’émotion suscitée par ce livre, le dernier de Gilles Jacob intitulé « L’échelle des Jacob » (Grasset), en librairie aujourd'hui. 

    En 2014, lorsque Gilles Jacob quitta la présidence du Festival de Cannes (tout en restant à la tête de la Cinéfondation qu'il a créée), s'afficha sobrement derrière lui sur la scène du festival un discret "Au revoir les enfants", une révérence tout en malice et pudeur. Mais aussi une référence à un moment crucial de son histoire, de l'Histoire. 70 ans après, comme un signe aux méandres du destin. Ce moment terrible  où tout aurait pu basculer. Où s'il n'était pas resté immobile et silencieux dans l'ombre, jamais il ne serait retrouvé sous les projecteurs du Festival de Cannes, à mettre les autres en lumière...

    Ainsi, cette histoire-là, celle de L’échelle des Jacob ne commence pas sous les flashs du Festival de Cannes mais dans une ferme en Lorraine, là où un certain Auguste Jacob, le grand-père de Gilles Jacob décida de monter à Paris. Le début de l’histoire d’une famille française. Avec ses « heures de gloire, celle de son père André, héros de la Première guerre, du cousin François, Compagnon de la Libération et prix Nobel. Mais aussi avec ses heures sombres (l’Occupation, l’exode, un dramatique secret). » « J’ai voulu raconter un peu plus qu’une affaire de famille. Une histoire française prise dans la tourmente du siècle et les tourments intimes » nous explique Gilles Jacob. C’est en effet un peu plus. Beaucoup plus. Ici, on oublierait presque que l’auteur de ce livre est celui qui, depuis 1964, a fréquenté le festival « 52 fois 3 semaines, 5 ans » de sa vie (comme journaliste, comme directeur, comme président.) Ce n’est pas le sujet. Dans chaque page palpite ainsi cet amour éperdu, et non moins lucide, du cinéma, de ses artistes et de ses artisans, écrivis-je ici à propos de son remarquable Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes (je vous invite à retrouver; ici, mon article à propos de ce livre indispensable pour tout amoureux du cinéma).

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    Gilles Jacob dont chaque livre est une déclaration d’amour, au cinéma et à ceux qui le font, a cette fois décidé de faire une déclaration d’amour, non pas au cinéma (même si, bien évidemment il se glisse dans ces pages) mais à sa famille, aux siens. Tout comme, dans le dictionnaire précité, cette déclaration d’amour au cinéma n’en était pas pour autant aveugle, levant le voile sur certains secrets sans jamais être impudique ni faire perdre au cinéma, à ceux qui le font et au festival, de leur mystère, Gilles Jacob livre ici avec lucidité le voile sur certains secrets de famille sans jamais que cela soit impudique. Je me souviens de la mélancolie poignante qui émanait des dernières pages de son roman Un homme cruel. De «ce quelque chose plus fort que la mélancolie », aussi, dont il parlait déjà dans J’ai vécu dans mes rêves comme un écho au chapitre Vieillir de son livre Le festival n’aura pas lieu, un chapitre sur le temps, ogre impitoyable, nous rappelant l’essentiel aux ultimes instants ou même parfois trop tard. Comme dans ses précédents ouvrages, Gilles Jacob n’est jamais aussi juste que lorsqu’il laisse la mélancolie affleurer. Avec les fantômes qu’elle transporte. De l’enfance. Des regrets. De la nostalgie. De la mort qui rôde. Du « long cortège des ombres ». Déjà, dans La vie passera comme un rêve, en 2009, autobiographie entre rêve et réalité, (dé)construction judicieuse à la Mankiewicz ou à la Orson Welles (celui à qui il doit son amour du cinéma), derrière les lumières de la Croisette, Gilles Jacob nous laissait deviner les ombres mélancoliques de l’enfance. Déjà, dans Les pas perdus, en 2013, il jonglait avec les mots et les films mais aussi avec les années et les souvenirs. Un voyage sinueux et mélodieux dans sa mémoire composée de rêves derrière lesquels on devinait les souvenirs, plus sombres, de celui qui a « vécu dans ses rêves ». Déjà, dans Le Festival n’aura pas lieu, en 2015, derrière les traits de Lucien Fabas se faufilait cette même mélancolie de son auteur. Déjà, dans Un homme cruel, en 2016, ce voyage à travers la vie romanesque de Sessue Hayakawa, l’histoire vraie d’une star tombée dans l’oubli, l’éternelle histoire de la versatilité du public et du succès, de la gloire éblouissante et de l’oubli assassin, de la dichotomie entre son être et l’image, oui, déjà s’esquissait le portrait de son auteur.

    Alors, sans doute, chacun de ces livres contenaient-ils les prémisses de celui-ci. Après tout, un roman n’est-il pas toujours une vérité légèrement mensongère ? La vérité légèrement mensongère de son auteur. Ses précédents romans ne devaient-ils pas mener logiquement à ce livre dont la phrase d’exergue, de John Updike, dans le si bien nommé Les larmes de mon père, en dit tant et si bien ? « Il est facile d’aimer les gens dans le souvenir ; la difficulté est de les aimer quand ils sont en face de vous. »

    Le récit épique de l’acte de bravoure de son père à la guerre 1914 par lequel débute le livre nous emporte d’emblée. Cette figure charismatique, sévère, complexe aussi, dont le portrait se dessine dans ces pages, tout en conservant une part de mystère insondable. C’est un passionnant voyage dans l’Histoire du 20ème siècle mais surtout dans le parcours et les tourments d’un homme et de sa famille. De l’insouciance d’avant-guerre « années de grande insouciance mais je ne le savais pas. On s’habitue facilement au bonheur » dans une bourgeoisie qui fait parfois songer à La Règle du jeu et Journal d’une femme de chambre, là où « le septième art était considéré avec dédain », de sa vocation de cinéphile qu'il doit à Miss Prosper, des vacances dans le cadre majestueux de L’Hermitage de Nice à l’Alumnat du Saint-Rosaire où il fut caché pendant la guerre. Deux mondes. Deux époques. Plusieurs vies. Avec lui, on se retrouve à l’hôtel Hermitage. Avec lui, on effectue cet exode, ce « voyage qu’il allait voir et revoir avec précision toute sa vie ». On sait que cela se finira bien pour lui. Mais on tremble, malgré tout. Pour l’enfant roi, « l’enfant-moi » du Boulevard Haussmann, celui qui un jour de 1944, à Nice échappa à la Gestapo (notamment grâce au barman Adolphe, cela ne s’invente pas !), et qui un autre jour, à l’Alumnat, se cacha derrière l’orgue de la chapelle pour survivre à l’intrusion des Allemands (la fameuse scène d’Au revoir les enfants de Louis Malle), celui qui, après les années d’insouciance, grandit « sans connaître autre chose que la peur ».

    Vous y croiserez bien sûr aussi quelques figures du cinéma comme Claude Chabrol, son camarade du lycée, qui lui enseignait le roman noir américain et le jazz ou encore Truffaut qui commençait toutes ses phrases « par oui, oui » même pour dire non. Vous y lirez ses débuts de critique avec la revue Raccords qu’il créa en 1949, ces deux vies qu’il mena de front, celle de critique et celle à la tête l’entreprise de son père, rôle lui fut imposé et qu’il est passionnant de découvrir. Il fut ainsi en même temps et pendant des années directeur à  la Toledo, là où il « apprit la nécessité de trancher » et critique. 

    Mais ceux que vous n’oublierez pas en refermant ces pages, ce sont surtout Denise, André, Jean-Claude, François, Jeannette. Sa mère. Son père. Son frère. Son cousin. Son épouse.

    Ce que vous n’oublierez pas en refermant ces pages, c’est le portrait magnifique de sa mère, leur « lien indéfectible, plus fort que tout », malgré la gifle d’enfance, malgré le temps dévoreur. Celle qui « a été là ». Toujours. Envers et contre tout. Celle qui lisait les entretiens d'Hitchcock et Truffaut en cachette.

    Ce que vous n’oublierez pas c’est son regard, le sens de la formule. Son regard acéré, lucide, mais toujours dénué de cynisme et d’esprit de revanche. Même quand il évoque les courtisans, qu’il égratigne doucement, même si là non plus n’est pas le sujet : « Lorsqu’on est au pouvoir, tout le monde est votre ami, on s’en aperçoit d’autant plus lorsqu’on n’y est plus. » Je repense à son injuste éviction du conseil d'administration du festival à la renommée et à l'essor duquel il a tant contribué, je repense à ses pages sur Ridicule de Patrice Leconte dans son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, film que je ne peux en effet jamais voir sans penser au festival tant ceux prêts à tuer pour et avec un bon mot, pour voir une lueur d'intérêt dans les yeux de leur public roi, pour briller dans le regard  du pouvoir ou d'un public, fut-ce en portant une estocade lâche, vile et parfois fatale, dans leur quête effrénée du pouvoir et des lumières, rappellent tant les manigances de certains au moment du festival : « Un triomphe salué comme tel. Entourages de ministres, de hauts fonctionnaires, de puissants, voire de directeurs de festivals, salués de rire devant ce ballet des courtisans sans voir le miroir que Leconte leur tendait », raconte ainsi Gilles Jacob dans son dictionnaire.

    Ce que vous n’oublierez pas, c’est qu’il lui a toujours fallu se « battre pour obtenir des choses qui n’étaient pas évidentes ou qui paraissaient trop faciles à première vue. » Ce que vous n’oublierez pas, c’est l’enfance de celui qui fut « pendant trente-huit années l’otage et l’amant du Festival de Cannes » malgré sa « timidité maladive » et son « désordre légendaire ».

    Ce que vous n’oublierez pas, c’est le portrait de son père, qui aurait pu être un personnage de cinéma, qu’il dépeint sans manichéisme, homme dur, malgré les souvenirs de rares éclats de tendresse de l’enfance, dont on se dit que malgré tout, il parvint à « l’aimer dans le souvenir ».

    Une histoire française. La sienne. Intime mais toujours pudique, écrite avec la délicatesse, l'attention aux autres et l'élégance morale qui caractérisent son auteur. Une histoire dont il a « gardé aussi l’envie de mordre la vie à pleines dents, la vie simple, l’amour de la famille, de ma femme, le rire d’un enfant, l’harmonie d’une sonate, la page d’un livre souvent lu, le partage d’un repas. L’envie, comme tout le monde, d’être heureux. » L’envie dont ce livre transpire. Malgré les drames. Malgré les obstacles. L’envie de « tenir bon et prendre la vie comme elle vient » parce qu’ «il n’y a pas le choix », comme le dit cette citation qu’il emprunte à Philip Roth.

    Et puis comme ça, sans prévenir, au fur et à mesure que se tisse l'histoire et que se dévorent les pages, comme un flot impétueux et ravageur, ses mots et l’émotion vous emportent, vous submergent, vous laissent ko. Quand les liens se distendent avec André (et pour cause, vous verrez !) et que ressurgissent les souvenirs de l’enfant à qui il apprit à monter à bicyclette. Réminiscences foudroyantes de l’enfance. Malgré tout. Il le nomme aussi André mais aussi « mon père », « papa », « p’pa ». Valse des identités et sans doute des sentiments à l’égard de celui qui fit souffrir Denise mais qui fut aussi le « petit gars de Nancy », soldat, marchand de biens, de nouveau soldat, prisonnier de guerre, directeur de société. La complexité d’une histoire française. Comme une autre. Et si  singulière. Quand il raconte cette nuit de 2014 au Carlton, l’année de sa dernière présidence, dans laquelle perce la nostalgie et que remontent aussi les souvenirs de « l’élégance viscontienne de l’hôtel Hermitage », lorsque le personnel leur fit une haie d’honneur à Jeannette et lui, cette « attention précieuse ». Et que son épouse, partageant son émotion, presse son bras. Toujours d'ailleurs, l'émotion, subrepticement, surgit, quand il parle de sa femme, Jeannette. Et cette phrase m'a bouleversée : « Quand nous ne serons plus là, je sais que je penserai toujours à elle ». Nous rappelant son récit à propos de ce film japonais vu à Chinatown mettant en scène ces amants inséparables dont on se demande presque s’il ne l’a pas inventé, comme une parabole de leur propre histoire. Quand il évoque sa mère, toujours aussi, et qui « Un matin de 1985 », « le 23 décembre », « ne se réveilla pas ». Quand il écrit cette phrase poignante à propos de son frère « J’ai pensé « C’est à toi maintenant de le protéger », et je n’ai pas su le faire. » Quand il n’arrête pas de penser que son père est mort seul. Toutes ces fois, l’émotion nous saisit, grandit, m’a saisie parce que si ce récit est personnel, il est aussi universel en nous renvoyant à nos disparus, que nous aurions toujours pu mieux protéger, aimer, comprendre, étreindre. Et aux regrets qui eux aussi nous étreignent.

    Jusqu’à la phrase finale que je vous laisse découvrir, à laquelle on ne peut que répondre que oui, sans le moindre doute, désormais, Jeannette, Denise, André, François, Jean-Claude, et même Auguste et Lambert, ses grands-pères, qu’il ne connut jamais, et même les rôles secondaires et pourtant tellement essentiels comme le barman Adolphe, le père Bruno, un Juste, ils feront partie de notre univers, seront intégrés à la mémoire de notre propre vie, à la farandole de personnages qui la peuple. Comme le sont toujours les personnages d’un livre qu’on n’oublie pas. Auquel des personnages marquants procurent vie, force, singularité, émotion. Un peu plus parce qu’ils furent réels. Et désormais immortels grâce à L’échelle des Jacob. Non, cher Gilles Jacob, vous ne serez plus seul à vous souvenir. Merci pour ce livre, cette « opération de séduction », victorieuse indéniablement. Merci pour eux. Merci à la boîte rouge en carton bouilli d’avoir réveillé les souvenirs enfouis. J’ai terminé cette lecture le cœur chaviré, et étrangement avec un peu de baume sur les blessures de l’âme ébréchée des fêlures incurables laissées par ses irremplaçables absents. Le cœur chaviré, enfin, en pensant aux larmes de nos pères qui charrient tant de mystères. Et en pensant qu’il n’est jamais trop tard pour tenter de les comprendre.

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  • Critique - LE CERCLE ROUGE de Jean-Pierre Melville (de retour en salles le 4 novembre 2020)

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    Le retour en salles, le 4 novembre prochain, du chef-d'oeuvre de Melville, "Le cercle rouge"(1970) (grâce à Carlotta et Studio Canal, dans sa version restaurée 4K inédite, est pour moi l'excellent prétexte pour vous en parler en espérant ainsi vous donner envie de le (re)découvrir ainsi que les autres films de Melville parmi lesquels "Le Samouraï" (1967) et "L'armée des ombres"(1969) dont je vous parle aussi ci-dessous au gré de quelques (nombreuses) digressions.
     
    Synopsis : Le commissaire Matteï (Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s’enfuir et demeure introuvable malgré l’importance des moyens déployés. Au même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit dans sa cellule la visite d’un gardien venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l’affaire proposée par le gardien : le cambriolage d’une bijouterie de la Place Vendôme. Ils s’adjoignent ensuite les services d’un tireur d’élite : Jansen (Yves Montand), un ancien policier, rongé par l’alcool.
     
    Dès la phrase d’exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité :  "Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit :  Quand des hommes, même s'ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge ."
     
    Comment ne pas établir un parallèle avec le debut du "Samourai" dans lequel Melville parvient là aussi d'emblée à nous captiver et plonger dans son atmosphère, celle d’un film hommage aux polars américains… Le premier plan met en scène le Samouraï, à peine perceptible, fumant, allongé sur son lit, à la droite de l’écran, dans une pièce morne dans laquelle le seul signe de vie est le pépiement d’un oiseau, un bouvreuil.
     
    La chambre, presque carcérale, est grisâtre, ascétique et spartiate, avec en son centre la cage de l’oiseau, le seul signe d’humanité dans cette pièce morte (tout comme le commissaire Mattei dans « Le Cercle rouge » a ses chats pour seuls amis).  Jef Costello est un homme presque invisible, même dans la sphère privée, comme son « métier » exige qu’il le soit. Le temps s’étire. Sur l’écran s’inscrit « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » ( une phrase censée provenir du « Bushido, le livre des Samouraï » et en fait inventée par Melville). Un début là aussi placé sous le sceau de la noirceur et de la fatalité.
     
    Même parallèle avec le début de "L'armée des ombres". Dès le premier plan, on éprouve là aussi cette sensation d’étirement du temps. La place est d’abord vide puis on entend les bruits de bottes hors champ puis on distingue les soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Puis vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre, pluvieuse, est déjà plantée. Le récit lui-même est claustrophobique, enfermé sur lui-même et semble sans issue. Ainsi, en effet, le film commence par une trahison et par le meurtre de celui qui a donné un résistant et il s’achève par l’exécution « nécessaire » de Mathilde (la Résistante incarnée par Simone Signoret) par ses propres compagnons. Le film commence à l’Arc de triomphe et s’achève à l’Arc de triomphe. Par ailleurs, les deux indices temporels sont ceux du début, le 20 octobre 1942 et de la fin, le 23 février 1943, un peu moins d’une année qui enferme le récit et les personnages dans leurs tragiques destins. Un sentiment oppressant se dégage du film et pas même les panneaux de la fin ne viendront le démentir puisqu’ils nous annoncent la mort de tous les protagonistes, le plus souvent torturés et exécutés. Ils nous renvoient ainsi au défilé militaire du début et ce qui s’est passé entre les deux semble n’y avoir rien changé, ce qui exacerbe encore l’horreur vaine des actes commis.
     
    Dans "Le cercle rouge", c’est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira là aussi tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policiers et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu’à l’inspecteur général qu'il est censé être pour qui les hommes sont « tous coupables ».
     
    Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l’un est policier et l’autre un prévenu. Il n’y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu’ils traquent sont des hommes seuls. À deux reprises, il nous est montré avec ses chats qu’il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l’alcool lui fait imaginer. Tous sont prisonniers. Prisonniers d’une vie de solitude. Prisonniers d’intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l’appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l’extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique. Implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d’une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu’elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).
     
    Dans "L'armée des ombres", c'était déjà là aussi un univers sombre, cruel, sordide qui nous était dépeint, rappelant l’univers de gangsters que Melville s’attache habituellement à filmer que ce soit dans "Le Doulos,", "le Samouraï" ou "Le deuxième souffle" etc.
     
    Les hommes de la Résistance sont là aussi plongés dans ce « cercle rouge », ce « cercle de la mort où les hommes se retrouvent tous un jour. Dans « Le Doulos », « Le Deuxième souffle » et même dans une autre mesure « L’armée des ombres », on retrouve toujours chez Melville cet univers sombre et cruel, et ces personnages solitaires qui firent dirent à certains, à propos de « L’armée des ombres » qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connue sous la Résistance. Dans les  films précédant « L’armée des ombres » comme « Le Samouraï », Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté. Les mêmes acteurs jouent d d'ailleurs dans ses deux « catégories » de films, encore faudrait-il y voir deux catégories distinctes car les points communs foisonnent. Ainsi Paul Meurisse et Lino Ventura étaient déjà à l’affiche du "Deuxième souffle" et Serge Reggiani avait interprété un rôle dans l"e Doulos". Par ailleurs, les poursuites rappellent celles entre policiers et truands. Ainsi, certaines scènes de "L’armée des ombres", sorties de leur contexte pourraient très bien figurer dans un film policier notamment lorsque Félix (Paul Crauchet) est arrêté dans une rue tranquille puis encadré et entraîné brutalement par deux hommes surgis de nulle part vers une voiture qui démarre en trombe. La chambre où le traître est exécuté rappelle ainsi celle de Costello/Delon dans "Le Samouraï". Leur allure vestimentaire rappelle également celle des gangsters, notamment le chapeau qu’arbore la plupart du temps les Résistants du film et qui renvoie au fameux chapeau de Costello dans "Le Samouraï". Gangsters et Résistants sont obsédés par le secret et les uns et les autres ont bien souvent une double vie.
     
    Les personnages vivent ici aussi dans la clandestinité afin de pouvoir réaliser leur objectif qui est de libérer la France tout comme ils vivent en clandestinité quand ils sont dans l’illégalité. Enfin, les protagonistes de ces deux types de films sont également soumis à la solitude, à l’angoisse, au danger. Dans "L'Armée des ombres", les Résistants ne sont pas des jeunes aventuriers intrépides comme on l’a souvent vu au cinéma. Melville casse délibérément cette image. Il montre des combattants de l’ombre dans leur quotidien. Ils se cachent, fuient, attendent dans un silence quasi absolu. On les voit douter des leurs convictions et parfois poussés par la peur à trahir, trahison qui engendre une exécution par la suite. On retrouve également l’influence du cinéma américain de ce cinéaste qui était un grand admirateur de Wyler. Melville rend même explicitement hommage au cinéma américain en reprenant le son du "Coup de l’escalier" dans la scène de l’ambulance où Mathilde vient sauver Félix. Ce son saccadé, haché, semble faire écho aux battements de cœur des Résistants que nous imaginons derrière leur impassibilité de façade. Ils martèlent aussi le temps qui passe et l’étirement des secondes dont chacune d’entre elles peut être décisive ou fatale. Tout comme le montrera ensuite Louis Malle avec le controversé Lacombe Lucien, la frontière entre le traître et le héros, l’homme de loi et le hors la loi, est bien fragile, surtout à cette époque troublée au cours de laquelle Melville nous montre ainsi qu’elle devait parfois être franchie, ainsi le nécessitait le passage de la lumière à l’ombre pour ensuite revenir à une autre lumière, celle de la Libération.
     
    Comme dans « L’armée des ombres », dans « Le Samouraï » déjà la claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les «couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici aussi souvent proches du noir et blanc et de l’obscurité.
     
    Le film est en effet auréolé d’une lumière grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces autres ombres condamnées à la clandestinité pour agir.
     
    Le scénario du "Samouraï" comme celii du "Cercle rouge" sert magistralement la précision de la mise en scène avec ses personnages solitaires, voire anonymes. C’est ainsi « le commissaire », fantastique personnage de François Périer en  flic odieux prêt à tout pour satisfaire son instinct de chasseur de loup (Costello est ainsi comparé à un loup) aux méthodes parfois douteuses qui fait songer à Mattei et à son « tous coupables » dans « Le Cercle rouge ». C’est encore « La pianiste » (même si on connaît son prénom, Valérie) et Jane semble n’exister que par rapport à Costello et à travers lui dont on ne saura jamais s’il l’aime en retour. Personnages prisonniers d’une vie ou d’intérieurs qui les étouffent comme dans « Le cercle rouge ».
     
    Avec "Le Samouraï', film noir, polar exemplaire, Meville avait inventé un genre, le film melvillien avec ses personnages solitaires portés à leur paroxysme, un style épuré d’une beauté rigoureuse et froide et surtout il avait déjà donné à Alain Delon l’un de ses rôles les plus marquants, finalement peut-être pas si éloigné de ce samouraï charismatique, mystérieux, élégant et mélancolique au regard bleu acier, brutal et d’une tristesse presque attendrissante, et dont le seul vrai ami est un oiseau. Rôle en tout cas essentiel dans sa carrière que celui de ce Costello auquel Delon lui-même fera un clin d’oeil dans « Le Battant ». Melville, Delon, Costello, trois noms devenus indissociables au-delà de la fiction.
     
    Évidemment, ce film ne serait sans doute pas devenu un chef d’œuvre sans la présence d’Alain Delon qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages froid, mystérieux, silencieux, élégant dont le regard, l’espace d’un instant face à la pianiste, exprime une forme de détresse, de gratitude, de regret, de mélancolie pour ensuite redevenir sec et brutal. N’en reste pourtant que l’image d’un loup solitaire impassible d’une tristesse déchirante, un personnage quasiment irréel (Melville s’amuse d’ailleurs avec la vraisemblance comme lorsqu’il tire sans vraiment dégainer) transformant l’archétype de son personnage en mythe, celui du fameux (anti)héros melvillien.
     
    De même déjà dans "Le Samouraï", le plan du début et celui de la fin se répondaient ainsi ingénieusement : deux solitudes qui se font face, deux atmosphères aussi, celle grisâtre de la chambre de Costello, celle, plus lumineuse, de la boîte de jazz mais finalement deux prisons auxquelles sont condamnés ces êtres solitaires qui se sont croisés l’espace d’un instant.  Une danse de regards avec la mort qui semble annoncée dès le premier plan, dès le titre et la phrase d’exergue là aussi comme dans "Le Cercle rouge". Une fin cruelle, magnifique, tragique (les spectateurs quittent d’ailleurs le « théâtre » du crime comme les spectateurs d’une pièce ou d’une tragédie) qui éclaire ce personnage si sombre qui se comporte alors comme un samouraï sans que l’on sache si c’est par sens du devoir, de l’honneur…ou par un sursaut d’humanité.
     
    Dans "Le cercle rouge" avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu’une parole ne soit échangée), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe là aussi un polar d’une noirceur, d’une intensité, d’une sobriété rarement égalées.
     
    Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c’est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l’alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s’il tourna ensuite « Le mur de l’Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ».  Ce sont pourtant d’autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour Le commissaire Matteï, Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.
     
    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu’il est l’auteur du scénario original et de cette idée qu’il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu’ j’ai tournés, parce que j’en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l’écrivant. »
    En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernières fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu’inoubliable. À (re)voir absolument de même que les autres films de Melville avec lesquels il forme une oeuvre dont chaque élément se fait brillamment écho.
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  • Projection de CAPHARNAÜM de Nadine Labaki au Festival du Film Francophone d'Angoulême au profit du Liban : infos et critique du film

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    Suite à la catastrophe survenue le 5 août dernier à Beyrouth, le Festival du Film Francophone d’Angoulême, qui aura lieu du 28 août au 2 septembre, a eu la bonne idée de vouloir apporter tout son soutien au Liban en programmant une projection exceptionnelle du film CAPHARNAÜM de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki. La séance aura lieu le lundi 31 août à 14h au CGR Angoulême - Méga CGR et la place est au prix de 5 €. Tous les bénéfices seront reversés à une association internationale pour soutenir les victimes. Une excellente raison de (re)voir ce film dont je vous parle ci-dessous. Les places sont disponibles dès maintenant, soit directement sur la page Facebook du festival dans l'onglet Tickets, soit sur le site internet du festival https://filmfrancophone.fr/. Une raison de plus, aussi, pour découvrir ce festival dont la programmation comme chaque année est particulièrement alléchante. Pour ma part, je serai au Festival du Cinéma Américain de Deauville qui débute juste après mais je vous recommande les deux événements si vous avez la possibilité d’assister aux deux. Le Festival du Film Francophone d'Angoulême sera ainsi le premier festival de cinéma depuis la crise sanitaire, l’occasion de soutenir un secteur particulièrement fragilisé. Au programme : une vingtaine d’avant-premières, des films en compétition (le jury est présidé par Gustav Kervern et Benoît Delépine), presque tous inédits, des films de la Semaine de la Critique etc. Le 1er septembre, vous pourrez aussi voir le documentaire « César Première » de Patrick Fabre (cf mon post instagram du 27.02.2020 pour en savoir plus sur ce documentaire que je vous recommande également).
     
    CRITIQUE  de  CAPHARNAÜM ( Prix du Jury et Prix de la Citoyenneté lors du Festival de Cannes 2018)
    À l'intérieur d'un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans, est présenté devant le juge. À la question : « Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ? », Zain lui répond : « Pour m'avoir donné la vie ! ». Capharnaüm retrace l'incroyable parcours de cet enfant en quête d'identité et qui se rebelle contre la vie qu'on cherche à lui imposer.
    Zain vit ainsi avec ses parents, frères et sœurs dans un appartement insalubre et spartiate qui appartient à un marchand du quartier pour lequel travaillent les enfants pour pouvoir payer le loyer. Ils transforment aussi des médicaments en stupéfiants avant de les revendre quand ils ne sont pas contraints de mendier dans la rue. Dans leur vie ne subsiste ainsi aucune lueur, ni d’enfance, ni de joie, ni d’espoir, comme dans le regard de Zain qui, à lui seul, semble exprimer toute la colère et la détresse de ses frères et sœurs face à ce quotidien misérable. Il ne s’adoucit qu’en présence de sa sœur Sahar dont il comprend rapidement qu’elle va être vendue au boutiquier. Après avoir tenté en vain et avec opiniâtreté de la sauver de cette terrible destinée, il s’enfuit…
    Dès les premiers plans, le regard buté, boudeur, déterminé, et d’une tristesse insondable du petit Zain accroche notre attention et notre empathie pour ne plus les lâcher jusqu’à la respiration finale. Avant cela, constamment en mouvement, la caméra épouse sa fébrilité, et son énergie portée par sa rage contre les adultes, contre son destin, contre le malheur et la violence qui constamment s’abattent sur lui et qui le contraignent à en devenir un bien avant l’heure.
    Nous suivons Zain dans le chaos poussiéreux, ce dédale tentaculaire qu’est le bidonville de Beyrouth, ce capharnaüm gigantesque et oppressant. Téméraire, il tente de survivre malgré la dureté révoltante de son quotidien. Sur son chemin, il rencontre Cafardman, personnage burlesque, lunaire, drôle et tragique, qui semble là pour nous rappeler que « l’humour est la politesse du désespoir ».  Ainsi, dans ce capharnaüm, même les héros de l’enfance ont le cafard. Zain dort d’abord dans un parc d’attractions, celui où travaille Cafardman. Plans sublimement tristes de Zain qui erre dans ce lieu censé être de jeu et de joie devenu fantomatique et sinistre, comme un vestige de son enfance à jamais inaccessible et révolue. Il y rencontre une immigrée éthiopienne qui a quitté son travail d’employée de maison après être tombée enceinte.
    Elle élève seule Yonas, son bébé qu’elle entoure et grise d’amour, qu’elle cache aux autorités de crainte qu’ils ne soient expulsés.  A la tendresse dont elle entoure son bébé, s’opposent l’indifférence glaciale et même la violence et les coups que Zain a subis de la part de ses parents. Quand elle disparait, il s’occupe pourtant du bébé, le nourrit, le trimballe partout avec lui, et déploie une force admirable pour celui-ci. Leur duo improbable est poignant, d’autant plus que le bébé est d’une rare expressivité et que la réalisatrice en fait un personnage à part entière. Malgré tout ce qu’il a affronté et subi, ce petit homme qu’est Zain, malgré ce regard duquel semble avoir disparu toute candeur, conserve en lui une humanité salvatrice qu’il déploie pour s’occuper de Yonas comme un pied-de-nez à ce cercle vicieux de la violence et de l’indifférence et de l’absence de tendresse.
    Les acteurs sont des non professionnels dont l'existence tragique ressemble à celle des personnages, et l’émotion qui se dégage du film en est décuplée. La réalisatrice s’est ainsi véritablement imprégnée du réel. Elle a effectué trois années de recherche et le tournage a duré six mois avec plus de 520 heures de rushes. Au premier rang des acteurs, Zain, qui porte le même prénom que son personnage, et qui se nomme Zain Al Rafeea, un petit Syrien de 14 ans, réfugié au Liban avec sa famille et découvert par une directrice de casting à Beyrouth.  Avec son naturel déconcertant, son énergie phénoménale, sa force, son regard noir et déterminé, il crève littéralement l’écran et nous emporte avec lui dans sa course folle contre le destin et contre cette roue du malheur qui semble tout emporter et broyer sur son passage, a fortiori l’humanité.
    Quand enfin ce capharnaüm s’apaise, la lueur d’espoir qu’il laisse entrevoir est sidérante d’émotion. Comme une démonstration et une plaidoirie implacables du petit Zain et de tous les enfants qu’il représente. Le regard final face caméra, face au monde, face à nous et le sourire esquissé sont parmi les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir au cinéma. Une respiration, enfin, après cette étouffante descente aux Enfers sans répit, malheureusement celle que vivent tant d’enfants comme le petit Zain. Ce n’est pas pour rien que Nadine Labaki joue l’avocate qui défend Zain dans le procès qui l’oppose à ses parents. Rarement l’enfance maltraitée aura connu telle plaidoirie. Ajoutez à cela un souffle romanesque, une réalisation vive et inspirée et vous obtiendrez un film bouleversant d’une rare intensité et d’une force incontestable.
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  • Sortie DVD et Blu-Ray de MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan ce 8 septembre

    Ce 8 septembre sortira en DVD et Blu-Ray le formidable MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan. Les deux éditions contiennent de nombreux bonus, dont la conférence de presse au Festival de Cannes 2019 et dix minutes de scènes coupées inédites. L'occasion de vous parler à nouveau de ce film qui fut un de mes grands coups de cœur de l'année 2019 et que j'avais eu le plaisir de découvrir dans le cadre du Festival de Cannes 2019.

    Cette critique a été écrite suite à la projection du film dans le cadre du Festival de Cannes 2019.

    cinéma, Xavier dolan, Matthias et Maxime, Festival de Cannes 2019, 72ème Festival de Cannes, Gabriel D’Almeida Freitas

    L’émotion était au rendez-vous ce 22 Mai 2019 à Cannes dans le Grand Théâtre Lumière, pendant le film, et a fortiori lorsque la lumière s’est rallumée.  Comme le veut la nouvelle tradition à la fin de chaque projection officielle, un micro a été tendu au réalisateur pour qu’il prononce quelques mots. En larmes, Xavier Dolan, s’est ainsi exprimé : « Je ne pense pas que je pourrai parler longuement car je suis très ému. Cela fait tout de même 10 ans que je débarquais à Cannes avec « J’ai tué ma mère » et depuis cela a été tellement enrichissant, tellement de rencontres, tellement de moments comme ceux-ci…et merci, c’est tout… ». En larmes, je l’étais aussi après ce film pétri de tendresse, d’émotions, de vérité, d’audace. Et de talent.

    Présenté en compétition du 72ème Festival de Cannes, ce huitième film de Xavier Dolan est aussi son sixième présenté à Cannes. Ce huitième film de Xavier Dolan est reparti de Cannes sans prix. Il aurait pourtant pu prétendre à plusieurs d’entre eux, à commencer par celui du scénario. Cannes et Xavier Dolan, c’est déjà une longue histoire jalonnée de récompenses. En 2009, il réalise et produit à seulement vingt ans son premier long-métrage, « J’ai tué ma mère » présenté à la Quinzaine des Réalisateurs où il suscite un incroyable engouement en repartant avec 3 prix.  Suivront « Les amours imaginaires » et « Laurence anyways » en compétition à Un Certain Regard en 2010 et 2012. En 2013, « Tom à la ferme » ne sera pas à Cannes mais il reçoit le Prix Fipresci à la Mostra de Venise. « Mommy » a reçu le Prix du Jury du Festival de Cannes en 2014 et le César du meilleur film étranger. « Juste la fin du monde » en compétition en 2016 a reçu le Grand Prix.

    Très prolifique, Xavier Dolan, quelques mois avant le Festival de Cannes sortait le magnifique « Ma vie avec John F. Donovan ». Un film intime et universel. Passionné et passionnant. Épique et personnel. Moderne et intemporel. Sensible et fougueux. Mélancolique et enivrant. Un film dans lequel la sincérité affleure, comme dans tous les films de Xavier Dolan d’ailleurs, et nous touche en plein cœur. Un long métrage qui nous dit que les rêves et les mensonges peuvent sauver (tuer parfois, aussi). Quel plus bel hommage encore au cinéma que cette nouvelle mise en abyme ? La forme épouse le fond et ceux qui n'y ont vu qu'esbroufe sous-estiment Dolan, les mensonges du personnage de Donovan s'illustrant ainsi magistralement dans cette flamboyance hypnotique. La correspondance est comme un miroir, un révélateur entre ces enfances. Ce sont donc des êtres qui se répondent et réfléchissent, les affres de l'un condamnées à l'ombre éclairant finalement la vie de l'autre. Ce film, comme les précédents de Dolan, brasse de multiples thèmes chers à l'auteur et recèle de nombreuses scènes d'anthologie poignantes et/ou électrisantes, une fois de plus : sous la pluie, dans une salle de bain ou lorsque la ville semble comme survolée par un super héros et vue par le prisme d'un enfant rêveur. Avec, comme toujours dans les films de Dolan, une BO remarquable au service de l'émotion.

    Changement d’univers avec « Matthias et Maxime ». Deux amis d’enfance, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Matthias a une brillante carrière d’avocat devant lui, des airs de gendre idéal. Maxime a une vie plus chaotique. Ils viennent de milieux différents et une profonde amitié les lie. Suite à ce baiser d’apparence anodine, un doute récurrent s’installe, confrontant les deux garçons à leurs préférences, bouleversant l'équilibre de leur cercle social et, bientôt, leurs existences. 

    Le film commence ainsi par une longue scène de soirée entre amis, bouillonnante, débordante de vie, soirée de joyeuse confusion lors de laquelle les plaisanteries fusent. Immédiatement notre attention est captée par le naturel de la scène. Subrepticement s’y glissent des regards fuyants, une sensation de non-dit, le sentiment impalpable qu’une dissonance va venir briser l’harmonie, que les silences qui ponctuent cette cacophonie sont peut-être annonciateurs d’un orage. Erika, la sœur d’un de leurs amis, Rivette, jeune fille survoltée veut réaliser un petit film pour son école. Il faut trouver deux remplaçants aux deux amis qui se sont désistés et qui devaient interpréter les rôles. Les remplaçants, ce seront donc Matthias et Maxime. La scène du baiser ne nous est alors pas montrée mais alors que Matthias, en couple avec Sarah, semble ne pas y avoir accordé d’importance, pour Maxime, plus rien ne semble pareil. A quelques jours de son départ pour deux ans pour l’Australie, la confusion est désormais celle des sentiments.

    Le plan du début, d’un panneau publicitaire, montrant une famille soi-disant parfaite;, annonçait d’emblée que ce schéma ne serait pas si facile à briser, que cela ne serait pas sans heurts et sans blessures.

    Un schéma qui, comme le cadre, ce cadre, semble  enfermer Matthias et Maxime. Malgré les plaisanteries qu’ils partagent, Matthias et Maxime semblent  soudain étrangers à eux-mêmes, seuls, ailleurs, dans une bulle chacun de leur côté puisque Dolan ensuite nous les fait suivre, les séparant, les montrant si fébriles chacun de leur côté. Ils sont distraits par ce désir irrépressible et inattendu dont Dolan filme magnifiquement les moindres vacillements. Matthias qui aime reprendre les fautes sémantiques des autres semble soudain sans voix, ne plus trouver les mots pour exprimer cette confusion des sentiments qu’il fuit.

    "J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" disait Xavier Dolan citant Anatole France dans son discours, lyrique et émouvant, en recevant son Grand Prix pour "Juste la fin du monde". Avec "Matthias et Maxime", il prouve une nouvelle fois qu'il est le cinéaste des élans du cœur, qu'ils soient passionnés, amicaux, filiaux, à la fois fidèle à son univers si singulier et se réinventant sans cesse.

    Avec ce film dont le titre avec ces deux prénoms juxtaposés fait penser à ceux de Claude Sautet (cinéaste qu'il cite souvent et notamment "Un cœur en hiver", un de mes films préférés dont je vous parle souvent et dont je vous propose aussi la critique ici), - sans compter que le surnom de Maxime est Max, autre surnom indissociable du cinéma de Claude Sautet. Comme Claude Sautet, Xavier Dolan filme comme personne l'amitié, les regards éludés, la passion contenue, puis qui explose. Ardente. Sublime. Un film électrique comme cette scène alors que règne l’orage à l’extérieur (ou est-ce seulement dans mon imaginaire, en écrivant cette critique plus d'un mois après avoir vu le film). Comme cette  pluie qui, dans les films de Sautet, accélère et exacerbe l’expression des sentiments. Tant pis pour les haineux systématiques (qui lui donnent tort avant même de le voir ou l'entendre, qui ne supportent pas le talent a fortiori allié à l'enthousiasme et la jeunesse), Xavier Dolan est mon Claude Sautet des années 2000 et chacun de ses films m'envoûte et m'émeut autant. Infiniment.

    Comme Claude Sautet, Xavier Dolan a construit de magnifiques personnages, émouvants, attachants, vibrants de vie, à l’image de Maxime,  jeune homme en mal d’amour qui fuit sa mère et en même temps recherche son amour, un rôle de mère complexe et irascible qui incombe une nouvelle fois à Anne Dorval, à l’opposé de la mère de son ami Matthias, son autre famille.

     Sur la tombe de Claude Sautet est écrit "Garder le calme devant la dissonance". Dolan filme aussi la dissonance avec maestria.  Comme Claude Sautet, il filme ses beaux personnages, Matthias, Maxime et les autres, avec sensibilité et empathie, pour signer une "histoire simple", en apparence, si profonde en réalité, chaque seconde, même en apparence anodine, semble suspendue et contenir le désir impalpable qui remet tout en question.

    Dans une société du cynisme dans laquelle elles sont souvent méprisées, Xavier Dolan n’a pas pleur de laisser les émotions prendre le dessus et surtout de rester fidèle aux siennes, ou encore pour les souligner d'utiliser une chanson de l'Eurovision, qui sied parfaitement à l'émotion de la scène, dont le choix est déjà décrié par les pseudo-détenteurs du politiquement correct et du bon goût.

    Une fois de plus Xavier Dolan nous envoûte, électrise, bouleverse, déroute.  Il se fiche des modes, du politiquement correct, de la mesure, de la tiédeur et c’est ce qui rend ses films si singuliers, attachants, bouillonnants de vie, lyriques et intenses.  Surtout, qu’il continue à filmer les personnages en proie à des souffrances et des passions indicibles, qu'il continue à les soulever ces passions, à préférer leur folie à « la sagesse de l’indifférence », c’est si rare…  Qu’il continue à oser, à délaisser la demi-mesure, la frilosité ou la tiédeur, à se concentrer sur ceux qui voient ce que dissimulent le masque, la fantasmagorie, l’excès, la flamboyance et à ignorer ceux que cela aveugle et indiffère. Qu’il continue à toujours exalter ainsi la force de la passion et de l'imaginaire, et de faire de chacun de ses films une déclaration d'amour fou au cinéma, ce cinéma qui permet d'affronter les désillusions de l'existence et à chaque fois de prouver comme il le disait à Cannes que "tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais ».

    La réussite doit beaucoup aux choix de Gabriel D’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans les rôles respectifs de Matthias et Maxime, dans leurs différences (dans l’apparence, la manière de parler, bouger) qui semblent aussi les rendre complémentaires et dans le choix d'Anne Dorval, une nouvelle fois dans un rôle de "Mommy".

    Un film empreint de beaucoup de douceur et de tendresse, de passion aussi, d’audace visuelle et sonore, jalonné de ces scènes fortes indissociables des films de Dolan qui imprègnent notre mémoire comme ce plan final. Un moment suspendu. Un moment à retenir son souffle.  Et à continuer à vivre avec Matthias et Maxime dans nos imaginaires que Xavier Dolan sait tant titiller et enrichir. Un film enfiévré et mélancolique, électrique et nostalgique, porteur d’illusions et d’espoirs, comme une amitié amoureuse, ou comme un été qui s’achève, cet été qui s’achève.

    Il vous faudra patienter jusqu'au 16 octobre 2019 pour le découvrir en salles en France.

    Lien permanent Imprimer Catégories : IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) Pin it! 0 commentaire
  • Festival de Cannes 2020

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    Ce jour qui aurait dû être celui de l'ouverture de sa 73ème édition, je vous raconte ce que représente pour moi le Festival de Cannes... :

    « Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments » déclare le personnage incarné par Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse dans le film de Michael Haneke, Amour (palme d’or du Festival de Cannes 2012). Parce que dans mon "film de Cannes" il y aurait trop de souvenirs, de films magistraux ou de rencontres marquantes ou de moments inoubliables, inénarrables parfois, à citer ou raconter, j’ai plutôt choisi de vous parler des sentiments que m'inspire Cannes et dont je me souviens…

    Ce soir, L'Aquarium du Carnaval des animaux de Saint-Saëns ne résonnera pas sur la Croisette. Réminiscence émouvante de tant de souvenirs, depuis mon premier Festival de Cannes il y a 20 ans (grâce à l'écriture déjà, alors étudiante en sciences politiques grâce à un concours du Ministère de la jeunesse et des sports, j'avais remporté une semaine au festival avec le sentiment un peu coupable de faire l'école buissonnière mais surtout exaltant de faire un pas de plus vers cette passion pour le cinéma qui m'animait depuis l'enfance), sans imaginer alors que 18 autres lui succéderaient. Ce soir, je ne déambulerai pas dans ce labyrinthe délicieusement inextricable dont les frontières sont délimitées par les confins d’une ville appelée Cannes qui, pendant douze jours, devient le centre du monde. Ou du moins nous en donne la troublante illusion. Parce que là bat le cœur exalté et insatiable du cinéma soudain omniprésent, omniscient, omnipotent même. Jours et nuits, réalité et fiction s’y imbriquent et confondent. A voyager immobiles dans les cinématographies du monde entier, à regarder la réalité du monde, poétique parfois, âpre souvent, confortablement installés à l’abri de ses tumultes. Miroir grossissant et informant du monde. Un monde dont ce festival met en lumière les ombres et les blessures alors que, n’étant pas à un paradoxe près, il nous en tient tellement éloignés. Avec cette Croisette insolemment insomniaque où se frôle une faune excentrique et volubile. Là se réunissent des curiosités inextinguibles pour le cinéma et la vie qui s’y entremêlent, s’y défient et entrechoquent. Tourbillon de cinéma avec ses rituels, dérisoires et soudain essentiels. 

    A Cannes, nous sommes tous des enfants gâtés et capricieux qui oublions le lendemain, qui oublions que tout doit finir un jour, que la vie ne peut être une fête et un spectacle et une histoire et une nuit sans fin. Cannes et sa frénésie : de fêtes, de bruit, de rumeurs, de scandales, et de cinéma heureusement. Cannes effervescente qui s’enivre de murmures, qui se grise de lumières fugaces.  Cannes où des rêves achoppent, où des projets s’esquissent, où des carrières s’envolent, se brisent aussi parfois, où des films vous éblouissent, où des regards étincellent, où des cinéastes émergent, se révèlent au monde, nous révèlent un monde. Le leur. Le nôtre. Cannes et sa palme. D’or et de bruit et de lumières. Tonitruante, retentissante, scintillante. Cannes aux intentions pacifistes, aux débats presque belliqueux. Cannes paradoxale.  Multiple et unique. Lumineuse et violente. J’y ai découvert des films inoubliables, j'y ai assisté à des master classes passionnantes et j’y ai vécu des moments uniques, insolites et irréels et improbables aussi, parfois plus encore que ceux auxquels je venais d’assister sur les écrans. J’y ai ressenti de formidables frissons cinéphiliques. De bonheur. D’effroi. De tension. Cannes, étourdissant manège pour cinéphiles. Même si je connais les pièges et revers de ce théâtre des vanités, cette comédie humaine fascinante et terrifiante (un peu, parfois, aussi), la versatilité des personnalités et avis pour un sursaut d'orgueil. Même si je sais que tant d’illusions s’y fracassent, que Cannes peut encenser, broyer, magnifier, dévaster et en a perdu certains à force de les éblouir, les fasciner, les aliéner.

     

    Ainsi, j’aime :

     

    Entendre le petit cliquetis lorsque les contrôleurs scannent les badges à l'entrée de la salle Debussy ou du Grand Théâtre Lumière comme un passeport pour le paradis, celui des cinéphiles. Me laisser envoûter par le lever du soleil en allant à la première projection du matin sur une Croisette alors étrangement déserte et sereine et avoir l’impression que l'avenir m’appartient, soudain sans un nuage pour l'assombrir. Oublier que ce tourbillon enivrant de cinéma ne durera pas toujours, que les nuages reviennent forcément un jour ou l'autre, et que des illusions s’y perdent, aussi. Avoir le cœur qui bat la chamade en entrant dans le Grand Théâtre Lumière, comme la première fois où je découvrais cet antre du cinéma. Ce moment palpitant lorsque la salle est plongée dans le noir et avant que ne s’allume l’écran lorsque le souffle de la salle est suspendu à ces premières images qui nous happeront dans un nouvel univers, un nouveau monde, une nouvelle aventure. Ce moment à la fin du film où, aussi, la salle retient son souffle, avant de se taire, glaciale, ou d'applaudir, éperdue de reconnaissance. Rarement dans la demi-mesure. Lorsque les applaudissements semblent ne devoir jamais arrêter leur course folle et s'élancent en une vague de gratitude. Cette bulle d'irréalité où les émotions, les joies réelles et cinématographiques, si disproportionnées, procurent un sentiment d'éternité éphémère. Parler cinéma à toute heure du jour et de la nuit. Redécouvrir des classiques du cinéma à Cannes classics, ceux par lesquels j'ai commencé à l'aimer et se dire que la boucle est bouclée et que tout recommence, toujours. Découvrir des pépites du septième art et en être exaltée. Être heurtée, brusquée par un film et en être exaltée, aussi, malgré tout. Gravir les marches les plus célèbres du monde au son de la musique sous un soleil éblouissant et, l'espace d'un instant, être envahie par l'irréalité étincelante que procure ce moment qui suspend le vol du temps et la conscience et la terreur de la fin, de toute fin. Sortir d'une projection tardive, un peu étourdie, éblouie, et de retour sur la Croisette, être portée par la force ravageuse d’un film, avec l’impression d’être dans son prolongement ou dans le plan-séquence d’un long-métrage inédit de Fellini où se côtoieraient les êtres les plus élégants et les dégaines les plus improbables. Retrouver celles et ceux que je ne croise qu'une fois par an là-bas et avoir l'impression de les avoir quittés la veille. Et ainsi avoir le sentiment que Cannes abolit toutes les frontières, même celles du temps. Cette impression que tout y est possible, que cela ne s’arrêtera jamais. Être fascinée devant un film (hongrois en l’occurrence) et l’instant d’après, sur le toit du palais des festivals, regarder le soleil décliner, face à une vue à couper le souffle, tout en écoutant religieusement Michel Legrand réinterpréter magistralement avec une générosité et une énergie admirables la musique des Parapluies de Cherbourg sur différents tempos, nous procurant la sensation de nous envoler et de voltiger comme dans ledit film, mais aussi que rien n'est impossible, a fortiori si on le rêve ardemment. Et puis tant de mises en abyme. Comme celle d'assister à un chef-d’œuvre, 46 ans après sa palme d'or, accessoirement mon film préféré, assise derrière ses protagonistes et de les voir signifier ainsi la déliquescence du monde que le film reflète, sublimes encore, terrassés par l'émotion de se revoir éclatants  de jeunesse et de vitalité, bouleversants. Ces deux souvenirs parmi une multitude d'autres car ils illustrent cette mise en abyme. À Cannes, la frontière entre l'écran et la réalité est si ténue qu'ils semblent même parfois s'entrelacer comme dans La rose pourpre du Caire.

     

    J’aime moins :

     

     Quand Cannes devient théâtre des vanités. Là tout est démultiplié. Les émotions. Les solitudes qui se grisent et s’égarent et se noient dans la multitude. Les soirées sans fin, sans faim à force d’être enchaînées pour certains. La foule pressée et ha-ra-ssée du festival qui, mieux que nulle autre, sait être passionnément exaltée et aussi impitoyable avec la même incoercible exaltation. Cette valse troublante des apparences que Cannes exhale et exhibe, adore et abhorre. Cannes décidément si versatile...Les parures d’orgueil que revêtissent ceux qui s’y donnent ainsi l'illusion d’exister.  Ceux qui s’émeuvent et s’offusquent des drames mis en lumière sur l’écran mais qui sont totalement insensibles à ceux qui se produisent au même moment, dans l’ombre, au-delà des frontières du labyrinthe. La volatilité de l’attention, aux autres et à l'instant, là où pourtant on célèbre « un certain regard ». Les semblants d’amitiés piétinées sans vergogne pour grimper dans l’échelle de la vanité. Les personnalités qui se révèlent, tristement parfois, dans ce théâtre des apparences car là plus qu’ailleurs, les personnalités peuvent prendre des reflets changeants, finalement éclairants, révélant le portrait de Dorian Gray en chacun.  L’exacerbation par la hiérarchie festivalière des rancœurs de ceux qui sont "en bas" et la vanité de ceux qui sont en "haut" de cette hiérarchie et qui croient y déceler là un signe de leur supériorité, et qui oublient que, au bout de dix jours, l’égalité et la réalité reprendront leurs droits. Les Georges Duroy, Rastignac, Lucien de Rubempré de ce siècle qui s’y croisent, s’y défient, s’y méprisent.

     

    Ces contrastes et paradoxes, excès et contradictions, me font parfois hésiter à revenir mais la passion du cinéma l'emporte toujours. Parce que chaque année, lorsqu'arrive le dernier jour de cet enivrant oubli de l'ailleurs et du lendemain qui nous laisse grisés et légèrement désenchantés, le sentiment persistant est celui que laisse un grand film, un magma d’émotions et de réflexions. Alors, il faut souvent un peu de recul pour les appréhender, pour découvrir quelles images auront résisté à l’écoulement du temps, aux caprices de la mémoire, à ce flux et flot d’informations ininterrompues. Ce dernier jour, j’ai toujours un peu l'impression que le festival vient de commencer et de l'avoir traversé comme un rêve éveillé, même émaillé de quelques visions cauchemardesques mais surtout de souvenirs qui soudain semblent irréels. Alors, brusquement je réalise que le tour de manège est terminé et j'aimerais remonter le temps pour revenir au premier jour quand les films que j'y ai découverts n'étaient encore que des mystères, comme autant de cadeaux à déballer.

     

    Et puis de tout cela, même si le festival n’aura pas lieu cette année, reste l’essentiel : des amitiés précieuses.  Et l’amour, fou, du cinéma. Le Festival de Cannes n’aura en effet pas lieu cette année (des films se verront simplement attribuer le "label Cannes"). Mais d’autres « petits » festivals (qui présentent l’avantage de n’être pas aussi des théâtres des vanités et qui mettent en lumière des films qui le méritent tout autant que ceux présentés à Cannes) devraient pouvoir se dérouler (je leur souhaite et le souhaite pour le cinéma) alors…quand le temps sera venu et si vous en avez la possibilité, profitez-en pour partir à leur découverte parce que ces derniers et les films qui y seront projetés et ceux qui ont travaillé à leur élaboration en auront plus que jamais besoin alors que le Festival de Cannes est un navire insubmersible qui, forcément, se remettra à flots. En attendant, et plus que jamais : vive le cinéma !

    Pour retrouver l'ensemble de mes articles sur le Festival de Cannes, rendez-vous sur http://inthemoodforcannes.com.

     

  • Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz 2020 : l'affiche

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    "L'espoir est une mémoire qui désire" écrivait Balzac. C’est cet avenir empli d’espoir nourri de la mémoire de toutes les pépites sur lesquelles le Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz et son directeur artistique Patrick Fabre ont braqué un projecteur (A peine j’ouvre les yeux, Jusqu’à la garde, Les Invisibles, J’enrage de son absence, Olli Maki, Le Géant égoïste, Une bouteille à la mer, Compte tes blessures, Respire…parmi tant d'autres) que cette affiche du Festival International de Saint-Jean-de-Luz met doublement à l’honneur.

    Irradiée de lumière, en mouvement et tournée vers l’avenir, elle est à l'image du cinéma que célèbre ce festival car demain à nouveau et plus que jamais nous embrasserons cette vie que le cinéma exhale et exalte.

    Cette affiche ensoleillée réalisée par Manuel Moutier met aussi en lumière Rod Paradot, l’inoubliable Malony de La tête haute d’Emmannuelle Bercot. Il y incarne avec une maturité étonnante cet adolescent insolent et bravache qui n’est au fond encore que l’enfant qui pleure des premières minutes du film. Un film là aussi riche de croyances en l’avenir qui raconte que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend. Un film qui s'achève en ouvrant sur un nouveau départ. Un espoir, donc. (en bonus, ci-dessous, ma critique complète du film)


    Un festival ressemble à un film : un concentré d’émotions exacerbées, de rencontres parfois insolites, sur les écrans et en dehors, un début, une fin, des rebondissements, et une concentration spatio-temporelle. Si ce festival était un film, ce serait le mélange détonant entre le cinéma de Sautet et celui de Fellini : une célébration amicale du cinéma dans une atmosphère joyeusement surréaliste, dans le décor de cinéma de Saint-Jean-de-Luz, entre océan parfois tumultueux et montagne stoïque, à quelques pas de l’Espagne, si bien que vous entendez plus souvent la langue de Cervantès que celle de Molière, si bien que vous avez l’impression que, là-bas, dans ce doux ailleurs, l’actualité marque une pause même si les films l’éclairent souvent judicieusement. Ce serait un road movie, fenêtre ouverte sur des mondes. Ce serait un film utopique où tout le monde est bienveillant, là pour l’amour du cinéma, un cinéma ouvert sur l’extérieur et sur  les autres.

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     Selon Saint-Exupéry "Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction" : ainsi, avec tous ces regards avides tournés vers un même écran, le cinéma serait-il le paroxysme amoureux ? Ne nous fait-il pas régulièrement chavirer d’émotion(s) ? Ne nous rend-il pas souvent plus clairvoyants ? Plus intensément vivants même parfois ? Comme Amélie Poulain, n’avez-vous jamais éprouvé la tentation de vous retourner pour regarder cette salle envoûtée? (Moi, si). Je l’aime un peu, beaucoup, passionnément ce cinéma. Mais que serait-il ce palpitant voyage immobile, ce jubilatoire rendez-vous avec des destins capturés ou sublimés, sans cet antre familier évocateur et projecteur de mystères qui en exalte et exacerbe la puissance évocatrice ? Des rêves bridés. Une fenêtre sur le monde seulement entrebâillée. Une étreinte avec l'imaginaire bâclée.

    Incomparable est la fébrilité impatiente d'une salle qui retient son souffle quand le générique s'élance ou à la fin juste avant qu'un film ne balbutie ses derniers secrets. Et ce bruissement quand une salle entière vacille de la même émotion ! Et cet étourdissement quand on ressort de la salle, ignorant la foule et la réalité et le présent et le lendemain et même que tout cela n'est "que" du cinéma, transportés ailleurs, loin, avec l'envie parfois même de "chanter sous la pluie" et de croire en tous ces (im)possibles auxquels il donne vie et invite et incite ! Sans salle de cinéma, lanterne décidément magique qui suspend le vol de notre temps insatiablement impatient, le 7ème art, comme le personnage de Gabin dans "Le jour se lève", a "un œil gai et un œil triste". Et moi aussi j'ai l'impression de ne voir qu'à demie émotion ou indistinctement ces images qui méritent d'étinceler. En attendant de retrouver les salles obscures, braquons la lumière sur les festivals de cinéma particulièrement ébranlés aussi en ce moment et qui en décuplent les émotions, et en révèlent les talents. Indispensables, espérons qu'ils ne seront pas les oubliés des mesures prises aujourd'hui pour soutenir le monde de la culture.

    Le Cinéma Le Sélect dans le cadre duquel se déroule le festival vient d’ailleurs de recevoir le prix mérité de 2ème meilleur cinéma de France. Bravo au passage à l'équipe de passionnés du Sélect.  Petit aparté pour vous dire que vous pouvez aussi le retrouver dans mon recueil de nouvelles Les illusions parallèles (une des nouvelles se déroule intégralement dans le cadre du festival...et un des personnages est ouvreuse au Sélect).


    La 7ème édition du festival aura lieu du 5 au 11 octobre 2020. Alors, "la tête haute", croyons en de heureux hasards (et des lendemains meilleurs où, à nouveau, nous irons tous au cinéma et en festivals, indispensables pour mettre en lumière le 7ème art et a fortiori les films plus fragiles mais non moins éblouissants, à l'image de cette radieuse affiche) car pour terminer comme j'ai commencé, par une citation de Balzac : "Le hasard est le plus grand romancier du monde." Non ?

     

    Critique La tête haute d'Emmanuelle Bercot (écrite suite à la projection du film en ouverture du 68ème Festival de Cannes)

    La tête haute, Emmanuelle Bercot, cinéma, film,

    "La tête haute" était le film d'ouverture du 68ème Festival de Cannes.Le temps de débarrasser la scène du Grand Théâtre Lumière des apparats de l’ouverture de ce 68ème Festival de Cannes, et nous voilà plongés dans un tout autre univers : le bureau d’une juge pour enfants (Catherine Deneuve), à Dunkerque. La tension est palpable. Le ton monte. Les éclats de voix fusent. Une femme hurle et pleure. Nous ne voyons pas les visages. Seulement celui d’un enfant, Malony, perdu au milieu de ce vacarme qui assiste, silencieux, à cette scène terrible et déroutante dont la caméra frénétique accompagne l’urgence, la violence, les heurts. Un bébé crie dans les bras de sa mère qui finalement conclut à propos de Malony qu’il est « un boulet pour tout le monde ». Et elle s’en va, laissant là : un sac avec les affaires de l’enfant, et l’enfant, toujours silencieux sur la joue duquel coule une larme, suscitant les nôtres déjà, par la force de la mise en scène et l’énergie de cette première scène, implacable. Dix ans plus tard, nous retrouvons les mêmes protagonistes dans le même bureau …

    Ce film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma et l’univers si fort et singulier avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là. Depuis, je suis ses films avec une grande attention jusqu’à « Elle s’en va », en 2013, un très grand film, un road movie centré sur Catherine Deneuve, « né du désir viscéral de la filmer ». Avant d’en revenir à « La tête haute », je ne peux pas ne pas vous parler à nouveau de ce magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout. C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va » montre que, à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour. « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’étreindre le présent. ( Retrouvez ma critique complète de ELLE S'EN VA en cliquant ici.)

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    Et contre toute attente, c’est aussi l’effet produit par « La tête haute » où il est aussi question de départ, de nouveau départ, de nouvelle chance. Avec beaucoup de subtilité, plutôt que d’imprégner visuellement le film de noirceur, Emmanuelle Bercot a choisi la luminosité, parfois le lyrisme même, apportant ainsi du romanesque à cette histoire par ailleurs particulièrement documentée, tout comme elle l’avait fait pour « Polisse » de Maïwenn dont elle avait coécrit le scénario. Le film est riche de ce travail en amont et d’une excellente idée, celle d' avoir toujours filmé les personnages dans un cadre judiciaire : le bureau de la juge, des centres divers… comme si toute leur vie était suspendue à ces instants.

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    Le grand atout du film : son énergie et celle de ses personnages attachants interprétés par des acteurs judicieusement choisis. Le jeune Rod Paradot d’abord, l’inconnu du casting qui ne le restera certainement pas longtemps et qui a charmé l’assistance lors de la conférence de presse cannoise du film, avec son sens indéniable de la répartie (« la tête haute mais la tête froide »…), tête baissée, recroquevillé, tout de colère rentrée parfois hurlée, dont la présence dévore littéralement l’écran et qui incarne avec une maturité étonnante cet adolescent insolent et bravache qui n’est au fond encore que l’enfant qui pleure des premières minutes du film. Catherine Deneuve, ensuite, une nouvelle fois parfaite dans ce rôle de juge qui marie et manie autorité et empathie. L’éducateur qui se reconnaît dans le parcours de ce jeune délinquant qui réveille ses propres failles incarné par Benoît Magimel d’une justesse sidérante. La mère (Sara Forestier) qui est finalement l’enfant irresponsable du film, d’ailleurs filmée comme telle, en position fœtale, dans une très belle scène où les rôles s’inversent. 

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    Ajoutez à cela des idées brillantes et des moments qui vous cueillent quand vous vous y attendez le moins : une main tendue, un « je t’aime »furtif et poignant, une fenêtre qui soudain s’est ouverte sur « Le Monde » (littéralement, si vous regardez bien…) comme ce film s’ouvre sur un espoir.

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    Après « Clément », « Backstage », «  Elle s’en va », Emmanuelle Bercot confirme qu’elle est une grande scénariste et réalisatrice (et actrice comme l'a prouvé son prix d'interprétation cannois) avec qui le cinéma va devoir compter, avec ce film énergique et poignant, bouillonnant de vie, qui nous laisse avec un salutaire espoir, celui que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend et qui rend un bel hommage à ceux qui se dévouent pour que les enfants blessés et défavorisés par la vie puissent grandir la tête haute. Un film qui « ouvre » sur un nouveau monde, un nouveau départ et une bouffée d’optimisme. Et ça fait du bien. Une très belle idée que d’avoir placé ce film à cette place de choix d'ouverture du 68ème Festival de Cannes et de lui donner cette visibilité.

    Conférence de presse

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    Ci-dessous, quelques citations de la conférence de presse du film à laquelle j’ai assisté à Cannes. Une passionnante conférence au cours de laquelle il a été question de nombreux sujets, empreinte à la fois d’humour et de gravité, puisqu’a aussi été établi un lien entre le choix de ce film pour l’ouverture et les récents événements en France auxquels le film fait d’ailleurs, d’une certaine manière, écho. Vous pouvez revoir la conférence sur le site officiel du Festival de Cannes. Dommage que Catherine Deneuve (étincelante) ait eu à se justifier (très bien d’ailleurs, avec humour et intelligence) de propos tenus dans la presse, extraits de leur contexte et qui donnent lieu à une polémique qui n’a pas de raison d’être.

    « Je tenais à ce que tout soit absolument juste » -Emmanuelle Bercot (à propos de tout ce qui se passe dans le cadre judiciaire où elle a fait plusieurs stages avec ce souci de vraisemblance et même de véracité). « Les personnages existaient avant les stages puis ont été nourris par la part documentaire ».

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    « La justice des mineurs est un honneur de la France » – Emmanuelle Bercot

    « Si c’est méchant, j’espère que c’est drôle ». – Catherine Deneuve à propos d’une question d’une journaliste au sujet de la caricature de Charloe Hebdo (très cruelle) à son sujet et qu’elle n’avait pas encore vue.

    « C’était très important pour moi que ce film ait son socle dans le Nord. » Emmanuelle Bercot

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    « Ouvrir le festival avec ce film est aussi une réponse à ce début d’année difficile qu’a connu la France. » Catherine Deneuve

    « En France, les femmes cinéastes ont largement la place de s’exprimer et énormément de femmes émergent. » E.Bercot

    « Moi c’est le scénario qui m’a beaucoup plu et tous les personnages. C’est un scénario qui m’a plu tout de suite. » Catherine Deneuve

    « Pour être star, il faut du glamour et du secret, ne pas tout montrer de sa vie privée. » – Catherine Deneuve

    « Il y a une matière documentaire très forte dans l’écriture, en revanche je ne voulais pas un style documentaire dans l’image. » Bercot

    Sara Forestier : « A la lecture du scénario, j’ai pleuré. Le film m’a piqué le coeur. »

    « C’est totalement inespéré que ce film soit à une telle place, c’est un grand honneur. » Emmanuelle Bercot

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