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Cinéma

  • Critique de LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES de Michel Hazanavicius

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    Le film de Michel Hazanavicius, La Plus Précieuse Des Marchandises figurait parmi les films en compétition au Festival de Cannes 2024. Il fut aussi présenté en avant-première au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2024, et au Festival du Cinéma et Musique de La Baule 2024. Il fit également l’ouverture du Festival International du Film d’Annecy. À Cannes, il a remporté le prix du Cinéma positif, un prix qui récompensait ainsi son « engagement et son message sur des thématiques fortes, pleines d’espoir et d’humanité », permettant « au monde de réfléchir à un monde meilleur ».

    L’an passé, avec son chef-d’œuvre La Zone d’intérêt, également présenté en compétition à Cannes mais aussi en avant-première dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023, Jonathan Glazer prouvait d’une nouvelle manière, singulière, puissante, audacieuse et digne, qu’il est possible d’évoquer l’horreur sans la représenter frontalement, par des plans fixes, en nous en montrant le contrechamp, reflet terrifiant de la banalité du mal, non moins insoutenable, dont il signait ainsi une démonstration implacable, réunissant dans chaque plan deux mondes qui coexistent, l'un étant une insulte permanente à l’autre.

    Avant lui, bien d’autres cinéastes avaient évoqué la Shoah : Claude Lanzmann (dont le documentaire, Shoah, reste l’incontournable témoignage sur le sujet, avec également le court-métrage d’Alain Resnais, Nuit et brouillard) qui écrivit ainsi : « L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu de l’horreur est intransmissible : prétendre pourtant le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. »

    Autre approche que celle de La Liste de Schindler de Spielberg ( qui va à l'encontre même de la vision de Lanzmann) dont le scénario sans concessions au pathos de Steven Zaillian, la photographie entre expressionnisme et néoréalisme de Janusz Kaminski (splendides plans de Schindler partiellement dans la pénombre qui reflètent les paradoxes du personnage), l’interprétation de Liam Neeson, passionnant personnage, paradoxal, ambigu et humain à souhait, et face à lui, la folie de celui de Ralph Fiennes, la virtuosité et la précision de la mise en scène (qui ne cherche néanmoins jamais à éblouir mais dont la sobriété et la simplicité suffisent à retranscrire l’horrible réalité), la musique poignante de John Williams par laquelle il est absolument impossible de ne pas être ravagé d'émotions à chaque écoute (musique solennelle et austère qui sied au sujet avec ce violon qui larmoie, voix de ceux à qui on l’a ôtée, par le talent du violoniste israélien Itzhak Perlman, qui devient alors, aussi, le messager de l’espoir), et le message d’espérance malgré toute l’horreur en font un film bouleversant et magistral. Et cette petite fille en rouge que nous n'oublierons jamais, perdue, tentant d’échapper au massacre (vainement) et qui fait prendre conscience à Schindler de l’individualité de ces Juifs qui n’étaient alors pour lui qu’une main d’œuvre bon marché.

    En 2015, avec Le Fils de Saul, László Nemes nous immergeait dans le quotidien d'un membre des Sonderkommandos, en octobre 1944, à Auschwitz-Birkenau.

    Avec le plus controversé La vie est belle, Benigni avait lui opté pour le conte philosophique, la fable pour démontrer toute la tragique et monstrueuse absurdité à travers les yeux de l’enfance, de l’innocence, ceux de Giosué. Benigni ne cède pour autant à aucune facilité, son scénario et ses dialogues sont ciselés pour que chaque scène « comique » soit le masque et le révélateur de la tragédie qui se « joue ». Bien entendu, Benigni ne rit pas, et à aucun moment, de la Shoah mais utilise le rire, la seule arme qui lui reste, pour relater l’incroyable et terrible réalité et rendre l’inacceptable acceptable aux yeux de son enfant. Benigni cite ainsi Primo Levi dans Si c’est un homme qui décrit l’appel du matin dans le camp. « Tous les détenus sont nus, immobiles, et Levi regarde autour de lui en se disant : «  Et si ce n’était qu’une blague, tout ça ne peut pas être vrai… ». C’est la question que se sont posés tous les survivants : comment cela a-t-il pu arriver ? ». Tout cela est tellement inconcevable, irréel, que la seule solution est de recourir à un rire libérateur qui en souligne l'absurdité. Le seul moyen de rester fidèle à la réalité, de toute façon intraduisible dans toute son indicible horreur, était donc, pour Benigni, de la styliser et non de recourir au réalisme. Quand il rentre au baraquement, épuisé, après une journée de travail, il dit à Giosué que c’était « à mourir de rire ». Giosué répète les horreurs qu’il entend à son père comme « ils vont faire de nous des boutons et du savon », des horreurs que seul un enfant pourrait croire mais qui ne peuvent que rendre un adulte incrédule devant tant d’imagination dans la barbarie (« Boutons, savons : tu gobes n’importe quoi ») et n’y trouver pour seule explication que la folie (« Ils sont fous »). Benigni recourt à plusieurs reprises intelligemment à l’ellipse comme lors du dénouement avec ce tir de mitraillette hors champ, brusque, violent, où la mort terrible d’un homme se résume à une besogne effectuée à la va-vite. Les paroles suivantes le « C’était vrai alors » lorsque Giosué voit apparaître le char résonne alors comme une ironie tragique. Et saisissante.

    C’est aussi le genre du conte qu’a choisi Michel Hazanavicius, pour son premier film d’animation, qui évoque également cette période de l’Histoire, une adaptation du livre La Plus Précieuse Des Marchandises de Jean-Claude Grumberg. Le producteur Patrick Sobelman lui avait ainsi proposé d’adapter le roman avant même sa publication.

     Le réalisateur a ainsi dessiné lui-même les images, particulièrement marquantes (chacune pourrait être un tableau tant les dessins sont magnifiques), il dit ainsi s’être nourri du travail de l’illustrateur Henri Rivière, l’une des figures majeures du japonisme en France. En résulte en effet un dessin particulièrement poétique, aux allures de gravures ou d’estampes.

    Ainsi est résumé ce conte :  Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron (voix de Grégory Gadebois) et une pauvre bûcheronne (voix de Dominique Blanc). Le froid, la faim, la misère, et partout autour d´eux la guerre, leur rendaient la vie bien difficile. Un jour, pauvre bûcheronne recueille un bébé. Un bébé jeté d’un des nombreux trains qui traversent sans cesse leur bois. Protégée quoi qu’il en coûte, ce bébé, cette petite marchandise va bouleverser la vie de cette femme, de son mari, et de tous ceux qui vont croiser son destin, jusqu’à l’homme qui l’a jeté du train.

     Avant même l’horreur que le film raconte, ce qui marque d’abord, ce sont les voix, celle si singulière et veloutée de Jean-Louis Trintignant d’abord (ce fut la dernière apparition vocale de l’acteur décédé en juin 2022) qui résonne comme une douce mélopée murmurée à nos oreilles pour nous conter cette histoire dont il est le narrateur. Dans le rôle du « pauvre bûcheron », Grégory Gadebois, une fois de plus, est d’une justesse de ton remarquable, si bien que même longtemps après la projection son « Même les sans cœurs ont un cœur » (ainsi appellent-ils d’abord les Juifs, les « sans cœurs » avant de tomber fou d’amour pour ce bébé et de réaliser la folie et la bêtise de ce qu’il pensait jusqu’alors et avant d’en devenir le plus fervent défenseur, au péril de sa vie) résonne là aussi encore comme une litanie envoûtante et bouleversante.

    Le but était ainsi que le film soit familial et n’effraie pas les enfants. Les images des camps sont donc inanimées, accompagnées de neige et de fumée, elles n’en sont pas moins parlantes, et malgré l’image figée elles s’insinuent en nous comme un cri d’effroi. Le but du réalisateur n’était néanmoins pas de se focaliser sur la mort et la guerre mais de rendre hommage aux Justes, de réaliser un film sur la vie, de montrer que la lumière pouvait vaincre l’obscurité. Un message qu’il fait plus que jamais du bien d’entendre.

     Le film est accompagné par les notes d’Alexandre Desplat qui alternent entre deux atmosphères du conte : funèbre et féérique (tout comme dans le dessin et l’histoire, la lumière perce ainsi l’obscurité). S’y ajoutent deux chansons : La Berceuse (Schlof Zhe, Bidele), chant traditionnel yiddish, et Chiribim Chiribom, air traditionnel, interprétées par The Barry Sisters.

    Michel Hazanavicius signe ainsi une histoire d’une grande humanité, universelle, réalisée avec délicatesse, pudeur et élégance sans pour autant masquer les horreurs de la Shoah. Les dessins d’une grande qualité, les sublimes voix qui narrent et jouent l’histoire, la richesse du texte, la musique qui l’accompagne en font un film absolument captivant, d’une grande douceur malgré l’âpreté du sujet et de certaines scènes. Un conte qui raconte une réalité historique. Une ode au courage, elle-même audacieuse. On n’en attendait pas moins de la part de celui qui avait osé réaliser des OSS désopilants, mais aussi The Artist, un film muet (ou quasiment puisqu’il y a quelques bruitages), en noir et blanc tourné à Hollywood, un film qui concentre magistralement la beauté simple et magique, poignante et foudroyante, du cinéma, comme la découverte de ce plaisir immense et intense que connaissent les amoureux du cinéma lorsqu’ils voient un film pour la première fois, et découvrent son pouvoir d’une magie ineffable. Chacun de ses films prouve l’immense étendue du talent de Michel Hazanavicius qui excelle et nous conquiert avec chaque genre cinématographique, aussi différents soient-ils avec, toujours, pour point commun, l’audace.

    Des années après Benigni, Hazanavicius a osé à son tour réaliser un conte sur la Shoah, qui est avant tout une ode à la vie, un magnifique hommage aux Justes, sobre et poignant, qui use intelligemment du hors champ pour nous raconter le meilleur et le pire des hommes, la générosité, le courage et la bonté sans limites (représentées aussi par cette Gueule cassée de la première guerre mondiale incarnée par la voix de Denis Podalydès)  et la haine, la bêtise et la cruauté sans bornes, et qui nous laisse après la projection, bouleversés, avec, en tête, les voix de Grégory Gadebois et Jean-Louis Trintignant, mais aussi cette lumière victorieuse, le courage des Justes auquel ce film rend magnifiquement hommage et cette phrase, à l’image du film, d’une force poignante et d’une beauté renversante  :  « Voilà la seule chose qui mérite d’exister : l’amour. Le reste est silence ».

  • Critique de SARAH BERNHARDT LA DIVINE de Guillaume Nicloux (au cinéma le 18.12.2024)

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    « Je n'appartiens à personne ; quand la pensée veut être libre, le corps doit l'être aussi. » Cette citation d’Alfred de Musset (dans Lorenzaccio, pièce évoquée dans le film) pourrait être la devise de Sarah Bernhardt.

    Qui ne connaît pas le nom de Sarah Bernhardt ? Si son patronyme est mondialement connu, de même que ses excentricités (son cercueil en guise de lit, les animaux sauvages dont elle était entourée...), la femme derrière la légende de l’actrice fantasque et adulée à la fin du XIXème et au début du XXème demeure malgré tout mystérieuse. Guillaume Nicloux, en choisissant l’angle original de la romance historique, nous invite à découvrir qui était cette icône, considérée comme la première star mondiale, « monstre sacré », femme amoureuse, libre et moderne qui défia les conventions.

    Le film débute par une agonie. La fin de La Dame aux Camélias interprétée par Sarah Bernhardt sur scène, pour laquelle la réalisation, au plus près de son visage et de son corps, plaçant la salle du théâtre hors-champ, laisse d’abord penser qu’il s’agit de sa propre agonie à laquelle nous assistons. Dès le début apparaît donc ce qui constitue le grand intérêt de ce film, le jeu habité de Sandrine Kiberlain. Le film est ainsi presque un documentaire sur le jeu d’actrice et sur une actrice qui joue une actrice qui joue.

    La scénariste, Nathalie Leuthreau, plutôt que d’opter pour un biopic chronologique et aussi exhaustif et réaliste que possible a cependant fait le choix de centrer le récit autour de deux dates clefs : la journée du jubilée de Sarah Bernhardt, sa consécration, en 1896, organisée par ses proches, et l’amputation de sa jambe en 1915 par laquelle le film commence avec, à son chevet, Sacha Guitry, tandis que son père Lucien, apprenant que ce dernier est à ses côtés, s’éclipse. Sarah explique à Sacha qu’elle est responsable de leur brouille. Commence alors le récit de son histoire avec Lucien Guitry, le grand amour de sa vie….

     Peu de documents figurent sur ces deux moments de sa vie autour desquels s’articule le scénario pour dessiner le personnage de Sarah Bernhardt. Et un personnage, Sarah Bernhardt en était indéniablement un : pétrie de contradictions, fantasque, excessive, obstinée, aventurière, aventureuse, libre, audacieuse, démesurée… ! L’angle choisi est celui de la femme amoureuse qui défie la morale, les conventions et la raison. Une femme aux amours multiples, qui assume sa maternité sans mari (ce qui était subversif à l’époque), d’aimer les femmes comme les hommes, mais aussi qui dirige un théâtre, s’occupe des costumes, des décors de ses pièces : une femme qui suit ses envies dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle. Une femme en avance sur son temps. Le film est ainsi à son image : libre et moderne, n’hésitant pas à user d’anachronismes. Elle n’était pas seulement libre dans le rapport aux hommes, aux femmes, à son métier (en décidant de tout, en jouant des rôles d’hommes), elle l’était aussi pour avoir banni le corset bien avant que les couturiers le décident.  Sa liberté se manifestait dans son corps et dans son âme, et dans toutes les strates de sa vie.

    Nathalie Leuthreau et Guillaume Nicloux ont donc inventé une histoire d’amour avec Lucien Guitry, le père de Sacha, qui est le point central du film, en s’inspirant d’autres histoires d’amour de Sarah Bernhardt.

    Si ce choix scénaristique a ses limites (on ne découvre de son travail de comédienne que peu de choses, on ne sait que peu de son enfance), il constitue aussi l’intérêt du film. Celui de dresser le portrait d’une femme fascinante et passionnée dont la vie était tellement dense qu’il était de toute façon impossible de la retranscrire dans son intégralité. Et celui de nous raconter une histoire d’amour qui traverse les orages et le temps entre celle qui n’a jamais aimé que Guitry et celui qui n’a jamais cessé d’aimer Bernhardt.

    Tout aussi moderne et tristement actuel est son combat contre l’antisémitisme. Elle convainc ainsi Zola (Arthur Igual) de se plonger dans le dossier de l’affaire Dreyfus, avant qu’il ne rédige son historique J’accuse en faveur du capitaine : « Plongez-vous dans ce dossier et vous verrez que vous aurez raison de vouloir sa liberté. »

    Sandrine Kiberlain se glisse avec maestria dans la peau de ce personnage aux multiples facettes tout comme Sarah Bernhardt se glissait dans les siens. « Laissez-moi, il faut que je me quitte », déclare-t-elle ainsi avec emphase. Elle fait habilement percer le désespoir et la noirceur derrière les extravagances et les excès. Sa voix, ses gestes, sa démarche : tout contribue à créer ce personnage derrière lequel s’efface Kiberlain pour devenir Bernhardt et c’est magistral et captivant à observer. Nous avions laissé Sandrine Kiberlain, prouvant une nouvelle fois sa puissance comique sous la caméra de Podalydès, dans La Petite vadrouille , dans lequel elle incarnait une Justine forte et fragile. Une fois de plus, ce rôle de Sarah Bernhardt témoigne de sa capacité étonnante à passer d’un registre à l’autre avec des rôles aux antipodes les uns des autres. Difficile de trouver plus différentes que Sarah Bernhardt et la discrète et effacée Mademoiselle Chambon, et pourtant Sandrine Kiberlain est aussi remarquable dans le film de Nicloux qu’elle l’était dans celui de Brizé ou dans Chronique d’une liaison passagère d'Emmanuel Mouret dans lequel elle est solaire et aventureuse, ou encore dans Le Parfum vert de Nicolas Pariser dans lequel était déjà désopilante dans le rôle de Claire, une femme déterminée, obstinée, fantasque, extravertie…qualificatifs qui pourraient aussi s’appliquer à une certaine Sarah Bernhardt.

    À ses côtés évolue une bande de comédiens de grand talent, notamment le trop rare Grégoire Leprince-Ringuet (dont je vous recommande au passage le film qu’il a réalisé en 2016, La forêt de Quinconces, un ballet fiévreux, aux frontières du fantastique, d’une inventivité rare, qui ne pourra que séduire les amoureux de la poésie et de la littérature) dans le rôle de son fils, ou encore Laurent Stocker dans le rôle de Pitou, son homme à tout faire, répétiteur, souffre-douleur, mais aussi Amira Casar, dans le rôle de son amie et amante Louise Abbéma, ou encore Pauline Etienne dans le rôle de Suzanne. Face à la tornade Bernhardt/Kiberlain, Laurent Lafitte impose sa tranquille présence dans le rôle de Lucien Guitry.

    Porté par la musique classique de Reynaldo Hahn, Ravel, Debussy, Chopin, Schubert…, par les costumes chatoyants d'Anaïs Romand, la photographie éclatante d'Yves Cape, par le montage de Guy Lecorne et Karine Prido mais surtout par l’énergie débordante de Sandrine Kiberlain et les savantes nuances dans l’extravagance laissant pointer le désespoir et la clairvoyance derrière la folie, ce film sur Sarah Bernhardt vous laissera le souvenir d’un voyage détonant à la rencontre d’une personnalité à part, mais aussi avec l’envie d’en savoir plus sur cette femme inspirée et inspirante d’une modernité sidérante. Une ode à la liberté d’être soi et d’aimer.

    Pour terminer, je ne peux m’empêcher d’évoquer un autre film de Guillaume Nicloux, Valley of love, qui figurait en compétition du Festival de Cannes 2015. Un film qui ne ressemble à aucun autre, qui n’est pas dans le spectaculaire et l’esbroufe, mais dans l’intime et la pudeur, et qui aborde avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité une réflexion sur le deuil et ce lien distordu avec le réel qu’il provoque, tellement absurde et fou qu’il porte à croire à tout, même aux miracles, même une rencontre avec un mort dans une vallée du bout du monde. Aux frontières du fantastique qu’il franchit parfois, avec sa musique hypnotique, ses comédiens qui crèvent l’écran, un décor qui pourrait être difficilement plus cinégénique, intrigant, fascinant, inquiétant, Valley of love est un film captivant duquel se dégage un charme étrange  et envoûtant. Sa fin nous hante longtemps après le générique, une fin d’une beauté foudroyante, émouvante, énigmatique. Un film pudique et sensible qui mérite d’être vu et revu et qui ne pourra que toucher en plein cœur ceux qui ont été confrontés à cet intolérable et ineffable vertige du deuil. L’oublié du palmarès de Cannes 2015 comme le fut un autre film produit par sa productrice Sylvie Pialat l’année d'avant, l’immense  Timbuktu.

  • CIAK ! 2ème édition du Festival du film italien des Vosges - 22 au 24 novembre 2024 : le programme

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    Vous connaissez forcément le Festival du film italien de Villerupt qui célébrait cette année sa 47ème édition. Mais peut-être ne connaissez-vous pas encore ce nouveau festival également consacré au cinéma italien, CIAK !, le festival du film italien des Vosges, dont la deuxième édition aura lieu en fin de semaine, à Raon-l'Étape, dans les Vosges donc, du 22 au 24 novembre 2024.

    À la programmation et à la direction artistique de ce festival figure l'auteur, réalisateur et spécialiste du cinéma italien, Laurent Galinon (dont je vous recommande au passage le documentaire Delon Melville, la solitude de deux samouraïs mais aussi le livre Delon en clair-obscur) qui vous propose, pour cette deuxième édition, un hommage aux grandes actrices italiennes (la première édition était consacrée aux acteurs de la "Comédie à l'italienne".)

    Au programme, cette année : quatre films, de Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Alberto Lattuada, respectivement avec Sophia Loren, Giulietta Masina, Anna Magnani, Catherine Spaak.

    Les organisateurs présentent ainsi le thème de cette deuxième édition du festival :

    " Un demi siècle plus tard, les actrices que nous avons choisies demeurent des icônes, à la fois éruptives et subtiles, facétieuses et bouleversantes ; capables en un battement de cils, de passer du rire aux larmes chez Fellini ou de Sica, pour nous raconter cette Italie complexe que nous aimons tant admirer."

    Voici les quatre films programmés dans le cadre du festival

    - Larmes de Joie (1961). Réalisé par Mario Monicelli – 1H46 - N/B. Avec Anna Magnani, Toto et Ben Gazzara. Vendredi 22 novembre à 20 h. 

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    - Les Adolescentes (1960). Réalisé par Alberto Lattuada – 1H30 - N/B. Avec Catherine Spaak, Gabriele Ferzetti. Samedi 23 novembre à 17h.

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    - Les Nuits de Cabiria (1957). Réalisé par Federico Fellini – 1H55 - N/B. Avec Giuletta Massina, Amedeo Nazzari. Samedi 23 novembre à 20h30.

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    Hier, Aujourd’hui et Demain (1963). Réalisé par Vittorio de Sica – 2 h - Couleurs. Avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni. Dimanche 24 novembre à 10h.

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    Le réalisateur Emmanuel Barnault, auteur de près d'une trentaine de documentaires sur le cinéma, sera l'invité d'honneur du festival. Deux portraits de son documentaire Nos Italiennes, de Magnani à Muti ( 15 portraits d'actrices italiennes inoubliables : Sophia Loren, Anna Magnani, Monica Vitti, Claudia Cardinale, Stefania Sandrelli, Léa Massari, Antonella Lualdi...) seront diffusés avant chaque séance.

    Suivez le festival sur Instagram (@ciak_festival) et sur Facebook, ici.

    Théâtre de la Halle aux Blés -  32, rue Jules-Ferry  - Raon-l'Étape

    Plein tarif : 5.00 € / Pass 4 films : 16.00 €

  • Critique – IL ETAIT UNE FOIS MICHEL LEGRAND de DAVID HERTZOG DESSITES (au cinéma le 4 décembre 2024)

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    Lola de Jacques Demy. Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda. Eva de Joseph Losey. Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy. Bande à part de Jean-Luc Godard. La vie de château de Jean-Paul Rappeneau. Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy. L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison. La Piscine de Jacques Deray. Peau d’Âne de Jacques Demy. Un été 42 de Robert Mulligan. Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau. Les Uns et les Autres de Claude Lelouch. Yentl de Barbra Streisand. Prêt-à-porter de Robert Altman.

    Sans doute associez-vous sans peine tous ces films, chefs-d’œuvre pour la plupart, au compositeur de leurs bandes originales, Michel Legrand. Mais sans doute ignorez-vous comment il a débuté sa carrière, les multiples rôles qu’il a endossés mais aussi qu’il a composé plus de 200 musiques de films, ou encore la dualité de l’homme derrière le compositeur doté d’un immense talent. Ce documentaire, passionnant, et même palpitant, explore tout cela.

    Michel Legrand entre ainsi au Conservatoire de Paris à l’âge de 10 ans et s’impose très vite comme un surdoué. 3 Oscars et 75 ans plus tard, il se produit pour la première fois à la Philharmonie de Paris devant un public conquis. De la chanson au cinéma, ce véritable virtuose n’a jamais cessé de repousser les frontières de son art, collaborant avec des légendes comme Miles Davis, Jacques Demy, Charles Aznavour, Barbra Streisand ou encore Natalie Dessay. Son énergie infinie en fait l’un des compositeurs les plus acclamés du siècle, dont les mélodies flamboyantes continuent de nous enchanter.

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    Ce merveilleux documentaire fut présenté dans le cadre de Cannes Classics 2024, mais aussi au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2024.

    14.11.2015 / 18.05.2017 / 28.06.024 / 12.11.2024. Que signifie cette suite de dates vous demandez-vous sans doute. La première correspond au jour où Michel Legrand a reçu le Prix d’honneur du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule et, surtout, au jour de son inoubliable concert dans le cadre de ce même festival. C’était au lendemain des attentats du 13 novembre par lesquels Michel Legrand était évidemment bouleversé. Les spectateurs étaient donc doublement émus, par l’indicible tragédie de la veille survenue pendant un concert dans cette même salle et par l’émotion de Michel Legrand qui débuta son concert par quelques notes de La Marseillaise. Aujourd’hui encore, a fortiori en cette veille de 13 novembre, l’émotion m’étreint quand je repense à ce moment. Le 18 mai 2017, lors du festival, sur le toit du Palais des Festivals de Cannes, j’assistais, comme une enfant émerveillée, à un concert privé de Michel Legrand qui interpréta notamment la musique des Parapluies de Cherbourg sur différents tempos. Magique. Le 28 juin 2024, au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, Stéphane Lerouge  (spécialiste de la musique au cinéma qui a écrit avec Michel Legrand sa première autobiographie, Rien n'est grave dans les aigus) avait la gentillesse d’annoncer et présenter ma séance de dédicaces de La Symphonie des rêves (roman dans lequel Michel Legrand est un fil conducteur) dans la salle de cinéma, avant la projection du documentaire Il était une fois Michel Legrand de David Hertzog Dessites (que je remercie à nouveau pour ces quelques minutes volées à la présentation de son film). Ce jour de novembre sur lequel régnait une brume judicieusement onirique, j’ai donc (enfin) découvert ce remarquable documentaire qui nous conte Michel Legrand, une projection après laquelle j’apprends que le réalisateur a rencontré pour la première fois Michel Legrand lors de ce fameux concert cannois du 18 mai 2017.

    Cette suite de dates comme autant de souvenirs marquants et signes du destin pour vous faire comprendre à quel point ce documentaire était destiné à m’émouvoir. Mais il fallait aussi pour cela qu’il fût remarquable, et il l’est. C’est en allant voir L’Affaire Thomas Crown, en 1968, que se sont rencontrés les parents du réalisateur. En sortant du cinéma, ils ont acheté le 45 tours de la chanson du film, The Windmills of your Mind. Encore une histoire de destin et de dates. Ce film est passionnant parce que, en plus de montrer, à qui en douterait encore, à quel point la musique est un rouage essentiel d’un film, mais aussi un art à part entière, il évoque la complexité de l’âme de l’artiste, artiste exigeant à l’âme d’enfant, et c’est ce qui rend ce film unique et passionnant.

    Ce n’est en effet pas une hagiographie mais un documentaire sincère qui n’édulcore rien, mais montre l’artiste dans toute l’étendue de son talent, et de ses exigences, témoignages de son perfectionnisme mais sans doute plus encore masques de ses doutes. Il témoigne évidemment aussi magnifiquement de la richesse stupéfiante de l’œuvre de celui qui entre au Conservatoire de Paris à 10 ans et qui ensuite n’a cessé de jouer, jusqu’à son dernier souffle. Du souffle. C’est sans doute ce qui caractérise sa musique et ce documentaire. Un souffle constamment surprenant. Un souffle de liberté. Le souffle de la vie. Le souffle de l’âme d’enfant qui ne l’a jamais quitté. Ce film est aussi un hymne à la musique qui porte et emporte, celle pour laquelle Michel Legrand avait tant d’« appétit ».

     Il vous enchantera en vous permettant de réentendre ses musiques les plus connues, des films de Demy, de L’Affaire Thomas Crown, de Yentl, mais aussi de découvrir des aspects moins connus comme ses collaborations dans la chanson française, jusqu’à ce ciné Concert de la Philharmonie de Paris en décembre 2018. Son dernier. Un vrai moment de cinéma monté comme tel. Truffaut disait bien que la réalité a plus d’imagination que la fiction, cette séquence palpitante en est la parfaite illustration. Un moment où il est encore question de souffle, le nôtre, suspendu à ce moment qu’il a magistralement surmonté, bien qu’exsangue. Encore une histoire de souffle.  Son dernier. Presque. Il décèdera moins de deux mois après ce concert.

    En plus d’être le résultat d’un travail colossal (constitué d’images de films, d’archives nationales et privées, d’une multitude de passionnants témoignages et séquences tournées lors des deux dernières années de vie du maestro), c’est aussi le testament  poignant d’un artiste légendaire, aux talents multiples : pianiste, interprète, chanteur, producteur, arrangeur, chef d'orchestre, et compositeur de plus de 200 musiques de films (dont de multiples chefs-d’œuvre à l’image de toutes les musiques des films de Demy) jusqu’à celle du film inachevé d’Orson Welles, De L’Autre Côté Du Vent.

    De son passage au conservatoire de Paris sous l’occupation alors qu’il avait 11 ans, jusqu’à son dernier concert à la Philarmonie de Paris, le réalisateur nous conte avec passion Michel Legrand, un homme double et complexe comme sa musique. Il a fallu plusieurs années de travail et deux ans de tournage à David Hertzog Dessites pour financer ce projet mais aussi pour en trouver les producteurs et ausculter les milliers d’archives avant un montage de trois mois afin qu’il puisse être présenté au Festival de Cannes.

    « La musique est la langue des émotions » selon Kant. Celle qui va droit au cœur et à l’âme, ce documentaire en témoigne parfaitement. L’émotion vous emportera, vous aussi, à l'issue de ce documentaire enfiévré de musique, je vous le garantis. Vous l’aurez compris, je vous le recommande vivement, comme je l’avais fait pour Ennio de Giuseppe Tornatore, autre film de référence sur un compositeur de légende. 

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  • Critique de QUAND VIENT L’AUTOMNE de François Ozon (au cinéma le 2 octobre 2024)

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    Il faut toujours être particulièrement attentif dès les premières minutes des films de François Ozon qui sont toujours de brillants exercices d’exposition mais aussi de manipulation, éléments incontournables de ses scénarios ciselés, délicieusement retors et labyrinthiques. Ces premières minutes sont toujours annonciatrices des thématiques que chacun de ses films explore : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant.  Avec toujours ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traîtresse), riche de mises en abyme. Dès les premières secondes, il happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera bien souvent à le déconstruire. Été 85 était particulièrement symptomatique de cela. Ainsi débutait-il par le cliquetis d’une cellule qu'on ouvre, précédant la vision de deux silhouettes dans la pénombre, fantomatiques. Leur succédaient ces mots tranchants et saisissants : « Je dois être dingue. Quand on a choisi la mort comme passe-temps, c'est qu'on est dingue. […]Ce qui m'intéresse, c'est la mort. Un cadavre m'a fait un effet pas possible. Si vous n'avez pas envie de savoir comment il est devenu un cadavre alors vous n'avez qu'à laisser tomber, ce n'est pas une histoire pour vous. » Rupture de style ensuite avec des images éblouissantes de la plage du Tréport, sur fond de In Between days de The Cure. D’emblée, il mettait en scène cette dichotomie également récurrente dans ses films (ici entre ombre et lumière, désirs -de vie, amoureux- et mort qui plane), laissant présager un drame, inéluctable. L’illusion aussi : du bonheur, et celle que crée le cinéma. Un début qui rappelait celui de Frantz : les cloches d’une église qui retentissent et une silhouette fantomatique qui apparaît, furtivement, un homme de dos, courant dans la rue.  Les premiers plans d’Une nouvelle amie jouent aussi avec notre perception de la réalité, et là aussi, se réfèrent à la mort, donnant l’impression qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage qui est en fait son enterrement. Là aussi, un premier plan dans lequel tout est dit : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, la double identité. Mon crime, son précédent film, commence ainsi par un lever de rideau pour nous signifier que tout est scène de théâtre, jeu, mise en scène, tromperie. 

    Après un libre remake des Larmes Amères de Petra Von Kant de Fassbinder avec Peter Von Kant, François Ozon changeait radicalement d’univers avec cette adaptation d’une pièce de Georges Berr et Louis Verneuil de 1934, qui, dans le ton et la forme, nous rappelait davantage 8 femmes et Potiche que le précédent film du cinéaste. La fantaisie, la légèreté, la théâtralité, l’absurde, la vivacité, le jeu étaient ici à l’honneur. Les répliques fusaient comme dans les « screwball comedies » auxquelles il rendait ouvertement hommage (mêmes dialogues vifs et ton burlesque), notamment au cinéma de Lubitsch. La diversité des genres cinématographiques dans lesquels Ozon excelle est époustouflante, même si cette diversité est souvent prétexte à évoquer des thèmes récurrents évoqués plus hauts.

    Ce film de 2024, plus ancré dans le réel, est cette fois un scénario original (de François Ozon, avec la collaboration de Philippe Piazzo), qui répond au titre mélancolique et poétique de Quand vient l’automne. Cependant, il ne déroge pas à la règle : la scène d’exposition, une fois encore, en dit long…

    Elle nous présente Michelle (Hélène Vincent), en plein recueillement, à l’Église, une grand-mère « bien sous tous rapports », qui vit sa retraite paisible dans un petit village de Bourgogne, à quelques pas de sa meilleure amie Marie-Claude (Josiane Balasko). À la Toussaint, sa fille Valérie (Ludivine Sagnier) vient lui rendre visite et déposer son fils Lucas (Garlan Erlos) pour la semaine de vacances. Mais rien ne se passe comme prévu.

    Le premier quart d’heure du film est quasiment dépourvu de dialogue. Seul le tintement des cloches du village vient troubler le silence. Les films de François Ozon glorifient pourtant habituellement presque toujours le pouvoir des mots. Dans Frantz, Rilke était le poète préféré d’Anna, lui qui dans Lettres à un jeune poète, mieux que quiconque, a su définir l’art et l’amour, et les liens qui les unissent. Dans Été 85 aussi, l’écriture à nouveau permet à la vérité d’éclater et à l’amour de revivre, en tout cas une vérité, celle vue à travers le regard et les mots d’Alexis. Dans Dans la maison, Ozon rend déjà hommage au prodigieux pouvoir des mots (dans Swimming pool aussi, évidemment), à leur troublante beauté, nous donnant des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipulant tout comme l’élève y manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme.

    Chaque année ou presque compte son nouveau film de François Ozon, à chaque fois différent et pourtant, comme nous venons de le voir, avec des « techniques » et thématiques récurrentes.

    En 2001, Sous le sable, était le premier film de François Ozon sur le deuil et le refus de son acceptation. Le personnage incarné par Charlotte Rampling refusait ainsi d’accepter la mort de son mari tout comme Adrien et Anna, dans Frantz sont éprouvés par la mort de ce dernier qu’ils tentent de faire revivre à leur manière.  Dans Une nouvelle amie, lorsque Claire et David révèlent leurs vraies personnalités en assumant leur féminité, travestissant la réalité, maquillant leurs désirs et leurs identités, c’est aussi pour faire face au choc dévastateur du deuil. Dans Le temps qui reste, film sur les instantanés immortels d’un mortel qui en avait plus que jamais conscience face à l’imminence de l’inéluctable dénouement, là aussi, déjà, la mort rôdait constamment.

    Dans Quand vient l’automne, la mort vient aussi troubler l’apparente sérénité de cet automne en Bourgogne. Elle est d’abord évitée de peu, à cause d’un acte intentionnel ou manqué de Michelle…qui envoie sa fille à l’hôpital.

    Dans le cinéma de François Ozon, les êtres ne sont jamais réellement ce qu’ils paraissent. Ils dissimulent une blessure, un secret, leur identité, un amour, une culpabilité.  Ses films sont ainsi souvent à l’image de ceux dont ils relatent l’histoire : en trompe-l’œil, multiples et audacieux, derrière une linéarité et un classicisme apparent.

     Manipulateur hors-pair, Ozon fait ainsi l’éloge de l’illusion et ainsi de son propre art comme dans Dans la maison dans lequel il s’amuse avec les mots faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités sont aussi souvent à l’œuvre dans le cinéma d’Ozon. Une fois de plus, Ozon fait ici l’éloge de l’imaginaire, son pouvoir destructeur et salvateur.  Il fait revenir la fille de Michelle sous forme d’un fantôme, il aide Michelle à s’accommoder avec la réalité.

    Par le portrait de ces deux femmes âgées, François Ozon nous donne à voir des personnages peu souvent filmés au cinéma, des femmes à l’automne de leur vie montrées dans leur quotidien entre jardinage et promenades en forêt, loin de la nostalgie adolescente d’Eté 85. Si ce film semble plus sage et académique, il ne faut pas se fier aux apparences, et ne pas oublier le goût de la dissimulation et du trompe-l’œil d’Ozon évoqués plus haut. Ce nouveau film est délicieusement amoral, et recourt brillamment aux non-dits et au hors-champ, brouillant les frontières entre le bien et le mal, comme dans un Chabrol ou un Simenon.

    Ozon, une fois de plus, joue et jongle en effet avec les genres cinématographiques et les références, et avec le mensonge. Dans Mon Crime, Madeleine, en s’accusant d’un crime qu’elle aurait commis dans un acte de légitime défense, devenait ainsi célèbre et admiré de tous. Son crime devenait sa gloire, sa carte de visite, son fait d’arme, son passeport pour la célébrité.

    Ozon a surtout le don, même en la filmant dans sa quotidienneté, de magnifier la vie. Comme ici, le temps d’une danse sur Aimons-nous vivants de François Valéry. Dans Frantz, il fallait tout le talent du cinéaste pour, avec Le Suicidé (1877), le magnifiquement sinistre tableau de Manet, nous donner ainsi envie d’embrasser la vie. Dans Mon crime, en théâtralisant à merveille, il nous donnait envie d'appréhender la vie comme un jeu, un mensonge, ou un crime…savoureux et toujours (faussement) innocents.

    Ce Quand vient l’automne vaut avant tout par ses personnages troubles et troublants, aux couleurs lunatiques comme celles de l’automne (comme Vincent le fils de Marie-Claude qui sort de prison et dont on sait seulement « qu’il a fait des bêtises », incarné par Pierre Lottin, inquiétant, écorché vif), mais aussi pour l’atmosphère automnale, faussement douce. Une fois de plus dans un film d'Ozon, le mensonge est à l’honneur, celui que Michelle se fait à elle-même pour supporter la vérité, pour survivre. Hélène Vincent est magistrale. Dans ses gestes et ses silences, elle exprime l’ambiguïté fascinante de son personnage, captivante, entre dureté et tendresse (quand elle s’occupe de son petit-fils adoré), rassurante et légèrement inquiétante. Sophie Guillemin, dans le rôle de la capitaine, dégage aussi une grande douceur, et ses regards sont d’une impressionnante intensité.

     Si les films d’Ozon sont en apparence très différents, ils se répondent tous plus ou moins. Ainsi, la présence de Ludivine Sagnier est à nouveau fantomatique comme dans Swimming pool, vingt ans plus tôt. Le film est vu du point de vue de Michelle comme il l’était de celui de Sarah Morton (Charlotte Rampling) dans cet autre film. L’un sublime la langueur torride de l’été, l’autre la mélancolie troublante de l’automne. Contraste des saisons mais aussi de la jeunesse et de la vieillesse. Même étrangeté douce et effrayante aussi qui provoque la tension psychologique. On retrouve aussi l’idée d’amitié qui était déjà présente dans Mon crime dans lequel les deux jeunes filles s’entraidaient. Ici Michelle et Marie-Claude sont comme deux sœurs.

    Ce sentiment de tension est renforcé par la musique atmosphérique (thème au piano) de Sacha et Evgueni Galperine. Un film ensorcelant et chamarré comme les couleurs de l’automne (magnifique photographie de Jérome Alméras), doux et cruel, savoureusement ambigu, qui célèbre autant l’automne de la vie que cette saison et qui s’achève, comme toujours chez Ozon, par la fin logique d’un cycle, entre trouble et apaisement. Passionnant de la première à la dernière minute.

  • Critique de BAMBI, L’HISTOIRE D’UNE VIE DANS LES BOIS de Michel Fessler (au cinéma le 16 octobre 2024, en avant-première au Festival Cinéroman de Nice et au Festival du Film du Croisic)

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    Retrouvez également cette critique enregistrée en podcast, ici.

    Qui ne connaît pas Bambi, le dessin animé des studios Disney de 1942, bien souvent à l’origine des premiers chagrins et éblouissements cinématographiques ? Tout comme le film de Disney, celui de Michel Fessler, est adapté du livre Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois de Felix Salten (1869–1945), autrichien d’origine hongroise, dramaturge, scénariste et romancier, qui écrivit plusieurs contes animaliers dont le célèbre Bambi, en 1923, dont le nom vient de l’italien bambino. Ce récit lui est inspiré par un séjour dans les Alpes. Bambi, Eine Lebengeschichte aus dem Walde.

    Cette fois, cependant, il ne s’agit pas d’un film d’animation mais de prises de vues réelles accompagnées par la voix de Mylène Farmer qui livre le récit, et par la musique originale de Laurent Perez del Mar. Le défi était de taille et est ici magistralement relevé avec pour résultat un conte initiatique d’une grande force et d’une saisissante beauté, un vibrant hymne à la nature.

    Comme le film de 1942, celui-ci raconte les aventures de Bambi, le jeune faon, entouré de sa mère et des animaux de la forêt : son ami le corbeau, le lapin, le raton laveur… Bambi découvre le monde des arbres et leurs secrets. Chaque jour, sa mère l’éduque pour qu’il puisse grandir avec force. Mais l’automne arrivé, Bambi s’aventure en terrain découvert lorsque des chasseurs le séparent de sa mère à tout jamais. Dès lors, le jeune faon doit apprendre à vivre seul. Heureusement, il retrouve Faline son amie d’enfance. Puis, un grand et majestueux cerf, qui n’est autre que son père, va retrouver Bambi et l’aider à grandir. Ce dernier va alors prendre son destin en main.

    Je vous parlais d’éblouissement à propos de ce que provoque Bambi chez les enfants qui découvrent le film d’animation de 1942 et qui, parfois, aussi, par ce biais, vivent leurs premières émotions cinématographiques. Éblouissement. Tel est aussi le mot qui définit la musique de Bambi, acteur à part entière de ce film qui le sublime.

    Dit-on d’une musique qu’elle éblouit ? Certainement le devrions-nous quand, comme celle-ci, elle charrie autant d’images et d’émotions, puissantes, entremêlées parfois. Un tourbillon d’émotions, même. La musique nous immerge en plein conte, dans une forêt tantôt luxuriante, tantôt menaçante, parfois les deux en même temps, tant elle est expressive, vibrante de vie, intense. À la fois terrienne et céleste (sensation qui atteint encore une dimension supplémentaire quand les voix de Léa Dasenka ou de Julia Wischnewski -chant ethnique pour la première et chant lyrique pour la seconde- se posent sur celle-ci). Elle nous donne à « voir » les animaux qui la peuplent, et qui gambadent, facétieux. Elle nous fait ressentir à quel point Bambi est accablé de chagrin. Elle évoque avec maestria la nature qui s’éveille, les lucioles qui volètent et nous procure la sensation de nous envoler avec elles, de ressentir les cycles de la vie, la succession des saisons, les dangers qui menacent le jeune faon, la renaissance de l'espoir.  Elle nous fait éprouver la peur et l’apaisement, la violence et la douceur, le désarroi et la gaieté. Elle nous transporte ailleurs, elle porte en elle l’élan de vie, et nous emporte dans son lyrisme subtil.

    Elle évoque une insouciance et un bonheur contagieux quand Bambi gambade avec sa mère, papillonne au milieu des fleurs ou s’éveille aux plaisirs de la liberté. Quand plane la menace de l’aigle, elle se fait à son image : majestueuse et inquiétante. Elle transcrit les élans amoureux quand Bambi est avec Faline, « quand deux petits cœurs s'emballent. » Quand « les lucioles se prennent pour des étoiles tombées du ciel », la musique miroite alors de concert avec elles. Quand Bambi est coursé par un chien, la musique tambourine et se gonfle d’un souffle épique, et évoque l’aventure et la chevauchée fantastique, telle celle d’un western. Elle irradie. Si elle est majestueuse, elle n’est jamais grandiloquente ou emphatique. Elle ne paraphrase pas. Elle accompagne, suggère une double lecture, ajoute un supplément d’âme, d’émotion et d’interprétation. À l'image du conte aussi : plusieurs degrés de lecture se superposent entre ses notes. Ainsi, quand Bambi est blessé, la musique suggère une double blessure, la blessure physique mais aussi la solitude, la blessure morale, l’absence de sa mère.  Elle chante, pleure, s’enthousiasme, vibre et vit, comme la nature qu'elle célèbre. Quand le coup de feu meurtrier immobilise la forêt et la fait trembler, elle se pare d’une gravité soudaine. Et quand elle est accompagnée de ces mots « La tristesse, c'est du froid à l'intérieur, il ne sait pas encore que c'est pour toujours », elle nous fait frissonner d’une glaçante admiration. Enfin, quand Bambi devient à son tour le roi de la forêt, ce et ceux qui la peuplent semblent vibrer en chœur et elle nous fait éprouver ce qu'ils ressentent : de la beauté pure, une joie profonde, rassurante et exaltante.

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    Souhaitons à cette musique un destin au moins aussi radieux que celui que connut la bande originale de La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit, du même Laurent Perez del Mar, qui a obtenu le Prix Spécial du Jury Un Certain Regard du 69ème Festival de Cannes avant de nombreux autres prix et nominations dans le monde, notamment aux César et aux Oscars comme meilleur film d’animation. Ce conte philosophique et écologique était aussi un éblouissement permanent qui nous attrapait dès la première image (comme si nous étions ballottés par la force des éléments avec le naufragé) pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions, abasourdis, que ce voyage captivant sur cette île déserte, cet état presque second dans lequel ce film nous avait embarqués, n’étaient que virtuels. Le murmure des vagues. Le chuchotement du vent. Le tintement de la pluie. L’homme si petit au milieu de l’immensité. La barque à laquelle il tente de s'accrocher. Le vrombissement de l’orage. Les cris des oiseaux. Les vagues qui se fracassent contre les rochers, puis renaissent. Le bruissement des feuilles. L'armée joyeuse des tortues. Le clapotis de l'eau. La nature resplendissait là aussi à travers les notes :  sauvage, inquiétante, magnifique. Sans oublier la respiration (dissonante ou complémentaire de l’homme) au milieu de cette nature harmonieuse. La musique à peine audible d’abord, en gouttes subtiles, comme pour ne pas troubler ce tableau, se faisait peu à peu plus présente. L’émotion du spectateur allait crescendo à l'unisson, comme une vague qui prend de l’ampleur et nous éloigne peu à peu du rivage de la réalité avant de nous embarquer, loin, dans une bulle poétique et consolatrice.

    Si je vous parle ainsi de la musique de La Tortue rouge, c’est parce que dans Bambi, comme dans ce film précité, la musique et les ambiances de nature se (con)fondent et s'enrichissent alors avec virtuosité pour créer cette symbiose magique. Jamais redondante, elle apporte un contrepoint romanesque, lyrique, et un supplément d’âme et d’émotion qui culmine lors d’un ballet aquatique et lors de la scène du tsunami dans La tortue rouge, lorsque Bambi devient le roi de la forêt dans le film éponyme. À ces instants, dans les deux films, la puissance romanesque de la musique hisse et propulse le film, et le spectateur, dans une sorte de vertige hypnotique et sensoriel d’une force émotionnelle exaltante, rarement vue (et ressentie) au cinéma.

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    Je vous avais aussi parlé de cette musique qui s’emballe comme un élan romanesque, à l'unisson de l’imagination de celle du personnage de Gaby, quand un de ses rêves se réalise et que son visage s’illumine de joie, dans l’excellent Super papa de Léa Lando. Dans Bambi, on retrouve ce souffle romanesque, exacerbé, qui s’empare de nous.

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    Dans Un coup de maître de Rémi Bezançon, à la fin du film, la musique de Laurent Perez del Mar, sublime également la nature, lorsqu'elle s’emporte et s’emballe comme des applaudissements victorieux, comme un tourbillon de vie, comme un cœur qui renaît, comme le pouls de la forêt, avec de plus en plus de profondeur aussi, comme si la toile atteignait son paroxysme, sa plénitude. Dévoilant toute sa profondeur, elle emporte alors comme une douce fièvre, harmonieuse, réconfortante.

    Le travail sur le son, dans Bambi, est aussi absolument admirable et exceptionnel : les bruits de la nature sont en eux-mêmes une musique qui dialogue avec celle du compositeur.  Les feuilles qui bruissent et caressent nos oreilles. La pluie qui rebondit sur les feuilles. Les grondements de l’orage. Le clapotis de l’eau. Les bourdonnements des insectes. Les bruits des pattes du loup sur les feuilles. Les respirations des animaux et de la nature. Comme un acteur qui jouerait avec un partenaire, la musique de Laurent Perez del Mar répond aux sons de l'environnement et des animaux, joue et jongle avec les bruits (et les images) de la nature, grâce à un orchestre de plus de 70 musiciens.

    Le travail sur l’image et la réalisation est tout aussi admirable. Bambi est personnifié. L’Homme n’est ici qu’une ombre menaçante, insidieuse, tueuse, sans visage. L’animal est l’être sensible, humain, avec ses yeux expressifs, qui nous restent en mémoire, comme ses « points blancs sur son dos qui imitent les taches du soleil. » Comme tant d’autres plans qui imprègnent nos souvenirs de spectateurs, comme au retour d’un voyage aux sensations indélébiles. Les couleurs chatoyantes de l’automne. Les reflets menaçants du ciel dans l’eau. Les reflets de la lune. La brume qui serpente au-dessus de l’eau. Le ciel rougeoyant. La beauté de l’animal, qui se confond avec les couleurs de la nature. Les feuilles qui tombent et tourbillonnent autour de sa tête, au ralenti. 

    La voix off, ensorcelante, de Mylène Farmer, d’une présence discrète, ne force pas l’émotion mais ajoute subtilement une dimension poétique, parfois philosophique : « C’est la diversité qui fait la beauté du monde. », « Être curieux n'est pas un si vilain défaut. » « Parfois, le simple fait de se ressembler fait naître une étincelle. » « L'été est bien installé une boule de feu règne. », « Rien n'est plus doux que des liens qui fleurissent »...

    Une association de protection animale s'est opposée à la diffusion du film et dénonce l'utilisation de vrais animaux pendant le tournage. Quelle absurdité ! Ce film est au contraire une ode respectueuse à la nature. Il est par ailleurs clairement précisé qu’aucun animal n’a été maltraité durant les seize semaines du tournage, qui eut lieu en région Centre Val de Loire et dans le département du Loiret. L’équipe n’a jamais oublié d’être à l’écoute du bien-être des animaux et de leur rythme biologique. Ce film doit au contraire être vu par le plus grand nombre, a fortiori par les scolaires.

    Scénariste accompli, Michel Fessler a écrit et coécrit plus d’une trentaine de films français comme internationaux en variant les genres : aventure, drame intime et psychologique. En 2022, il signe deux succès internationaux, Le Chêne, une fiction documentaire réalisée par Michel Seydoux et Laurent Charbonnier et un long-métrage d’animation avec les dessins de Sempé Le Petit Nicolas co-écrit avec Anne Goscinny. Trois films nommés aux Oscars le font connaître au grand public : Ridicule, Farinelli et La Marche de l’Empereur.

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    Le travail de Laurence Buchmann, la cheffe monteuse, est également pour beaucoup dans la réussite de l'ensemble, et contribue aussi fortement à ce dialogue entre les animaux et les végétaux, et au rythme qui ne faiblit pas. De même que celui de Daniel Meyer, le Directeur de la photographie qui, après avoir parcouru le monde pour de multiples documentaires, a mis en lumière des séries télévisées ainsi que des unitaires, a participé à deux grands projets cinéma de Yann Arthus Bertrand, Human et Women, co-signé avec Anastasia Mikova.

    Bambi n’est pas seulement un conte pour enfants. Toute la vie, sa violence et sa douceur, sa beauté et sa cruauté, ses désespoirs et ses espoirs, ses morts et ses renaissances, l’amitié, l’amour, la découverte du monde et de soi, la préciosité, la force et la fragilité de la nature, tout cela est raconté dans le film de Michel Fessler. Et bien plus encore. Félix Salten, juif, dut fuir les nazis. Bambi fut ainsi interdit comme l'ensemble de l'œuvre de l'écrivain en raison de ses origines, en Allemagne puis dans l’Autriche annexée par Hitler.  L’homme qui cherche à enfermer et tuer la beauté de la nature, les animaux qui ne cessent de fuir… : difficile de ne pas y voir aussi une peinture de la noirceur de l’âme humaine et le reflet de la montée de l'antisémitisme.

    Un film sensoriel, une expérience et une musique qui est indéniablement une des plus expressives, profondes, puissantes, majestueuses, évocatrices, émouvantes, qu’il m’ait été donné d’entendre. Une musique éblouissante et bouleversante, d’une grande profondeur, richesse et sensibilité, qui reflète la simplicité et la polysémie du conte, face à la brutalité et la cruauté du monde. Une histoire intemporelle et universelle qui nous embarque dans un voyage fascinant, fascinés, les yeux écarquillés et les oreilles à l’affût du moindre frémissement de la nature, comme ceux d’un enfant ou du jeune faon devant la découverte des beautés du monde. Comme si nous découvrions un autre monde aux magnificences envoûtantes dont on oublie parfois que c'est aussi le nôtre et qu'il faut le protéger, le chérir et prendre le temps de l’admirer dans ce qu’il a de plus minuscule comme dans ce qu’il a de plus grandiose (magnifiques plans en plongée de la forêt). Une échappée belle inoubliable grâce à l’alliance d’une rare perfection de la musique et des images qui font que notre cœur bat la chamade à l’unisson de celui de Bambi et des vibrations de la nature. En préface de la réédition de l’œuvre de Félix Salten, Amélie Nothomb a écrit : « Je défie le lecteur de ne pas en sortir bouleversé. » Je dirais de même au sujet du film. Et j’ajoute : préparez-vous à être émerveillés ! Si ce film est un hymne à la nature, il l’est aussi à l’émerveillement et nous en fait ressentir, de la première à la dernière image, de la première à la dernière note. Un chef-d’œuvre du genre, tout simplement, d’autant plus impressionnant qu’il s’agit du premier film en tant que réalisateur de Michel Fessler.

    À noter :

    • Le film sort en salles le 16 octobre et la musique sera disponible dès le 18 octobre, sur toutes les plateformes.

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    • Le film est sélectionné dans plusieurs festivals dont le Festival du Film du Croisic (festival d’adaptations littéraires sur grand écran) dans le cadre duquel il sera projeté, hors compétition, le mercredi 9 octobre, en présence d’une partie de l’équipe du film dont le réalisateur Michel Fessler et le compositeur Laurent Perez del Mar.

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    • Il sera également projeté en avant-première dans le cadre du Festival Cinéroman de Nice, le mardi 1er octobre à 18H, également en présence de son compositeur. Ce festival sera aussi l’occasion de découvrir d’autres films remarquables comme Le fil de Daniel Auteuil (compétition) ou encore un autre chef-d’œuvre, de Jonathan Glazer, La zone d'intérêt (compétition), dont je vous parle longuement ici, mais aussi La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius, ou encore des classiques comme Plein soleil de René Clément. Sont également proposées des masterclasses dont une sur l’Intelligence Artificielle à laquelle participera notamment le compositeur de la musique de Bambi.

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    • Bambi, L’histoire d’une vie dans les bois de Felix Salten. Le roman intégral originel (1923) augmenté du storyboard du film 130 x 200 mm - 220 pages, est également à découvrir aux éditions Télémaque.

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    •  L’album jeunesse La première adaptation en images réelles du roman de Felix Salten, d’après le film réalisé par Michel Fessler est également disponible. Le film raconté aux enfants avec une sélection de ses 40 plus belles photos. 210 x 297 mm relié - 40 pages illustrées www.editionstelemaque.com SORTIE EN LIBRAIRIE Le 10 octobre 2024
    • Retrouvez prochainement cette critique en podcast (podcast In the mood for cinema sur Spotify…).
  • Programme du Festival Cinéroman de Nice 2024

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    Chaque année, depuis sa création, il y a six ans, je vous parle ici du Festival Cinéroman de Nice qui a la judicieuse idée de relier et d'interroger ces deux arts, littérature et cinéma, et les liens nombreux qui les unissent. Un formidable évènement dont ce sera donc cette année (déjà !) la sixième édition, qui aura lieu du 30 septembre au 5 octobre 2024. Il met à l'honneur le travail des écrivains et scénaristes, et suffisamment rares sont les évènements à le faire, ainsi, pour ne pas mettre à nouveau en avant ce festival. Ils seront nombreux cette année, réalisateurs, scénaristes, compositeurs, acteurs, à évoquer leur travail et à partager leur passion, mais aussi  écrivains parmi lesquels le dernier prix Goncourt, Jean-Baptiste Andrea ou encore David Foenkinos, Marc Lambron...

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    Selon François Truffaut , « Qu'on écrive un roman ou un scénario, on organise des rencontres, on vit avec des personnages ; c'est le même plaisir, le même travail, on intensifie la vie. » Intensifier la vie, tel est un des nombreux points communs entre le cinéma et la littérature mais telle est aussi une des caractéristiques des festivals de cinéma. Bien que les œuvres cinématographiques adaptées de romans soient pléthoriques, peu nombreux sont finalement les festivals de cinéma consacrés au cinéma ET à la littérature.  Et seul le Festival du Film du Croisic (« festival d’adaptations littéraires sur grand écran ») bénéficiait d’une véritable renommée jusqu'à la création de ce festival qui a donc une véritable carte à jouer, se situant en plus dans une ville qui est un véritable décor de film, indissociable du septième art, entre les très nombreux tournages qui s’y déroulèrent (parmi lesquels La Baie des anges de Jacques Demy ou Magic in the moonlight de Woody Allen et plus récemment Mascarade de Nicolas Bedos) et la présence de la Cinémathèque de Nice mais aussi des mythiques Studios de la Victorine. Un festival d'autant plus nécessaire à une époque où le travail du scénariste n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur (et une adaptation requiert tout autant une méticulosité et un travail d'orfèvre qu'un scénario original) qui, en 6 ans, a su s’imposer comme le « rendez-vous incontournable dédié aux romans et aux films ».

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    Le cinéma compte ainsi un nombre incroyable de chefs-d’œuvre parmi les adaptations littéraires : Hiroshima mon amour d’Alain Resnais (adapté de Duras), Le Temps de l’innocence de Martin Scorsese (adapté de Edith Wharton), Gatsby le magnifique de Jack Clayton (adapté de Francis Scott Fitzgerald), Lettre d’une inconnue d’Ophüls (adapté de Zweig), La Bête humaine de Renoir (adapté de Zola) sans compter plus récemment Illusions perdues de Giannoli (adapté de Balzac), et Le Comte de Monte-Cristo (adapté de Dumas) dont les réalisateurs Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière seront cette année les présidents du jury. Ils seront accompagnés de  Philippine Leroy-Beaulieu, Laetitia Dosch, Aurélie Saada, Enki Bilal, François Berléand, Jérémie Renier et,  Danièle Thompson, membre d'honneur.

    Pour les fondateurs du Festival Cinéroman de Nice, Nathalie et Daniel Benoin (aux côtés desquels se trouvent Christophe Barratier et Carole Chétiennot pour coprésident et vice-présidente), comme ils le soulignèrent dans l'édito 2022, ce festival est « un véritable rendez-vous entre soleil et salle obscure, entre professionnels et public, entre écrivains, réalisateurs, acteurs, producteurs et l’ensemble de la profession du cinéma».  En six ans seulement, ce festival a su devenir un des événements incontournables du cinéma en France.

    Le festival s'enrichit d'un futur marché professionnel de Cinéroman, inauguré au printemps de cette année avec, aussi, parmi les objectifs des fondateurs du festival  « l’espoir de redonner aux grands romans du XIXe siècle, trop souvent perçus comme un devoir par les jeunes, la place qu’ils méritent : celle d’un plaisir incommensurable »

    Au programme de cette année figurent plus de 48 projections, entre films en compétition, avant-premières et films cultes. Au Théâtre de l’Artistique vous pourrez également assister à des rencontres, des masterclasses, des débats, et des lectures. 

    Ci-dessous, je vous détaille le programme, et vous recommande d'emblée certains films, à ne manquer sous aucun prétexte. Retrouvez mes critiques des quatre premiers, en bas de cet article. Je vous en parlerai au moment de leur sortie en salles. Retrouvez également mes critiques du Comte de Monte-Cristo et de La Zone d'intérêt sur mon podcast In the mood for cinema :

    - La Zone d'intérêt de Jonathan Glazer (compétition)

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    - Bambi, l'histoire d'une vie dans les bois de Michel Fessler (avant-première, hors compétition)

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    - Le Comte de Monte-Cristo de Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte

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    Lien vers la critique complète en podcast ici

    - Plein soleil de René Clément (films cultes)

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    - Le Roman de Jim et Arnaud et Jean-Marie Larrieu (compétition)

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    Le Fil de Daniel Auteuil (compétition)

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    - Prodigieuses de Frédéric et Valentin Potier  (avant-première, hors compétition)

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    - La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius (avant-première, hors compétition)

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    -En fanfare de Emmanuel Courcol (avant-première, hors compétition)

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     PROGRAMME COMPLET DU FESTIVAL CINEROMAN DE NICE 2024

    (Rendez-vous sur le site officiel du Festival Cinéroman de Nice 2024, ici, pour connaître les jours et heures de programmation des films.)

    FILMS EN COMPETITION

    La Zone d’Intérêt 

    Réalisé par Jonathan Glazer

    (retrouvez ma critique en bas de cet article et la version en podcast, ici)

    Le Royaume de Kensuke

    Réalisé par Neil Boyle et Kirk Hendry

    Quelques Jours Pas Plus

    Réalisé par Julie Navarro

    Juliette Au Printemps

    Réalisé par Blandine Lenoir

    Maria

    Réalisé par Jessica Palud

    L'Enfant Qui Mesurait Le Monde

    Réalisé par Takis Candilis

    Le Roman De Jim

    Réalisé par Arnaud et Jean-Marie Larrieu

    Emilia Perez

    Réalisé par Jacques Audiard

    Le Fil

    Réalisé par Daniel Auteuil

    Emmanuelle

    Réalisé par Audrey Diwan 

    FILMS EN AVANT-PREMIERE

    Leurs enfants après eux

    RÉALISÉ PAR ZORAN ET LUDOVIC BOUKHERMA

    Saint-Ex

    RÉALISÉ PAR PABLO AGUERO

    Le système Victoria

    RÉALISÉ PAR SYLVAIN DESCLOUS

    Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois

    RÉALISÉ PAR MICHEL FESSLER

    (retrouvez ma critique en bas de cet article, et ici)

    En tongs au pied de l’Himalaya

    RÉALISÉ PAR JOHN WAX

    Louise Violet

    RÉALISÉ PAR ERIC BESNARD

    Limonov, la balade

    RÉALISÉ PAR KIRILL SEBRENNIKOV

    Angelo dans la forêt mystérieuse

    RÉALISÉ PAR VINCENT PARONNAUD ET ALEXIS DUCORD

    Prodigieuses

    RÉALISÉ PAR FRÉDÉRIC ET VALENTIN POTIER

    Sarah Bernhardt, La Divine

    RÉALISÉ PAR GUILLAUME NICLOUX

    Le panache

    RÉALISÉ PAR JENNIFER DEVOLDERE

    Seul

    RÉALISÉ PAR PIERRE ISOARD

    Un ours dans le Jura

    RÉALISÉ PAR FRANCK DUBOSC

    A bicyclette !

    RÉALISÉ PAR MATHIAS MLEKUZ

    La plus précieuse des marchandises

    RÉALISÉ PAR MICHEL HAZANAVICIUS

    En Fanfare

    RÉALISÉ PAR EMMANUEL COURCOL

    Niki

    RÉALISÉ PAR CÉLINE SALLETTE

    A toute allure

    RÉALISÉ PAR LUCAS BERNARD

    Monsieur Aznavour

    RÉALISÉ PAR MEHDI IDIR ET GRAND CORPS MALADE

    Hiver à Sokcho

    RÉALISÉ PAR KOYA KAMURA

    Le quatrième mur

    RÉALISÉ PAR DAVID OELHOFFEN

    FILMS CULTES

    L’Aveu

    RÉALISÉ PAR Costa-Gavras

    37.2 le matin

    RÉALISÉ PAR Jean-jacques Beineix

    Plein Soleil

    (retrouvez ma critique en bas de cet article, ici)

    RÉALISÉ PAR René Clément

    Trainspotting

    RÉALISÉ PAR Danny Boyle

    Un air de famille

    RÉALISÉ PAR Cédric Klapisch

    Le Comte de Monte-Cristo

    RÉALISÉ PAR MATHIEU DELAPORTE Et ALEXANDRE DE LA PATELLIERE

    (retrouvez ma critique en bas de cet article et la version en podcast, ici)

    La Reine Margot

    RÉALISÉ PAR PATRICE CHÉREAU

    MASTERCLASSES ET DEBATS

    L’interaction roman-cinéma en particulier pour la nouvelle génération

    Animée par Anne Michelet

    Mardi 1 octobre à 14h00

    Le cinéma est souvent un intermédiaire recherché pour la transmission des classiques de la littérature. Et effectivement on peut constater que le cinéma offre une seconde vie à beaucoup de romans classiques ou non ce qui souvent rend des œuvres littéraires accessibles à un public jeune parfois moins sensibilisés à la lecture. Et plus généralement est-ce que la réciproque est vraie ? Est-ce que voir un film peut amener le spectateur à devenir ou redevenir lecteur du roman dont il est adapté ?

    Avec Martin Bourboulon, réalisateur du dyptique les Trois Mousquetaires
    et Matthieu Delaporte et Alexandre De La Pattelière, co-présidents du jury et scénaristes et Réalisateurs
     

    Débat : les grands romans font-ils de grands films ?

    Animée par Charlotte Bouteloup

    Mardi 1 octobre à 16h00

    Réflexions sur le travail considérable et difficile qui est nécessaire pour s’attaquer aux grands textes de la littérature. Les romans dits « inadaptables » engendrent des films couteux et assez souvent peu réussi. Mais une nécessité sans doute pour faire découvrir à des spectateurs parfois mal informés de ces monuments qui font une grande partie de notre culture.

    Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière, co-présidents du jury
    ,et scénaristes et réalisateurs de Monte-Cristo
    Danièle Thompson, scénariste entre autre de la Reine Margot,
    Martin Bourboulon, réalisateur du diptyque des Trois Mousquetaires,
     

     

    Rencontre avec Marc Lambron (Académie française)

    Animée par Daniel Benoin

    Mercredi 2 octobre à 16h00

    Romancier, critique littéraire et grand amateur de cinéma, Marc Lambron se dévoilera un peu plus au cours de cette rencontre. Fascination garantie.

    Marc Lambron, académicien français 

     

    Rencontre avec Nicolas Seydoux et Jean-Marie Poiré

    Animée par Anne Michelet

    Mercredi 2 octobre à 18h00

    Nicolas Seydoux, Président de Gaumont, principal producteur du cinéma français vient nous parler de sa carrière et ses sentiments sur le cinéma d’aujourd’hui et de son ami réalisateur Jean-Marie Poiré qui l’accompagne.

    Nicolas Seydoux, producteur et président de Gaumont
    Jean-Marie Poiré, réalisateur et producteur

     

    Table ronde avec le jury de Cinéroman

    Jeudi 3 octobre à 16h00

    De l’importance du roman avant le film. Cela facilite la comCela compréhension, l’adaptation, préhension, la réalisation, l’interprétation ? Ecrivains, adaptateurs, réalisateurs, comédiens, membres du jury essayent de répondre à cette question.

    François Berléand
    Jérémie Renier
    Danièle Thompson
    Matthieu Delaporte
    Alexandre De La Patellière
    Laetitia Dosch
    Enki Bilal
    Philippine Leroy Beaulieu
    Aurélie Saada

     

    L’Intelligence Artificielle (IA) va-t-elle remplacer les créateurs de cinéma, de musique, d’arts plastiques et même du spectacle vivant ?

    Animée par Bruno Valentin

    Jeudi 3 octobre à 18h00

    Chaque année la question du bouleversement de la création artistique par l’IA se pose de manière renouvelée. En effet l’évolution de cette « technologie » est si rapide que chaque année le sujet est nouveau et ce phénomène va encore s’accélérer à l’avenir. La place prise par l’IA dans tous les arts de reproduction et non éphémères va-t-elle modifier en profondeur les métiers de ces arts dominants. Vont-ils perdre de leur authenticité et de leur originalité ? Qu’en est-il du spectacle vivant éphémère par nature ?

    Lawrence Valin, expert institut Europ’IA
    Alexandre Pachulski, expert en IA
    Laurent Perez Del Mar, musicien
    Remi Bezancon, réalisateur
    Paulo Correia, metteur en scène et vidéaste

     

    Débat : Les écrivains face à l’adaptation de leur roman

    Animée par Charlotte Bouteloup

    vendredi 4 octobre à 15h00

    Débat autour du rôle des écrivains dans l’adaptation de leurs propres œuvres au cinéma ; veulent-ils influencer le film ? Et si oui, jusqu’où ? Comment réagissent-ils face à l’interprétation de leur œuvre par d’autres ? Pourquoi un écrivain accepte-t-il de confier son œuvre, ses personnages à un autre créateur ? Est-il difficile de le voir s’emparer de ses personnages, leur donner des visages réels, leur faire dire, vivre parfois d’autres choses que ce qui est raconté dans le roman.

    Vanessa Schneider
    Camille Laurens
    David Foenkinos
    Christophe Ono-Dit-Biot, romancier journaliste

     

    Rencontre avec Jean-Baptiste Andrea

    Animée par Vanessa Schneider

    vendredi 4 octobre à 17h00

    Jean-Baptiste ANDREA est sans doute un cas unique. Autant on voit assez souvent des romanciers adapter leur livre au cinéma parfois même les réaliser autant notre auteur est un cas extrêmement rare de scénariste et réalisateur qui change de sensibilité artistique pour aller vers la littérature. Pour Jean-Baptiste ANDREA c’est 13 ans après ses débuts cinématographiques et peu de temps avant son prix Goncourt. Quelle belle histoire !

    Jean-Baptiste Andrea, prix Goncourt 2023

      

    Lecture de « Birmane » roman de Christophe Ono dit Biot en présence de l’auteur

    Animée par

    Samedi 5 octobre à 11h00

    Nadia Farès, comédienne et actrice
    Pascal Elbé, comédien et acteur
    Christophe Ono-Dit-Biot

     

    Masterclass : un cas exceptionnel de cinéroman avec Marie-Julie Baup

    Animée par Anne Michelet

    Samedi 5 octobre à 17h00

    Voilà un texte anglais « In other words » adapté au théâtre et traduit en français par Marie-Julie Baup et Thierry Lopez qui va devenir un film scénarisé et mis en scène par Marie-Julie. C’est un parcours presque symbolique pour Cinéroman, Marie-Julie viendra nous parler de la pièce et comment elle devient un film. Du texte au scénario nous pouvons comprendre une des tentatives –celle-ci en train de se faire- pour passer de la littérature au film.

    Marie-Julie Baup

     

    CRITIQUES DE 4 FILMS PRÉSENTÉS AU FESTIVAL CINÉROMAN DE NICE 2024

    CRITIQUE de LA ZONE D'INTÉRÊT de JONATHAN GLAZER  (compétition)

    Une critique à écouter aussi en podcast, ici.

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    Photo ci-dessus : présentation du film dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023

    La Zone d’intérêt figurait parmi les films en compétition du dernier Festival de Cannes (d’où il est reparti avec le Grand Prix), fut présenté en avant-première au dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville, dans le cadre duquel je l’ai découvert, et le sera également la semaine prochaine au Dinard Festival du Film Britannique (dont je vous détaille le programme, ici).

    Rarement un film m’aura autant bousculée, de la première à la dernière seconde, et hantée, des jours après. Cela commence par un écran noir, interminable, tandis que des notes lancinantes et douloureuses viennent déjà heurter notre tranquillité, nous avertir que la sérénité qui lui succèdera sera fallacieuse. La première scène nous donne à voir une image bucolique, celle d’une famille au bord d’une rivière par une journée éclatante. Celle de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz de 1940 à 1943, qui habite avec sa famille dans une villa avec jardin, juste derrière les murs du camp. À qui ignorerait l’histoire (et l’Histoire) et ne serait pas attentif, la vie de cette famille semblerait de prime abord presque « normale ». Un air de vacances et de gaieté flotte dans l’air. Les corps s’exhibent, en pleine santé. Pourtant c’est dans cette normalité, cette banalité que réside toute l’horreur, omniprésente, dans chaque son, chaque arrière-plan, chaque hors-champ. Cette zone d’intérêt, ce sont les 40 kilomètres autour du camp, ainsi qualifiés par les nazis. Une qualification qui englobe déjà le cynisme barbare de la situation. La biographie de Rudolf Höss avait inspiré La mort est mon métier de Robert Merle, puis le roman The Zone of Interest de Martin Amis (publié chez Calmann-Lévy en 2015) dont le film est adapté. Il décrit le quotidien de cet artisan de l’horreur avec Hedwig, son épouse et leurs cinq enfants.

    Avant même le premier plan, ce qui nous interpelle, c’est le son, incessant, négation permanente de la banalité des scènes de la maisonnée. C’est le bruit d’un wagon. Ce sont des cris étouffés. Ce sont des coups de feu. Ce sont des aboiements. Ce sont ces ronronnements terrifiants et obsédants des fours crématoires. Mais c’est l’arrière-plan aussi qui teinte d’horreur tout ce qui se déroule au premier, cette indifférence criante qui nous révulse. C’est la vue de cette cheminée, juste au-dessus du jardin, dont une fumée noire s’échappe, sans répit. Ce sont les barbelés. C’est ce prisonnier qui s’affaire dans le jardin du Commandant. C’est la vue de ces trains qui ne cessent d’arriver. Ce sont ces os que charrie la rivière. L’horreur est là, omniprésente, et pourtant insignifiante pour les occupants de la zone d’intérêt qui vivent là comme si de rien n’était, comme si la mort ne se manifestait pas à chaque seconde. La vie est là dans ce jardin, entre le père qui fume, les pépiements des oiseaux et les cris joyeux des enfants, éclaboussant de son indécente frivolité la mort qui sévit constamment juste à côté. La « banalité du mal » définie par Hannah Arendt représentée dans chaque plan.

    Hedwig Höss se glorifie même d’être gratifiée du titre de « reine d’Auschwitz » par son mari. Hedwig est en effet très fière : de son statut, de ce qu’elle fait de sa maison, surtout de son jardin, avec sa serre et sa piscine. Son havre de paix au cœur de l’horreur absolue. Son mari est muté. Pour elle, l’horreur absolue s’inscrit cependant là : dans la perspective de devoir déménager de son « paradis ». Cette « zone d’intérêt » qu’elle ne quitterait pour rien au monde. Ce cliché de propagande nazie.

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    Claude Lanzmann (dont le documentaire Shoah, reste l’incontournable témoignage sur le sujet, avec également le court-métrage d’Alain Resnais, Nuit et brouillard) écrivit ainsi : « L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu de l’horreur est intransmissible : prétendre pourtant le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. » Le film de Glazer a cette intelligence-là : ne jamais montrer l’intransmissible. L’imaginer est finalement plus parlant encore. Ainsi, nous ne voyons rien de ce qui se déroule dans le camp mais nous le devinons. Nous ne voyons que des objets appartenant aux déportés qui contiennent en eux des destins tragiques et racontent la folie des hommes : un manteau de fourrure, des vêtements d'enfants, des bijoux, ou ce rouge à lèvres appartenant à une déportée qu’Hedwig s’applique soigneusement, et dans cette application en apparence insignifiante s’insinue le souffle glaçant de la mort qui la sous-tend. Le film adopte la retenue qui sied au sujet, au respect des victimes dont l’absence à l’image ne contribue pas à les nier mais n’est que le reflet de ce qu’elles étaient pour leurs bourreaux : des chiffres, des êtres dont on occultait sans état d'âme l'humanité. Le dénouement leur rend la lumière et la dignité. La Zone d’intérêt a été tourné à Auschwitz même, encore une fois avec ce souci, de respect des victimes et de fictionnaliser le moins possible. Pas d’esthétisation. Pas de lumière artificielle. Le sentiment de contemporanéité n’en est que plus frappant.

    Sandra Hüller figurait au générique de deux films remarquables en compétition du Festival de Cannes 2023, puisqu’elle incarne aussi la Sandra de Anatomie d’une chute de Justine Triet, la palme d’or de cette édition. Révélée à Cannes en 2016 dans Toni Erdmann, dans le film de Justine Triet, elle est impressionnante d’opacité, de froideur, de maitrise, d’ambiguïté. Ici, dans le rôle d'Hedwig, elle est carrément glaçante. Elle se délecte à essayer un manteau de fourrure trop grand pour elle dont il est aisé de deviner l’origine. Elle distribue des vêtements à ses amis dont la provenance ne fait aucun doute là non plus. Elle est si fière d’être cette femme à la vie si privilégiée, clamant qu’elle a une vie « paradisiaque » dans ce jardin qu’elle montre avec orgueil à sa mère, comme cette chambre d’enfant où elle l’héberge, avec fenêtre sur les miradors et cheminées. Elle est monstrueuse dans l’apparente normalité de ses gestes et paroles, et laissant même éclater toute sa violence lorsqu’une assiette n’est pas là où elle doit être. Ou quand elle demande à « Rudolf » de l'« emmener encore dans ce spa italien »  tandis que rugissent les fours crématoires, et la mort, alors qu’elle ne pense qu’à jouir de la vie, sans scrupules.

    Pour le Commandant (Christian Friedel), seule compte la fierté de servir le 3ème Reich. Obstinément. Des industriels viennent louer les qualités de leurs fours, comme s’il s’agissait d’un quelconque produit industriel. Comment ne pas avoir la nausée devant l’ignominieuse distance et l’abominable froideur avec lesquelles ils discutent des modalités de la solution finale et du principe d’un "four crématoire circulaire" ? Les réunions des directeurs de camps sont aussi nauséeuses dans leur apparence ordinaire. Il est question d’efficacité, de rendement, de logistique. Comme si rien de tout cela ne concernait des êtres humains, et leur mort atroce.

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     Une folie qui semble contaminer jusqu’aux enfants quand l’un enferme son frère dans la serre. On pense alors au chef-d’œuvre de Michael Haneke, Le ruban blanc. Ce ruban blanc, dans le film d’Haneke, c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc, c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc. Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres. La forme, comme dans le film de Glazer, démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.

    Je ne saurais citer un autre film dans lequel le travail sur le son est aussi impressionnant que dans La Zone d’intérêt, la forme sonore tellement au service du fond (parmi les films récents, je songe au long-métrage de Vincent Maël Cardona,  Les Magnétiques mais le sujet est à des années-lumière de celui du film de Glazer) : cette dichotomie permanente entre ce vacarme et l’indifférence qu’il suscite. Ce grondement incessant qui nous accompagne des jours après. Les musiques composées par Mica Levi et les sons du concepteur sonore Johnnie Burn sont pour beaucoup dans la singularité de cette œuvre et dans sa résonance. Ces dissonances qui constamment nous rappellent que tout cela n'a rien de normal, qui nous oppressent. Et au cas où nous aurions souhaité occulter ce que ces sons représentent, ce qui se joue là, derrière les discussions sur la façon d’agencer le jardin ou les jeux des enfants, un écran brusquement rouge vient nous heurter, comme un écho à l’écran noir du début, nous signifiant bien que ce paradis bucolique masque un enfer, que le vert qui envahit l’écran n’est là que pour masquer le rouge qui déferle à quelques mètres. Seules des parenthèses en négatif laissent éclater un peu d’humanité (lueur d’espoir apparaissant alors comme irréalité au milieu de cette inconcevable réalité), et peut-être le départ anticipé de la mère d’Hedwig avec un mot dont nous ne connaîtrons pas la teneur et dont on a envie de croire qu'il dénonce l'horreur, et qui pourtant a elle aussi profité des déportés, en l’occurrence ses anciens patrons. C’est tout. Pas d'autre lueur d'espoir.

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    En 2015, avec Le Fils de Saul, László Nemes nous immergeait dans le quotidien d'un membre des Sonderkommandos, en octobre 1944, à Auschwitz-Birkenau. Saul Ausländer est alors membre de ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums où il est chargé de « rassurer » les Juifs qui seront exterminés et qui ignorent ce qui les attend, puis de nettoyer… quand il découvre le cadavre d’un garçon en lequel il croit ou veut croire reconnaître son fils. Tandis que le Sonderkommando prépare une révolte (la seule qu’ait connue Auschwitz), il décide de tenter l’impossible : offrir une véritable sépulture à l’enfant afin qu’on ne lui vole pas sa mort comme on lui a volé sa vie, dernier rempart contre la barbarie. La profondeur de champ, infime, renforce cette impression d’absence de lumière, d’espoir, d’horizon, nous enferme dans le cadre avec Saul, prisonnier de l’horreur absolue dont on a voulu annihiler l’humanité mais qui en retrouve la lueur par cet acte de bravoure à la fois vain et nécessaire, son seul moyen de résister. Que d’intelligence dans cette utilisation du son, de la mise en scène étouffante, du hors champ, du flou pour suggérer l’horreur ineffable, ce qui nous la fait d’ailleurs appréhender avec plus de force encore que si elle était montrée. László Nemes s’est beaucoup inspiré de Voix sous la cendre, un livre de témoignages écrit par les Sonderkommandos eux-mêmes.

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    Avec le plus controversé La vie est belle, Benigni a lui opté pour le conte philosophique, la fable pour démontrer toute la tragique et monstrueuse absurdité à travers les yeux de l’enfance, de l’innocence, ceux de Giosué. Benigni ne cède pour autant à aucune facilité, son scénario et ses dialogues sont ciselés pour que chaque scène « comique » soit le masque et le révélateur de la tragédie qui se « joue ». Bien entendu, Benigni ne rit pas, et à aucun moment, de la Shoah mais utilise le rire, la seule arme qui lui reste, pour relater l’incroyable et terrible réalité et rendre l’inacceptable acceptable aux yeux de son enfant. Benigni cite ainsi Primo Levi dans Si c’est un homme qui décrit l’appel du matin dans le camp. « Tous les détenus sont nus, immobiles, et Levi regarde autour de lui en se disant : “Et si ce n’était qu’une blague, tout ça ne peut pas être vrai…” C’est la question que se sont posés tous les survivants : comment cela a-t-il pu arriver ? ». Tout cela est tellement inconcevable, irréel, que la seule solution est de recourir à un rire libérateur qui en souligne le ridicule. Le seul moyen de rester fidèle à la réalité, de toute façon intraduisible dans toute son indicible horreur, était donc, pour Benigni, de la styliser et non de recourir au réalisme. Quand il rentre au baraquement, épuisé, après une journée de travail, il dit à Giosué que c’était « à mourir de rire ». Giosué répète les horreurs qu’il entend à son père comme « ils vont faire de nous des boutons et du savon », des horreurs que seul un enfant pourrait croire mais qui ne peuvent que rendre un adulte incrédule devant tant d’imagination dans la barbarie (« Boutons, savons : tu gobes n’importe quoi ») et n’y trouver pour seule explication que la folie (« Ils sont fous »). Benigni recourt à plusieurs reprises intelligemment à l’ellipse comme lors du dénouement avec ce tir de mitraillette hors champ, brusque, violent, où la mort terrible d’un homme se résume à une besogne effectuée à la va-vite. Les paroles suivantes le « C’était vrai alors » lorsque Giosué voit apparaître le char résonne alors comme une ironie tragique. Et saisissante.

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    Autre approche encore que celle de La Liste de Schindler de Spielberg dont le scénario sans concessions au pathos de Steven Zaillian, la photographie entre expressionnisme et néoréalisme de Janusz Kaminski (splendides plans de Schindler partiellement dans la pénombre qui reflètent les paradoxes du personnage), l’interprétation de Liam Neeson, passionnant personnage, paradoxal, ambigu et humain à souhait, et face à lui, la folie de celui de Ralph Fiennes, la virtuosité et la précision de la mise en scène (qui ne cherche néanmoins jamais à éblouir mais dont la sobriété et la simplicité suffisent à retranscrire l’horrible réalité), la musique poignante de John Williams par laquelle il est absolument impossible de ne pas être ravagé d'émotions à chaque écoute (musique solennelle et austère qui sied au sujet -les 18 premières minutes sont d’ailleurs dénuées de musique- avec ce violon qui larmoie, voix de ceux à qui on l’a ôtée, par le talent du violoniste israélien Itzhak Perlman, qui devient alors, aussi, le messager de l’espoir), et le message d’espérance malgré toute l’horreur en font un film bouleversant et magistral. Et cette petite fille en rouge que nous n'oublierons jamais, perdue, tentant d’échapper au massacre (vainement) et qui fait prendre conscience à Schindler de l’individualité de ces juifs qui n’étaient alors pour lui qu’une main d’œuvre bon marché. 

    Avec The Zone of Interest, Jonathan Glazer prouve d’une nouvelle manière, singulière, puissante, audacieuse et digne, qu’il est possible d’évoquer l’horreur sans la représenter frontalement, par des plans fixes, en nous en montrant le contrechamp, reflet terrifiant de la banalité du mal, non moins insoutenable, dont il signe une démonstration implacable. Cette image qui réunit dans chaque plan deux mondes qui coexistent et dont l’un est une insulte permanente à l’autre est absolument effroyable.  Si cette famille nous est montrée dans sa quotidienneté, c’est avant tout pour nous rappeler que la monstruosité peut porter le masque de la normalité. L’intelligence réside aussi dans la fin, qui avilit le monstre et le fait tomber dans un néant insondable tandis que nous restent les images de ce musée d’Auschwitz dans lequel s’affairent des femmes de ménage, au milieu des amas des valises, de chaussures et de vêtements, et des portraits des victimes. C’est d’eux dont il convient de se souvenir. De ces plus de cinq millions de morts tués, gazés, exterminés, parfois par des journées cyniquement ensoleillées. Un passé si récent comme nous le rappellent ces plans de la maison des Höss aujourd’hui transformée en mémorial. Une barbarie passée contre la résurgence de laquelle nous avons encore trop peu de remparts. Le film s’achève par un écran noir accompagné d’une musique lugubre, là pour nous laisser le temps d’y songer, de nous souvenir, de respirer après cette plongée suffocante, et de reprendre nos esprits et notre souffle face à l’émotion qui nous submerge. Un choc cinématographique. Un choc nécessaire. Pour rester en alerte. Pour ne pas oublier les victimes de l’horreur absolue mais aussi que le mal peut prendre le visage de la banalité. Un film brillant, glaçant, marquant, incontournable. Avec ce quatrième long-métrage (après Sexy Beast, Birth, Under the skin) Jonathan Glazer a apporté sa pierre à l'édifice mémoriel. De ce film, vous ne ressortirez pas indemnes. Vous ne pourrez pas (l') oublier. Voyez-le, impérativement.

    CRITIQUE de BAMBI, L'HISTOIRE D'UNE VIE DANS LES BOIS de MICHEL FESSLER (avant-première, hors compétition)

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    Qui ne connaît pas Bambi, le dessin animé des studios Disney de 1942, bien souvent à l’origine des premiers chagrins et éblouissements cinématographiques ? Tout comme le film de Disney, celui de Michel Fessler, est adapté du livre Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois de Felix Salten (1869–1945), autrichien d’origine hongroise, dramaturge, scénariste et romancier, qui écrivit plusieurs contes animaliers dont le célèbre Bambi, en 1923. De l’italien bambino, ce récit lui est inspiré par un séjour dans les Alpes. Bambi, Eine Lebengeschichte aus dem Walde.

    Cette fois, cependant, il ne s’agit pas d’un film d’animation mais de prises de vues réelles accompagnées par la voix de Mylène Farmer qui livre le récit, et par la musique originale de Laurent Perez del Mar. Le défi était de taille et est ici magistralement relevé avec pour résultat un conte initiatique d’une grande force et d’une saisissante beauté, un vibrant hymne à la nature.

    Comme le film de 1942, celui-ci raconte les aventures de Bambi, le jeune faon, entouré de sa mère et des animaux de la forêt : son ami le corbeau, le lapin, le raton laveur… Bambi découvre le monde des arbres et leurs secrets. Chaque jour, sa mère l’éduque pour qu’il puisse grandir avec force. Mais l’automne arrivé, Bambi s’aventure en terrain découvert lorsque des chasseurs le séparent de sa mère à tout jamais. Dès lors, le jeune faon doit apprendre à vivre seul. Heureusement, il retrouve Faline son amie d’enfance. Puis, un grand et majestueux cerf, qui n’est autre que son père, va retrouver Bambi et l’aider à grandir. Ce dernier va alors prendre son destin en main.

    Je vous parlais d’éblouissement à propos de ce que provoque Bambi chez les enfants qui découvrent le film d’animation de 1942 et qui, parfois, aussi, par ce biais, vivent leurs premières émotions cinématographiques. Éblouissement. Tel est aussi le mot qui définit la musique de Bambi, acteur à part entière de ce film qui le sublime.

    Dit-on d’une musique qu’elle éblouit ? Certainement le devrions-nous quand, comme celle-ci, elle charrie autant d’images et d’émotions, puissantes, entremêlées parfois. Un tourbillon d’émotions, même. La musique nous immerge en plein conte, dans une forêt tantôt luxuriante, tantôt menaçante, parfois les deux en même temps, tant elle est expressive, vibrante de vie, intense. À la fois terrienne et céleste (sensation qui atteint encore une dimension supplémentaire quand les voix de Léa Dasenka ou de Julia Wischnewski -chant ethnique pour la première et chant lyrique pour la seconde- se posent sur celle-ci). Elle nous donne à « voir » les animaux qui la peuplent, et qui gambadent, facétieux. Elle nous fait ressentir à quel point Bambi est accablé de chagrin. Elle évoque avec maestria la nature qui s’éveille, les lucioles qui volètent et nous procure la sensation de nous envoler avec elles, de ressentir les cycles de la vie, la succession des saisons, les dangers qui menacent le jeune faon, la renaissance de l'espoir.  Elle nous fait éprouver la peur et l’apaisement, la violence et la douceur, le désarroi et la gaieté. Elle nous transporte ailleurs, elle porte en elle l’élan de vie, et nous emporte dans son lyrisme subtil.

    Elle évoque une insouciance et un bonheur contagieux quand Bambi gambade avec sa mère, papillonne au milieu des fleurs ou s’éveille aux plaisirs de la liberté. Quand plane la menace de l’aigle, elle se fait à son image : majestueuse et inquiétante. Elle transcrit les élans amoureux quand Bambi est avec Faline, « quand deux petits cœurs s'emballent. » Quand « les lucioles se prennent pour des étoiles tombées du ciel », la musique miroite alors de concert avec elles. Quand Bambi est coursé par un chien, la musique tambourine et se gonfle d’un souffle épique, et évoque l’aventure et la chevauchée fantastique, telle celle d’un western. Elle irradie. Si elle est majestueuse, elle n’est jamais grandiloquente ou emphatique. Elle ne paraphrase pas. Elle accompagne, suggère une double lecture, ajoute un supplément d’âme, d’émotion et d’interprétation. À l'image du conte aussi : plusieurs degrés de lecture se superposent entre ses notes. Ainsi, quand Bambi est blessé, la musique suggère une double blessure, la blessure physique mais aussi la solitude, la blessure morale, l’absence de sa mère.  Elle chante, pleure, s’enthousiasme, vibre et vit, comme la nature qu'elle célèbre. Quand le coup de feu meurtrier immobilise la forêt et la fait trembler, elle se pare d’une gravité soudaine. Et quand elle est accompagnée de ces mots « La tristesse, c'est du froid à l'intérieur, il ne sait pas encore que c'est pour toujours », elle nous fait frissonner d’une glaçante admiration. Enfin, quand Bambi devient à son tour le roi de la forêt, ce et ceux qui la peuplent semblent vibrer en chœur et elle nous fait éprouver ce qu'ils ressentent : de la beauté pure, une joie profonde, rassurante et exaltante.

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    Souhaitons à cette musique un destin au moins aussi radieux que celui que connut la bande originale de La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit, du même Laurent Perez del Mar, qui a obtenu le Prix Spécial du Jury Un Certain Regard du 69ème Festival de Cannes avant de nombreux autres prix et nominations dans le monde, notamment aux César et aux Oscars comme meilleur film d’animation. Ce conte philosophique et écologique était aussi un éblouissement permanent qui nous attrapait dès la première image (comme si nous étions ballottés par la force des éléments avec le naufragé) pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions, abasourdis, que ce voyage captivant sur cette île déserte, cet état presque second dans lequel ce film nous avait embarqués, n’étaient que virtuels. Le murmure des vagues. Le chuchotement du vent. Le tintement de la pluie. L’homme si petit au milieu de l’immensité. La barque à laquelle il tente de s'accrocher. Le vrombissement de l’orage. Les cris des oiseaux. Les vagues qui se fracassent contre les rochers, puis renaissent. Le bruissement des feuilles. L'armée joyeuse des tortues. Le clapotis de l'eau. La nature resplendissait là aussi à travers les notes :  sauvage, inquiétante, magnifique. Sans oublier la respiration (dissonante ou complémentaire de l’homme) au milieu de cette nature harmonieuse. La musique à peine audible d’abord, en gouttes subtiles, comme pour ne pas troubler ce tableau, se faisait peu à peu plus présente. L’émotion du spectateur allait crescendo à l'unisson, comme une vague qui prend de l’ampleur et nous éloigne peu à peu du rivage de la réalité avant de nous embarquer, loin, dans une bulle poétique et consolatrice.

    Si je vous parle ainsi de la musique de La Tortue rouge, c’est parce que dans Bambi, comme dans ce film précité, la musique et les ambiances de nature se (con)fondent et s'enrichissent alors avec virtuosité pour créer cette symbiose magique. Jamais redondante, elle apporte un contrepoint romanesque, lyrique, et un supplément d’âme et d’émotion qui culmine lors d’un ballet aquatique et lors de la scène du tsunami dans La tortue rouge, lorsque Bambi devient le roi de la forêt dans le film éponyme. À ces instants, dans les deux films, la puissance romanesque de la musique hisse et propulse le film, et le spectateur, dans une sorte de vertige hypnotique et sensoriel d’une force émotionnelle exaltante, rarement vue (et ressentie) au cinéma.

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    Je vous avais aussi parlé de cette musique qui s’emballe comme un élan romanesque, à l'unisson de l’imagination de celle du personnage Gaby, quand un de de ses rêves se réalise et que son visage s’illumine de joie, dans l’excellent Super papa de Léa Lando. Dans Bambi, on retrouve ce souffle romanesque, exacerbé, qui s’empare de nous.

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    Dans Un coup de maître de Rémi Bezançon, à la fin du film, la musique de Laurent Perez del mar, sublime également la nature, lorsqu'elle s’emporte et s’emballe comme des applaudissements victorieux, comme un tourbillon de vie, comme un cœur qui renaît, comme le pouls de la forêt, avec de plus en plus de profondeur aussi, comme si la toile atteignait son paroxysme, sa plénitude. Dévoilant toute sa profondeur, elle emporte alors comme une douce fièvre, harmonieuse, réconfortante.

    Le travail sur le son, dans Bambi, est aussi absolument admirable et exceptionnel : les bruits de la nature sont en eux-mêmes une musique qui dialogue avec celle du compositeur.  Les feuilles qui bruissent et caressent nos oreilles. La pluie qui rebondit sur les feuilles. Les grondements de l’orage. Le clapotis de l’eau. Les bourdonnements des insectes. Les bruits des pattes du loup sur les feuilles. Les respirations des animaux et de la nature. Comme un acteur qui jouerait avec un partenaire, la musique de Laurent Perez del Mar répond aux sons de l'environnement et des animaux, joue et jongle avec les bruits (et les images) de la nature, grâce à un orchestre de plus de 70 musiciens.

    Le travail sur l’image et la réalisation sont tout aussi admirables. Bambi est personnifié. L’Homme n’est ici qu’une ombre menaçante, insidieuse, tueuse, sans visage. L’animal est l’être sensible, humain, avec ses yeux expressifs, qui nous restent en mémoire, comme ses « points blancs sur son dos qui imitent les taches du soleil. » Comme tant d’autres plans qui imprègnent nos souvenirs de spectateurs, comme au retour d’un voyage aux sensations indélébiles. Les couleurs chatoyantes de l’automne. Les reflets menaçants du ciel dans l’eau. Les reflets de la lune. La brume qui serpente au-dessus de l’eau. Le ciel rougeoyant. La beauté de l’animal, qui se confond avec les couleurs de la nature. Les feuilles qui tombent et tourbillonnent autour de sa tête, au ralenti. 

    La voix off, ensorcelante, de Mylène Farmer, d’une présence discrète, ne force pas l’émotion mais ajoute subtilement une dimension poétique, parfois philosophique : « C’est la diversité qui fait la beauté du monde. », « Être curieux n'est pas un si vilain défaut. » « Parfois, le simple fait de se ressembler fait naître une étincelle. » « L'été est bien installé une boule de feu règne. », « Rien n'est plus doux que des liens qui fleurissent »...

    Une association de protection animale s'est opposée à la diffusion du film et dénonce l'utilisation de vrais animaux pendant le tournage. Quelle absurdité ! Ce film est au contraire une ode respectueuse à la nature. Il est par ailleurs clairement précisé qu’aucun animal n’a été maltraité durant les seize semaines du tournage, qui eut lieu en région Centre Val de Loire et dans le département du Loiret. L’équipe n’a jamais oublié d’être à l’écoute du bien-être des animaux et de leur rythme biologique. Ce film doit au contraire être vu par le plus grand nombre, a fortiori par les scolaires.

    Scénariste accompli, Michel Fessler a écrit et coécrit plus d’une trentaine de films français comme internationaux en variant les genres : aventure, drame intime et psychologique. En 2022, il signe deux succès internationaux, Le Chêne, une fiction documentaire réalisée par Michel Seydoux et Laurent Charbonnier et un long-métrage d’animation avec les dessins de Sempé Le Petit Nicolas co-écrit avec Anne Goscinny. Trois films nommés aux Oscars le font connaître au grand public : RidiculeFarinelli et La Marche de l’Empereur.

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    Le travail de Laurence Buchmann, la cheffe monteuse, est également pour beaucoup dans la réussite de l'ensemble, et contribue aussi fortement à ce dialogue entre les animaux et les végétaux, et au rythme qui ne faiblit pas. De même que celui de Daniel Meyer, le Directeur de la photographie qui, après avoir parcouru le monde pour de multiples documentaires, a mis en lumière des séries télévisées ainsi que des unitaires, a participé à deux grands projets cinéma de Yann Arthus Bertrand, Human et Women, co-signé avec Anastasia Mikova.

    Bambi n’est pas seulement un conte pour enfants. Toute la vie, sa violence et sa douceur, sa beauté et sa cruauté, ses désespoirs et ses espoirs, ses morts et ses renaissances, l’amitié, l’amour, la découverte du monde et de soi, la préciosité, la force et la fragilité de la nature, tout cela est raconté dans le film de Michel Fessler. Et bien plus encore. Félix Salten, juif, dut fuir les nazis. Bambi fut ainsi interdit comme l'ensemble de l'œuvre de l'écrivain en raison de ses origines, en Allemagne puis dans l’Autriche annexée par Hitler.  L’homme qui cherche à enfermer et tuer la beauté de la nature, les animaux qui ne cessent de fuir… : difficile de ne pas y voir aussi une peinture de la noirceur de l’âme humaine et le reflet de la montée de l'antisémitisme.

    Un film sensoriel, une expérience et une musique qui est indéniablement une des plus expressives, profondes, puissantes, majestueuses, évocatrices, émouvantes, qu’il m’ait été donné d’entendre. Une musique éblouissante et bouleversante, d’une grande profondeur, richesse et sensibilité, qui reflète la simplicité et la polysémie du conte, face à la brutalité et la cruauté du monde. Un histoire intemporelle et universelle qui nous embarque dans un voyage fascinant, fascinés, les yeux écarquillés et les oreilles à l’affût du moindre frémissement de la nature, comme ceux d’un enfant ou du jeune faon devant la découverte des beautés du monde. Comme si nous découvrions un autre monde aux magnificences envoûtantes dont on oublie parfois que c'est aussi le nôtre et qu'il faut le protéger, le chérir et prendre le temps de l’admirer dans ce qu’il a de plus minuscule comme dans ce qu’il a de plus grandiose (magnifiques plans en plongée de la forêt). Une échappée belle inoubliable grâce à l’alliance d’une rare perfection de la musique et des images qui font que notre cœur bat à la chamade à l’unisson de celui de Bambi et des vibrations de la nature. En préface de la réédition de l’œuvre de Félix Salten, Amélie Nothomb a écrit : « Je défie le lecteur de ne pas en sortir bouleversé. » Je dirais de même au sujet du film. Et j’ajoute : préparez-vous à être émerveillés ! Si ce film est un hymne à la nature, il l’est aussi à l’émerveillement et nous en fait ressentir, de la première à la dernière image, de la première à la dernière note. Un chef-d’œuvre du genre, tout simplement, d’autant plus impressionnant qu’il s’agit du premier film en tant que réalisateur de Michel Fessler.

    À noter :

    • Le film sort en salles le 16 octobre et la musique sera disponible dès le 18 octobre, sur toutes les plateformes.

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    • Le film est sélectionné dans plusieurs festivals dont le Festival du Film du Croisic (festival d’adaptations littéraires sur grand écran) dans le cadre duquel il sera projeté, hors compétition, le mercredi 9 octobre, en présence d’une partie de l’équipe du film dont le réalisateur Michel Fessler et le compositeur Laurent Perez del Mar.

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    • Bambi, L’histoire d’une vie dans les bois de Felix Salten. Le roman intégral originel (1923) augmenté du storyboard du film 130 x 200 mm - 220 pages, est également à découvrir aux éditions Télémaque.

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    •  L’album jeunesse La première adaptation en images réelles du roman de Felix Salten, d’après le film réalisé par Michel Fessler est également disponible. Le film raconté aux enfants avec une sélection de ses 40 plus belles photos. 210 x 297 mm relié - 40 pages illustrées www.editionstelemaque.com SORTIE EN LIBRAIRIE Le 10 octobre 2024
    • Retrouvez prochainement cette critique en podcast (podcast In the mood for cinema sur Spotify…).

     

    CRITIQUE - LE COMTE DE MONTE-CRISTO de MATTHIEU DELAPORTE ET ALEXANDRE DE LA PATELLIÈRE (présidents du jury du Festival Cinéroman 2024)

    Une critique à écouter aussi en podcast, ici.

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    « Toute fausseté est un masque, et si bien fait que soit le masque, on arrive toujours, avec un peu d'attention, à le distinguer du visage. » Cette citation d’Alexandre Dumas de 1844, extraite des Trois Mousquetaires, rappelle le passionnant jeu de masques que sont les livres de Dumas et aussi pourquoi ils sont un matériau idéal pour l'adaptation cinématographique, le cinéma étant l’art de l'illusion (et donc du jeu de masques) par excellence.

    Le Comte de Monte-Cristo, avec d’Artagnan, en plus d’être le héros de Dumas le plus connu, est une des figures les plus mythiques de la littérature dont chacun s’est forgé une image, inspirée de ses lectures ou des précédentes adaptations cinématographiques du roman (une trentaine). S’attaquer à un tel monument était donc un véritable défi. Ce sont Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte qui s’y sont attelés, après avoir déjà écrit le scénario du diptyque sur Les Trois Mousquetaires, s’octroyant en plus cette fois la charge de la réalisation. Présenté hors-compétition, le film a reçu à Cannes un accueil très chaleureux.

    Dans cette nouvelle adaptation, comme dans le roman de Dumas, Edmond Dantès (Pierre Niney), victime d’un complot, est arrêté le jour de son mariage avec Mercédès (Anaïs Demoustier) pour un crime qu’il n’a pas commis, puis il est envoyé sans procès au large de Marseille, au château d’If dont il parvient à s’évader après 14 années de détention. Devenu immensément riche, grâce au trésor de l’Abbé Faria (Pierfrancisco Favino), il revient sous l’identité du Comte de Monte-Cristo pour se venger des trois hommes qui l’ont trahi.  C’est alors La Monarchie de Juillet, Louis Philippe gouverne et les faux-semblants règnent.

    Le lecteur assidu et amoureux de l’œuvre de Dumas peut d’abord être décontenancé par le travail d’adaptation qui fait disparaître des épisodes essentiels (par exemple, lorsque, après son évasion, Dantès travaille sur un bateau de contrebandiers qui le mènera jusqu’à l’île de Montrecristo) ou disparaître ou fusionner des personnages, ou qui en crée d’autres comme la sœur bonapartiste du procureur royaliste Villefort (Laurent Lafitte) ou encore qui modifie les relations entre Danglars (Patrick Mille), Villefort (Laurent Lafitte) et Morcerf (Bastien Bouillon) ou même leurs relations avec Dantès. Fernand de Morcerf est ainsi dès le début un aristocrate, ami de Dantès. Force est néanmoins de constater que toutes ces infidélités à l’œuvre de Dumas apportent du rythme et de la modernité, et qu’elles accentuent le sentiment d’intemporalité (d’ailleurs, souvent le décor disparaît derrière les personnages, filmés en gros plan, qui pourraient ainsi évoluer à n’importe quelle époque) et que nous ne voyons pas passer les presque 3 heures que dure ce film qui entremêle savamment les genres (aventure, tragédie, amour, thriller). La densité du roman feuilleton paru en 1844 est telle que l’adapter nécessitait forcément de sacrifier et remodeler, et cette restructuration est ici une entière réussite.

    Le contemporain de Balzac qu’était Dumas n’est pas seulement un auteur populaire d’intrigues historiques, épiques et romanesques (ce à quoi on l’a trop souvent réduit) mais aussi un magicien jonglant avec les mots, un fin observateur de la comédie humaine et des noirceurs de l’âme. Une noirceur que reflète brillamment cette adaptation fidèle à l’esprit du roman qui est aussi la peinture sociale de la Monarchie de Juillet.  Une noirceur que reflètent ces quelques phrases extraites du texte de Dumas :

    « La joie pour les cœurs qui ont longtemps souffert est pareille à la rosée pour les terres desséchées par le soleil ; cœur et terre absorbent cette pluie bienfaisante qui tombe sur eux, et rien n'en apparaît au-dehors. »

    « Ne comprenez-vous pas, madame, que, moi aussi, il faut que j'oublie? Eh bien, quand je travaille, et je travaille nuit et jour, quand je travaille, il y a des moments où je ne me souviens plus, et quand je ne me souviens plus, je suis heureux à la manière des morts; mais cela vaut encore mieux que de souffrir. »

    « Les blessures morales ont cela de particulier qu'elles se cachent, mais ne se referment pas; toujours douloureuses, toujours prêtes à saigner quand on les touche, elles restent vives et béantes dans le cœur. »

    « Si endurcis au danger que soient les hommes, si bien prévenus qu'ils soient du péril, ils comprennent toujours, au frémissement de leur cœur et au frissonnement de leur chair, la différence énorme qui existe entre le rêve et la réalité, entre le projet et l'exécution. »

    « Qu'est-ce que la vie? Une halte dans l'antichambre de la mort. »

    « Chaque homme a sa passion qui le mord au fond du cœur, comme chaque fruit son ver. »

    « A tous les maux il est deux remèdes : le temps et le silence. »

    Le film commence sous l’eau, Dantès sauvant une jeune femme d’une mort certaine (un personnage créé par les scénaristes qui jouera ensuite un rôle essentiel), qui préfigure la menace sourde de la mort qui ne cessera ensuite de planer derrière les images d’un sud idyllique, éclaboussé de soleil.

    Chacun s’est construit son Monte-Cristo, en fonction de ses lectures du roman et des précédentes adaptations. Pour moi, il arborait jusqu’à présent les traits de Jean Marais (dans la version de 1954 réalisée par Robert Vernay). Ce sera désormais Pierre Niney qui incarne avec autant de justesse Dantès, le jeune homme plein d’entrain, d’illusions, de naïveté, que Monte-Cristo, l’homme masqué, blessé, physiquement et moralement, qui met en scène sa vengeance contre Danglars, Villefort et Morcerf, en exploitant le point faible de chacun d’entre eux : la justice, l’argent, l’amour.   

    Après tant de rôles marquants (GoliathAmants, Boîte noireSauver ou périrLa Promesse de l’aube, L’Odyssée, FrantzUn homme idéalComme des frèresJ’aime regarder les filles), Pierre Niney prouve une nouvelle fois qu’il peut se glisser dans n’importe quel personnage et l’incarner avec intelligence. D’ailleurs, souvent des personnages d’hommes portant un masque, dissimulant une blessure, ou une double identité. L’intelligence de son jeu réside ici dans la démarche et les gestes de Monte-Cristo (qui diffèrent de ceux de Dantès) mais surtout ce regard qui se pare d’une dureté flagrante. Une métamorphose impressionnante qui ne réside pas tant dans les heures de maquillage (150 heures au total) que dans le jeu de l’interprète qui construit cette armure forgée par les blessures de Dantès que l’intensité douloureuse de  son regard reflète alors. Pour mettre en scène sa vengeance, Dantès recréé un monde, se fait le démiurge de l’univers dont il sera aussi le protagoniste. Une sorte de décor des Mille et Une Nuits, avec ses candélabres, et ses ombres, fascinant et inquiétant. Ce décor, à la fois sombre et étincelant, opulent et dépouillé, éblouissant et menaçant, miroir de la dualité de Monte-Cristo/Dantès, sera celui de sa vengeance macabre, le reflet de son âme aux frontières de la folie, glaçante et glaciale même, Monte-Cristo se prenant parfois même davantage pour le Diable que pour le Dieu auquel il veut se substituer, utilisant les jeunes Andrea (remarquable Julien de Saint Jean) et Haydée (Anamaria Vartolomeï, ensorcelante) comme les marionnettes de son théâtre de vengeance.  « Feras-tu le bien ou laisseras-tu ton cœur s’emplir de haine ? » lui avait demandé l’Abbé Faria. « À partir de maintenant, c’est moi qui récompense et c’est moi qui punis » clamera plus tard Dantès, persuadé pourtant de faire acte de justice et non de vengeance : « Si je renonce à la justice, je renonce à la seule force qui me tient en vie. » Lors de la conférence de presse cannoise, Pierre Niney a expliqué comment il s’était entrainé avec un champion du monde d’apnée. Et il est en effet évident qu’il est corps et âme le héros de Dumas, faisant oublier ses précédentes incarnations.

    Si Laurent Lafitte, Bastien Bouillon et Patrick Mille sont des méchants particulièrement convaincants, Mercédès (Anaïs Demoustier, remarquable une fois de plus, est ici une Mercédès droite, noble, intense) et Haydée (Anamaria Vartolomei), par l’ambivalence de leur jeu et de leurs sentiments, apportent de la complexité à l’histoire. Au-delà du roman d’aventure et du film épique, Monte-Cristo est aussi une sublime histoire d’amour contrariée qui s’incarne dans une scène magnifique et bouleversante lors de laquelle, devant Mercédès, Monte-Cristo évoque cette femme qu’il a tant aimée. Pas d'amples mouvements de caméra ou de mise en scène époustouflante à cet instant, seuls deux comédiens qui manient mots et émotion contenue avec maestria, face à face, et le texte, magnifique, et l'émotion qui, forcément, affleure.

    Le scénario, d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, auxquels on doit notamment aussi la coécriture et la coréalisation du film Le Prénom, sorti en 2012, est fidèle à l’œuvre mais témoigne aussi de son intemporalité et son universalité dans les thèmes abordés : l’innocence bafouée, la confiance trahie, les regrets brûlants, l’amour entravé, le désir de vengeance.

    La musique de Jérôme Rebotier accompagne les élans épiques comme les élans amoureux, et renforce la flamboyance du film, et du héros sombre et tourmenté dans sa course effrénée vers la vengeance.

    La photographie, signée Nicolas Bolduc, jouit ici des contrastes qui faisait défaut aux Trois mousquetaires et s’assombrit judicieusement au fur et à mesure que Dantès devient Monte-Cristo, que la noirceur empiète sur l’innocence, que l’esprit de vengeance envahit son âme.

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     « On avait envie de fresques, de ces films qui charrient de grandes émotions » a déclaré le producteur Dimitri Rassam, lors de la conférence de presse à Cannes. Cette nouvelle adaptation du chef-d’œuvre de Dumas est à la hauteur de l’ambition. Une fresque épique et romantique. Un film à grand spectacle, fiévreux et vénéneux, qui nous emporte dans sa course échevelée et sa valse des sentiments. Une histoire d’amour contrariée. Des dialogues souvent empruntés à Dumas qui donnent envie de redécouvrir son œuvre. Une mise en scène avec de l’ampleur (qui joue beaucoup avec les mouvements de caméras pour accompagner ou même susciter le souffle épique).  Et des scènes d’anthologie comme lorsque Monte-Cristo découvre son trésor ou lorsqu'il retrouve l’abbé Faria. Et puis deux mots, avec lesquels nous quittons la projection, deux mots à l’image de ce film, remplis de promesses de rêves, aussi sombres soient-ils parfois : attendre et espérer.

    Un film spectaculaire comme le cinéma hexagonal n’en fait plus, qui transporte avec lui les souvenirs de cinéma de l’enfance, quand cet écran géant nous embarquait dans des aventures de héros tourmentés et intrépides, plus grandes que la vie, ou pour les plus rêveurs d'entre nous, à l’image de ce que nous l’imaginions devenir. Trépidante. Périlleuse. Romanesque. Traversée du vertige des grands sentiments. L’interprétation, la photographie, le montage, la musique, le maquillage (à juste titre, lors de la conférence de presse cannoise, Pierre Niney a souligné le manque de reconnaissance de cette profession en France, lors des remises de prix par les "professionnels de la profession"), les décors et enfin le rythme parent ce film de la plus belle des vertus : l’oubli du temps qui passe, l'oubli du fait que la vie n’est pas du cinéma, qu’il n’est pas possible de devenir un héros masqué. Ce film témoigne du pouvoir inestimable du cinéma de nous faire renouer avec les vestiges et les vertiges de l'enfance.

    CRITIQUE - PLEIN SOLEIL de RENÉ CLÉMENT (films cultes)

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    (Photos prises lors de la projection de Plein soleil en copie restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2013.)

    Alain Delon disait régulièrement de René Clément qu'il était pour lui le plus grand réalisateur mais surtout le plus grand directeur d’acteurs au monde. Sa présence à l’occasion de la projection de Plein soleil à Cannes Classics en 2013 fut donc une évidence. L’acteur avait par ailleurs tenu à ce qu’il ne s’agisse pas d’un hommage à Alain Delon mais d’un hommage à René Clément.

    Rappelons que Delon devait d’ailleurs au départ interpréter le rôle que Maurice Ronet jouera finalement et, malgré son jeune âge (24 ans alors), il avait réussi à convaincre Clément (et d’abord sa femme…) de le faire changer de rôle.

    Une longue ovation avait accueilli Alain Delon dans la salle Debussy où avait été projeté le film. Ce dernier était visiblement très ému par l’accueil qui lui avait été réservé lors de la montée des marches mais aussi dans la salle. Voici, ci-dessous en italique, avant ma critique du film, la retranscription de sa présentation du film, pleine d’émotion, d’humour et d’élégance. Un beau moment de cinéma et d’émotion.

    « C’est gentil de dire bravo et de m’applaudir mais attendez de voir le film, peut-être que vous allez être déçus, a-t-il répondu, avant de remercier son « très cher » Bertrand [Delanoe] et la Ministre de la Culture pour lui avoir fait « l’honneur et le bonheur » de l’accompagner dans la montée des marches. « C’est un grand moment pour moi. Je veux que vous sachiez que ma présence ici est avant tout un hommage, un hommage que je veux rendre à mon maître absolu, René, René Clément. Le 17 Mars passé, René aurait eu 100 ans et j’aurais tellement aimé qu’il soit là ce soir. Je sais qu’il aurait été bouleversé. « Plein soleil », ça a été mon 4ème film. Personne ne savait qui j’étais. Lorsque ce film est sorti il a fait la tour du monde et ça a été un triomphe, de l’Est à l’Ouest, de la Chine à l’Argentine, et ce film a été la base de toute ma carrière et ça je le dois à René qui m’a dirigé à ce moment-là comme personne. Tout de suite après, j’ai eu la chance de faire « Rocco et ses frères ». C’est après la vision de « Plein soleil » que Visconti a décidé « je veux que ce soit Alain Delon qui soit mon Italien du Sud ». J’avais plein de choses à dire mais là vous m’avez tellement coincé, dans la rue, ça a été extraordinaire donc vraiment merci René, merci de tout ce qu’il m’a donné car ce film, je n’aurais pas eu la chance de le faire en 1959, je ne sais pas où je serais, sûrement pas là ce soir. Après « Rocco et ses frères », il y a eu un autre Clément « Quelle joie de vivre » puis « Le Guépard ». Vous voyez qu’on peut commencer plus mal. Comme Luchino m’a toujours expliqué « la première chose qu’il faut c’est des bases » et avec Clément j’ai eu mes bases, voilà. Je voudrais avoir une pensée aussi ce soir pour quelqu’un qui m’était tellement cher qui est Maurice Ronet. Il riait tout le temps, il s’amusait de cela. Il disait « tu sais nous sommes les deux meilleurs amis du monde et dans tous les films il faut que tu me tues ». On n’a jamais compris mais c’était comme ça. Et puis une pensée pour Elvire Popesco qui fait une apparition qui était ma patronne et ma maîtresse de théâtre et enfin des gens que vous n’avez pas connus mais certains ici savent de qui je parle, les producteurs qui ont été formidables avec moi dans ce film et dans d’autres, ce sont les frères Robert et Raymond Hakim. Je vais vous laisser voir ce film que je qualifie d’exceptionnel, d’extraordinaire mais vraiment extra-ordinaire. Ceux qui ne l’ont pas vu vont comprendre, ceux qui l’ont déjà vu vont se le remémorer et vous verrez en plus une copie remasterisée. Vous allez voir ce qu’est un film remasterisé, on a l’impression qu’il a été tourné la semaine dernière. Bonne soirée. Bon film. Pour terminer, car je sais qu’il y a ici quelques sceptiques, quelques douteux, je voudrais simplement leur dire que l’acteur qui joue dans ce film le rôle de Tom Ripley, il y a 54 ans, c’est bien moi. »

    Dans ce film de 1960, Alain Delon est Tom Ripley, qui, moyennant 5000 dollars, dit être chargé par un milliardaire américain, M.Greenleaf, de ramener son fils Philippe (Maurice Ronet) à San Francisco, trouvant que ce dernier passe de trop longues vacances en Italie auprès de sa maîtresse Marge (Marie Laforêt). Tom est constamment avec eux, Philippe le traite comme son homme à tout faire, tout en le faisant participer à toutes ses aventures sans cesser de le mépriser. Mais Tom n’est pas vraiment l’ami d’enfance de Philippe qu’il dit être et surtout il met au point un plan aussi malin que machiavélique pour usurper l’identité de Philippe.

    Plein soleil est une adaptation d’un roman de Patricia Highsmith (écrite par Paul Gégauff et René Clément) et si cette dernière a été très souvent adaptée (et notamment le roman Le Talentueux Monsieur Ripley, titre originel du roman de Patricia Highsmith qui a fait l’objet de très nombreuses adaptations et ainsi en 1999 par Anthony Minghella avec Matt Damon dans le rôle de Tom Ripley), le film de René Clément était selon elle le meilleur film tiré d’un de ses livres.

    Il faut dire que le film de René Clément, remarquable à bien des égards, est bien plus qu’un thriller. C’est aussi l’évocation de la jeunesse désinvolte, oisive, désœuvrée, égoïste, en Italie, qui n’est pas sans rappeler La Dolce vita de Fellini.

    Cette réussite doit beaucoup à la complexité du personnage de Tom Ripley et à celui qui l’incarne. Sa beauté ravageuse, son identité trouble et troublante, son jeu polysémique en font un être insondable et fascinant dont les actes et les intentions peuvent prêter à plusieurs interprétations. Alain Delon excelle dans ce rôle ambigu, narcissique, où un tic nerveux, un regard soudain moins assuré révèlent l’état d’esprit changeant du personnage. Un jeu double, dual comme l’est Tom Ripley et quand il imite Philippe (Ronet) face au miroir avec une ressemblance à s’y méprendre, embrassant son propre reflet. La scène est d’une ambivalente beauté.

    Si Plein soleil est le quatrième film d’Alain Delon, c’est aussi son premier grand rôle suite auquel Visconti le choisit pour Rocco et ses frères. Sa carrière aurait-elle était la même s’il avait joué le rôle de Greenleaf qui lui avait été initialement dévolu et s’il n’avait insisté pour interpréter celui de Tom Ripley ? En tout cas, avec Plein soleil un mythe était né et, ensuite, Delon considéra toujours Clément comme son « maître absolu ». Ils se retrouveront d’ailleurs peu après pour les tournages de Quelle joie de vivre (1960), Les Félins (1964) et enfin Paris brûle-t-il ? (1966).

    Face à lui, Ronet est cynique et futile à souhait. Le rapport entre les deux personnages incarnés par Delon et Ronet est d’ailleurs similaire à celui qu’ils auront dans La Piscine de Jacques Deray 9 ans plus tard, le mépris de l’un conduisant pareillement au crime de l’autre. Entre les deux, Marge se laisse éblouir par l’un puis par l’autre, victime de ce jeu dangereux mais si savoureux pour le spectateur qui ne peut s’empêcher de prendre fait et cause pour l’immoral Tom Ripley.

    L’écriture et la réalisation de Clément procurent un caractère intemporel à ce film de 1960 qui apparaît alors presque moins daté et plus actuel que celui de Minghella qui date pourtant de 1999 sans compter la modernité du jeu des trois acteurs principaux qui contribue également à ce sentiment de contemporanéité.

    Plein soleil, c’est aussi la confrontation entre l’éternité et l’éphémère, la beauté éternelle et la mortalité, la futilité pour feindre d’oublier la finitude de l’existence et la fugacité de cette existence.

    Les couleurs vives avec lesquelles sont filmés les extérieurs renforcent cette impression de paradoxe, les éléments étant d’une beauté criminelle et trompeuse à l’image de Tom Ripley. La lumière du soleil, de ce plein soleil, est à la fois élément de désir, de convoitise et le reflet de ce trouble et de ce mystère. Une lumière si bien mise en valeur par le célèbre chef opérateur Henri Decaë sans oublier la musique de Nino Rota et les sonorités ironiquement joyeuses des mandolines napolitaines. L’éblouissement est celui exercé par le personnage de Tom Ripley qui est lui-même fasciné par celui dont il usurpe l’identité et endosse la personnalité. Comme le soleil qui à la fois éblouit et brûle, ils sont l’un et l’autre aussi fascinants que dangereux. La caméra de Clément enferme dans son cadre ses personnages comme ils le sont dans leurs faux-semblants.

    Acte de naissance d’un mythe, thriller palpitant, personnage délicieusement ambigu, lumière d’été trompeusement belle aux faux accents d’éternité, Plein soleil est un chef d’œuvre du genre dans lequel la forme coïncide, comme rarement, avec le fond, les éléments étant la métaphore parfaite du personnage principal. Plein soleil, un film trompeusement radieux par lequel je vous conseille vivement de vous laisser éblouir !

    En complément : retrouvez, ici, mon article hommage à Alain Delon publié le 18 août dernier.

    Prochain article : la critique de Quand vient l'automne de François Ozon