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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 29

  • Critique de TOURNER POUR VIVRE de Philippe Azoulay (au cinéma le 11 mai 2022)

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    Pour ce documentaire, Tourner pour vivre, Philipe Azoulay a suivi Claude Lelouch pendant sept ans. Sept années de tournage pendant lesquelles il nous invite à partager la vie du cinéaste et sa croyance en l’incroyable fertilité du chaos. Un voyage inédit, une aventure artistique, une expérience humaine et spirituelle avec Claude Lelouch. Deux films servent principalement de fils conducteurs à ce documentaire, Salaud, on t’aime (2014) et Un + Une (2015). Mais aussi, plus brièvement, le tournage et la projection cannoise du film Les plus belles années d’une vie. J’espère que mes quelques digressions vont donneront envie de (re)voir ces trois films formidables qui ne reçurent pas forcément le succès qu’ils auraient mérité d’avoir. J’espère aussi bien sûr vous donner envie de découvrir ce passionnant documentaire.

    Philippe Azoulay est un réalisateur et producteur indépendant dont les fictions et documentaires furent souvent récompensés en festival. Depuis les années 2000, il s’est également activement engagé dans l’organisation d’évènement internationaux qui touchent aux problèmes environnementaux et humains.

    En 2015 sortait ainsi Un + une de Claude Lelouch, un film dans lequel « l’amour est l’unique religion ». Un hymne à l’amour, à la tolérance, au voyage, aussi bigarré et généreux que le pays qu’il nous fait traverser. Un joyeux mélange de couleurs, de fantaisie, de réalité rêvée ou idéalisée, souligné et sublimé par le lyrisme de la musique du fidèle Francis Lai et celle de la Sérénade de Schubert, par des acteurs que le montage inspiré, la musique lyrique, la photographie lumineuse ( de Robert Alazraki), le scénario ingénieux (signé Valérie Perrin et Claude Lelouch), et l’imparable et incomparable direction d’acteurs de Lelouch rendent plus séduisants, convaincants, flamboyants et vibrants de vie que jamais. Une « symphonie du hasard » mélodieuse, parfois judicieusement dissonante, émouvante et tendrement drôle avec des personnages marquants parce que là comme ils le sont rarement et comme on devrait toujours essayer de l’être : passionnément vivants. Comme chacun des films de Lelouch le sont. C’est aussi une déclaration d’amour touchante et passionnée. Au cinéma. Aux acteurs. A la vie. A l’amour. Aux hasards et coïncidences. Et ce sont cette liberté et cette naïveté presque irrévérencieuses qui me ravissent. Et qui transparaissent à merveille dans ce documentaire de Philippe Azoulay qui nous donne envie de revoir ce film en révélant l'incroyable et saisissante aventure humaine que fut ce tournage.

    La vie de Lelouch a débuté sous le signe du cinéma. Il se réfugiera ainsi dans un cinéma pendant la guerre. Et ses parents se sont rencontrés dans un cinéma, pendant un film de Fred Astaire et Ginger Rogers, lesquels, des années plus tard, lui remettront son Oscar. Comme dans une scène d'un film de Lelouch glorifiant les hasards et coïncidences...

    Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs et les détracteurs. Les seconds condamnant ce que les premiers (dont je suis) adorent : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses aphorismes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Et surtout, ce que même les seconds ne pourraient lui nier : une passion communicative et intacte qui transpire dans ce palpitant documentaire. Une passion contagieuse qui, en sortant de ce documentaire, vous donnera envie de revoir tous ses films, de La bonne année, le film préféré de Kubrick, à Itinéraire d’un enfant gâté. Mais aussi d’empoigner une caméra tant ce film fait aimer follement le cinéma (et, évidemment, le cinéma de Lelouch), ou l’aimer encore plus.

    Le parcours de Claude Lelouch est jalonné de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr Un homme et une femme, palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement ! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, elle marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera Un homme et une femme, la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires. C’est une des histoires que vous trouverez dans ce documentaire.

    Nous découvrons à quel point Lelouch, éternel enthousiaste, éternel grand enfant, fourmille de projets (plusieurs, toujours, en même temps), le parcours du combattant (et initiatique) qu’a été le tournage de Un + Une. Et bien sûr sa si singulière méthode de tournage qui fait de lui un directeur d’acteurs si exceptionnel qui arrive à capter ces « fragments de vérité ». C’est passionnant, parfois bouleversant. Lorsque depuis l’Inde, on apprend l’horreur des événements de janvier 2015 en France. Lorsque Claude Lelouch qu’on aura rarement vu aussi mélancolique, évoque cette fin de vie qu’il n’exclut pas de choisir. Et parfois révoltant quand on voit les difficultés qu’il rencontre pour monter ses films, l’énergie qu’il déploie face à des financiers cyniques.

    On découvre aussi l’échec que fut Salaud, on t’aime. Ce film qui, pourtant, comme chaque film de Lelouch comporte des scènes d’anthologie. Celle pendant laquelle les deux amis Kaminsky/Johnny et Selman/ Eddy refont Rio Bravo est un régal. Mais aussi, à l’opposé, ce brusque basculement du film (que je ne vous révélerai évidemment pas) qui m’a bouleversée.  Il n’y a que lui pour oser. De même qu’il n’y a que lui pour oser appeler les 4 filles d’un personnage Printemps, Eté, Automne et Hiver. Et ce sont cette liberté presque irrévérencieuse, cette audace, qui me ravissent dans son cinéma.  Lelouch, dans ce film coécrit avec Valérie Perrin, raconte la vie, avec tout ce qu’elle comporte de beauté tragique ou de belle cruauté, de douleurs ineffables aussi, ses paradoxes qui la rendent si fragile et précieuse. En quelques plans, ou même en un plan d’une silhouette, il exprime la douleur indicible de l’absence. Mais c’est aussi et avant tout un film magnifique sur l’amitié et ses mensonges parfois nécessaires, sur le pardon aussi…sans oublier ces « hasards et coïncidences » qu’affectionne le cinéaste. Ce hasard qui « a du talent » à l’image de celui qui en a fait un de ses thèmes de prédilection.  Malgré son titre, peut-être son film le plus tendre, aussi. Ce film porté par des acteurs solaires, un montage ingénieux, une musique judicieuse, une photographie émouvante ne déroge pas à la règle. Le juste milieu entre légèreté et gravité. Les fragments de vérité et les fragments de mensonges. La vie et le cinéma.

    Et puis le film s’achève par quelques images du tournage du long-métrage Les plus belles années d’une vie dont la projection cannoise me laissa un souvenir impérissable...Il pleuvait ce soir-là à Cannes. Inlassablement. Mais il pleuvait gaiement. Parce que c’était joyeux de monter les marches pour retrouver 53 ans après Anne Gauthier et Jean-Louis Duroc dans la ville et le festival qui ont vu et fait éclore leur incroyable destin avec la Palme d’or 1966. Oui, c’était joyeux. Même sous une pluie intarissable. Comme dans un film de Sautet. Intarissable comme mon émotion dès les premières minutes du film. L’émotion d’être là. L’émotion d’avoir rendez-vous avec mes premiers élans cinématographiques. L’émotion d’entendre les notes de musique de Francis Lai, notes mythiques d’un film mythique dans une salle elle aussi devenue mythique. Rendez-vous avec la mythologie du cinéma. L’émotion communicative de l’équipe du film. L’émotion d’une partie du public du Grand Théâtre Lumière. L’émotion dès les premières minutes, lors de ces plans sur le visage de Jean-Louis Duroc / Trintignant. L'émotion autant de retrouver le personnage de Jean-Louis Duroc que de retrouver Jean-Louis Trintignant au cinéma. Et quel Jean-Louis Trintignant ! Ce film qui aurait pu être morose est au contraire plein de vie même si et justement même parce qu’on y entend à plusieurs reprises « La mort, c’est l’impôt de la vie. »  La vie est là, tout le temps. Eblouissante. Quand Anne et Jean-Louis s’évadent en voiture et que le soleil insolent perce à travers les feuilles.  Quand Jean-Louis crie fougueusement à Anne « Embrassez-moi ». Quand les femmes regardent Jean-Louis, ou que Jean-Louis regarde les femmes de sa vie. Avec tant de tendresse. La tendresse, ce film en regorge. L’humour aussi. Lors de multiples clins d’œil au film de 1966 comme lorsque Jean-Louis roule sur les planches et s’étonne que ce soit interdit et qu’un policier lui rétorque que c’est interdit « depuis 50 ans, depuis qu’un crétin a roulé ici avec sa Ford Mustang. » Quelle justesse lorsqu’il dit « Je me souviens d’elle comme si c’était hier » ou lorsqu’elle dit « On est toujours beaux quand on est amoureux ». Cela aurait pu être mièvre. Par le talent de ces deux immenses acteurs et de Lelouch c’est infiniment beau et émouvant. Et ce visage de Trintignant quand soudain il s'illumine par la force des souvenirs de son grand amour, comme transfiguré, jeune, si jeune soudain. Et la majesté d'Anouk Aimée, sa grâce quand elle remet sa mèche de cheveux. Il faut dire aussi qu’ils sont si amoureusement filmés. Et que d'intensité poétique et poignante lorsqu'ils sont l'un avec l'autre comme si le cinéma (et/ou l'amour) abolissai(en)t les frontières du temps et de la mémoire. Encore un des pouvoirs magiques du cinéma auxquels ce film est aussi un hommage. Et évidemment il y a la musique, toujours si importante dans les films de Lelouch, a fortiori dans Un homme et une femme. Un film infiniment lumineux, tendrement drôle (d'une infinie tendresse), émouvant, joyeusement nostalgique, gaiement mélancolique, optimiste, hymne à la vie, à l’amour, hommage au cinéma, sublimé par la beauté si lumineuse de Trintignant et Aimée. 

    Un beau moment de vie et de cinéma entremêlés et il me semble encore entendre le fameux « Dabada Daba » que le public du Grand Théâtre Lumière a repris en chœur résonner dans ma tête  comme cette pensée que « Les plus belles années d’une vie sont celles qu’on n’a pas encore vécues ».  C’est au fond ce que nous racontent tous les films de Claude Lelouch auxquels ce documentaire rend magnifiquement hommage. Si Lelouch se définit comme un « reporter du réel » qui essaie d’en capter les « grains de sable », il aspire au fond à une chose : nous faire « aimer un peu plus la vie » qui est « le plus grand cinéaste du monde », cette vie qu'il fait tournoyer sous sa caméra, vibrante et intense. Ce à quoi il parvient magistralement et ce que reflète ce documentaire, à voir absolument.

  • Le film de la semaine - EN CORPS de Cédric Klapisch

    critique, film, En corps, Cédric Klapisch, Klapisch

    Quelques mots sur le formidable En corps qui, je l’espère, vous donneront envie de découvrir ce 14ème film de Cédric Klapisch, coécrit avec Santiago Amigorena. Alors que son précédent long métrage, « Deux moi », s’achevait par un cours de danse lors duquel les destinées parallèles de ses protagonistes se croisaient enfin, celui-ci est entièrement consacré à cet art.
     
    En corps est l’histoire d’une reconstruction, celle d’Élise (Marion Barbeau), grande danseuse classique qui, pendant un spectacle de La Bayadère, surprend son compagnon avec une autre danseuse. Le choc va entraîner une chute. Et une autre blessure, physique celle-ci, compromettant son avenir de danseuse. En Bretagne, dans une résidence d'artistes, elle va se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine et trouver un nouvel élan. De vie. D’envies. De danse.
     
    Le film commence par 15 minutes fascinantes. 15 minutes entre la scène et les coulisses. Un tourbillon éblouissant de bleu et de rouge. Une explosion étourdissante de couleurs et de mouvements.
     
    Avec toujours un regard rempli d’empathie, dénué de condescendance, une sorte de légèreté profonde portée par des envolées filmiques, Klapisch suit la reconstruction d’Élise. Il célèbre la force des fragilités. La beauté du ballet aussi, qu’il soit classique, aérien, poétique même, presque abstrait et celle de la danse contemporaine, une beauté brute, presque véhémente et pourtant tout aussi vibrante. Celle du danseur et chorégraphe israélien Hofesh Schechter qui signe également la musique avec la participation de Thomas Bangalter, des Daft Punk.
     
    Comme toujours, Klapisch capte la beauté et le romanesque de Paris mais aussi l’air du temps. Dans Paris notamment, il filmait comme nul autre cette ville au cœur battant, insouciante, qui vibre, qui danse, une ville de tous les possibles, une ville et une vie où rien n’empêche personne de « donner une chance au hasard », de faire valser les fils du destin. Élise (Marion Barbeau, danseuse de l’Opéra de Paris, quelle révélation, à la fois fragile et forte, si solaire et incroyablement juste), elle aussi, donne une chance au hasard.


    Ce film lumineux met le cœur en joie, vous cueille quand vous ne vous y attendez pas, par un flashback et un plan, de loin, d’un père qui enlace sa fille, filmés tout en pudeur. On découvre en effet peu à peu qu’Élise a une autre blessure à panser. Le deuil de sa mère à laquelle la relie sa passion.
     
    Ajoutez à cela des seconds rôles remarquables au premier rang desquels celui qui incarne son père, Denis Podalydès, aussi terriblement gauche qu’émouvant, François Civil en kinésithérapeute éthéré et Muriel Robin, propriétaire de la résidence pour artistes, qui interprète avec sobriété cette autre blessée de la vie à l’écoute bienveillante. Et vous obtiendrez un joyeux élan de vie, de danse, d’espoir. Un film duquel se dégage une grâce énergique qui vous donne envie de croire encore (en corps) et plus que jamais qu’il est toujours possible de faire danser la vie, de se relever, de s’élever même, malgré les chutes et les blessures.
     
    Pour moi, il y aura désormais deux films références sur la danse. Un film entrelaçant le noir et le blanc, une quête de perfection obsessionnelle, une expérience sensorielle, une danse funèbre et lyrique, un conte obscur sensuel et oppressant à la beauté hypnotique : Black swan de Darren Aronofsky. Et son exact contraire, En corps. Dans l'un, la passion de la danse détruit. Dans l'autre, elle élève. Alors, n’écoutez pas les critiques vengeresses qui qualifient ce beau film de mièvre. C’est tout sauf cela. C’est tendre, drôle, émouvant, faussement léger, profond, réconfortant, énergique, optimiste. Cela donne envie d’étreindre l’existence. Bref, foncez-y ! Rien que son (sublime) générique vaut le déplacement !
    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2022 Pin it! 0 commentaire
  • Critique - LA RÈGLE DU JEU de Jean Renoir (sortie en version restaurée 4k, le 6 avril 2022)

    cinéma, film, critique, la Règle du jeu, Jean Renoir, version restaurée

    À l'occasion de la sortie en version restaurée de "La Règle du jeu" de Jean Renoir dont la première projection publique a eu lieu le 31 mars à 20 h à la Cinémathèque Française, dans le cadre du festival Toute la mémoire du monde (festival international du film restauré), je vous propose cette analyse du film extraite de mon mémoire de Sciences Politiques consacré à la vision de la société française et de la montée des périls dans le cinéma de 1936-1939, raison pour laquelle il s'agit plus d'une analyse sous ce prisme que d'une critique.

    La Règle du jeu: le clairvoyant "drame gai" de Jean Renoir (1939)

     Souvent classé comme le meilleur film de tous les temps, c’est en tout cas incontestablement un chef d’œuvre de l’Histoire du cinéma…

     La règle du jeu : le constat désespéré et la métaphore cynique d’une société en crise

    Au premier rang de ces nombreux films qui, avant-guerre, dépeignaient une société en crise se trouve La règle du jeu, qui, derrière son apparente légèreté, établit un constat cynique et désespéré de la décomposition morale de la France et qui en fit un chef d’œuvre annonciateur d’un avenir inéluctable. Le dernier film d’avant-guerre de Renoir est aussi le film annonciateur de la guerre. Les successions de styles auxquels recourt Renoir, entre vaudeville, satire et tragédie ne sont pas utilisées gratuitement mais contribuent à créer une véritable peinture sociale.

    Une alliance subtile de vaudeville, satire et tragédie

    Dès le départ le cadre est planté, Renoir sous-titrant son film « fantaisie dramatique » et en définissant ainsi l’atmosphère. Tout comme son synopsis le film échappe à toute définition, Renoir prenant néanmoins soin de nous préciser au préalable que « ce divertissement dont l’action se passe à la veille de la guerre de 1939 n’a pas la prétention d’être une étude de moeurs. Les personnages qu’il présente sont purement imaginaires. » Ces personnages, ce sont d’abord André Jurieux (Roland Toutain), le film débutant par l’atterrissage de son avion au Bourget. Celui-ci vient en effet de battre un record après avoir traversé l’Atlantique.

    Ovationné il ne pense qu’à Christine de La Chesnaye ( Nora Grégor), une femme du monde avec qui il avait une eu liaison platonique et qu’il s’attendait à voir à son retour. Il crie son désespoir à la radio puis tente de se suicider en voiture. Afin d’arranger les choses son ami Octave (Jean Renoir), également ami des La Chesnaye, le fait inviter à une partie de chasse que ceux-ci donnent dans leur propriété en Sologne, à La Colinière. Les terres sont surveillées par l’ombrageux Schumacher, qui surprend en flagrant délit de braconnage Marceau (Carette). Amusé, le marquis le prend alors à son service. Christine découvre par hasard la liaison de son mari avec une de leurs amies Geneviève de Marras (Mila Parély). Par dépit, elle répond aux avances du fade Saint-Aubin (Pierre Nay)…mais Octave aussi est amoureux d’elle. Une fête costumée va alors devenir le cadre d’un véritable vaudeville où maîtres et valets vont s’entrecroiser, Jurieux se battant avec Saint-Aubin, puis le marquis avec Jurieux, Schumacher courant après Marceau l’ayant surpris dans les bras de sa femme, Lisette (Paulette Dubost). Alors que tout s’apprêtait à rentrer dans l’ordre, Schumacher (Gaston Modot) se méprend en croyant Lisette dans les bras d’Octave alors qu’il s’agissait de Christine et abusé par un échange de costumes, il tue Jurieux d’un coup de carabine. Les Chesnaye après ce « déplorable accident » vont sauver la face après le salut final… Comme au théâtre tout le monde revient saluer à la fin. On passe du vaudeville à la satire. Les personnages paraissent en effet de prime abord fantasques, au début le film s’apparente à un vaudeville même s’il commence avec un ton tragique et la tentative de suicide d’André Jurieu. Le vaudeville est d’ailleurs annoncé dès l’exergue avec la citation de Beaumarchais : « Si l’amour porte des ailes, n’est-ce pas pour voltiger ».Dans ce vaudeville, les couples s’échangent et les portes claquent. Renoir avait d’ailleurs songé à appeler son film Les caprices de Marianne.

    C’est même le burlesque qui succède au vaudeville lorsqu’Octave ne parvient pas à enlever sa peau d’ours et lorsque tout le monde passe devant lui sans prendre le temps de la lui enlever. On repasse ensuite à la tragédie : les personnages sincères, comme Octave ou Jurieu, sont écartés du jeu. Mais c’est la satire qui prédomine : les personnages deviennent alors odieux. Tous les styles de récit se mêlent sans que cela jamais ne paraisse incohérent. Le ton est annoncé dès le début par La Chesnaye : « nous jouerons la comédie, nous nous déguiserons », mais ce déguisement là n’est pas seulement vestimentaire c’est aussi celui derrière lequel se dissimule l’hypocrisie des personnages.

    La volonté satirique de Renoir

    Renoir annonce donc ambitionner de faire « une description exacte des bourgeois de notre époque ». Le jeu annoncé par le titre est pourtant le jeu social et dans ce jeu-là Renoir n’épargne personne qu’il s’agisse des riches ou des pauvres...et les deux seuls personnages qui échappent à ce règlement de comptes se retrouveront hors du jeu, qu’il s’agisse de l’aviateur André Jurieu qui sera assassiné ou Octave, évincé, après avoir rêvé un moment de pouvoir partir avec Christine. Les femmes ne sont pas épargnées, elles y sont aussi cyniques. Tel Beaumarchais, Renoir raille les manèges mondains, La Règle du jeu étant empreinte de l’esprit du 18ème siècle, ne serait-ce que l’exergue empruntée au Mariage de Figaro. La volonté satirique est par ailleurs flagrante comme à travers cette réplique dont la censure exigea la suppression : « On est à une époque où tout le monde ment : les prospectus des pharmaciens, les gouvernements, le cinéma, la radio, les journaux…Alors pourquoi veux-tu que nous autres les simples particuliers, on ne mente pas aussi ? ». Le monde dépeint par Renoir est un spectacle dans lequel chacun a ses raisons d’endosser un rôle.

    C’est avant tout la violence de la société que dénonce Renoir, une société pour qui tout peut rentrer dans l’ordre après une mort comme tout rentre dans l’ordre après la mort de Jurieu, une société qui vient saluer comme si de rien n’était après ce « déplorable accident ». Les personnages ne sont pas spontanés et malgré les sentiments qu’il éprouve pour Christine, Jurieu veut avoir une conversation avec La Chesnaye : «Christine tout de même il y a des règles. » Chacun affecte le respect des convenances sociales et le respect d’autrui. Ainsi, La Chesnaye fait l’éloge de la liberté : « Sur cette terre il y a quelquechose d’effroyable, c’est que chacun a ses raisons. » « D’ailleurs je suis pour que chacun les expose librement (…) contre les barrières. » Quant aux domestiques ils ne sont pas épargnés : ils réinventent une société à l’image de celle des maîtres qu’ils critiquent. Les employés singent leurs maîtres comme lors de cette scène de repas. Ils semblent libres mais sont en réalité totalement assujettis, La Chesnaye signifiant ainsi à Schumacher qu’il n’a pas le droit d’être dans le château, que ce n’est pas son domaine, qu’il doit se cantonner à l’extérieur. Le mépris des uns pour les autres est également fustigé : « Au contraire, il faut bien que ces gens-là s’amusent comme les autres. » Les différentes classes font donc preuve de la même hypocrisie et ont les mêmes défauts, les mêmes faiblesses.

    Un chef d’œuvre-testament : le film annonciateur d’un avenir inéluctable

    Dans La règle du jeu, Renoir fait preuve d’une réelle virtuosité technique qui presque 70 ans après, reste encore un véritable modèle. Cette virtuosité n’est pas une simple démonstration ostentatoire et gratuite mais elle est au service d’un véritable propos dont l’acuité est, aujourd’hui encore, sidérante.

    La virtuosité technique de l’œuvre

    La règle du jeu est ainsi d’une force plastique saisissante. Ce qui apparaît d’abord, c’est le goût du théâtre ou plutôt de la théâtralité à travers les déguisements, les chassés croisés. Le final est d’ailleurs très théâtral et annoncé par la citation de Beaumarchais du début.

    Mais si les références au théâtre sont multiples La règle du jeu est loin d’être une pièce filmée. La caméra semble voguer au hasard et dissimule en réalité un brio inégalé grâce à une profondeur et une largeur de champ si signifiantes. Les dialogues semblent être improvisés, les situations semblent se chevaucher. On a l’impression de voir la rapidité et la confusion d’images réelles même si pour Bazin « toute image cinématographique est réaliste par essence. » Le travail sur le son est admirable provenant tantôt de la TSF, du phono, de la poupée mécanique, des instruments etc. La musique n’est pas non plus anodine, elle révèle la fausseté des sentiments comme ces grenouilles qui coassent à la fin du film. La virtuosité technique de l’œuvre notamment grâce à la profondeur de champ ajoute encore à la complexité de l’œuvre et à celle du propos qui, derrière le vaudeville, dissimule la gravité.

    La virtuosité observatrice de l’œuvre : un regard clairvoyant sur une société aveugle et aveuglée

    Cette virtuosité technique n’est donc pas innocente mais au contraire utilisée au service d’un propos. Ce qui pourrait n’être qu’une comédie virevoltante est en réalité un des films qui observent et décryptent le mieux sa société et les causes de la guerre. Renoir dépeint en effet la fin d’un monde dont l’aveuglément permet l’émergence du fascisme. La tension est d’ailleurs à son comble pendant le tournage, Hitler ayant envahi la Tchécoslovaquie au mois de Mars. Le marquis, qui est d’origine juive, se fait ainsi traiter dans son dos de « métèque » par un des domestiques, ce à quoi le cuisinier réagit vivement : « A propos de juif, La Chesnaye, tout
    métèque qu’il est… » L’antisémitisme et le racisme y sont latents, les domestiques insistent ainsi sur le fait que « La mère de La Chesnaye avait un père qui s’appelait Rosenthal et qui arrivait tout droit de Francfort ». On y parle « des histoires de nègres » et il est question de « parasites ». Le film n’est pas prémonitoire mais révélateur de la dégradation de la société que Renoir a minutieusement observée.

    Les réactions que suscita le film à ce sujet furent d’ailleurs tout aussi révélatrices d’un état d’esprit comme celui du journaliste d'extrême-droite Brasillach qui estima que c’était inquiétant « d’oser montrer pour la première fois un juif sympathique », estimant que « de La Chesnaye est plus juif que jamais…Une autre odeur monte de lui du fond des âges, une autre race qui ne chasse pas, qui n’a pas de château, pour qui la Sologne n’est rien… Jamais peut-être l’étrangeté du juif n’avait été aussi fortement, aussi brutalement montrée. » C’est pourtant le film que sera fustigé et non ces propos outrageants. La scène de la chasse est par ailleurs particulièrement révélatrice du climat de l’époque. Les tireurs, hommes ou femmes, tuent avec froideur. La mort est d’ailleurs omniprésente comme lorsque les personnages sont déguisés en squelettes : la mort danse, les fantômes rodent autour d’eux. C’est le spectre de la guerre qui rôde. C’est une époque où « c’est assommant les gens sincères. » Etre sincère, c’est voir la réalité, et dans la réalité le monde est à la veille de la guerre. Et même derrière les lieux communs, on perçoit la crainte de l’avenir, et la noirceur du présent. Ainsi pour Marceau : « Dans notre partie, c’est comme dans tout y a la crise. » Rien n’est laissé au hasard. Ainsi, Marceau, justement est le nom du plus grand général républicain de la Révolution Française. La véritable terreur pour La Chesnaye et ses invités c’est le Front Populaire. Dans La Marseillaise, La Chesnaye est d’ailleurs un défenseur ultraroyaliste… L’œuvre de Renoir devient en quelque sorte une véritable Comédie humaine où les mêmes personnages ou du moins les mêmes noms et caractéristiques se retrouvent de films en films. Quand la société se donne en spectacle les tenues ne sont pas innocentes : ils sont déguisés en tyroliens et chantent une chanson ultranationaliste, un hymne boulangiste à la gloire de l’armée française. Les idéaux d’avant sont tournés en dérision et ceux qui sont mis en avant laissent présager un avenir inquiétant.

    Comme la société qu’il retranscrit le film oscille constamment entre le drame et la tragédie… et cette audace à une période où on ne pouvait plus rire de tout fut certainement une des causes de l’échec commercial que connut La règle du jeu. Qu’il s’agisse d’un « drame gai » ou d’une « fantaisie dramatique », la qualification demeure antithétique à l’image de cette société de paradoxes que Renoir décrit. Si le film se présente comme une comédie frivole en dehors de l’actualité, c’est en donc réalité une comédie grinçante qui en démontre subtilement les travers. « On sait jamais, y a rien d’impossible. » dit Marceau à de La Chesnaye, oui rien semble vouloir nous dire Renoir : pas même l’horreur qui se profile aux portes de la France…, pas même l’aveuglement de la société face au danger imminent qui la menace.

     Un échec commercial : une société qui refuse de se reconnaître

    Tout comme la réalité et le destin échappent au déserteur du Quai des brumes, il échappe au bourgeois et à l’aristocrate de La règle du jeu, pourtant la réussite du premier fut tout aussi retentissant que l’échec du second. Même après le retrait par Renoir de 23 minutes du film, La règle du jeu suscite un rejet unanime de la part du public. On cassait même les fauteuils dans certaines salles. Il provoqua également le rejet de la critique même s’il fut moins unanime, Georges Sadoul le qualifiant ainsi « d’incohérence ». Renoir songea même à abandonner le cinéma, il se résolut finalement à l’exil. À la veille de la seconde guerre mondiale on ne peut en effet applaudir une telle fantaisie, aussi dramatique fut-elle, ou peut-être justement parce qu’elle fut aussi dramatique. On ne supporta pas la dénonciation de l’hypocrisie sociale de ce petit monde « dansant sur un volcan. » Renoir disait en effet avoir voulu « peindre une société qui danse sur un volcan » . Est-ce là l’origine du mal qui progresse et menace l’Europe ? Renoir semble le sous-entendre. On ne pardonna pas non plus à Renoir d’avoir utilisé un juif pour manifester un semblant d’humanité.

    L’amitié même n’y est qu’un leurre…et « c’est la fatalité qui a voulu qu’André Jurieu soit victime de cette erreur. »« Au contraire, il faut bien que ces gens-là s’amusent comme les autres. » La caricature y est plus visible que dans les autres films de Renoir et le public ne l’admet pas tout comme ce drame gai aux portes d’un drame, un drame imminent rappelé par les danses macabres : spectres armés de lanternes précédant le squelette de la mort au son de la Danse macabre de Saint-Saëns. La fête permet d’oublier que l’on est aux portes d’une catastrophe et on ne pardonnera pas à Renoir de l’avoir interrompue. Les remous suscités par la première projection furent tels que Renoir se hâta de préciser qu’il n’avait pas eu la prétention de faire une étude de mœurs, les personnages étant « purement imaginaires. » Quand le film ressortit en copie complète dans les ciné-clubs en 1960 il fut pourtant reconnu comme un chef-d’œuvre incontesté...

     

  • L'ÉVÉNEMENT d’Audrey Diwan, enfin en DVD & Blu-ray (Wild side vidéo) !

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    Lion d’or de la Mostra de Venise 2021. Grand Prix et Prix SFCC du Festival de Saint-Jean-de-Luz 2021. Coup de cœur du Jury du Festival du Croisic 2021. Prix du Public du Festival de La Roche-sur-Yon 2021. Paris Film Critics Award de la meilleure adaptation (pour Audrey Diwan et Marcia Roman) et de la meilleure actrice pour Anamaria Vartolomei. César du meilleur espoir féminin pour Anamaria Vartolomei… Ce sont là quelques-uns (parmi d’autres !) des nombreux prix reçus par ce brillant long-métrage d'Audrey Diwan, des prix indéniablement mérités pour cette adaptation du roman autobiographique d’Annie Ernaux.

    France, 1963. Anne (Anamaria Vartolomei), étudiante prometteuse, tombe enceinte. Elle décide d’avorter, prête à tout pour disposer de son corps et de son avenir. Elle s’engage seule dans une course contre la montre, bravant la loi. Les examens approchent, son ventre s’arrondit.

    De la première à la dernière seconde, le format carré (1.37), claquemure le spectateur avec Anne, dans sa souffrance, dans son choix cornélien (risquer sa vie en avortant ou compromettre son avenir en gardant le bébé), dans sa course contre le temps. Tout est perçu, ressenti et éprouvé à travers son regard, sa douleur, cette prison qui l’enferme et nous avec elle, comme son corps est cadenassé et son esprit emmuré par ce compte à rebours obsédant et la solitude dans laquelle il la plonge.

    A la fois hermétique et captivante, ébranlée et déterminée, Anamaria Vartolomei  est d’une justesse admirable. Le chef opérateur Lanrent Tangy a privilégié la caméra à l’épaule pour épouser les mouvements de l’héroïne, ce qui renforce encore le sentiment de vertige, de danger, d’urgence. Implacables.

    On retrouve toute la vérité et toute l’humanité, que peut par exemple refléter le cinéma des Dardenne, avec cette urgence sociale et cette rage de dire même si le regard d'Audrey Diwan qui n’en est pas moins singulier ne serait-ce que dans sa manière de filmer les corps aussi libres que l'époque voulait les régenter.

    Ne manquez pas cette expérience viscérale, ce film saisissant d’émotion, glaçant, édifiant, poignant dont le souvenir ne vous lâchera pas une fois la lumière et l’apaisement revenus, sur l’écran et dans la salle. A rattraper d’urgence en OVD ou Blu-ray (Wild side vidéo) !

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  • Leçons de cinéma...

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    Comme vous avez été plusieurs à me poser la question sur les formations en cinéma, je voulais ainsi leur consacrer cet article, qui ne prétend pas à l’exhaustivité mais qui vous apportera peut-être quelques clefs si vous êtes dans une période de questionnement et d’atermoiements à ce sujet. Le cinéma est-il une matière comme une autre ? Le cinéma s’apprend-il ? La passion ne suffit-elle pas à soulever des montagnes et ne peut-elle pallier le manque de connaissances et de formation ?

    Je reste persuadée que le meilleur des apprentissages reste la curiosité, la fréquentation assidue des salles de cinéma et des festivals de cinéma qui permettent de découvrir des films vers lesquels notre sensibilité ne nous aurait pas amenés a priori et qui permettent surtout de réjouissantes surprises. Pour ma part, j’ai notamment suivi un Master 2 professionnel de cinéma à la Sorbonne (Paris 1 – Panthéon Sorbonne) dont le mémoire fut un scénario de long métrage (qui fut une aventure en soi, mais c’est un autre sujet…). Et mon mémoire de sciences politiques était aussi sur le cinéma, de même que mon mémoire de médiation culturelle, l’un et l’autre sur des aspects plus théoriques. Une bonne alternative pour concilier théorie et pratique, mais aussi pour aiguiser le regard et la curiosité et élargir le spectre de connaissances. Je recommanderais cette formation, le Master 2 ciné-création de la Sorbonne, qui allie théorie et pratique, dispensée par des professionnels du cinéma et des enseignants en cinéma dont un certain nombre donnent aussi des cours à la FEMIS que je vous recommande également.

    Ces formations me semblent utiles pour l’apprentissage des aspects techniques (même si cela peut se faire tout aussi bien sur le terrain, en travaillant sur des courts métrages par exemple) mais surtout pour se créer un bon carnet d’adresses.

    Pour ce qui m’intéresse, le scénario, vous trouverez cependant de nombreux livres formidables sur le sujet, mais aussi des sites mettant en ligne des scénarios qui vous permettront de vous former sans passer par les bancs de la fac ou d’une école. Il existe néanmoins d’autres formations aux métiers du cinéma à Paris, fortement recommandables, comme le CLCF notamment. Je vous recommanderais aussi de tenter les concours de scénario. Même si vous ne gagnez pas, certains vous permettent de recevoir des fiches de lectures qui vous aideront à déceler vos failles et points forts.

    J’évoquais plus haut les festivals de cinéma. En plus des films et des genres auxquels vous auriez cru être réfractaires qu’ils vous permettront de découvrir, nombreux sont aussi ceux qui proposent des leçons de cinéma dispensées par des « professionnels de la profession ». C’est ainsi le cas du Festival de Cannes mais aussi de nombreux autres festivals comme Deauville, Reims etc.

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    Certains documentaires valent aussi de véritables cours comme le remarquable documentaire de 2016 de Bertrand Tavernier, « Voyage à travers le cinéma français ». 3H15 aussi érudites que passionnantes. Je pense aussi que comme tout art, le 7ème, s’appréhende avec son Histoire et que, même si vous ne devez et pouvez avoir vu tous les films réalisés depuis 1895, il est important de connaître les classiques et chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma qui sont de véritables leçons de cinéma, au premier rang desquels le film souvent considéré comme le plus grand film de tous les temps, Citizen Kane d’Orson Welles.

    Mais comme pour tout art, il n’y a pas de loi. Il existe une multitude de parcours atypiques. Chacun d’entre eux est d’ailleurs singulier. Si la passion et la détermination sont là, alors nul doute que vous trouverez votre propre chemin...

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  • Critique - LES MAGNÉTIQUES de Vincent Maël Cardona (prix d’Ornano-Valenti du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2021)

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    Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona sort cette semaine en VOD sur Universcine.com. Ce film, présenté dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs 2021, avait reçu le prix de la SACD. Il fut également lauréat du Prix d’Ornano-Valenti du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville, toujours un gage de talent et de qualité. En bref, je vous donne quelques excellentes raisons de le découvrir, urgemment. Avant cela, son synopsis.

    Une petite ville de province au début des années 80. Philippe (Thimotée Robart) vit dans l’ombre de son frère, Jérôme (Joseph Olivennes), le soleil noir de la bande, extraverti, extravagant même. Entre la radio pirate, le garage du père (Philippe Frécon) et la menace du service militaire, les deux frères ignorent qu’ils vivent là les derniers feux d’un monde sur le point de disparaître. La première partie se déroule en province, entre la radio, le garage de leur père…et la belle Marianne (Marie Colomb), en stage dans le salon de coiffure local, la petite amie de Jérôme dont Philippe tombe fou amoureux. La deuxième partie se déroule à Berlin où Philippe effectue son service militaire, n’ayant pas réussi à se faire réformer.


    Ce sublime titre sied magnifiquement à ce film enfiévré de sons et de musiques qui est cela de la première à la dernière seconde. Magnétique !

    Le film débute le 10 mai 1981.  Quatre jours avant le premier tour de la Présidentielle 2022, voilà de quoi vous plonger dans l’ambiance de celle de 1981. Celle de l’’espoir et du sentiment de tous les possibles. Et d’un monde scindé en deux qu’on croyait à jamais révolu…Mais, surtout, si vous avez connu les années 1980, ce film vous insufflera forcément un parfum de nostalgie tout en étant d’une contemporanéité et modernité époustouflantes.

    Ce  film suinte la fougue, l’énergie, le désir, les certitudes folles, l’urgence ardente, la fragilité, le charme et la déraison de la jeunesse. Comme il y en a peu.

    Vous serez forcément emportés par ce maelstrom de sons, de musiques, d’émotions, ce vertige fascinant d’ondes et de lueurs stroboscopiques. Par ce montage visuel et sonore d’une inventivité rare qui sublime la puissance sensuelle des sons et de la musique. Une véritable expérience sensorielle.

    Vous serez aussi forcément fascinés par la mise en scène inspirée de Vincent Maël Cardona et ses nombreux moments d’anthologie, d’une déclaration originale sur les ondes, à une scène tout en pudeur et « magnétisme » sur la musique de Claude-Michel Schönberg. Sans oublier des plans dans l’embrasure d’une porte qui se répondent comme un hommage à John Ford.

     Vous serez forcément charmés par son héros timide et discret, interprété magistralement par Thimotée Robart (toute la distribution est d’ailleurs remarquable), un ancien perchman (une belle ironie pour un film qui met tant en valeur le son), avec sa voix qui vous emporte comme une mélopée qui vous dit : « La maladie de la jeunesse ce n'est pas de savoir ce qu'on veut mais de le vouloir à tout prix. Moi je sais ce que je veux. Je détestais ma voix. C'était tout ce que j'avais à l'intérieur tout ce que je voulais cacher. »

    Croyez-moi, ce film vous donnera envie d’empoigner, célébrer et danser la vie, l’avenir et la liberté.

    Et puis un film qui cite les Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke est forcément recommandable : « Les êtres jeunes, neufs en toutes choses, ne savent pas encore aimer ; ils doivent apprendre. »  Pour terminer, une autre citation de « Lettres à un jeune poète » (qui n’est pas dans le film mais qui pourrait s’appliquer à celui-ci) : « Si beaucoup de beauté est ici, c'est que partout il y a beaucoup de beauté. »

  • Série - EN THÉRAPIE d'Éric Toledano et Olivier Nakache, saison 2, à découvrir sur Arte tv dès le 31 mars 2022

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    Hier soir, sur France 2, était diffusé Deux moi, un film de Cédric Klapisch de 2019, un conte sur l’ultra-moderne solitude urbaine dans lequel les errements de deux âmes sœurs sont mis en parallèle. Les deux protagonistes, chaque semaine, chacun de leur côté, confient leurs bleus à l’âme à un psy… À l’image de Klapisch, Toledano et Nakache, dans chacun de leurs films, ont su remarquablement saisir les maux et les contradictions de l’époque, et réconcilier des êtres et des réalités en apparence inconciliables ou irréconciliables. Rarement une œuvre télévisuelle est autant entrée en résonance avec son époque et ses besoins qu'En thérapie. Le tournage de la première saison s’achevait ainsi alors que le premier confinement débutait. Et c’est pendant celui de 2021 que la série a été diffusée. Comme une pause réconfortante au milieu de l'incompréhensible cacophonie. Comme un miroir apaisant pour nos esprits désorientés, avides d’être libérés et écoutés. Là, pas d’injonction à taire ses blessures ou faire son deuil, mais au contraire une écoute bienveillante, sans jugement. Un reflet apaisant. « C'est difficile de parler de soi. Certains disent que c'est le travail de toute une vie. », « Ici vous n'avez pas besoin de vous excuser de quoi que ce soit. », « Il n'y a pas de bonnes ou mauvaises pensées, pas de bonnes ou mauvaises choses à dire. ». Tels sont les mots du Docteur Dayan (Frédéric Pierrot), le psychanalyste d’En thérapie, dans les premiers épisodes de cette saison 2. « Vous sondez l'âme humaine » lui répond ainsi le personnage incarné par Jacques Weber.

    Grâce au Festival Séries Mania, sur seriemaniadigital.com, j’ai en effet eu le plaisir de découvrir en avant-première les cinq premiers épisodes de la saison 2 de la série En thérapie d’Éric Toledano et Olivier Nakache, également présentés ce mercredi 23 mars au festival Séries Mania de Lille. Cette saison 2 sera disponible sur le site d'Arte dès le 31 mars 2022.  Trente-cinq épisodes qui seront ensuite diffusés à la télévision le jeudi soir, à partir du 7 avril, à 20H55, jusqu’au 19 mai.

    Je vous parle rarement de séries ici mais la saison 1 de celle-ci dont j’ai dévoré tous les épisodes fut pour moi un tel coup de cœur que j’ai décidé de lui consacrer un article. Si vous n’avez pas succombé à ce succès retentissant l’an passé (53 millions de vidéos vues sur arte.tv), j’espère que ces quelques lignes vous donneront envie de vous y plonger.

    En thérapie est une adaptation de la série israélienne Betipul d'Hagai Levi, adaptée dans treize pays dont les Etats-Unis sous le titre « In treatment ».  Dans cette version américaine, le psychanalyste était incarné par Gabriel Byrne. Ce succès hexagonal n’était pourtant pas gagné d’avance. Qui aurait pu imaginer que ce (quasi) huis-clos susciterait un tel engouement ?  Le décor et le dispositif sont en effet minimalistes (le cabinet du thérapeute) et le hors-champ se cantonne à une fenêtre à laquelle il regarde parfois pour observer le départ de ses patients. C’est sans doute la raison pour laquelle les chaînes françaises ont de prime abord été réticentes à son adaptation.

    Cette saison 2 nous présente la vie de Philippe Dayan, cinq ans après les attentats du Bataclan, au sortir du premier confinement de 2020. Le psychanalyste met à l'épreuve ses processus thérapeutiques auprès de quatre nouveaux patients : Ines (Eye Haïdara), une avocate solitaire à la vie bien rangée, Robin (Aliocha Delmotte), jeune adolescent en surpoids victime de harcèlement scolaire, Lydia (Suzanne Lindon), une étudiante venue partager une sombre nouvelle sur son état de santé et Alain (Jacques Weber), un chef d'entreprise dans la tourmente médiatique...Divorcé, attaqué en justice par la famille de l’un de ses anciens patients, le Dr Dayan se tourne vers Claire (Charlotte Gainsbourg), une analyste et essayiste médiatisée dont il espère le soutien pour le procès en cours.

    Avant de vous parler de la saison 2, retour sur la saison 1 constituée de trente-cinq épisodes d’une vingtaine de minutes chacun. L’intrigue du premier épisode de la saison 1 se déroule le 16 novembre 2015, dans le quartier du Bataclan et des terrasses, une tragédie qui s’immisce via la parole mais demeure hors champ. De la fenêtre du cabinet de Dayan, rien n’indique l’urgence et la violence du dehors. Les deux premiers épisodes mettent en scène des patients bouleversés par les attentats : Ariane (Mélanie Thierry), chirurgienne, qui a soigné des blessés de la tragédie et Chibane (Reda Kateb), policier de la BRI qui est intervenu dans le Bataclan.  À ces personnages s’ajouteront ensuite ceux de Léonora et Damien incarnés par Clémence Poésy et Pio Marmaï, un couple en crise, et une jeune nageuse avec des tentations suicidaires, remarquablement interprétée par Céleste Brunnquell, qui dans le magnifique film Les Éblouis de Sarah Succo jouait le rôle de Camille, une adolescente libre, rebelle et courageuse qui prenait son envol pour échapper à l’emprise, physique et mentale, d’une communauté « religieuse ».

    Le personnage le plus passionnant était cependant déjà celui du psychanalyste incarné magistralement par Frédéric Pierrot, pétri de doutes, angoissé à l’idée du temps qui passe et s’éprenant d’une de ses patientes. On le quittait déambulant parmi la foule aux terrasses qui reprenait vie, comme avant le 13 novembre, comme si tout cela n’avait pas existé, comme si toutes les blessures demeuraient de nouveau cachées, loin du cabinet.

    Frédéric Pierrot trouve toujours le ton, d’une sidérante et admirable justesse et douceur, entre force et fragilité, pour jouer la distance nécessaire à la profession qu’il incarne et la bienveillance, l’écoute, une apparente sérénité que démentaient ses rencontres avec sa contrôleuse incarnée par Carole Bouquet (sa propre psy). Là, il laissait s’exprimer ses fêlures et ses atermoiements. Sans jamais être du théâtre filmé, malgré le recours systématique (car indissociable du dispositif) au champ/contre-champ, En thérapie met en exergue le poids des maux et la magie des mots. De l’empathie. De la parole libératrice. Du temps laissé au temps, le temps de s’appesantir alors qu’une actualité et une tragédie et une émotion en chassent une autre, en apparence du moins, mais certainement pas dans les esprits de ceux qui les ont endurées.

    Les attentats du 13 novembre 2015 avaient servi de fil directeur à la première saison. Cette fois, c’est donc la pandémie de Covid-19 et ses répercussions sur la santé mentale. Cette deuxième saison commence ainsi cinq ans après la première, après le premier confinement, en mai 2020. Le psychanalyste, divorcé, est désormais installé en banlieue parisienne. Frédéric Pierrot incarne toujours le Docteur Dayan et reçoit donc quatre nouveaux patients. Clémence Poésy et Pio Marmaï, séparés, sont également à nouveau présents dans cette saison 2. Charlotte Gainsbourg incarne la superviseure du Docteur Dayan.

    Les épisodes de cette saison 2 ont été réalisés par Agnès Jaoui, Emmanuelle Bercot, Arnaud Desplechin, Emmanuel Finkiel, et évidemment Éric Toledano et Olivier Nakache. Des cinéastes qui, dans leurs propres films, se concentrent sur les bleus à l’âme de leurs personnages et, en écho, leur (et nous) apportent un peu de légèreté. Chaque réalisateur ou réalisatrice s’attèle aux épisodes liés à un personnage particulier, lui apportant ainsi son regard aiguisé. L'équipe de scénaristes a également été renouvelée. Clémence Madeleine-Perdrillat supervise ainsi l'écriture de cette saison 2 après le départ des scénaristes Vincent Poymiro et David Elkaïm.

    Le premier épisode est réalisé par Agnès Jaoui. Sur Dayan plane l’ombre de son patient mort en Syrie, un patient dont le père est décédé un an auparavant, terrassé par la disparition de son fils. Il prépare le procès qui lui est intenté. Ce premier épisode se déroule hors du cabinet. Il y rencontre une avocate qui fut sa patiente des années auparavant...Dans le deuxième épisode, Dayan reçoit un nouveau patient, un enfant (le fils du couple formé par Léonora et Damien). Il porte le masque de Spiderman, se lave longuement les mains au gel, s’inquiète de voir que Dayan ne porte pas de masque, lui demande s’il est certain qu'il y a un mètre, ajoute que deux sont recommandés dans certains pays, dit que les héros ont de la chance d’être orphelins, qu’il ne veut pas dormir chez son père. Le troisième épisode réalisé par Arnaud Desplechin présente une étudiante en dernière année d’architecture. Elle ironise sur les « gens  qui viennent ici pour pleurnicher sur leur vie ». Elle écrit sur un petit mot ce qui l’amène dans le cabinet, l’épreuve à laquelle elle doit faire face et dont elle n’a parlé à personne avant le thérapeute. Dans le quatrième épisode réalisé par Emmanuelle Bercot, c’est un Jacques Weber nerveux qui entre en scène, « Avec le trafic, j'ai mis une heure pour venir jusqu'ici » commence-t-il ainsi par dire. « Certains mettent des années à venir jusqu'ici» lui répond Dayan. Il gère une entreprise de 4000 employés. La semaine précédente, l’une d’entre elles s'est jetée par la fenêtre de son appartement. Il dit n’être là que pour recevoir « une approche nouvelle, des conseils fins précis. », « Si je suis là c'est pour que ça serve à quelque chose», « Je ne suis pas venu ici en dissimulant ma fragilité. » Peu à peu, il révèle qu’il « lutte pour s’endormir » et qu’il veut éradiquer ses insomnies même s’il déclare aussi « je dormirai quand je serai mort. » Il semble bouleversé par le départ de sa fille, volontaire dans un camp de réfugiés en Grèce. Le regard soudainement rempli de détresse de Weber, qui tout à coup s’écroule, promet un personnage complexe. Le cinquième épisode réalisé par Emmanuel Finkiel nous présente la superviseure de Dayan qui n’a « jamais fait de supervision » avant lui. Dayan hésite à repartir. « Vous partez ou vous arrivez ? » lui demande-t-elle. Il rétorque qu’il allait prendre l’air. L’épisode s’achève par une rencontre aussi impromptue que bouleversante pour ses protagonistes. Dans la salle d'attente du cabinet, en repartant, Dayan croise une femme incarnée par Agnès Jaoui. Des retrouvailles qui les remuent l’un et l’autre, 30 ans après…

    « Depuis le 13 novembre, nous vivons tous plus ou moins dans un imaginaire de la guerre. Tout s’est mis à grincer. Tout ce qui était distinct et différent est devenu conflictuel. Nous avons mis la guerre partout. » entendait-on dans un épisode de la saison 1. Si une saison 3 n'a pas encore été annoncée, l'actualité récente, une autre guerre, effroyable et inconcevable, devrait servir de matériau à celle-ci.

    Dans chacun de leurs films, Toledano et Nakache, savent ainsi allier les contraires, les univers différents, le rire et l’émotion, des personnages a priori opposés. Plus qu’à Intouchables ou au merveilleux Sens de la fête, cette série me fait beaucoup penser à leur film Samba dont le personnage féminin principal était d’ailleurs interprété par Charlotte Gainsbourg.

     Tout en vous recommandant de nouveau cette série poignante, consolante, passionnante, déstabilisante aussi parfois (je vous mets au défi de ne vous reconnaître à aucun moment dans les mots et maux des personnages) dont ces premiers épisodes donnent vivement envie de voir la suite, et d’entendre encore longuement  la voix apaisante de Dayan et d’en déceler les tourments cachés, une petite digression coutumière pour vous parler du film Samba précédemment évoqué (pas le plus grand succès du duo de cinéastes mais un film que j’avais particulièrement apprécié) qui débusquait aussi la vérité des êtres derrières les apparences et était là aussi formidablement écrit. Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement cette série. Mon seul regret : ne pas retrouver certains « patients » de la saison 1, tellement crédibles, vivants, vivaces dans nos esprits qu’on aurait aimé savoir ce qu’ils sont advenus, comme si on les avait intégrés à notre propre histoire. Preuve encore de la résonance et de la justesse de cette série dont l’interprétation et l’écriture ciselées en font une œuvre à part, terriblement actuelle, moderne, et captivante. Une écriture qui force d'autant plus le respect que cette saison 2 a été scénarisée et réalisée en un temps record, ce qui ne se ressent en rien dans ces cinq premiers épisodes.

    A propos de Samba...

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    Après les 19, 44 millions d’entrées d’ Intouchables, ce film du tandem Toledano-Nakache était attendu.  A nouveau en haut de l’affiche, Omar Sy incarne donc ici Samba, un Sénégalais en France depuis 10 ans, qui essaie de s’en sortir tant bien que mal en enchaînant les petits boulots. Face à lui, Charlotte Gainsbourg est Alice, une cadre supérieure épuisée par un burn out, terme des années 2000 un peu fourre-tout  ui désigne un des nouveaux maux du siècle : la dépression liée au travail. Tous deux luttent, à leur manière. Lui pour obtenir ses papiers et pouvoir vivre paisiblement. Elle pour se reconstruire en travaillant comme bénévole dans une association qui vient en aide aux immigrés. Rien ne devait les prédestiner à se rencontrer, tous deux venant d’univers très différents, menant des vies très différentes. C’est souvent ce qui, au cinéma, donne lieu aux plus belles histoires : la rencontre de deux êtres que rien ne devait a priori (ré)unir comme Samba et Alice et ce film ne déroge pas à la règle. Le film Samba est adapté du roman Samba pour la France de Delphine Coulin, paru aux éditions du Seuil en 2011.  Parmi leurs nombreuses trouvailles, l’ajout du personnage d’Alice qui, notamment grâce à son interprète mais pas seulement, échappe aux stéréotypes de ces films qui, justement, racontent l’histoire de deux êtres que tout oppose. Alice n’est pas d’emblée sympathique. Un peu égoïste, snob, confrontée à des soucis parfois bien anecdotiques à côté du combat pour sa survie de Samba, elle va se révéler au contact de ce dernier par le parcours duquel il serait difficile au spectateur de ne pas être touché. De leur couple se dégage d’autant plus de charme qu’il est inattendu et pas moins crédible grâce à la délicatesse de l’écriture et des interprétations. Charlotte Gainsbourg, plus irrésistible que jamais incarne cette Alice dotée d’une folie douce, entre force et fragilité et rend son personnage séduisant, agaçant avec charme, passant du rire aux larmes, et nous faisant nous aussi passer du rire aux larmes. Omar Sy dégage toujours une élégance folle, emportant d’emblée l’empathie du spectateur. Deux personnages que tout oppose mais qu’une quête d’identité, la maladresse et la solitude réunissent. La réalisation n’est jamais négligée au profit de l’émotion, avec quelques plans remarquables, de Paris notamment,  filmée sans idéalisme ni misérabilisme et parée de couleurs inconnues.  Certaines scènes sont de vrais petits bijoux d’écriture jonglant habilement entre drame et comédie, comme cette scène après la fête à la fois drôle et émouvante. Les seconds rôles ne sont pas délaissés, a fortiori dans la scène précitée, et la fougue d’Azia Higelin, le talent Tahar Rahim qui dévoile ici son pouvoir comique, y sont aussi pour beaucoup. Ajoutez à cela des dialogues réjouissants, une musique originale mélancolique et envoûtante et vous obtiendrez un film romantique et jamais mièvre, ironique et jamais cynique, actuel et jamais démagogique et possédant toute l’élégance irrésistible de son tandem d’acteurs. Un conte moderne émouvant. Le récit rythmé et passionnant du parcours du combattant de (et qu’est) Samba et de la rencontre de ces deux solitudes réussit le difficile mariage entre drame et comédie, humour et mélancolie, film divertissant et sujet de société, plus convaincant et émouvant que n’importe quel discours (par définition abstrait) sur la cruelle réalité que vivent les sans-papiers. De ces films, précieux, qui vous donnent envie de croire à tout. Surtout à l’impossible et à la magie exaltante des rencontres improbables. Les plus belles et marquantes. 

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