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critique - Page 44

  • Critique - "The social network" de David Fincher, ce soir, à 20H45, sur Ciné + premier

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    Comment rendre cinématographique un sujet qui ne l’est a priori pas ? Telle est la question que je m’étais posée quand, pour la première fois, j’avais entendu parler du sujet de ce film dont j’avoue qu’il m’avait laissée pour le moins sceptique, un scepticisme toutefois amoindri par le nom du cinéaste à la manœuvre : le talentueux David Fincher par lequel, par le passé, j’ai été plus (« L’étrange histoire de Benjamin Button », « Seven», « The game ») ou moins (« Zodiac ») enthousiasmée.

    Le sujet, c’est donc le site communautaire Facebook ou plutôt l’histoire de sa création et de son créateur Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg), un soir d’octobre 2003 bien arrosé, pour cause de déception sentimentale. Ce dernier pirate alors le système informatique de Harvard pour créer une base de données de toutes les filles du campus. Il est alors accusé d’avoir intentionnellement porté atteinte à la sécurité, aux droits de reproduction et au respect de la vie privée. Son exploit retentissant arrive jusqu’aux oreilles de trois autres étudiants qui avaient un projet similaire à ce qui deviendra Facebook. Mark leur apporte son soutien technique mais surtout s’empare de l’idée et la perfectionne évinçant complètement les trois autres du projet. Ce nouveau site prend une ampleur considérable et inattendue, d’abord à Harvard puis dans les autres universités américaines et finalement dans le monde entier.

    Le film est adapté du livre de Ben Mezrich "The accidental Billionaires ( "La revanche d'un solitaire").

    « The social network » est passionnant à plus d’un titre et cela dès la première scène, un dialogue dont la brillante vivacité accroche immédiatement le spectateur et nous donne la clé de la réussite de Mark Zuckerberg, ou plutôt de sa soif de réussite : une quête éperdue de reconnaissance sociale. Un échange à la vitesse de l’éclair avec sa petite amie qui aboutira à leur rupture et dans lequel il fait preuve d’une sorte de fascination obsessionnelle pour les clubs qui pullulent à Harvard, marque d’ascension sociale aux rites souvent puérils. D’une fascinante intelligence, et d’une saisissante arrogance, son esprit et ses motivations deviennent plus palpitants à suivre que bien des thrillers notamment grâce au montage d’une limpidité virtuose qui mêle plusieurs histoires liées à Mark Zuckerberg et plusieurs temporalités: la création de Facebook et les procès suscités par celle-ci.

    C’est pour moi avant tout le montage, ingénieusement elliptique, et le scénario (signé Aaron Zorkin) qui font la grande richesse du film, en ce qu’ils apportent un rythme soutenu mais aussi en ce qu’ils illustrent la création de Mark Zuckerberg : Facebook où les informations fusent et s’entrecroisent. Le film, à l’image du créateur et de sa création, passe d’une idée à une autre à une rythme frénétique. Génération Facebook où tout doit aller vite, une idée ( ou un-e- ami-e-) en remplacer un(e) autre.

    Montage, scénario, interprétation (Jesse Eisenberg mais aussi Justin Timberlake dans le rôle du fondateur de Napster, ou encore Andrew Garfield dans le rôle d’Eduardo, l’ami jalousé-jaloux et trahi) sont la grande réussite de ce film au sujet a priori improbable, un film sur un sujet générationnel dont c’est d’ailleurs peut-être la limite même si les autres thèmes qu’il illustre ( trahison, prix et moteurs de la réussite ) restent universels.

    L’idée brillante est certainement d’avoir réalisé un film à l’image de son sujet (Marck Zuckerberg) et de son objet (Facebook), égocentrique, centré sur lui-même et qui redoute l’ennui, le temps mort, plus que tout et n’en laisse donc aucun plongeant le spectateur dans un flux hypnotisant (plus que captivant, à l’image de Facebook, là encore) d’informations. La forme judicieuse fait apparaître la confusion significative entre le créateur et sa création, Mark Zuckerberg et Facebook. Milliardaire solitaire dont la réussite s’apparente à un échec (qui n’est pas sans rappeler le héros d’un autre film de David Fincher) et qu’illustre parfaitement la redoutable dernière scène. Le créateur est alors à l’image de la création phénomène qu’il a engendrée : l’outil d’une communication à outrance qui finalement isole plus qu’elle ne rassemble et qui n’est qu’un voile flatteur mais illusoire sur une criante solitude.

    Un brillant film générationnel qui est aussi une ingénieuse parabole et qui témoigne une nouvelle fois de l’éclectisme du talent de David Fincher et qui aura même sans doute valeur sociologique mais qui, en revanche, ne mérite pas l’appellation de « film de l’année » qui me laisse perplexe… sans doute l’aspect très narcissique qui flatte l’ego d’une génération qui se reconnait dans cet entrepreneur certes brillant mais effroyablement, cyniquement et sinistrement avide de reconnaissance.

    Précisons enfin que Mark Zuckerberg a désavoué le film qui, s’il nuit au créateur de Facebook, devrait encore davantage populariser sa création.

    Ci-dessous, le vrai Mark Zuckerberg évoque "The social network".



     

     

  • Critique de "Into the wild" de Sean Penn, ce soir, à 20H45, sur 6ter

     

    f974babb100e87a39f2094f4bfe3ede1.jpgQuel voyage saisissant ! Quelle expérience envoûtante ! A la fois éprouvante et sublime. Je devrais commencer par le début avant d’en venir à mes impressions mais elles étaient tellement fortes que parmi toutes ces sensations puissantes et désordonnées suscitées par ce film, c’était ce qui prévalait, cette impression pas seulement d’avoir vu un film mais d’avoir effectué un voyage, un voyage en moi-même, et d’avoir vécu une véritable expérience sensorielle. Depuis que j’ai vu ce film, il me semble penser à l’envers, du moins autrement, revenir moi aussi (plutôt, moi seulement, certains n’en reviennent pas) d’un voyage initiatique bouleversant.

    Mais revenons au début, au jeune Christopher McCandless, 22 ans, qui reçoit son diplôme et avec lui le passeport pour Harvard, pour une vie tracée, matérialiste, étouffante. Il décide alors de tout quitter : sa famille, sans lui laisser un seul mot d'explication, son argent, qu’il brûle, sa voiture, pour parcourir et ressentir la nature à pied, et même son nom pour se créer une autre identité. Et surtout sa vie d’avant. Une autre vie. Il va traverser les Etats-Unis, parcourir les champs de blé du Dakota, braver les flots agités du Colorado, croiser les communautés hippies de Californie, affronter le tumulte de sa conscience pour atteindre son but ultime : l’Alaska, se retrouver « into the wild » au milieu de ses vastes étendues grisantes, seul, en communion avec la nature.

    Dès les premières secondes la forme, qui attire d’abord notre attention, épouse intelligemment le fond. Des phrases défilent sur l’écran sur des paysages vertigineux, parce que ce sont les deux choses qui guident Christopher : l’envie de contempler la nature, de se retrouver, en harmonie avec elle et la littérature qui a d’ailleurs en partie suscité cette envie, cette vision du monde. Jack London. Léon Tolstoï. Et en entendant ces noms, je commence à me retrouver en territoires connues, déjà troublée par ce héros si différent et si semblable. Influencé par Henry David Thoreau aussi, connu pour ses réflexions sur une vie loin de la technologie…et pour la désobéissance civile.

    Puis avec une habileté déconcertante et fascinante Sean Penn mélange les temporalités du personnage ( instants de son enfance, sa vie en Alaska, seul dans un bus au milieu de paysages sidérants de beauté) et les rencontres marquantes de son périple, les points de vue (le sien, celui de sa sœur), les fonctions de la voix off (lecture, citations, impressions)brouillant nos repères pour en créer d’autres, trouver les siens, transgressant les codes habituels de la narration filmique, s’adressant même parfois à la caméra, à nous, nous prenant à témoin, nous interpellant, nous mettant face à notre propre quête. De bonheur. De liberté. Et surtout : de vérité.

    Au travers de ces différentes étapes, nous le découvrons, ainsi que ce qui l’a conduit à effectuer ce périple au bout de lui-même en même temps que lui chemine vers la réconciliation avec lui-même, avec son passé, avec son avenir. En phase avec l’instant, l’essentiel, le nécessaire. Un instant éphémère et éternel. Carpe diem. Au péril de sa vie, au péril de ceux qui l’aiment. Mais c’est sa vérité. Paradoxale : égoïste et humaniste.

    Comme son protagoniste, la réalisation de Sean Penn est constamment au bord du précipice, à se faire peur, à nous faire peur mais jamais il ne tombe dans les écueils qu’il effleure parfois : celui d’un idéalisme aveugle et d’un manichéisme opposant la nature innocente et noble à la société pervertie. Non : la nature est parfois violente, meurtrière aussi, et sa liberté peut devenir étouffante, sa beauté peut devenir périlleuse. Et la mort d’un élan la plus grande tragédie d’une vie. De sa vie. La fin d’un élan, de liberté.

    « Into the wild » fait partie de ces rares films qui vous décontenancent et vous déconcertent d’abord, puis vous intriguent et vous ensorcellent ensuite progressivement, pour vous emmener vous aussi bien au-delà de l’écran, dans des contrées inconnues, des territoires inexplorées ou volontairement occultées, même en vous-même. Avec le protagoniste, nous éprouvons cette sensation de liberté absolue, enivrante. Ce désir de simplicité et d’essentiel, cette quête d’un idéal. D’un chemin particulier et singulier ( C’est une histoire vraie, Christopher McCandless a réellement existé, son histoire a inspiré « Voyage au bout de la solitude » du journaliste américain Jon Krakauer) Sean Penn écrit une histoire aux échos universels . Un chemin au bout de la passion, au bout de soi, pour se (re)trouver. Pour effacer les blessures de l’enfance. Et pour en retrouver la naïveté et l’innocence.

    2H27 pour vivre une renaissance. Enfance. Adolescence. Famille. Sagesse. Au fil de ses rencontres, magiques, vraies, il se reconstitue une famille. Chaque rencontre incarne un membre de sa famille, l’autre, celle du cœur : sa mère, son père, sa sœur. Sur chaque personnage Sean Penn porte un regard empli d’empathie, jamais condescendant à l’image de cette nature. A fleur de peau. Sauvage. Blessée. Ecorchée vive.

    La photographie du célèbre et talentueux Eric Gautier révèle la beauté et la somptuosité mélancolique de la nature comme elle révèle Christopher à lui-même, confrontant l’intime au grandiose. La bande originale poignante composée par Eddie Vedder du groupe « Pearl Jam » contribue à cette atmosphère sauvage et envoûtante, il a d’ailleurs obtenu le Golden Globe 2008 de la meilleure chanson. Et puis évidemment Emile Hirsch d’une ressemblance troublante avec Leonardo Di Caprio (Sean Penn avait d’ailleurs pensé à lui pour le rôle), par son jeu précis et réaliste, par sa capacité à incarner ce personnage à tel point qu’il semble vraiment exister, vibrer, vivre, mourir et renaître, sous nos yeux, est indissociable de la réussite de ce film.

    Avec ce quatrième long-métrage (après « The Indian Runner », « Crossing guard », « The pledge ») Sean Penn signe (il a aussi écrit le scénario) un film magistralement écrit, mis en scène (avec beaucoup de sensibilité, d’originalité et de sens) et mis en lumière, magistralement interprété, un road movie animé d’un souffle lyrique, un road movie tragique et lumineux, atypique et universel.

    Vous ne ressortirez ni indifférents, ni indemnes. Ce film va à l’essentiel, il vous bouscule et vous ensorcelle, il vous embarque bien au-delà de l’écran, dans sa quête d’absolu, de liberté, de bonheur. Un voyage aux confins du monde, de la nature, un voyage aux confins de l'être, de vous-même… Un film d’auteur. Un très grand film. D'un très grand auteur. Qui se termine sur des battements de cœur. Celui du héros qui renait. Au cœur de la vérité.

  • Avant-première - Critique - « Lincoln » de Steven Spielberg avec Daniel Day-Lewis, Sally Field, Tommy Lee Jones…

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    En ce début d’année 2013, deux cinéastes américains de génie, Tarantino et Spielberg, sortent un film ayant pour toile de fond l’esclavage. Pour le premier, avec "Django unchained", c’est  même le sujet qui lui permet de réinventer un genre cinématographique, puisqu’un esclave y devient héros de western. Pour le second, c’est ce qui lui permet, en traitant de l’adoption du 13ème amendement qui fit de l’abolition de l’esclavage un fondement permanent de la loi américaine, de tisser le portrait d’une éminente figure politique, celle du Président Abraham Lincoln. L’esclavage était d’ailleurs déjà au centre d’un de ses films, « Amistad ».  Le premier a situé l’action de son film deux ans avant la guerre de Sécession, le second lors de sa dernière année. Mais, plus que tout cela, ce qui les différencie, c’est un style : singulier, audacieux, qui à la fois utilise et s’affranchit  des règles du western pour Tarantino, avec cette  histoire d’amitié et de vengeance romanesque, de duels et de duos, une nouvelle fois jubilatoire. Plus classique, académique diront (à tort) certains est en revanche le film de Spielberg. Imaginez que quelqu’un leur aurait donné pour sujet : « réalisez un film qui évoquera l’esclavage ». Ils l’illustrent chacun à leur manière. Différente mais passionnante. Spielberg d’ailleurs, comme l’indique le titre de son film, évoque Lincoln plus que l’esclavage car même si l’adoption du 13ème amendement est l’enjeu du film, c’est Abraham Lincoln qui en est le centre. Alors, l’un est peut-être trop bon élève, l’autre un élève irrévérencieux, quoiqu’il en soit, tous deux ont en commun d’avoir signé deux films délicieusement bavards. Deux magistrales visions de l’Histoire et deux brillantes leçons de cinéma.

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    Spielberg se concentre ainsi sur les quatre derniers passionnants mois du 16ème Président des Etats-Unis : Abraham Lincoln (Daniel Day- Lewis). 1865. La nation est déchirée et divisée par la guerre de Sécession. Lincoln veut à la fois mettre fin au conflit, faire unifier le pays et faire adopter le 13ème amendement qui mettrait fin à l’esclavage. Dans le même temps, il doit faire face à des douleurs et conflits personnels : la perte d’un fils qui a ébranlé son couple et le désir d’un autre, brillant étudiant de Harvard, qui désire partir à la guerre.

    Adapté de « Team of Rivals : The Political Genius of Lincoln » de Doris Kearns Goodwin, le premier trait de génie du film de Spielberg et d’abord de son scenario (signé Tony Kushner, l'auteur, notamment, d’ « Angels in America », une pièce couronnée par le prix Pulitzer) est de ne pas avoir cédé à la facilité du classique biopic qui finalement nous en aurait appris beaucoup moins que ces quatre mois qui révèlent toute la grandeur et l’habileté politiques de Lincoln, sa détermination, mais aussi sa complexité. En conteurs inventifs, plutôt que de narrer son enfance, en une tirade, Kushner/Spielberg évoquent l’enfance de Lincoln et le rapport, là aussi complexe, à son père permettant ainsi, en ne traitant que de ces quatre mois, de cerner la personnalité de cet homme politique tant aimé des Américains et qui a tant influé sur leur Histoire.

    Les premiers plans, marquants (et à dessein puisque, ensuite, l’intrigue se concentrera dans les lieux de pouvoir) nous immergent dans les combats sanglants, impitoyables, de la guerre de Sécession. Spielberg avait déjà retranscrit avec brio toute l’horreur ineffable de la guerre dans « La Liste de Schindler » et « Il faut  sauver le soldat Ryan ». Ces quelques secondes nous les rappellent alors que dans « Cheval de guerre », cette violence était essentiellement hors-champ, notamment dans une scène d’une redoutable ingéniosité, celle où deux frères sont fusillés par les Allemands, deux enfants encore, fauchés en pleine innocence, une scène dissimulée par l’aile d’un moulin qui la rendait d’autant plus effroyable.

    Ces quelques secondes de ces hommes qui s’affrontent cors-à-corps suffisent là aussi à nous faire comprendre l’âpre violence de cette guerre et dénotent avec le reste du film, essentiellement centré sur les dialogues, ce qui déconcertera peut-être les inconditionnels du cinéaste qui en attendaient plus de spectaculaire ici savamment distillé.  

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    Après cette première scène, Lincoln apparaît, de dos, assis, écouté, admiré. En quelques minutes d’exposition, tout est dit : le conflit, l’admiration, l’esclavage, la complexité de la situation. Spielberg est évidemment le roi de scènes d’exposition. Rappelez-vous celle de « La Liste de Schindler » (que l’on peut d’ailleurs mettre en parallèle avec celle-ci) : Schindler s’habillant méthodiquement, soigneusement, choisissant cravate, boutons de manchette, et épinglant sa croix gammée. Le tout avec la dextérité d’un magicien. Nous n’avons pas encore vu son visage. De dos, nous le voyons entrer dans une boite de nuit où se trouvent des officiers nazis et des femmes festoyant allègrement. Il est filmé en légère contre-plongée, puis derrière les barreaux d’une fenêtre, puis souriant à des femmes, puis observant des officiers nazis avec un regard mi-carnassier, mi-amusé, ou peut-être condescendant. Assis seul à sa table, il semble juger, jauger, dominer la situation. Sa main tend un billet avec une désinvolte arrogance. Son ordre est immédiatement exécuté. Son regard est incisif et nous ignorons s’il approuve ou condamne. Il n’hésite pas à inviter les officiers nazis à sa table, mais visiblement dans le seul but de charmer la femme à la table de l’un d’entre eux. Cette longue scène d’introduction sur la musique terriblement joyeuse (« Por una cabeza » de Gardel), et d’autant plus horrible et indécente mise en parallèle avec les images suivantes montrant et exacerbant même l’horreur qui se joue à l’extérieur, révèle tout le génie de conteur de Spielberg. En une scène, il révélait là aussi tous les paradoxes du personnage, toute l’horreur de la situation. L’ambigüité du personnage est posée, sa frivolité aussi, son tour de passe-passe annoncé.

    Cela pour dire que si les films de Spielberg sont en apparence très différents, ils se répondent tous dans leurs thématiques et constructions, comme  les thèmes de loyauté, espoir, courage, ténacité étaient à l’honneur dans « Cheval de guerre » et le sont à nouveau ici, aussi différents puissent paraître ces deux films dans leurs formes.

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    Certains reprocheront à Spielberg une absence d’émotion contrairement à ce à quoi il nous avait habitués. C’est au contraire le grand atout de ce film et  c’est justement là encore tout le talent de Spielberg que d’avoir su insérer quelques scènes d’émotion au milieu de ce passionnant parcours politique, de ce film exigeant, de ces joutes verbales. En quelques plans, il nous fait éprouver la détresse et les dilemmes d’un père. Les scènes intimes, rares, n’en sont que plus bouleversantes, souvent filmées dans la pénombre, révélant les zones d’ombre de cet homme éclairé.  Le talent de (ra)conteur de Spielberg culmine lors de la scène de l’adoption du 13ème amendement pour laquelle il cède un moment au lyrisme et à l’emphase, et à quelques facilités scénaristiques qui contrastent avec la rigueur de l’ensemble mais témoignent de sa capacité à intéresser et émouvoir en quelques secondes. Il serait d’ailleurs intéressant de mettre en parallèle le montage de cette scène avec celle de la scène de la constitution de la liste dans « La Liste de Schindler », ces scènes étant toutes deux l’apogée de ces films autour desquelles ils sont articulés.

    A ces quelques exceptions près, Spielberg a préféré ici raconter l’Histoire plutôt qu’une histoire, même s’il reste un conteur admirable sachant captiver l’attention, et rendant ainsi encore hommage à Lincoln, lui-même conteur malicieux. Quand, aujourd’hui, on tend à tout simplifier et à utiliser des recettes souvent racoleuses pour captiver le spectateur, c’est un défi louable que de réaliser une œuvre aussi dense, foisonnante. D’ailleurs quel meilleur moyen pour évoquer la complexité de la démocratie, ses contradictions ? Indigne hommage que cela aurait alors été que de tout simplifier. Au contraire, par un récit complexe (mais d’ailleurs clair), Spielberg illustre la complexité de la politique, et lui redonne ses lettres de noblesse quand elle est ce qu’elle devrait uniquement représenter : un changement, un espoir, tout en n’éludant pas les compromis et même les compromissions nécessaires lorsque « La fin justifie les moyens », citation plus machiavélienne que machiavélique...

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    Au-delà de tout, ce qui restera sans doute de ce film, c’est l’incroyable présence de Daniel Day-Lewis qui EST Lincoln, politicien de génie, mari et père confronté à la douleur, homme mélancolique, conteur malicieux, brillant stratège et surtout profondément humain et charismatique. Il fait totalement oublier l’acteur pour donner vie à l’ancien président américain. Dans un rôle  aux antipodes de celui qu’il incarnait dans « There will be blood », tout en excès (mais tout aussi magistral), ici tout en nuances, il prouve une nouvelle fois la fascinante étendue de son talent. Spielberg, plutôt que de faire des mouvements de caméra démonstratifs, a mis sa caméra au service de son jeu, se rapprochant au fur et à mesure qu’il captive son auditoire, dans le film, et la salle de cinéma. A côté de lui, une distribution exceptionnelle campe plus d’une centaine de personnages, là encore identifiables et caractérisés en quelques mots, quelques plans. Un véritable défi. Parmi eux, retenons Sally Field impeccable dans le rôle de l’autoritaire et torturée Mrs Lincoln ou encore Tommy Lee Jones qui incarne les contradictions et les compromis nécessaires à l’adoption d’une loi historique qui aura guidé sa vie. Joseph Gordon-Lewitt qui interprète un des fils de Lincoln a lui les honneurs d'un des plus beaux plans du film, d’une tristesse et d’une beauté déchirantes, lorsqu’il découvre un charnier et décide de s’engager. David Strathairn, trop rare encore, est également remarquable en William Seward.

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    Le film est servi par un souci perfectionniste du détail, des décors aux costumes, en passant par une photographie réaliste d’une élégante sobriété. Ainsi, en un instant, lorsque Lincoln est filmé s’éloignant de dos dans un couloir vide tel un comédien quittant la scène ou dans ce plan de sa silhouette et de celle de son fils dans l’aveuglante lueur d’une fenêtre lorsqu'il apprend l'adoption de l'amendement, Spielberg nous éblouit sans pour autant chercher à en mettre plein la vue.  La musique de John Williams alterne entre lyrisme et discrétion et achève ce tableau historique d’une passionnante sobriété.

    Un film captivant et exigeant sur un homme et une situation historiques et complexes. Un hommage à Lincoln mais, au-delà, à la politique et ce qu’elle implique d’exigence à laquelle la forme judicieuse du film rend si bien justice. Un film d’une sobriété  salutaire qui ne cède que quelques instants et brillamment à l’émotion mais jamais à l’esbroufe. Un film dense aux 2H29 nécessaires. Un travail d’orfèvre servi par une prestation en or, celle d’un Daniel Day-Lewis au sommet de son art, accompagné par une distribution remarquablement choisie et dirigée. Un très grand film dont le classicisme n’est pas un défaut mais au contraire le témoignage de l’humilité et de l’intelligence d’un grand cinéaste devant un grand homme à qui il rend un admirable hommage, de la plus belle manière qui soit, en ne le mythifiant pas mais en le montrant dans toute son humaine complexité.

    Je vous parlais ici du film au lendemain de sa projection, je pense qu'il me faudra encore un peu de temps pour vous en parler comme il le mérite, et avec le recul nécessaire, donc j'y reviendrai.

    Retrouvez aussi cette critique sur "In the mood - Le Magazine" en cliquant ici.

    Sortie en salles : le 30 janvier 2013

  • L'homme qui rit, Jean-Pierre Améris, Gérard Depardieu ...et l'amour du cinéma.

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    Je sais: je vous ai déjà parlé de ce film que, peut-être, vous n'avez aucune envie d'aller voir pour des raisons autres que cinématographiques même si je trouve complètement ridicule cette campagne anti-Depardieu qui reste un acteur extraordinaire (Le Dernier Métro, Police, Camille Claudel, La Femme d'à côté, Cyrano de Bergerac, Jean de Florette, Loulou parmi tant d'autres sont d'immenses films mais en partie en raison de sa présence et de son interprétation) et qui est actuellement traité par les médias comme s'il était pire qu'Ahmadinejad, Bachar El-Assad et Kim Jong-un réunis (d'ailleurs d'un coup éclipsés de l'actualité, j'imagine que le deuxième vient subitement de laisser son peuple tranquille) faisant depuis plusieurs jours la une des jt y compris de France 2 (dont j'apprécie d'habitude la ligne éditoriale davantage tournée vers l'actualité internationale que celle des autres JT), une "affaire" qui devient prétexte à tous les donneurs de leçon ou oubliés du petit ou grand écran pour donner leur avis sur la question (il ferait bien de s'époumoner pour des sujets ou "causes" qui en valent la peine comme celui précité), voire à exprimer une certaine rancoeur ou jalousie à l'égard de celui qui était et reste un immense comédien, certes parfois excessif, mais libre (une qualité devenue rare) et probablement provocateur mais sans doute davantage parce que fragile et homme blessé comme le serait un enfant un peu trop capricieux et/ou sensible que méprisable comme certains s'enorgueillissent bêtement de le faire croire. Bref, tout cela pour dire que, quoique vous pensiez, ce n'est pas une raison pour ne pas aller voir le très beau film de Jean-Pierre Améris "L'homme qui rit" et, si je vous en parle aujourd'hui, c'est parce qu'il semblerait que le film soit victime d'un certain boycott en raison de "l'affaire" qui n'en est pas une "Depardieu"... alors il faudrait boycotter aussi les films avec Catherine Deneuve et Jeanne Moreau parce qu'elles l'ont défendu et tous les films avec des acteurs ayant eu des problèmes avec le fisc ou la justice. Bref, c'est ridicule alors: ALLEZ VOIR CE FILM (plutôt que des inepties comme "Jack Reacher") qui, en plus de ce que je vous en dis dans ma critique ci-dessous, a le grand mérite de donner envie de (re)lire Victor Hugo. Le cinéma reste « le plus beau des abris » y compris de toutes les absurdes polémiques comme Jean-Pierre Améris définit ainsi si bien le septième art dans cette interview que je vous recommande vraiment d'écouter...elle ne pourra que vous donner envie de voir ce film, davantage que ma critique sans doute.

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    Comme étais-je passée à côté de ce roman de Victor Hugo ? Mystère… La sortie du film a pour moi été l’occasion de cette magnifique découverte, d’un texte ardu mais passionnant, riche de multiples digressions, d’une langue admirable (évidemment), et surtout d’un personnage monstrueusement séduisant auquel tous ceux qui se sont un jour sentis différents pourront s’identifier : Gwynplaine sur lequel Jean-Pierre Améris a eu la bonne idée de centrer son film.

     

    Alors que la tempête de neige fait rage, Ursus (Gérard Depardieu), le forain en apparence revêche mais généreux, recueille deux orphelins dans sa roulotte. Le premier de ces deux orphelins, c’est Gwynplaine, un jeune garçon dont une cicatrice qui ressemble à un rire insolemment triste barre le visage, l’œuvre des Comprachicos (un mot qui est une invention de Victor Hugo provenant de l’espagnol comprar -qui signifie acheter- et chicos -qui signifie enfant- signifiant donc «acheteurs d’enfants»), spécialisés dans le commerce d’enfants, qu’ils achètent ou volent et revendent après les avoir mutilés. L’autre enfant, c’est Déa une petite fille aveugle que ce dernier a trouvée sur son chemin. Quelques années plus tard, ils sillonnent toujours les routes et présentent un spectacle dont Gwynplaine (Marc-André Grondin) alors adulte, est devenu la vedette, accompagné de Déa (Christa Théret), également sur scène. Partout, on souhaite voir « L’homme qui rit » celui qui fait rire et émeut les foules mais un autre théâtre, bien plus redoutable, celui de l’aristocratie, va l’éloigner de ceux qu’il aime et qui l’aiment…

     

    Hugo a écrit « L’homme qui rit » entre 1866 et 1869 durant son exil politique dans les îles Anglo-Normandes. Adapter les 750 pages de ce roman était un véritable défi tant le roman est foisonnant, allégorique aussi, et tant l’auteur digresse sur la politique, la philosophie et même l’architecture. Jean-Pierre Améris et Guillaume Laurant (notamment scénariste de films de Jean-Pierre Jeunet dont « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ») ont réalisé un incroyable travail d’adaptation et ont eu l’excellente idée de transposer le roman qui se déroule dans l’Angleterre du XVIIème sicèle dans un lieu et une époque imprécis (le film a été tourné en studios à Prague) et surtout d’en faire un conte sombre, et ainsi fascinant. Pour rendre l’histoire plus moderne et accessible, Jean-Pierre Améris a volontairement utilisé des éléments plus contemporains, pour les dialogues mais aussi pour les costumes, comme l’avaient fait Baz Luhrmann pour « Roméo et Juliette » ou Sofia Coppola pour « Marie-Antoinette ».

     

    Dès les premiers plans dans la neige et la tempête, la poésie lugubre et la féérie sombre des images captivent. Du roman baroque d’Hugo Jean-Pierre Améris a fait une fable intemporelle d’une beauté triste mais ensorcelante. C’est un magnifique roman (et film) sur la différence, la dualité, entre blancheur et noirceur, entre beauté et laideur, entre théâtre et réalité, entre aveuglement et clairvoyance, des contrastes que l’esthétique du film souligne magnifiquement et dont elle souligne aussi les paradoxes. « Qu’est-ce que ça veut dire être laid ? Laid c’est faire le mal ! Toi tu me fais du bien », résume si bien l’aveugle et sensible Déa.

     

    La vie est à la fois sublimée et plus réelle sur les planches comme elle peut l’être dans « Le Carrosse d’or », « Les enfants du paradis », « Le dernier métro » et c’est là que l’amour impossible de Déa (la jeune aveugle qui voit la beauté de l’âme, allégorie simple et tellement magnifique) et Gwynplaine est le plus éclatant. La monstruosité, le théâtre, la noirceur se situent finalement dans la réalité et du côté de l’aristocratie comme dans le « Ridicule » de Patrice Leconte. « Ne quitte jamais les planches. Ici les gens t’aimeront, mais dans la vie réelle, ils te feront souffrir » le prévient pourtant Ursus mais pour son plus grand malheur, Gwynplaine ne l’écoutera pas…

     

    Jean-Pierre Améris (dont j’ai découvert le cinéma avec « C’est la vie » et « Poids léger » que je vous recommande vivement et dont le dernier film « Les Emotifs anonymes » était une comédie très réussie), pour son 12ème film, est une nouvelle fois attiré par une histoire de marginaux qu’il sait si bien comprendre et pour lesquels il sait si bien susciter de l’empathie. Il a ainsi fait de Gwynplaine un personnage éminemment séduisant : innocent, révolté, libre, d’une laideur attrayante. Gwynplaine est moins connu que Quasimodo et pourtant sa belle monstruosité a énormément inspiré les artistes, à commencer par Tim Burton pour « Edward aux mains d’argent ». Le film de Jean-Pierre Améris, sans jamais le singer, m’a d’ailleurs beaucoup fait penser à l’univers du cinéaste américain par sa beauté baroque, entre rêve et cauchemar, par ses personnages d’une beauté étrange et fascinante (très felliniens, aussi), par sa mise en scène inspirée. Tim Burton n’était d’ailleurs pas le seul à avoir été inspiré par Gwynplaine. Les dessinateurs Jerry Robinson et Bob Kane reconnaissaient ainsi volontiers s’être inspirés de Gwynplaine pour le personnage du Joker, dans les comics Batman. Et le roman d’Hugo est longuement évoqué dans « Le Dahlia noir » de James Ellroy, présent également dans l’adaptation cinématographique de Brian De Palma.

     

    C’est aussi un très bel hymne à la différence, et à ceux qui se battent pour les autres (Hugo était un écrivain engagé, Jean-Pierre Améris, l’est aussi à sa manière dans chacun de ses films ou même teléfilms comme « Maman est folle »). Magnifique scène de la tirade au Parlement ! Il s’agit d’un discours exalté dans lequel Marc-André Grondin met beaucoup d’éloquence et de conviction : « Ce qu’on fait à ma bouche, c’est ce qu’on fait au peuple. On le mutile » dit-il notamment (le texte, magnifique, est là repris de Hugo). Marc-André Grondin apporte toute sa beauté, sa fraîcheur à ce homme bouleversant caché derrière ce masque tragiquement rieur, se mettant ainsi à nu, dévoilant son visage mais surtout sa belle âme, face à la vraie monstruosité.

     

    Le film bénéficie aussi d’un casting impeccable : outre Marc-André Grondin, Gérard Depardieu impose sa force tranquille et sa générosité (au passage, que les pseudo-politiquement corrects laissent tranquille cet homme terriblement libre, vivant, cet immense artiste, plutôt que d’utiliser sa vie personnelle pour, probablement, exprimer une certaine rancœur, voire jalousie, et qu’ils s’engagent et mettent leur énergie vindicative au service de causes qui en sont vraiment). J’espère que cela permettra aussi à certains de découvrir Swann Arlaud que j’avais découvert au Festival de Cabourg dans le court-métrage « Alexis Ivanovich vous êtes mon héros » de Guillaume Gouix dans lequel il incarne admirablement un personnage radieux et joyeusement désinvolte qui, en une fraction seconde, blessé dans son orgueil, va tout remettre en question, découvrant ne pas être le héros qu’il aurait aimé être aux yeux de son amoureuse. Emmanuelle Seigner est une incarnation sublime de la tentation diabolique et finalement, malgré tout, touchante (comme chez Hugo, même ou car monstrueux, ses personnages restent humains), et comme elle le dit elle-même, le visage de Gwynplaine est le reflet de son âme sombre. Enfin, Christa Théret dont le visage est si expressif (à voir aussi absolument dans « Renoir », dans un rôle très différent dans lequel elle excelle également) est la tentation angélique, incarnation du mélange de force et de fragilité, d’aveuglement et de clairvoyance.

     

    Mon seul reproche concerne le montage, et la durée, l’impression que la fin est un peu brusque…et que sans digresser autant que le fait Hugo dans son livre, le film aurait encore gagné en densité en gagnant un peu en longueur.

     

    Ce film est néanmoins vraiment un enchantement, un enchantement mélancolique, la forme reflétant ainsi le fond et toutes les sublimes dualités que l’histoire recèle. C’est aussi un opéra moderne ( la musique a été enregistrée à Londres avec un orchestre de 65 musiciens et elle apporte une force lyrique au film) . C’est également une histoire d’amour absolu, idéalisée, intemporelle (elles sont trop rares au cinéma pour s’en priver). C’est enfin un film universel au dénouement bouleversant. N’ayez pas peur de l’humour grinçant, la noirceur, la tragédie, ils sont sublimés par un personnage émouvant qui à la fois nous ressemble si peu et tellement (pour peu que nous nous sentions un tout petit peu différents) et un univers fascinant, poignant : celui d’un conte funèbre et envoûtant. La très belle surprise de cette fin d’année.

     

    Quelques citations extraites du livre « L’homme qui rit » de Victor Hugo, pour terminer :

     

    « Les aristocrates ont pour orgueil ce que les femmes ont pour humiliation, vieillir. »
    « De telles innocences dans de telles ténèbres, une telle pureté dans un tel embrassement, ces anticipations sur le ciel ne sont possibles qu’à l’enfance, et aucune immensité n’approche de cette grandeur des petits. »
    « Ca doit se fourrer dans des trous, le bonheur. Faites-vous encore plus petits que vous n’êtes, si vous pouvez. Dieu mesure la grandeur du bonheur à la petitesse des heureux. Les gens contents doivent se cacher comme des malfaiteurs. »
    « Deux coeurs qui s’aiment, n’allez pas chercher plus loin la poésie; et deux baisers qui dialoguent, n’allez pas chercher plus loin la musique. »

     

    L’homme qui rit a été présenté en clôture de la 69ème Mostra de Venise

  • "Detachment" de Tony Kaye, ce soir, à 20H50, sur Canal plus cinéma

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    En compétition du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2011 figurait "Detachment" de Tony Kaye, un de mes coups de coeur du festival de cette édition (dont la compétition était d'ailleurs d'un niveau remarquable) . Son réalisateur a suscité les plus beaux moments d'émotion du festival, en présentant d'abord le film en chantant puis en remerciant le jury encore en chantant lors du palmarès avec, notamment une chanson bouleversante sur le 11 septembre (dernière vidéo, ci-dessous). Je vous propose de retrouver mes vidéos de ces beaux moments, ci-dessous.

    Dans ce film Adrien Brody incarne Henry Barthes, un professeur remplaçant, remplaçant afin de ne pas s’investir avec ses élèves tout comme il s’évertue à ne pas s’investir avec les femmes. Il se rêve en homme désincarné dans une salle vide ; lui qui incarnera pourtant le visage de l’espoir.

    Avec une poésie sombre, Tony Kaye, dans le fond comme dans la forme, rend hommage à l’art, ici salvateur, et à ces êtres qui ne se comprennent pas mais finalement si proches dans leurs fêlures, leur solitude, leur besoin d’écoute. Adrien Brody lui ne fuit pas son rôle (qui parle justement de fuite) mais est au contraire d’une présence époustouflante, assumant les contradictions de son personnage, bouleversant.

     

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  • Programme du Festival Cinéma Télérama 2013

    En plus des Incontournables UGC qui vous permettent de voir des films de 2012 à tarif réduit, chaque année, Télérama organise son "Festival Cinéma", en réalité une opération du 16 au 22 janvier qui vous permet de (re)voir des films de 201 à 3€ la place de cinéma avec le pass Télérama disponible dans les numéros des 9 et 16 janvier 2013. Au programme:
    - 15 films sélectionnés par la rédaction cinéma de Télérama et pour la première fois un film jeune public
    - 7 jours : du 16 au 22 janvier 2013
    - 228 salles dans toute la France participent au Festival cinéma Télérama : à Paris (21), en banlieue (30), en province (177)

    Voici, ci-desous, la liste des films sélectionnés parmi lesquels je vous recommande "Dans la maison", "De rouille et d'os", "Amour", "Les Adieux à la reine" (dont vous pouvez retrouver mes critiques en cliquant sur leurs titres) et "Tabou". Ce sera aussi pour moi l'occasion de rattraper quelques films comme "Camille redouble" qui semble avoir enthousiasmer la critique.

    Oslo, 31 août

    Take shelter

    Moonrise Kingdom

    Margin Call

    Holy Motors

    Tabou

    Dans la maison

    Camille redouble

    Amour

    The Deep Blue Sea

    Les adieux à la reine

    Adieu Berthe

    Killer Joe

    De rouille et d'os

    Elena

    Les enfants loups

     

    Lien permanent Imprimer Catégories : IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) Pin it! 2 commentaires
  • Critique - "Les Emotifs anonymes" de Jean-Pierre Améris, ce 2 janvier 2013, à 20H45, sur Ciné + premier

    Alors que figure encore à l'affiche  "L'homme qui rit" de Jean-Pierre Améris que je vous recommande vivement et dont vous pouvez retrouver ma critique en cliquant ici (j'en profite aussi pour recommander la très belle interview de Jean-Pierre Améris sur France Inter à laquelle vous pouvez accéder en cliquant ici et qui, j'en suis certaine, vous donnera envie de découvrir le cinéma de ce cinéaste rare et singulier si vous ne le connaissez pas encore, je vous recommande au passage les excellents "Poids léger" et "C'est la vie"), ce soir ne manquez pas son précédent film "Les Emotifs anonymes", à 20H45, sur Ciné + premier. Retrouvez ma critique du film publiée à sa sortie en salles, ci-dessous.

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    La comédie française se porte bien : après le réjouissant « Tout ce qui brille », le pétillant « De vrais mensonges », le romantique « L’Arnacoeur », le décalé « La reine des pommes », le sucré acide « Potiche » cette année 2010 s’achève par une comédie qui n’est pas la plus clinquante ni la plus formatée mais sans aucun doute la plus attachante à des années lumière d’une « comédie » désolante, démagogique et opportuniste comme « Fatal ».

    Le gérant d’une chocolaterie au prénom aussi improbable que ses costumes démodés est un grand émotif. Jean-René (Benoît Poelvoorde) donc, puisque tel est ce fameux prénom suranné, cherche à employer une nouvelle commerciale. Angélique (Isabelle Carré) est la première à se présenter. Chocolatière de talent, elle est au moins aussi émotive que Jean-René, participant même à des séances des «Emotifs anonymes ». Entre eux le charme opère immédiatement, malgré leurs maladresses, leurs hésitations, leurs regards fuyants. Seulement leur timidité maladive tend à les éloigner…

    Quant la mode est aux cyniques célèbres, un film qui s’intitule « Les Emotifs anonymes » est déjà en soi rafraîchissant et j’avoue avoir d’emblée beaucoup plus de tendresse pour les seconds. Cela tombe bien : de la tendresse, le film de Jean-Pierre Améris en regorge. Pas de la tendresse mièvre, non. Celle qui, comme l’humour qu’il a préféré judicieusement employer ici, est la politesse du désespoir. Jean-Pierre Améris connaît bien son sujet puisqu’il est lui-même hyper émotif. J’en connais aussi un rayon en émotivité et évidemment à l’entendre je comprends pourquoi son film (me) touche en plein cœur et pourquoi il est un petit bijou de délicatesse.

    La première grande idée est d’avoir choisi pour couple de cinéma Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré déjà réunis dans « Entre ses mains », le très beau film d’Anne Fontaine. Poelvoorde donne ici brillamment corps (mal à l’aise, transpirant, maladroit), vie (prévoyante et tétanisée par l’imprévu) et âme (torturée et tendre) à cet émotif avec le mélange de rudesse involontaire et de personnalité à fleur de peau caractéristiques des émotifs et Isabelle Carré, elle aussi à la fois drôle et touchante, sait aussi nous faire rire sans que jamais cela soit aux dépends de son personnage. L’un et l’autre sont pour moi parmi les plus grands acteurs actuels, capables de tout jouer et de nous émouvoir autant que de nous faire rire. Ici ils font les deux, parfois en même temps. Poelvoorde en devient même beau à force d’être touchant et bouleversant, notamment lorsqu’il chante, dans une scène magnifique que je vous laisse découvrir. Le film de Jean-Pierre Améris est ainsi à l’image de l’entreprise de chocolaterie vacillante de son personnage principal : artisanal mais soigné, à taille humaine, et terriblement touchant.

    La (première) scène du restaurant est un exemple de comédie et symptomatique du ton du film, de ce savant mélange de sucreries, douces et amères, de drôlerie et de tendresse. Cette scène doit (aussi) beaucoup au jeu des acteurs. Leur maladresse dans leurs gestes et leurs paroles (leurs silences aussi), leurs mots hésitants, leurs phrases inachevées, leurs regards craintifs nous font ressentir leur angoisse, l’étirement du temps autant que cela nous enchante, nous amuse et nous séduit.

    Le deuxième est le caractère joliment désuet, intemporel du film qui ne cherche pas à faire à la mode mais qui emprunte ses références à Demy ou à des pépites de la comédie comme « The shop around the Corner » de Lubitsch avec ses personnages simples en apparence, plus compliqués, complexes et intéressants qu’il n’y paraît sans doute à ceux qui préfèrent les cyniques célèbres précités.

    Avec son univers tendrement burlesque, avec ses couleurs rouges et vertes, Jean-Pierre Améris nous embarque dans ce conte de noël qui se déguste comme un bon chocolat à l’apparence démodée mais qui se révèle joliment intemporel. Un film tout simplement délicieux, craquant à l’extérieur et doux et fondant à l’intérieur qui vous reste en mémoire...comme un bon chocolat à la saveur inimitable.

    Jean-Pierre Améris m’avait déjà bouleversée avec « C’est la vie » et « Poids léger », maintenant en plus il nous fait rire. Vivement le prochain film du cinéaste et vivement le prochain film avec Isabelle Carré ET Benoît Poelvoorde ! Si vous n’avez pas encore vu ce film allez-y de préférence le 25 décembre, vous ferez en plus une bonne action. Un film qui fait du bien comme celui-ci, c'est vraiment l'idéal un jour de noël et vous auriez tort de vous en priver.

    En bonus, regardez le clip de "Big jet lane" d'Angus et Julia Stone, très belle bo qui prolonge le film.