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Cinéma - Page 8

  • Dinard Festival du Film Britannique 2023 : le programme de la 34ème édition

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     Avant de vous parler du Festival du Cinéma Américain de Deauville en direct duquel je serai à partir de demain, je vous présente le programme du Dinard Festival du Film Britannique 2023 dont la conférence de presse a eu lieu ce matin, un festival qui demeure un rendez-vous cinématographique incontournable, convivial, très accessible, à la programmation exigeante, un festival auquel j’assiste régulièrement depuis ma participation à son jury en 1999, alors sous la présidence de l’irremplaçable Jane Birkin (ma lettre ouverte à cette dernière à lire ici). Je vous le recommande, d'autant plus que cette année, une fois de plus, le programme s'annonce alléchant.

    Du 27 septembre au 1er octobre aura ainsi lieu la 34ème édition du Dinard Festival du Film Britannique. La 33ème édition, dont vous pouvez lire mon compte rendu ici, avait couronné Emily de Frances O'Connor (à redécouvrir dans le cadre du pré-festival cette année, ma critique complète en bas de cet article). Un film au romantisme sombre, envoûtant, parsemé de références au roman mythique d'Emily Brontë (entre embardées dans le genre fantastique - dont une remarquable scène de dîner qui est aussi un hommage à la force poignante et dévastatrice de l’imaginaire - et relation tumultueuse et passionnelle avec son frère) et qui interroge intelligemment les rapports entre la fiction et la vie d'un (ou une) auteur(e), la part de vérité qu’elle ou il y puise pour nourrir son art, qu’il s’agisse de s’y sauver ou de s’y perdre.

    Après avoir permis la reconnaissance internationale de Joanna Hogg,le Dinard Festival du film britannique lève le voile sur une autre cinéaste pour cette 34ème édition.  Cette année sera proposé « À la découverte de Carol Morley », à travers quatre de ses films : Dreams of a Life (2011), The Falling (2014), Out of blue (2019), d’après Night Train de Martin Amis et son tout dernier, Typist Artist Pirate King (2023).

    Cette année, le jury sera présidé par Catherine Frot qui sera entourée d'Alice Isaaz, Nolwenn Leroy, Thierry Godard, Jonathan Zaccaï, Destiny Ekaragha, Amelia Gething. 

    En séance de gala sera projeté La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer ( Grand Prix du dernier Festival de Cannes que je vous recommande vivement et dont je vous parle, longuement, ici) et en clôture The Old Oak de Ken Loach.

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    Ci-dessus, photo de la présentation de "La Zone d'intérêt" de Jonathan Glazer au Festival du Cinéma Américain de Deauville

    Le programme se divise ainsi en 5 sections :

    Being There

    Films sur les situations inattendues de la vie : une rencontre fortuite menant à l’amour, la douleur d’un rejet, une rencontre tragique, un égoïsme omniprésent, tous capturent des moments qui changent une vie et la font basculer. Parfois avec des larmes, parfois avec des sourires.

    Dinard Cinema

    Des documentaires illustrant l’histoire riche et variée du cinéma, de l’effervescence du Festival de Cannes à une lecture pointue des films d’Alfred Hitchcock, en passant par la folie d’un cinéma londonien, la carrière de Ken Loach et les films tournés en Bretagne.

    Irish Eyes in Dinard

    De nouveaux drames et un film d’animation en provenance d’Irlande, notre très cher voisin à la fois proche et distant. Un film noir, une histoire d’amour, un sombre héritage familial et une célébration internationale de l’émancipation des femmes.

    It’s a Family Affair

    La famille. On peut l’aimer, on peut la détester, mais on ne peut pas l’ignorer. Huit histoires très différentes, chacune étant une exploration des complexités de la vie de famille et de ses absurdités, ses tragédies, l’affection qu’on lui porte, des désirs et des réconciliations.

    The Past is a Foreign Country

    Ce titre est ironique. L’histoire coloniale britannique en Palestine et en Irlande du Nord (Shoshana, Dead Shot), le système des classes (Mad About the Boy), la catastrophe d’Hiroshima (Kensuke’s Kingdom) et la recherche amusante d’un trésor (Detectorists) sont toujours d’actualité.

    Les films en compétition :

    THE TROUBLE WITH JESSICA de Matt Winn

    Being There

    GIRL de Adura Onashile

    It’s a Family Affair

    SCRAPPER de Charlotte Regan

    It’s a Family Affair

    SILENT ROAR de Johnny Barrington

    It’s a Family Affair

     SILVER HAZE de Sacha Polak

    It’s a Family Affair

    THE EFFECTS OF LYING de Isher Sahota

    It’s a Family Affair

    Les films en compétition « Talents de demain » :

    IN CAMERA de Naqqash Khalid

    Being There

    TOI & MOI | RYE LANE de Raine Allen-Miller

    Being There

     BLUE BAG LIFE de Rebecca Lloyd-Evans, Lisa Selby, Alexander Fry

    It’s a Family Affair

    SWEET SUE de Leo Leigh

    It’s a Family Affair

    En séance jeune public, vous pourrez découvrir : LES TOUBLEUS ET LES TOUROUGES de Samantha Cutler et Daniel Snaddon

    Comme chaque année, vous pourrez également découvrir des courts-métrages dans la sélection shortcuts et voter pour votre film préféré.

    Dans la section BEING THERE, vous pourrez également découvrir :

    HOW TO HAVE SEX de Molly Manning Walker (Prix Un Certain Regard du Festival de Cannes 2023)

    Dans la section Dinard ❤ Cinema :

    CANNES UNCUT de Richard Blanshard, Roger Penny

    KEN LOACH : LE VENT DE LA RÉVOLTE de Pierre Chassagnieux

    MY NAME IS ALFRED HITCHCOCK de Mark Cousins

    SCALA!!! de Ali Catterall, Jane Giles

    Dans la section Irish eyes in Dinard :

    BARBER de Fintan Connolly

    LIES WE TELL de Lisa Mulcahy

    MY SAILOR, MY LOVE de Klaus Härö

    Dans la section It’s a Family Affair :

    LITTLE ENGLISH de Pravesh Kumar

    Dans la section The Past is a foreign country :

    DEAD SHOT de Tom & Charles Guard

    DETECTORISTS de Mackenzie Crook

    LE ROYAUME DE KENSUKE de Neil Boyle, Kirk Hendry

    MAD ABOUT THE BOY : THE NOEL COWARD STORY de Barnaby Thompson

    SHOSHANA de Michael Winterbottom

    LES MASTERCLASS

    INITIATION AU DOUBLAGE

     Par Anthony Brutillot Anthony Brutillot, comédien professionnel, propose aux adultes et aux enfants de découvrir l'univers des studios de doublage en s'amusant.

    Au-delà de la salle 

    Avec NT Binh, Jean-François Baillon, Marine Bohin et Frame À l’occasion de la sortie du Dictionnaire du cinéma britannique (Vendémiaire), de NT Binh et Jean-François Baillon, la masterclass « Au-delà de la salle » permet de sonder les nouvelles formes de la critique de cinéma.

    FESTIVAL DES SCOLAIRES

    La semaine précédant le Dinard Festival du Film Britannique, six salles de projection accueillent les scolaires de toute la région, proposant des films drôles, ludiques ou historiques adaptés à chaque âge. Il s’agit d’atteindre deux objectifs à visée pédagogique : l’éducation à l’image via le cinéma et la découverte de la culture britannique. Le festival fait également sortir le cinéma de l’écran ! Des ateliers ludiques, rencontres et débats animés par des professionnels, ciné-concerts, mais également des visites guidées, sont organisés : atelier «  Lecture du conte en français et en anglais  », atelier «  Fresque collective », atelier «  Identité et interculturalité », rencontre avec une réalisatrice « Dans les coulisses du film », conférence « Femmes puissantes de Grande[1]Bretagne ». Ainsi, les films d’animations et les ateliers créatifs destinés aux plus jeunes, maternelles et élémentaires, permettent un premier contact avec la langue anglaise. Au Palais des Arts et du Festival, il est possible d’admirer la fresque qu’ils ont réalisée. Les films dédiés au public adolescent suivent la thématique, sociale, de la quête d’identité, présentant des parcours de jeunes tiraillés entre deux cultures. Les jeunes adultes, lycéens et plus, réfléchissent à la place de la femme dans la société et à la question du féminisme, grâce à des films qui mettent en lumière les vies de femmes aux destins hors normes.

    FILMS Maternelles

     La Baleine et l’Escargote | The Snail and The Whale, de Daniel Snaddon et Max Lang Superasticot | Superworm de Sarah Scrimgeour et Jac Hamman Zébulon le dragon | Zebulon The Dragon de Daniel Snaddon et Max Lang

    Du CP au CM2

     Maurice le chat fabuleux | The Amazing Maurice de Toby Genkel et Florian Westermann Stardog et Turbocat, de Ben Smith Croman | Earlyman, de Nick Park

    Collégiens

    Miss Revolution, de Philippa Lowthorpe Young Plato, de Neasa Ní Chianáin et Declan McGrath Music of my life, de Gurinder Chadha

    Lycéens

     Radioactive, de Marjane Satrapi Blue Jean, de Georgia Oakley Emily, de Frances O’Connor Les Suffragettes, de Sarah Gavron Centres de loisirs Mr Bean, de Richard Curtis

    En complément des projections  à Dinard, Saint-Lunaire et Pleurtuit,  le festival proposera aussi des évènements au Vauban, à Saint-Malo, et à la médiathèque L'ourse. Les projections à Saint-Lunaire et à Pleurtuit les jours précédant le festival sont l'occasion de voir ou de revoir trois excellents films britanniques sortis en France au début de l'année.

    Le Vauban rendra hommage à Hugh Hudson avec Chariots of Fire.

    Vous pourrez également y découvrir en avant-première du festival, My Sailor, My Love.

    Pour en savoir plus : le site officiel du festival.

    Retrouvez également mes articles sur mes bonnes adresses à Dinard : Le MGallery Royal Emeraude  et le Grand Hôtel Barrière de Dinard.

    Après mon recueil de nouvelles sur le cinéma, Les illusions parallèles (Editions du 38 - 2016), qui comprenait une nouvelle qui se déroulait intégralement dans le cadre du festival, je vous donne rendez-vous le 5/10/2023 pour découvrir mon nouveau roman (Editions Blacklephant) qui se passe en partie à Dinard...

    Critique de EMILY de Frances O'Connor

     

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    Les six films de la compétition du dernier Dinard Festival du Film Britannique que j’ai eu le plaisir de voir ont été à la hauteur des films en compétition des années précédentes, surtout, le film couronné du Hitchcock d’or, du prix du public et du prix d’interprétation féminine (rien que cela !) qui est pour moi un des grands films de cette année 2022 et qui méritait donc cette avalanche de récompenses.

    « Qui pensons-nous être ? ». Telle était la question posée sur les murs du Palais des arts de Dinard. Question à laquelle devaient répondre les films de cette édition selon les mots de la directrice artistique du festival, Dominique Green, lors de la cérémonie d’ouverture du festival.


    Tourmentée. Impétueuse. Romanesque. Flamboyante. Rebelle. Étrange. Exaltée. Ainsi pourrait être qualifiée la Manche dont le spectacle incomparable, à Dinard, inonde et ensorcelle le regard. Telle pourrait aussi être qualifiée l’héroïne du film Emily de Frances O’Connor (Emma Mackey). 

    Ce film raconte la vie imaginaire de l’une des romancières les plus célèbres du monde, Emily Brontë, disparue trop tôt, à 30 ans. Un voyage initiatique d’une jeune femme rebelle vers la maturité. Le film explore les relations qui l’ont inspirée : sa relation brute et passionnée avec ses sœurs Charlotte et Anne, son premier amour douloureux et interdit pour Weightman, et l’attention qu’elle porte à son frère Branwell.

    Cette première réalisation de Frances O'Connor dresse un portrait imaginaire de la célèbre romancière, aussi passionnant que bouleversant. Un éloge de la différence, de la liberté (avant tout celle de penser), de la puissance de l'écriture que l'auteure des Hauts de Hurlevent semble puiser autant dans les chagrins (l'amour, la mort, la solitude) que dans la sauvagerie et la rudesse des paysages du Yorkshire pour livrer cette écriture tempétueuse et poétique qui, comme ce film, nous emporte et nous enivre. Comme le panorama dinardais, finalement. 

    La réalisation époustouflante pour un premier film (photographie sublime de Nanu Segal, richesse de la profondeur de champ, utilisation signifiante de la lumière), entre Jane Campion et James Ivory est à la hauteur de son (magnifique) sujet. 

    Un hymne palpitant à la vie que l'écriture permet de sublimer, surmonter, exalter, romancer pour qu'elle devienne intensément romanesque à l'image de ce film qui est aussi enflammé et flamboyant, comme son héroïne, en contraste avec les paysages ombrageux du Yorkshire.

    Un film au romantisme sombre, envoûtant, parsemé de références au roman mythique d'Emily Brontë (entre embardées dans le genre fantastique - dont une remarquable scène de dîner qui est aussi un hommage à la force poignante et dévastatrice de l’imaginaire - et relation tumultueuse et passionnelle avec son frère) et qui interroge intelligemment les rapports entre la fiction et la vie d'un (ou une) auteur(e), la part de vérité qu’elle ou il y puise pour nourrir son art, qu’il s’agisse de s’y sauver ou de s’y perdre.

    Le président du jury de ce 33ème Dinard Festival du Film Britannique, José Garcia, a ainsi déclaré : « On a été unanimes. Emily est un très grand film, très moderne alors qu'il est sur une base très classique. »  Un film vertigineux de beauté et d’intensité, dont la sortie en France est prévue pour le 15 mars 2023.

  • Bilan et palmarès du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023

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    Selon Simone de Beauvoir, « Il existe des procédés magiques qui suppriment les distances de l'espace et du temps : les émotions. » Quand, début septembre, l'été expire ses dernières lueurs, chaque année, les émotions deauvillaises les ravivent avec cet incontournable rendez-vous, supprimant la distance le séparant de l’édition précédente, d’autant plus avec ce 49ème Festival au programme passionnant, nullement altéré par les absences (pour cause de grève à Hollywood) de ceux qui auraient dû être à l'honneur cette année, récipiendaires de Deauville Talent Awards : Natalie Portman, Jude Law, Joseph Gordon-Levitt, Peter Dinklage.

    Comme chaque année, ce festival fut le reflet des ombres et lumières de la société américaine, et nous a offert une plongée réjouissante et/ou angoissante dans ses tourments et ses espoirs, avec 80 films en sélection officielle.

    Après quelques notes enchanteresses de Kyle EastwoodGuillaume Canet, président du jury, a rendu hommage au cinéaste Jerry Schatzberg comme son « ami et père spirituel » qui « représente le festival indépendant américain » L’occasion aussi de découvrir le documentaire que lui consacre Pierre Filmon, un plan-séquence qui met en exergue la richesse, la profondeur, la diversité du travail du photographe qui parvient toujours à capter la vérité des êtres. 

    Dans le cadre de Fenêtre sur le cinéma français, 3 œuvres françaises furent projetées en première mondiale dont Icon of french cinema de Judith GodrècheL'Heure de la Croisette a mis en lumière trois films de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes :

    - Le Prix du jury, Les feuilles mortes de Aki Kaurismäki, petit bijou de poésie mélancolique d’une drôlerie désespérée, irradié de musique.

    Le règne animal de Thomas Cailley. Film hybride, audacieux, intelligemment métaphorique, teinté d’humour, récit initiatique, fable cauchemardesque d’une force rare mais aussi fim tendre sur la relation entre un père et son fils. Une auscultation de l’animalité de l’homme mais aussi une ode à la différence.

    L’enlèvement de Marco Bellochio. Fresque fascinante, opéra baroque, tragique et flamboyant, filmé dans un clair-obscur fascinant. Plaidoyer contre la folie religieuse et les fanatismes.

    Le chef-d’œuvre de ce festival fut La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer, Grand Prix du dernier Festival de Cannes. Cela commence par un écran noir tandis que des notes lancinantes et douloureuses viennent nous avertir que la sérénité qui lui succèdera sera fallacieuse. La première scène nous donne à voir une image bucolique, et Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz de 1940 à 1943, qui habite avec sa famille dans une villa avec jardin, derrière les murs du camp. Un air de gaieté flotte dans l’air. C’est dans cette banalité que réside toute l’horreur, omniprésente, dans chaque son, chaque arrière-plan, chaque hors-champ. Cette zone d’intérêt, ce sont les 40 kilomètres autour du camp, ainsi qualifiés par les nazis. Une qualification qui englobe déjà le cynisme barbare de la situation.  L’arrière-plan teinte d’horreur tout ce qui se déroule au premier. La vie est là dans ce jardin, entre le père qui fume, les pépiements des oiseaux et les cris joyeux des enfants, éclaboussant de son indécente frivolité la mort qui sévit constamment juste à côté. La « banalité du mal » définie par Hannah Arendt dans chaque plan. Jonathan Glazer prouve d’une nouvelle manière, singulière, puissante, audacieuse et digne, qu’il est possible d’évoquer l’horreur sans la représenter frontalement. Cette image qui réunit dans chaque plan deux mondes qui coexistent et dont l’un est une insulte permanente à l’autre est absolument effroyable.  Si cette famille nous est montrée dans sa quotidienneté, c’est avant tout pour nous rappeler que la monstruosité peut porter le masque de la normalité. Un choc cinématographique. Un choc nécessaire. Pour rester en alerte. Pour ne pas oublier les victimes de l’horreur absolue mais aussi que le mal peut prendre le visage de la banalité. Un film brillant, glaçant, marquant, incontournable.

    Cette dichotomie permanente entre ce vacarme et l’indifférence me rappelle le formidable travail sur le son dans Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona, prix d’Ornano-Valenti 2021, prix cette année dévolu au premier long-métrage de fiction de la documentariste Delphine Deloget, Rien à perdre, magnifique portrait de femme prise au piège de mécanismes et d’une réalité qui la dépassent. Virginie Efira incarne une mère dont le fils se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer. Ce film nous tient en haleine de la première à la dernière seconde, en empathie avec cette mère aimante, qui révèle peu à peu ses zones d’ombre. Un film bouleversant qui met en exergue les dysfonctionnements d’une machine administrative rigide et implacable.

    Le festival propose aussi désormais des « conversations avec... ».  Luc Besson (à l'occasion de la première de son film Dogman) et Carole Bouquet (pour Captives de Arnaud des Pallières) furent cette année à l’honneur.

    Les 14 films en compétition officielle (dont 9 premiers films) ont dressé le tableau de l’état (délabré souvent, et en quête d’espoir) des États d’Amérique.

    Pour succéder à Aftersun de Charlotte Wells, film gracieux, d’une délicatesse mélancolique qui charrie la beauté fugace de l’enfance et la saveur inégalable de ses réminiscences (floues), il fallait un film aussi réjouissant et extravagant que LaRoy de Shane Atkinson qui a raflé le Grand Prix, le Prix du Public et le Prix de la Critique. Ce thriller teinté d'humour noir, tel celui des frères Coen, débute ainsi : un homme prend en stop un automobiliste en panne qui sous-entend qu’il est peut-être un tueur, quand son chauffeur émet la même hypothèse. Des dialogues savoureux. Une musique de Delphine Malausséna, Rim Laurens et Clément Peiffer. Le décor de cette petite ville trompeusement sereine dissimulant l’excentricité et le chaos intérieur des êtres. Un bijou entre comédie et thriller. Jubilatoire.

    Selon Baudelaire, « La mélancolie est l’illustre compagnon de la beauté. Elle l’est si bien que je ne peux concevoir aucune beauté qui ne porte en elle sa tristesse. » L’oublié du palmarès, Past lives – nos vies d’avant de Celine Song illustre parfaitement ces mots. Un film d’une mélancolie subrepticement envoûtante. Dans cette époque de fureur, de course effrénée et insatiable au résultat et à l’immédiateté, y compris dans les sentiments, ce refus du mélodrame, de l’explicite et de l’excès, n’est pas du vide, mais au contraire un plein de sensations et troubles contenus qui nous enveloppent, nous prennent doucement par la main, jusqu’à la fin, le moment où surgit enfin l’émotion, ravageuse.  Les notes cristallines, jamais redondantes ou insistantes, accompagnent le mystère qui lie les personnages, magnifient leurs silences et subliment l’implicite. Ce film tout en retenue, ensorcelante, est un joyau de pudeur, de subtilité, d’émotions profondes que l’on emporte avec soi une fois la porte de Nora refermée, et celle de son cœur avec, une fois celui-ci s'étant laissé brusquement envahir et submerger.

    Ont été récompensés du Prix du juryThe Sweet East de Sean Price Williams et Fremont de Babak Jalali, L’histoire d’une réfu­giée afghane de 20 ans, qui tra­vaille pour une fabrique de for­tune cookies. Le portrait d’une femme immigrée et solitaire, fière, combattive, déterminée, indépendante, rêveuse. Le mode de filmage, en 4/3, en plans fixes et en noir et blanc, poétise la mélancolie intemporelle qui émane de son personnage, lui procure de l’élégance, une douceur qui rassérène. On ressort de ce film salutairement lent et délicat, aux accents kaurismäkiens et jarmuschiens, comme l’on quitte ce festival : à regret et le cœur illuminé par les possibles de l’avenir.

    PALMARES COMPLET

    Le Jury de la 49ème édi­tion du Fes­ti­val du ciné­ma amé­ri­cain de Deau­ville, pré­si­dé par Guillaume Canet, entou­ré d’A­lexandre Aja, Anne Berest, Laure de Cler­mont-Ton­nerre, Léa Mysius, Mari­na Hands de la Comé­die-Fran­çaise, Rebec­ca Mar­der, Sté­phane Bak et Maxim Nuc­ci alias Yode­lice a décer­né les prix suivants :

    Grand Prix
    LAROY de Shane Atkinson
    (dis­tri­bu­tion : ARP Sélection)
    En salles en avril 2024

    Prix du Jury
    THE SWEET EAST de Sean Price Williams
    (dis­tri­bu­tion : Potem­kine Films)

    Prix du Jury
    FREMONT de Babak Jalali
    (dis­tri­bu­tion : JHR Films )
    En salles le 6 décembre 2023

    Le Jury de la Révé­la­tion de la 49e édi­tion du Fes­ti­val du ciné­ma amé­ri­cain de Deau­ville, pré­si­dé par Méla­nie Thier­ry, entou­rée de Julia Faure, Pablo Pau­ly, Rama­ta-Tou­laye Sy, Félix Lefebvre, et Cécile Maistre-Cha­brol a décer­né les prix suivants :

    Prix Fon­da­tion Louis Roe­de­rer de la Révé­la­tion 2023
    THE SWEET EAST de Sean Price Williams
    (dis­tri­bu­tion : Potem­kine Films)

    Prix du Public de la Ville de Deauville
    LAROY de Shane Atkinson
    (dis­tri­bu­tion : ARP Sélection)
    En salles en avril 2024

    Le Jury de la Cri­tique, com­po­sé de cinq jour­na­listes, a décer­né son Prix à

    LAROY de Shane Atkinson
    (dis­tri­bu­tion : ARP Sélection)
    En salles en avril 2024

    Prix d’Ornano-Valenti 2023
    RIEN À PERDRE de Del­phine Deloget
    (dis­tri­bu­tion : Ad Vitam)
    En salles le 22 novembre 2023

  • Critique - LES FEUILLES MORTES de Aki Kaurismäki - Section L'Heure de la Croisette (49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville)

    L'heure de la croisette.jpg

    Il s'agit du cinquième film du cinéaste finlandais qui figurait en compétition du dernier Festival de Cannes.
     
    Dans le poste de radio d'un autre âge surgissent les échos d'une guerre si proche, en Ukraine, qui semble tout autant anachronique et pourtant tragiquement contemporaine. Un homme et une femme, chacun dans leur appartement spartiate, écoutent, enfermés dans leur solitude et leur vie précaire, à Helsinki.
     
    Avec une économie de mots, un humour burlesque et décalé, un sens du cadre et des couleurs indissociables de son cinéma, Kaurismäki filme l'amour naissant et l'incongruité de chaque moment de vie.
     
    Un film d'une drôlerie désespérée, parsemé de références cinématographiques (avec des affiches de Godard, Melville, Visconti...) qui s'achève par un hommage au maître du genre, une fin en écho à celle des Temps modernes.
     
    Un film irradié de musiques qui jouent aussi brillamment avec les codes et les contrastes. Encore bercée par la poésie mélancolique de ces feuilles mortes.
  • Hommage à Natalie Portman - Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 - Critique de BLACK SWAN de Darren Aronokfsy

    Black Swan Deauville.jpg

    Natalie Portman ne pouvait être présente pour son hommage, cela ne nous a pas moins permis de revoir le chef-d'œuvre qu'est Black Swan.

    Nina (Natalie Portman) est ballerine au sein du très prestigieux New York City Ballet. Elle (dé)voue sa vie à la danse et partage son existence entre la danse et sa vie avec sa mère Erica (Barbara Hershey), une ancienne danseuse. Lorsque Thomas Leroy (Vincent Cassel), le directeur artistique de la troupe, décide de remplacer la danseuse étoile Beth Mcintyre (Winona Ryder) pour leur nouveau spectacle « Le Lac des cygnes », Nina se bat pour obtenir le rôle. Le choix de Thomas s’oriente vers Nina même si une autre danseuse, Lily, l’impressionne également beaucoup, Nina aussi sur qui elle exerce à la fois répulsion et fascination. Pour « Le Lac des cygnes », il faut une danseuse qui puisse jouer le Cygne blanc, symbole d’innocence et de grâce, et le Cygne noir, qui symbolise la ruse et la sensualité. Nina en plus de l’incarner EST le cygne blanc mais le cygne noir va peu à peu déteindre sur elle et révéler sa face la plus sombre.

    Black swan »n’est pas forcément un film d’emblée aimable (ce qui, pour moi, est une grande qualité quand les synopsis des films ressemblent trop souvent à des arguments marketing) : il se confond ainsi avec son sujet, exerçant tout d’abord sur le spectateur un mélange de répulsion et de fascination, entrelaçant le noir et le blanc, la lumière (de la scène ou de la beauté du spectacle, celle du jour étant quasiment absente) et l’obscurité, le vice et l’innocence mais le talent de cinéaste d’Aronofsky, rusé comme un cygne noir, et de son interprète principale, sont tels que vous êtes peu à peu happés, le souffle suspendu comme devant un pas de danse époustouflant.

    Black swan à l’image de l’histoire qu’il conte (le verbe conter n’est d’ailleurs pas ici innocent puisqu’il s’agit ici d’un conte, certes funèbre) est un film gigogne, double et même multiple. Jeu de miroirs entre le ballet que Thomas met en scène et le ballet cinématographique d’Aronofsky. Entre le rôle de Nina dans le lac des cygnes et son existence personnelle. Les personnages sont ainsi à la fois doubles et duals : Nina que sa quête de perfection aliène mais aussi sa mère qui la pousse et la jalouse tout à la fois ou encore Thomas pour qui, tel un Machiavel de l’art, la fin justifie les moyens.

    Aronofsky ne nous « conte » donc pas une seule histoire mais plusieurs histoires dont le but est une quête d’un idéal de beauté et de perfection. La quête de perfection obsessionnelle pour laquelle Nina se donne corps et âme et se consume jusqu’à l’apothéose qui, là encore, se confond avec le film qui s’achève sur un final déchirant de beauté violente et vertigineuse, saisissant d’émotion.

    Par une sorte de mise en abyme, le combat (qui rappelle celui de The Wrestler) de Nina est aussi celui du cinéaste qui nous embarque dans cette danse obscure et majestueuse, dans son art (cinématographique) qui dévore et illumine (certes de sa noirceur) l’écran comme la danse et son rôle dévorent Nina. L’art, du cinéma ou du ballet, qui nécessite l'un et l'autre des sacrifices. Le fond et la forme s’enlacent alors pour donner cette fin enivrante d’une force poignante à l’image du combat que se livrent la maîtrise et l’abandon, l’innocence et le vice.

    Quel talent fallait-il pour se montrer à la hauteur de la musique de Tchaïkovski pour nous faire oublier que nous sommes au cinéma, dans une sorte de confusion fascinante entre les deux spectacles, entre le ballet cinématographique et celui dans lequel joue Nina. Confusion encore, cette fois d’une ironie cruelle, entre l'actrice Winona Ryder et son rôle de danseuse qui a fait son temps. Tout comme, aussi, Nina confond sa réalité et la réalité, l’art sur scène et sur l’écran se confondent et brouillent brillamment nos repères. Cinéma et danse perdent leur identité pour en former une nouvelle. Tout comme aussi la musique de Clint Mansell se mêle à celle de Tchaïkovski pour forger une nouvelle identité musicale.

    La caméra à l’épaule nous propulse dans ce voyage intérieur au plus près de Nina et nous emporte dans son tourbillon. L’art va révéler une nouvelle Nina, la faire grandir, mais surtout réveiller ses (res)sentiments et transformer la petite fille vêtue de rose et de blanc en un vrai cygne noir incarné par une Natalie Portman absolument incroyable, successivement touchante et effrayante, innocente et sensuelle, qui réalise là non seulement une véritable prouesse physique (surtout sachant qu’elle a réalisé 90% des scènes dansées !) mais surtout la prouesse d’incarner deux personnes (au moins...) en une seule.

    Un film aux multiples reflets et d’une beauté folle, au propre comme au figuré, grâce à la virtuosité de la mise en scène et de l’interprétation et d’un jeu de miroirs et mise(s) en abyme. Une expérience sensorielle, une danse funèbre et lyrique, un conte obscur redoutablement grisant et fascinant, sensuel et oppressant dont la beauté hypnotique nous fait perdre (à nous aussi) un instant le contact avec la réalité pour atteindre la grâce et le vertige.

    Plus qu’un film, une expérience à voir et à vivre impérativement (et qui en cela m’a fait penser à un film certes a priori très différent mais similaire dans ses effets : L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot) et à côté duquel le Somewhere de Sofia Coppola qui lui a ravi le lion d’or à Venise apparaît pourtant bien fade et consensuel...

  • Hommage à Jude Law - 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville - Critique de THE NEST de Sean Durkin

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    The Nest était projeté aujourd'hui dans le cadre de l'hommage à Jude Law. L'occasion de revoir ce film qui avait obtenu le Grand Prix 2020 et de vous le recommander de nouveau.

    Dans les années 1980, Rory (Jude Law), un ancien courtier devenu un ambitieux entrepreneur, convainc Allison (Carrie Coon), son épouse américaine, et leurs deux enfants, de quitter le confort d’une banlieue cossue des États-Unis pour s’installer en Angleterre, son pays de naissance. Persuadé d’y faire fortune, Rory loue un vieux manoir en pleine campagne où sa femme pourra continuer à monter et à donner des cours d’équitation. Mais l’espoir d’un lucratif nouveau départ s’évanouit rapidement et l’isolement fissure peu à peu l’équilibre familial.

    Vanessa Paradis, la présidente du jury du 46ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, dans le cadre duquel The Nest avait été projeté en compétition, a évoqué « un thriller oppressant, une fable sur le délitement d'une famille portée par une élégance de sa mise en scène et deux acteurs d'exception ».

    Ce deuxième film de Sean Durkin, qui avait remporté en 2011 le prix du meilleur réalisateur au Festival de Sundance pour Martha Marcy May Marlene, a en effet récolté pas moins de trois récompenses au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 : Grand prix, Prix de la Révélation et Prix de la Critique Internationale.

    Tout est en ordre dans cette famille et dans le nid (signification de The Nest) au sein duquel elle vit. Du moins, en apparence : tout est en ordre. Les voitures sont bien rangées devant le cossu pavillon. Rory reçoit un coup de fil dont on n’entend pas le contenu. Tout juste le voit-on avoir une conversation téléphonique qui semble le réjouir, derrière une fenêtre de la maison. Premier élément qui instille mystère et suspicion quant à l’apparente sérénité qui semble régner. Chacun des membres de la famille a une vie bien orchestrée, en équilibre comme la gymnastique que pratique la fille d’Allison. La musique laisse deviner un bonheur tranquille, une vie sans aspérités. Chaque matin, Rory apporte le café à sa femme. Et puis un jour il lui annonce « on devrait déménager » et lui présente cela comme une opportunité. « Tu devrais avoir ta propre écurie » lui dit-il, comme s’il s’agissait de lui demander son avis et de la convaincre. De simples détails dont le spectateur se souviendra ensuite laissent pourtant déjà présager ce qui deviendra le centre de leurs préoccupations : l’argent (elle réclame l’argent de ses leçons d’équitation) et les remarques pernicieuses de Rory (Rory fait comprendre que s’ils sont venus dans ce coin des Etats-Unis, c’est pour se rapprocher de la famille d’Allison).

    Malgré les réticences d’Alison, ils partent pour l’Angleterre où ils emménagent dans un nouveau nid. Un manoir isolé aussi gigantesque qu’inhospitalier et lugubre choisi par Rory seul et dans lequel il n’aurait certainement pas déplu à Hitchcock de placer l’intrigue d’un de ses films. Rory fanfaronne en évoquant le « parquet posé dans les années 1700 », les «membres de Let Zeppelin qui ont vécu ici en enregistrant un album » ou encore en offrant un manteau de fourrure avec grandiloquence et une once de grossièreté à Allison. Son patron lui dit en plaisantant : « ton bureau c’est pour apaiser ton ego fragile. » Cet ego est bel et bien ce qui domine ce personnage dont la propension au mensonge pour satisfaire son orgueil est la principale caractéristique. A son épouse, il dit « j’ai hâte de te montrer à tout le monde » comme un objet qu’il exhiberait tout comme il évoquera les 5000 dollars que lui coûte le « cheval défectueux » de sa femme le rabaissant là aussi à un état d’objet. Il paie le restaurant pour ses collègues. Ment en parlant de leur « penthouse à New York » alors qu’ils ne possèdent rien. Et Allison découvre que ce départ n’était pas la conséquence d’une opportunité mais d'une démarche de Rory.

    Derrière ce bonheur de façade, tout semble pouvoir exploser d’un instant à l’autre, et le nid pouvoir se fissurer.  Une scène de dîner au restaurant entre les deux époux témoigne d’ailleurs de la fragilité de leur bonheur mais aussi du caractère d’Alisson, la force de ce personnage étant aussi un des atouts de ce film, ne la cantonnant pas au rôle d’épouse complaisante et fragile. Une scène jubilatoire que je vous laisse découvrir.

    Peu à peu, le vernis se craquèle. On découvre que Rory a une mère qui vit en Angleterre et  qu’il n’a pas vue depuis des années, et dont il n’a vraisemblablement pas parlé à sa femme, et auprès de laquelle il se vante d’avoir épousé « une sublime blonde américaine. »  Les signes extérieurs de richesse sont primordiaux pour Rory en ces années 1980 où l’argent est roi. Tout se mesure en argent pour lui. Une revanche sur son « enfance merdique » comme il la qualifiera. Une revanche qu’il estime mériter, quoiqu’il en coûte à sa famille (au propre comme au figuré). Peu à peu leur monde se délite. Leur fille se met à fumer en cachette, à avoir de mauvaises fréquentations, à se rebeller. Leur fils subit du harcèlement à l’école et est terrifié à l’idée de traverser le manoir. Et même Allison semble croire que des ombres fantomatiques se faufilent dans le décor.  Et le cheval, l’élément d’équilibre de la famille, semble lui aussi perdu, malade, et courir vers une mort qui semble annoncer celle de toute la famille.

    La grande richesse de ce film provient de la parfaite caractérisation de ses deux personnages principaux et de leurs deux enfants, de leurs fragilités qui s’additionnent et semblent les mener vers une chute irréversible. L’obsession de réussite de Rory lui fait occulter tout le reste. Et tout n’est plus qu’une question d’argent, même sa relation avec Allison à qui il rappelle qu’il l’a sortie de la situation dans laquelle elle se trouvait avec sa fille avant de le rencontrer.

    Derrière le personnage imbuvable, pétri d’orgueil et de suffisance, aveuglé par son ambition, se dessine peu à peu le portrait d’un être brisé par son enfance. Le scénario est émaillé d’indices qui, comme ceux d’une enquête, nous permettent de constituer peu à peu le portrait et les causes de sa personnalité. Les dialogues souvent cinglants donnent lieu à des scènes d’anthologie et le basculement semble à chaque instant possible.

    Le dénouement signe l’explosion finale (et l’implosion finale, celle de la famille), inévitables. Chacun des occupants du nid franchit le seuil de sa folie avant de basculer irrémédiablement ou, qui sait, de retrouver le cocon rassurant et protecteur,  là où il n’est plus permis de jouer, de faire semblant.  D’ailleurs, pour rentrer, Rory se fraie un chemin au milieu des feuilles comme pour venir se réfugier auprès des siens et assister à la morale de la fable.

    Sean Durkin pose finalement un regard compatissant sur l’enfant capricieux et en mal de reconnaissance qu’est Rory jusqu’à faire tomber le masque. Face à lui, son épouse n’est pas la victime de ses actes mais bataille pour maintenir à flot le nid familial.  Carrie Coon et Jude Law par l’intensité et les nuances de leur jeu apportent la complexité nécessaire à ces deux grands enfants perdus que sont Allison et Rory.

    La musique, de plus en plus inquiétante, et la mise en scène, d’une élégante précision, épousent brillamment l’angoisse qui progressivement, s’empare de chacun des membres de la famille, se retrouvant bientôt tous isolés, dans le fond comme dans la forme, dans le manoir comme dans les problèmes qu’ils affrontent. La noirceur et la nuit s’emparent des âmes et des décors. Jusqu’à ce que, qui sait, la clarté et le jour ne se lèvent et le nid ne réconforte et recueille ses occupants.  Un scénario ciselé, une mise en scène élégante, des personnages brillamment dessinés au service d’un suspense haletant et d’un dénouement d’une logique à la fois surprenante et implacable.

  • Critique de LA TORTUE ROUGE de MICHAEL DUDOK DE WIT (2016)

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    La Tortue rouge faisait partie de la sélection officielle du 69ème Festival de Cannes, dans la catégorie Un Certain Regard. Ce film a obtenu le Prix Spécial du Jury Un Certain Regard avant de nombreux autres prix et nominations dans le monde, notamment aux César et aux Oscars comme meilleur film d’animation. Michaël Dudok de Wit avait auparavant  déjà remporté l’Oscar du Meilleur court-métrage d’animation pour Père et fille.

    La Tortue rouge a été cosignée par les prestigieux studios d’animation japonaise Ghibli qui collaborent pour la première fois avec un artiste extérieur au studio, a fortiori étranger. Ce film est en effet le premier long-métrage d’animation du Néerlandais Michael Dudok de Wit, grâce à l’intervention d’Isao Takahata, réalisateur notamment des sublimes films d’animation Le Tombeau des lucioles et Le Conte de la princesse Kaguya et cofondateur, avec Hayao Miyazaki, du studio Ghibli, et ici producteur artistique tandis que Pascale Ferran a cosigné le scénario avec le réalisateur. À ce trio, il faut ajouter le compositeur, Laurent Perez del Mar, sans la musique duquel le film ne serait pas complètement le chef-d’œuvre qu’il est devenu.

    Ce conte philosophique et écologique est un éblouissement permanent qui nous attrape dès la première image (comme si nous étions ballottés par la force des éléments avec le naufragé) pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions, abasourdis, que ce voyage captivant sur cette île déserte, cet état presque second dans lequel ce film nous a embarqués, n’étaient que virtuels.

    C’est l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux. Il tente vainement de s’échapper de ce lieu jusqu’à sa rencontre avec la tortue rouge, qu’il combat d’abord…avant de succomber à son charme. Quand la carapace de l’animal va se craqueler puis se fendre, une autre histoire commence en effet. La tortue se transforme en femme. Une transformation dans laquelle chacun peut projeter sa vision ou ses rêves. Que ce soit un écho à la mythologie et à l’œuvre d’Homère : comme Ulysse, le naufragé est retenu dans une île par une femme. Ou que ce soit une projection de ses désirs. Ou une personnification de la nature pour en signifier la beauté et la fragilité. Le rouge de cet animal majestueux contraste avec le bleu et le gris de la mer et du ciel. Respecté, solitaire, paisible, mystérieux, il est aussi symbole d’un cycle perpétuel, voire d’immortalité. Comme une parabole du cycle de la vie que le film met en scène.

    Le murmure des vagues. Le chuchotement du vent. Le tintement de la pluie. L’homme si petit au milieu de l’immensité. La barque à laquelle il tente de s'accrocher. Le vrombissement de l’orage. Les cris des oiseaux. Les vagues qui se fracassent contre les rochers, puis renaissent. Le bruissement des feuilles. L'armée joyeuse des tortues. Le clapotis de l'eau. La nature resplendit, sauvage, inquiétante, magnifique. Sans oublier la respiration (dissonante ou complémentaire de l’homme) au milieu de cette nature harmonieuse.

    La musique à peine audible d’abord, en gouttes subtiles, comme pour ne pas troubler ce tableau, va peu à peu se faire plus présente. L’émotion du spectateur va aller crescendo à l'unisson, comme une vague qui prendrait de l’ampleur et nous éloignerait peu à peu du rivage de la réalité avant de nous embarquer, loin, dans une bulle poétique et consolatrice. Cela commence quand le naufragé rêve d’un pont imaginaire, la force romanesque des notes de Laurent Perez de Mar nous projette alors dans une autre dimension, déjà. Puis, quand tel un mirage le naufragé voit 4 violonistes sur la plage, qui jouent une pièce de Leoš Janáček : String Quartet No.2 Intimate Letter

    Jamais l’absence de dialogue (à peine entendons-nous quelques cris des trois protagonistes) ne freine notre intérêt ou notre compréhension mais, au contraire, elle rend plus limpide encore ce récit d’une pureté et d’une beauté aussi envoûtantes que la musique qui l’accompagne. Composée en deux mois une fois l’animation terminée et le film monté, elle respecte les silences et les bruits de la nature. La musique et les ambiances de nature se (con)fondent alors avec virtuosité pour créer cette symbiose magique. Jamais redondante, elle apporte un contrepoint romanesque, lyrique, et un supplément d’âme et d’émotion qui culmine lors d’un ballet aquatique ou plus encore lors de la scène du tsunami. À cet instant, la puissance romanesque de la musique hisse et propulse le film, et le spectateur, dans une sorte de vertige hypnotique et sensoriel d’une force émotionnelle exaltante, rarement vue (et ressentie) au cinéma.

    Ce film universel qui raconte les différentes étapes d’une vie, et reflète et suscite tous les sentiments humains, est en effet d’une force foudroyante d’émotions, celle d’une Nature démiurgique, fascinante, grandiose et poétique face à notre vanité et notre petitesse humaines. Une allégorie de la vie d’une puissance émotionnelle saisissante exacerbée par celle de la musique à tel point qu’on en oublierait presque l’absence de dialogues tant elle traduit ou sublime magistralement les émotions, mieux qu’un dialogue ne saurait y parvenir.

    Le graphisme aussi épuré et sobre soit-il est d’une précision redoutable. Les variations de lumières accompagnent judicieusement l’évolution psychologique du personnage. Rien n’est superflu. Chaque image recèle une poésie captivante.

    La tortue rouge est film contemplatif mais aussi un récit initiatique d’une poésie, d’une délicatesse et d’une richesse rares dont on ressort étourdis, avec l’impression d’avoir volé avec les tortues, d’avoir déployé des ailes imaginaires pour nous envoler dans une autre dimension et avec l’envie de réécouter la musique pour refaire le voyage (et y projeter nos propres rêves, notre propre "tortue rouge") et se laisser emporter par elle et les images qu’elle initie, nous invitant dans un ailleurs étourdissant, entre le ciel et la mer, dans un espace indéfini et mirifique. Un ailleurs qui est tout simplement aussi la vie et la nature que ce film sublime et dans lequel il nous donne envie de plonger. Plus qu'un film, une expérience sensorielle unique. Un chef-d’œuvre.

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2016 Pin it! 0 commentaire
  • Programme complet du 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : à suivre en direct ici du 1er au 10 septembre 2023

    Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 l'affiche.jpg

    Comme chaque année depuis une vingtaine d'années, je vous ferai vivre en direct le Festival du Cinéma Américain de Deauville dont la 49ème édition aura lieu du 1er au 10 septembre. Vous pourrez notamment me suivre sur mon compte Instagram (@Sandra_Meziere). Une édition avec un programme qui s'annonce passionnant malgré les absences de ceux qui auraient dû être à l'honneur cette année (Natalie Portman, Jude Law, Joseph Gordon-Levitt, Peter Dinklage) pour cause de grève à Hollywood. Le festival propose d'ailleurs une table ronde à ce sujet intitulée Grève à Hollywood : les mutations du cinéma, en partenariat avec Le Monde, le 2 septembre à 14h.

    Cela n'empêchera pas ce festival, comme chaque année, d'être le reflet des ombres et lumières de la société américaine, de nous offrir une plongée réjouissante dans les méandres du pays de l'Oncle Sam, avec 80 films en sélection officielle : Premières, compétition, Docs de l'Oncle Sam...mais aussi, comme c'est le cas depuis la pandémie, une Fenêtre sur le cinéma français ( 3 films français en première mondiale) et L'heure de la Croisette ( 3 films de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes). Jerry Schatzberg sera par ailleurs bien présent à l'occasion de l'hommage que lui rendra le festival, de même que Kyle Eastwood qui fera résonner ses notes lors de la cérémonie d'ouverture et viendra présenter un documentaire qui lui est consacré. L'ouverture sera aussi l'occasion de découvrir Le Jeu de la Reine de Karim Aïnouz. Le festival propose cette année des "conversations avec..."  Luc Besson (à l'occasion de la première de son film Dogman) et Carole Bouquet (à l'occasion de la projection de Captives de Arnaud des Pallières). Comme chaque année, il ne faudra également pas manquer le Prix d'Ornano-Valenti attribué cette année à Rien à perdre de Delphine Deloget.

    Rendez-vous le 9 septembre pour découvrir le palmarès décerné par Guillaume Canet (à qui la distinction numérique de l'INA sera remise le 6 septembre avant la projection de L'enlèvement de Marco Bellochio) et Mélanie Thierry, et leurs jurys respectifs. La cérémonie du palmarès sera suivie du film de clôture : Joika de James Napier Robertson

    Retrouvez également l'ensemble de mes articles consacrés à l'édition 2022 du festival sur In the mood for Deauville et mon bilan du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022 dans le magazine Normandie Prestige 2023 (distribué à partir du 20 juillet 2023, également disponible en ligne ici).

    Cet article ci-dessous vous détaillant le programme du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 sera mis à jour au fur et à mesure des annonces.

    Lire la suite