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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Quatre ans après « Selon Charlie » (alors injustement malmené par la critique, notamment lors de sa présentation en compétition du Festival de Cannes), Nicole Garcia revenait à la réalisation avec «Un balcon sur la mer » dans lequel Marc (Jean Dujardin, avant "The Artist"), marié à un professeur (Sandrine Kiberlain), et père d’une petite fille, est agent immobilier dans le Sud de la France. Il mène une vie paisible et confortable jusqu’au jour où, lors d’une visite immobilière, il rencontre une femme mystérieuse (Marie-Josée Croze) représentant un acquéreur. Il pense reconnaître en cette femme énigmatique au charme envoûtant Cathy, l’amour de ses 12 ans, alors qu’il vivait en Algérie, à la fin de la guerre d’indépendance. Après une nuit d’amour la jeune femme disparait et le doute s’empare de Marc sur la réelle identité de cette dernière. Va alors débuter pour lui une quête. Amoureuse et identitaire. En partant à se recherche, c’est avant tout son propre passé enfoui qu’il va (re)trouver.
Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur l’enfance, ce qu’il en reste, et sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité. Tout en finesse. Avec une lenteur appréciable quand le cinéma vise de plus en plus l’efficacité, oubliant d’ailleurs qu’elle n’est pas forcément synonyme de fracas et de vitesse mais parfois de silences et de lenteur, oubliant que le message ou le sujet qu’il véhicule n’en a que plus de force en s’immisçant plutôt qu’en s’imposant bruyamment.
Ce « balcon sur la mer » est à l’image de la lumière du sud dont il est baigné, d’abord éblouissante puis laissant entrevoir la mélancolie et la profondeur, plus ombrageuse, derrière cette luminosité éclatante, laissant entrevoir aussi ce qui était injustement resté dans l’ombre, d’une beauté a priori moins étincelante mais plus profonde et poignante.
A l’image de la mémoire fragmentaire et sélective de Marc, le passé et la vérité apparaissent par petites touches, laissant sur le côté ce qui devient secondaire. Ainsi peut-on d’abord regretter le caractère elliptique du scénario, par exemple concernant la vie conjugale de Marc, mais cette ellipse se révèle avec le recul un judicieux élément dramatique puisque notre point de vue épouse alors celui de Marc. Sa femme est effacée comme son présent s’efface pour laisser place au passé qui ressurgit. Avec lui, on chemine vers ce balcon sur la mer, vers ce lieu de l’enfance perdue.
Sans doute la présence de Jacques Fieschi, coscénariste (et notamment ancien scénariste de Claude Sautet) n’y est-elle pas étrangère, mais Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ». Des idées simples de mise en scène mais qui ont toutes une réelle signification comme ces souvenirs (re)vus à hauteur d’enfant, laissant les adultes et parfois la violence dans les limbes de la mémoire. Une manière délicate de dire l’indicible. De montrer simplement toute l’ambivalence humaine comme le personnage de Marie-Josée Croze qui multiplie ainsi les identités : celle qu’elle endosse en tant que prête-nom, celle qu’elle endosse pour Marc, jouant donc constamment un rôle dans la vie avant de le faire sur scène débarrassée de ses artifices. C’est paradoxalement en jouant qu’elle se trouvera elle-même. En cela, « Un balcon sur la mer » est aussi une véritable mise en abyme de l’imaginaire et donc du cinéma, un hommage à leur pouvoir salvateur.
La plus grande réussite du film c’est néanmoins sans aucun doute les choix de Jean Dujardin et Marie-Josée Croze dans les rôles principaux. Le premier incarne Marc à la perfection, traduisant avec beaucoup de justesse et de nuances les doutes de cet homme qui retrouve son passé, son enfance et ainsi un ancrage dans le présent. Il rend son personnage touchant et bouleversant sans jamais forcer le trait et montre une nouvelle fois la large palette de son jeu. Face à lui, Marie-Josée Croze est plus mystérieuse et incandescente que jamais après le mésestimé « Je l’aimais » de Zabou Breitman. De leur couple se dégage beaucoup de charme, de mystère, mais aussi une forme d’innocence qui renvoie à l’enfance.
En toile de fond, l’Algérie, sa violence et la nostalgie qu’elle suscite, et la ville d’Oran où a vécu Nicole Garcia enfant (et d’ailleurs également Jacques Fieschi). Une violente nostalgie qui est aussi celle de ces souvenirs d’enfance et de ces doux regrets qui ressurgissent brutalement et submergent, dans ce sens «Un balcon sur la mer » est un film à la fois très personnel et universel. Le balcon sur la mer : c’est cet endroit secret de nos mémoires qui donne sur les souvenirs d’enfance enfouis, dont la réminiscence est tantôt douloureusement heureuse ou joyeusement douloureuse mais jamais exempte d’émotion. Un balcon sur la mer dont je vous engage à aller respirer l’air iodé. Un subtil thriller sentimental au parfum doux, violent et enivrant des souvenirs d’enfance.
Après une réjouissante édition 2013 (dont vous pouvez retrouver mon bilan complet, en cliquant ici), les organisateurs du Festival du Film Asiatique de Deauville nous annoncent déjà les dates de l’édition 2014 qui aura ainsi lieu du jeudi 5 au dimanche 9 mars 2014. Je vous recommande également l’excellent afterclip réalisé par les organisateurs que vous retrouverez ci-dessous, l’occasion également pour ces derniers de nous annoncer que l’édition 2013 a fait 18500 entrées en salles. J’en profite enfin pour vous annoncer la sortie de mon roman « Les Orgueilleux » qui se déroule dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville et qui sera publié début Mai 2013. Pour en savoir plus, vous pouvez déjà suivre le projet sur Facebook http://facebook.com/LesOrgueilleux et sur twitter (@LesOrgueilleux ). Pour tout savoir sur le Festival du Film Asiatique de Deauville, retrouver le site officiel du festival : http://deauvilleasia.com .
A l’occasion du 20ème anniversaire de sa sortie, « La Liste de Schindler » de Steven Spielberg (dont je vous rappelle qu’il sera le Président du jury du 66ème Festival de Cannes) a été restaurée à partir de la copie 35 mm originale du film. Découvrez ce nouveau DVD/Blu-ray le 9 avril 2013 et retrouvez, ci-dessous, la critique de ce chef d’oeuvre indispensable.
Avant que Spielberg ne réalise « La liste de Schindler », long aura été le parcours pour aboutir à ce film. Un premier projet de film avait ainsi tout d’abord échoué. C’est Poldek Pfefferberg, un des 1100 Juifs sauvés par Oskar Schindler, qui devait raconter la vie de ce dernier. Un film sur Schindler basé sur ce récit devait même être tourné avec la Metro Goldwyn Mayer en 1963. Presque 20 ans plus tard, en 1982, l’écrivain Thomas Keneally écrivit le livre « La Liste de Schindler » après avoir rencontré Pfefferberg. C’est ce livre qui servira de base au film éponyme de Spielberg. Universal Pictures en acheta les droits. Spielberg rencontra Pfefferberg et voulut d’abord confier la réalisation du film à Roman Polanski qui refusa puis à Scorsese qui refusa à son tour. C’est ainsi que Spielberg décida de le réaliser en raison, notamment, du génocide en Bosnie : « La principale raison pour laquelle j’ai tenu à réaliser ce film sans plus tarder, c’est que la purification ethnique qui sévit en Bosnie me persuade de plus en plus de la ressemblance terrifiante de notre époque avec celle où se déroula la Shoah. Je n’avais jamais, dans aucun de mes films, décrit la réalité. Je consacrais toute mon énergie à créer des mondes imaginaires. Je crois que si j’avais inversé mon plan de travail et tourné en premier « La Liste de Schindler », je n’aurais jamais éprouvé le moindre désir de réaliser, ensuite, un film sur les dinosaures. » Spielberg ne demanda pas de salaire pour ce film, ce qui aurait été pour lui « l’argent du sang ».
Suite au succès remporté par le film, Spielberg créa « la Fondation de l’Histoire Visuelle des Survivants de la Shoah », une organisation à but non lucratif qui rassemble des archives de témoignages filmés des survivants de l’Holocauste. L’argent récolté lui a également permis de produire des documentaires sur la Shoah pour la télévision comme « Anne Franck remembered » (1995), « The lost children of Berlin » (1996) « The Last days » (1998).
Le film a été tourné entre mars et mai 1993, en soixante-douze jours, essentiellement dans le quartier de Kazimierz à Cracovie.
C’est le 30 novembre 1993 que « La liste de Schindler » sortit en salles, soit trente ans après le premier projet de film sur Oskar Schindler. Cela valait la peine d’attendre. Un sujet comme celui-ci nécessitait talent, maturité, sensibilité, sobriété et travail de documentation. A chaque film sur l’Holocauste revient la même question : peut-on et doit-on faire une fiction d’une atroce réalité qui la dépasse ? Doit-on, pour transmettre l’Histoire, tenter de raconter l’indicible, forcément intransmissible ? Spielberg est-il parvenu à lever toutes les réticences ? Claude Lanzmann écrivit ainsi : « L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu de l’horreur est intransmissible : prétendre pourtant le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. »
Synopsis : Oskar Schindler (Liam Neeson) est un industriel allemand, membre du parti nazi. Bon vivant, profiteur, époux infidèle, il ne semble avoir qu’une obsession : faire du profit, et faire retentir son nom. Tandis que les Juifs sont regroupés et enfermés dans des ghettos, il réussit à obtenir les capitaux nécessaires (provenant de la communauté juive) pour racheter une fabrique de casseroles. Il emploie une main d’œuvre juive bon marché dans son usine, afin de la faire prospérer, apparemment indifférent à l’horreur qui se déroule en dehors de son usine. Il faudra la liquidation du Ghetto de Cracovie, en mars 1943, sous les ordres du commandant SS Amon Göth (Ralph Fiennes) pour qu’il prenne conscience de l’ineffable horreur nazie…
La première scène nous montre Schindler s’habillant méthodiquement, soigneusement, choisissant cravate, boutons de manchette, et épinglant sa croix gammée. Le tout avec la dextérité d’un magicien. Nous n’avons pas encore vu son visage. De dos, nous le voyons entrer dans une boite de nuit où se trouvent des officiers nazis et des femmes festoyant allègrement. Il est filmé en légère contre-plongée, puis derrière les barreaux d’une fenêtre, puis souriant à des femmes, puis observant des officiers nazis avec un regard mi-carnassier, mi-amusé, ou peut-être condescendant. Assis seul à sa table, il semble juger, jauger, dominer la situation. Sa main tend un billet avec une désinvolte arrogance. Son ordre est immédiatement exécuté. Son regard est incisif et nous ignorons s’il approuve ou condamne. Il n’hésite pas à inviter les officiers nazis à sa table, mais visiblement dans le seul but de charmer la femme à la table de l’un d’entre eux. Cette longue scène d’introduction sur la musique terriblement joyeuse (« Por una cabeza » de Gardel), et d’autant plus horrible et indécente mise en parallèle avec les images suivantes montrant et exacerbant même l’horreur qui se joue à l’extérieur, révèle tout le génie de conteur de Spielberg. En une scène, il révèle tous les paradoxes du personnage, toute l’horreur de la situation. L’ambigüité du personnage est posée, sa frivolité aussi, son tour de passe-passe annoncé.
Un peu plus tard, Schindler n’hésitera pas à occuper l’appartement dont les occupants ont dû rejoindre le Ghetto. Il faudra que de son piédestal -des hauteurs du Ghetto, parti en promenade à cheval avec une de ses maîtresses- il observe, impuissant, le massacre du Ghetto de Cracovie. Il faudra que son regard soit happé par le manteau rouge d’une petite fille (Spielberg recourt à la couleur comme il le fera à cinq autres occasions dans le film) perdue, tentant d’échapper au massacre (vainement, comme nous le découvrirons plus tard) pour qu’il prenne conscience de son identité, de l’individualité de ces juifs qui n’étaient alors pour lui qu’une main d’œuvre bon marché. Créer cette liste sera aussi une manière de reconnaître cette individualité, de reconnaître qu’à chaque nom correspond une vie sauvée. Sans doute la démarche d’une jeune femme qui lui demande plus tard de faire venir ses parents détenus à Plaszow parce qu’elle a eu écho de sa bonté, qu’il renvoie menaçant de la livrer à la Gestapo tout en lui donnant gain de cause, l’aura-t-elle incité à devenir celui pour qui on le prenait déjà, cet « homme bon », à faire retentir son nom, mais d’une autre manière (là encore, le paradoxe d’Oskar Schindler, il ne recevra pas la jeune femme la première fois, non maquillée et pauvrement vêtue mais seulement lorsqu’elle reviendra maquillée et avec d’autres vêtements). A partir de ce moment, il tentera alors avec son comptable Itzhak Stern (Ben Kingsley), de sauver le plus de vies possibles.
La scène précitée du massacre qu’observe Schindler est aussi nécessaire qu’insoutenable (une quinzaine de minutes) entre les exécutions, les médecins et infirmières obligés d’empoisonner les malades dans les hôpitaux pour leur éviter d’être exécutés, les enfants qui fuient et se cachent dans des endroits tristement improbables, l’impression d’horreur absolue, innommable, de piège inextricable, suffocant. La scène est filmée caméra à l’épaule (comme 40% du film) comme si un reporter parcourait ce dédale de l’horreur et, comme dans tout le film, Spielberg n’en rajoute pas, filme avec sobriété cette réalité reconstituée qui dépasse les scénarii imaginaires les plus effroyables. Des valises qui jonchent le sol, un amas de dents, de vêtements, une fumée qui s’échappe et des cendres qui retombent suffisent à nous faire comprendre l’incompréhensible ignominie. Les échanges, implicites, entre Schindler et le comptable Stern sont aussi particulièrement subtils, d’un homme qui domine l’autre , au début, à la scène deux hommes qui trinquent sans que jamais l’horrible réalité ne soit formulée.
Le scénario sans concessions au pathos de Steven Zaillian, la photographie entre expressionnisme et néoréalisme de Janusz Kaminski (splendides plans de Schindler partiellement dans la pénombre qui reflètent les paradoxes du personnage), l’interprétation de Liam Neeson, passionnant personnage, paradoxal, ambigu et humain à souhait, et face à lui, la folie de celui de Ralph Fiennes, la virtuosité et la précision de la mise en scène (qui ne cherche néanmoins jamais à éblouir mais dont la sobriété et la simplicité suffisent à retranscrire l’horrible réalité), la musique poignante de Johns Williams, et le message d’espoir malgré toute l’horreur en font un film poignant et magistral.
« La liste de Schindler » a d’ailleurs reçu douze nominations aux Oscars en 1994 et en a remporté sept dont ceux du meilleur film, meilleur scénario adapté, meilleure direction artistique, meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleure photographie et meilleure musique. Liam Neeson et Ralph Fiennes ont évidemment été tous deux nommés pour l’Oscar du meilleur acteur, pour le premier, et celui du meilleur second rôle masculin, pour le second, mais ce sont Tom Hanks, pour « Philadelphia », et Tommy Lee Jones, pour « Le Fugitif » qui les ont obtenus.
Alors, pour répondre à la question initiale, oui, il faut et il fallait faire un film sur ce sujet car certes « un certain absolu de l’horreur est intransmissible », forcément, mais cela n’empêche pas d’essayer de raconter, de transmettre pour que justement cet absolu de l’horreur ne se reproduise plus. Ce film permet à ceux qui ont regardé avec des yeux d’enfants éblouis les autres films de Spielberg, d’appréhender une horreur que leurs yeux n’auraient peut-être pas rencontrée autrement, trop imperméables à des films comme « Nuit et brouillard » ou « Shoah ».
Comme l’avait fait Benigni avec « La vie est belle » là aussi fortement contesté (retrouvez ma critique de « La vie est belle » en cliquant ici et celle de « Monsieur Klein » de Losey en cliquant là, deux films indispensables, revoyez également « Le Pianiste » de Polanski), Spielberg a choisi la fiction, mais n’a surtout pas occulté la réalité, il l’a simplement rendue visible sans pour autant la rendre acceptable. Une scène en particulier a pourtant suscité une relative controverse, celle lors de laquelle des femmes sont envoyées dans une « douche » à Auschwitz-Birkenau, ignorant si en sortira un gaz mortel. Quand la lumière s’éteint, c’est aussi la certitude du spectateur avant que l’eau ne jaillisse. Scène terrible et par laquelle Spielberg n’a en aucun cas voulu faire preuve d’un suspense malsain mais a brillamment montré quel pitoyable pouvoir sur les vies (parallèle avec le passionnant dialogue sur le pouvoir entre Schindler et Göth) détenait les tortionnaires des camps qui, d’un geste à la fois simple et horrible, pouvaient les épargner ou les condamner.
« La liste de Schindler » est un film nécessaire et indispensable. Par le prisme du regard d’un homme avec tout ce que cela implique de contradictions (au sujet duquel le film a l’intelligence de ne jamais lever tout à fait le mystère) qui, d’indifférent devint un « Juste » et sauva 1100 juifs, il nous fait brillamment appréhender l’indicible horreur et montre aussi que des pires atrocités de l’humanité peuvent naitre l’espoir. Quand un sondage sidérant, à l’occasion de la commémoration des 70 ans de la Rafle du Vel d’Hiv, vient de révéler que 57% des 25-34 ans, 67% des 15-17 ans, ignorent tout de la Rafle du Vel d’Hiv (42% tous âges confondus) et (comment est-ce possible ?!) des films comme celui-ci continueront d’avoir leur raison d’être. C’est aussi un film sur le pouvoir, celui, pathétique et exécrable, de ceux qui en abusent ou de celui qui le détourne à bon escient, celui du cinéma, instrument du devoir de mémoire.
Un film dont vous ressortirez abattus, en colère, bouleversés mais aussi avec le sentiment que le pire peut transformer un homme et faire naitre l’espoir en l’être humain malgré les ignominies dont il peut se rendre capable ; et avec des images, nombreuses, à jamais gravées dans vos mémoires parmi lesquelles celle d’un manteau rouge, lueur tragique et innocente au milieu de l’horreur ou celle de la fin, ces pierres posées sur une tombe par des rescapés et acteurs pour remercier un homme pour toutes les vies qu’il aura sauvés et pour celles, qui grâce à sa liste, à ces noms et identités écrits et affirmés, auront pu voir le jour.
Avant de vous parler de "Phèdre" (avec Pierre Niney, également au casting de "Comme des frères"), cliquez sur l'affiche pour retrouver ma critique du film d'Hugo Gélin publiée lors de sa sortie, et profitez de sa sortie en DVD ( ce 3 Avril) pour découvrir cet excellent film, un de mes coups de coeur de 2012.
L’an passé, j’avais eu le grand plaisir de faire partie du jury de la deuxième édition du Festival International du Film de Boulogne-Billancourt, aux côtés de Didier Allouch et Thomas Clément. « La Philosophie de ce Festival est de privilégier tout ce qui fait aimer la vie » avait ainsi déclaré Claude Pinoteau, le Président d’honneur de ce festival, dans son édito. L’édition 2012 y était indéniablement parvenue. Il y va des bons festivals comme des beaux voyages : on en revient joyeusement nostalgique et gaiement exténué, la tête pleine de belles rencontres, avec l’irrépressible envie de reprendre un billet immédiatement. Comme pour un voyage, l’atmosphère dépend principalement des organisateurs et des accompagnateurs et dans les deux cas les conditions étaient idéales. Un festival convivial comme ceux qui prennent de l’ampleur n’arrivent parfois pas à le rester. Quand le cynisme est tristement à la mode, c’était une gageure d’organiser un festival qui a pour slogan « le festival qui souffle positif ». Boulogne-Billancourt est la ville idéale pour un festival de cinéma puisque dans ses studios ont été tournés plus de 500 films parmi lesquels des chefs d’œuvre comme « Le dernier métro » de François Truffaut et des films dont vous pouvez d’ailleurs retrouver des critiques ici : « Borsalino » de Jacques Deray, « Ridicule » de Patrice Leconte…ou « César et Rosalie » de Claude Sautet. La boucle est bouclée puisque le cinéma de Claude Sautet avait pour objectif de « faire aimer la vie », à l’image du festival de Boulogne-Billancourt donc.
Ci-dessus, le jury blogueurs du Festival du Film de Boulogne-Billancourt 2012: Thomas Clément, Didier Allouch et moi-même.
A nouveau, le programme du Festival pour cette édition 2013 est particulièrement allèchant et rien d’étonnant à ce que le réalisateur Hugo Gélin ait été choisi comme Président du jury, lui qui a réalisé « Comme des frères », LA comédie tendrement mélancolique de l’année 2013, un de mes grands coups de coeur de 2013 dont vous pouvez retrouver ma critique, en bonus, en bas de cet article. Le jury de cette édition 2013 sera également composé de Mélanie Bernier, David Foenkinos (son très beau film « La Délicatesse » adapté de son roman éponyme par ce dernier et Stéphane Foenkinos sera projeté au festival, vous pouvez également en retrouver la critique en bas de cet article), Camélia Jordana, Baptiste Lecaplain.
Ce sera ainsi la 3ème édition du Festival International du Film de Boulogne-Billancourt « qui souffle positif » et qui se tiendra du 19 au 22 avril dans les salles du Pathé sur la Grand-Place.
5 long-métrages de fiction et 5 documentaires figurent en compétition. Pour l’ouverture du Festival sera projeté en avant-première La fleur de l’âge, un film avec Pierre Arditi, Julie Ferrier et Jean-Pierre Marielle. En clôture ce sera Mud – Sur les rives du Mississippi, avec Matthew McConaughey, Reese Witherspoon et Sam Shepard, un film qui figurait en compétition du 65ème Festival de Cannes.
Le Président d’honneur du festival sera cette année Jean-Jacques Beineix à qui la Ville de Boulogne-Billancourt consacrera une exposition inédite et passionnante « Studio Beineix » inaugurée quelques jours avant.
Vous pourrez retrouver, ci-dessous, le détail du programme et j’en profite pour vous annoncer que mon roman « Les Orgueilleux » qui se déroule dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville sera publié en Mai prochain, chez Numériklivres.
Les films en compétition
Catégorie Longs-métrage
CHEBA LOUISA
France – 2013 – 90mn
Réalisatrice : Françoise Charpiat
Avec : Isabelle Carré, Rachida Brakni, Steve Tran, Rachid Taha
À 30 ans, Djemila, juriste célibataire a enfin son propre appartement… à deux pas de chez ses parents. Française d’origine maghrébine, elle fait tout pour gommer ses origines. emma, sa voisine déjantée et auchée, rame pour élever seule ses deux enfants. alors que tout oppose les deux femmes, une amitié profonde va naître grâce à leur amour de la musique.
En présence de l’équipe du film.
DER SANDMAN
Suisse – 2011 – 88mn – VOSTF
Réalisateur : Peter Luisi
Avec : Fabian Krüger, Irene Brügger
Le philatéliste Benno mène une vie ordonnée, il adore Beethoven et les belles femmes. Sa voisine Sandra, qui chante toutes les nuits dans son café au-dessous de l’appartement de Benno, ne ressemble en rien au genre de femme qu’il aime. Il ne peut donc s’empêcher de l’insulter régulièrement. Un jour, Benno découvre du sable dans son lit. Lorsqu’il réalise que c’est lui-même qui perd du sable et que les pertes augmentent de jour en jour, sa vie ordonnée se transforme en un véritable cauchemar. Il perd non seulement son travail, mais il voit le temps littéralement s’écouler hors de lui. Lorsqu’il se rend compte que seule Sandra peut le sauver, débute alors une course désespérée contre la montre…
MACADAM BABY
France – 2013 – 97mn
Réalisateur : Patrick Brossard
Avec : François Civil, Camille Claris,
Arthur Jugnot
Thomas est un écrivain en herbe. Il n’a hélas pas grand-chose à aconter. et c’est dommage car il le raconte vraiment bien. Il a du style. en venant à Paris et en rencontrant Julie, il va découvrir pour la première fois l’amour avec un grand a. Ce qu’il ignore, c’est que Julie est dans les problèmes jusqu’au cou et qu’en voulant l’aider, il va mettre les pieds dans les emmerdes avec un grand …
En présence de l’équipe du film
SONG FOR MARION
UK – 2012 – 93mn
Réalisateur : Paul Andrew Williams
Avec : Terence Stamp, Gemma Arterton, Christopher Eccleston et Vanessa Redgrave
Arthur et Marion, couple de retraités londoniens, sont profondément unis malgré leurs caractères dissemblables
; Marion est positive et sociable, arthur est morose et fâché avec la terre entière. aussi ne comprend-il pas l’enthousiasme de sa femme à chanter dans cette chorale férue de reprises pop décalées et menée par la pétillante Élizabeth. Mais peu à peu arthur se laisse toucher par la bonne humeur du groupe et par la gentillesse d’Élizabeth. encouragé par cette dernière, qui a inscrit la chorale à un concours, arthur réalise qu’il n’est jamais trop tard pour changer.
TOM LE CANCRE
France – 2011 – 93mn
Réalisateur : Manuel Pradal
Avec : Stéphanie Crayencour, Sacha Bourdo, Steve Le Roi, Matys Soboul
Des enfants de 5 ans s’égarent dans la forêt après que leur maîtresse se soit évanouie en mangeant un fruit sauvage. Ils rencontrent alors un enfant fugueur de 14 ans, Tom le cancre, qui vit dans un chêne centenaire et qui leur propose un marché : il les ramènera à leurs parents quand il leur aura désappris tout ce qu’ils ont appris à l’école. Une classe verte dirigée par un maître cancre ou comment ré-enchanter le monde par la fantaisie et l’impertinence.
Arise capture les portraits et les histoires de femmes extraordinaires à travers le monde qui se réunissent pour réparer le mal fait à la Terre. Ce film poétique musical et artistique se déroule dans des paysages d’une incroyable beauté pour tisser une histoire collective et porteuse d’espoir qui nous inspire pour sauver la Terre.
En présence des deux réalisatrices.
ASSAM, TERRE DES DIEUX
France – 2012 – 52mn
Réalisateur : Patrice Landes
Niché au milieu de la vallée de Brahmaputra, l’assam est un état d’une grande beauté et d’une grande iversité au nord-est de l’Inde. À travers l’histoire, des peuples de différentes cultures, origines et religions ont émigré dans cette région. Les invasions musulmanes ont apporté l’Islam dans la région. Le Sikhisme s’est développé ici à côté de communautés bouddhistes. avec l’apparition de nouvelles fois et de nouvelles religions, de nombreux temples et monuments ont été construits. aujourd’hui, ils sont les témoins silencieux d’un passé glorieux.
En présence du réalisateur.
HE FILM
France – 2011 – 52mn
Réalisatrice : Liliane de Kermadec
Depuis 37 ans, d’abord à pied, ensuite à vélo et à moto, He Fu Quan sillonne les petites routes du Sichuan en apportant partout où il va « la culture et le cinéma », comme il dit. Offerts par le gouvernement chinois, les films sont aujourd’hui envoyés de Pékin par satellite à Chengdu où He Fu Quan, dit « He Film », va les chercher et les emporte sur ses disques durs. arrivé dans un village ou dans une ferme isolée dans la forêt de bambous, il déploie son écran, chacun apporte son tabouret, et, à la nuit ombée, la projection commence. Des paysans, des gens de Pékin et de Chengdu, la Chine de la campagne et de la ville devant l’écran de cinéma.
En présence de la réalisatrice.
L’OMBRELLO DI BEATOCELLO
Suisse – 2011 – 83mn – VOSTF
Réalisateur : Georges Gachot
Ces vingt dernières années, le pédiatre suisse Beat Richner a ouvert cinq hôpitaux pour les enfants au Cambodge, structures hypermodernes et entièrement gratuites. Lorsqu’il ne pratique pas, le médecin quête inlassablement des fonds pour faire tourner son entreprise humanitaire. Il devient Beatocello, violoncelliste et apôtre de la générosité.
En présence du réalisateur.
TOUCHER LE CIEL
Canada (Québec) – 2012 – 90mn – VOSTF
Réalisateur : Adrian Wills
Toucher le ciel est un film documentaire destiné à tous ceux qui ont un jour rêvé de voyager dans l’espace. Pas à pas, nous suivons le fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, sur la route qui le mènera à la station spatiale internationale, jusqu’à son retour – brutal – sur terre. À travers ses confidences, nous entrons dans la tête de l’apprenti cosmonaute, tantôt serein et confiant, tantôt dépassé par les événements, investi de sa mission poétique. Voilà un artiste lancé dans l’espace, avec ses doutes, ses espoirs, mais aussi son émerveillement absolu. et un poème à livrer.
En présence du réalisateur.
Les événements
Ouverture du festival
LA FLEUR DE L’ÂGE
France – 2012 – 83mn
Réalisateur : Nick Quinn
Avec : Pierre Arditi, Julie Ferrier,
Jean-Pierre Marielle
Gaspard Dassonville a 63 ans. Son style de vie en a la moitié : producteur de télévision réputé, il accumule les compagnes trentenaires et s’obstine à ignorer tout signe de vieillissement. Mais le grand âge lui tombe dessus avec fracas : Gaspard est contraint d’accueillir chez lui son père Hubert, devenu dépendant. Le duo se transforme en trio avec l’arrivée de Zana, aidesoignante aux références douteuses et à l’imagination débridée. Fascinés chacun à sa manière par cette femme peu conventionnelle, père et fils s’affrontent et se découvrent.
En présence de l’équipe du film.
Film de clôture
MUD – SUR LES RIVES DU MISSISSIPPI
USA – 2012 – 130mn – VOSTF
Réalisateur : Jeff Nichols
Avec : Matthew McConaughey, Reese Witherspoon, Sam Shepard
Ellis et neckbone, 14 ans, découvrent lors de l’une de leurs escapades quotidiennes, un homme réfugié sur une île au milieu du Mississippi. C’est Mud : une dent en moins, un serpent tatoué sur le bras, un flingue et une chemise porte-bonheur. Mud, c’est aussi un homme qui croit en l’amour, une croyanceà laquelle ellis a désespérément besoin de se raccrocher pour tenter d’oublier les tensions entre ses parents.
Très vite, Mud met les deux adolescents à contribution pour réparer un bateau pour quitter l’île. Difficile cependant pour les garçons de déceler le vrai du faux dans les paroles de Mud. a-t-il vraiment tué un homme, est-il poursuivi par la justice, par des chasseurs de prime ? et qui est donc cette fille mystérieuse qui vient de débarquer dans leur petite ville de l’arkansas ?
Festival de Cannes 2012 – Sélection officielle compétition.
Film jeune public
LES MALHEURS DE SOPHIE
France – 1981 – 90mn
à partir de 8 ans
Adapté du roman Les Malheurs de Sophie, écrit par la Comtesse de Ségur (1858).
Réalisateur : Jean-Claude Brialy
Avec : Paprika Bommenel, Frédéric Mestre, Carine Richard, Sandra Gula,
858. Les aventures de Sophie, une fillette de 6 ans qui vit avec sa mère, Madame de Réan, dans un vaste château. Sophie, curieuse et aventureuse, commet bêtise sur bêtise avec la complicité de son cousin Paul qui lui rend visite pour les vacances. elle a pour amies Camille et Madeleine de Fleurville, des « petites filles modèles » qu’elle peine à imiter, ce qui lui vaut les remontrances de sa mère.
RED DOG
Australie – 2011 – 92mn – Comédie
Version française
à partir de 8 ans
Réalisateur : Kriv Stenders
Avec : Josh Lucas, Rachael Taylor, Noah Taylor, Keisha Castle-Hughes, Luke Ford
Basé sur une histoire vraie, le film relate le voyage d’un chien roux qui a parcouru des milliers de kilomètres à travers l’australie jusqu’à ce qu’il retrouve son maître!
Hors compétition
ALEXANDRE LE BIENHEUREUX
D’Yves Robert
LA DÉLICATESSE
De David et Stéphane Foenkinos
Le Président d’honneur de l’édition 2013 : Jean-Jacques Beineix
Les Membres du jury
Hugo Gélin, président – Mélanie Bernier – David Foenkinos – Camélia Jordana – Baptiste Lecaplain
Le jury remettra :
- Le Prix du Meilleur film – Le prix de la Meilleure actrice – Le prix du Meilleur acteur – Les festivaliers voteront pour le Prix du public et le Prix du meilleur documentaire
Billetterie – A partir du 15 avril Au cinéma Pathé Boulogne et à l’Office du tourisme Tarif unique : 3€ – Pass au tarif de 15€ et 10€ au tarif réduit.
CRITIQUE DE « COMME DES FRERES » D’HUGO GELIN
Nombreuses sont les comédies françaises à être sorties depuis le début de l’année (sans doute le reflet d’une frilosité des producteurs se disant qu’en période de crise, le public est friand de ce genre) et rares sont malheureusement celles à se démarquer et surtout à être autre chose qu’une suite de sketchs (certes parfois très drôles), sans véritable scénario ni mise en scène. Je vous parle d’ailleurs rarement de comédies ici mais je tenais à le faire pour celle-ci pour différentes raisons…
« Comme des frères », c’est l’histoire de trois hommes de trois générations différentes, Boris (François-Xavier Demaison), Elie (Nicolas Duvauchelle) et Maxime (Pierre Niney) qui, a priori, n’ont rien en commun, rien si ce n’est Charlie (Mélanie Thierry), à qui ils étaient tous liés par un sentiment fort et singulier, et qui vient de mourir. Comme elle le leur avait demandé, ils décident de faire ensemble ce dernier voyage qu’elle aurait voulu faire avec eux, direction la Corse et la maison que Charlie aimait tant. 900kms ensemble avec, pour point commun, l’ombre de la lumineuse Charlie, leur chagrin…un voyage après lequel plus rien ne sera tout à fait pareil.
Dès le début de ce film se dégage un charme inexplicable (pléonasme, non ?) qui vous accroche et attache aux protagonistes pour ne plus vous lâcher… Les frères Dardenne (dans un genre de film certes radicalement différent) répètent souvent que ce sont les personnages qui comptent avant les idées et, si la plupart des comédies se contentent d’une bonne idée et d’un bon pitch, négligeant leurs personnages, ici, dans l’écriture du scénario, Hérvé Mimran ( coauteur/coréalisateur d’une autre comédie très réussie qui d’ailleurs présentait aussi cette qualité: « Tout ce qui brille »), Hugo Gélin et Romain Protat, se sont d’abord attelés à construire des personnages forts et particulièrement attachants : le jeune homme lunaire de 20 ans, le trentenaire scénariste noctambule, et l’homme d’affaires, quadragénaire et seul. Trois personnages qui, tous, dissimulent une blessure.
Le chagrin et la personne qui les réunissent annihilent la différence d’âge même si elle est prétexte à un gag récurrent (et très drôle) sur les goûts parfois surannés du personnage de François-Xavier Demaison qui apporte toute sa bonhomie mélancolique et attendrissante et la justesse de son jeu à cet homme qui n’arrive pas -plus- à aimer depuis Charlie. L’autre bonne idée est en effet le casting : outre François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle est également parfait, et surtout Pierre Niney ( pensionnaire de la comédie française depuis 2010), découvert au Festival du Film de Cabourg 2011 (où il a cette année reçu le prix de la révélation masculine) dans le très beau premier long-métrage de Frédéric Louf « J’aime regarder les filles » dans lequel il incarnait un personnage d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient. Ici il est lunaire, burlesque même, immature (mais finalement pas tant que ça), attachant, et cache lui aussi derrière sa maladresse, une blessure. Pas étonnant que les propositions pleuvent après sa nomination aux César 2012 pour cet acteur par ailleurs humble et sympathique, ce qui ne gâche rien…
Si je vous parle du film de Frédéric Louf, c’est qu’il présente un autre point commun avec le film d’Hugo Gélin : cette vitalité si chère à Truffaut (« Le cinéma c’est la vitalité » disait-il) qui parcourt tout le film. Une vitalité, un sentiment d’urgence, une conscience du dérisoire de l’existence, de sa beauté mélancolique aussi, et de la tendre ironie qu’inspirent souvent les drames de l’existence, qui changent à jamais le regard sur celle-ci, et que ce film parvient magnifiquement à retranscrire.
Hugo Gélin ne recourt jamais au pathos, l’écueil dans lequel il aurait été si facile de tomber avec un tel sujet, mais montre au contraire qu’une révoltante et cruelle injustice de l’existence, peut donner une autre saveur à celle-ci , le goût de l’essentiel et qu’elle peut avoir la capacité de (re)créer des liens, ici quasiment fraternels. Plutôt que de nous montrer Charlie malade et agonisante, il nous la montre telle que la voyaient ses trois amis, radieuse, viscéralement vivante et lumineuse, par une série de flashbacks judicieusement amenés qui retracent le lien si particulier que chacun d’entre eux entretenait avec elle mais aussi la manière dont le quatuor devenu trio s’est construit avec, notamment, la très belle scène chaplinesque sur leur première rencontre, intelligemment placée au dénouement.
Le scénario (qui a le mérité d’être original, de n’être pas l’adaptation d’une BD ou d’un livre, ou la transposition de sketchs d’humoristes désireux de passer derrière et/ou devant la caméra comme c’est très-trop-souvent le cas), sensible, qui nous révèle les liens entre les personnages par petites touches et alterne intelligemment entre rires et larmes, est aussi servi par des dialogues savoureux. Tant pis si certains aspects sont peut-être plus prévisibles comme le prénom donné au bébé de l’un d’entre eux, cela fait aussi partie des codes de ce genre de film.
De ces trois (quatre)-là, vraiment irrésistibles, émane une belle complicité, une alchimie même, à cause de laquelle ou plutôt grâce à laquelle nous les laissons avec regrets nous frustrant presque de n’en savoir pas plus… Un quatuor qui m’a parfois rappelé celui de « Père et fils » de Michel Boujenah qui mettait ainsi en scène un père et ses trois fils. Le tout est servi par une belle photographie signée Nicolas Massart ( avec des plans que certains cyniques jugeront sans doute clichés, comme ce plan de soleil, reflet d’un nouveau jour et de l’espoir qui se lèvent), un film d’une gravité légère à la fois tendre et drôle, pudique et espiègle: en tout cas, charmant et qui prouve qu’une comédie peut sonner juste et actuelle sans recourir systématiquement au trash ou au cynisme.
Ajoutez à ce casting impeccable, ce scénario et ces dialogues réjouissants, cette photographie lumineuse, la musique ensorcelante du groupe Revolver (quelle bonne idée d’ailleurs! J’en profite pour vous signaler qu’ils seront à l’Olympia le 25 octobre prochain !) et vous obtiendrez ce road movie attachant et la comédie tendrement mélancolique de l’année qui, comme chez Claude Sautet, célèbre l’amitié, qu’elle soit amoureuse ou plus fraternelle et vous fait furieusement aimer la vie. Alors, n’attendez plus, allez voir sans hésiter Boris, Elie, Maxime et les autres!
« Comme des frères » vient d’être récompensé aux festivals de cinéma de La Réunion et de Sarlat et Pierre Niney fait partie des révélations pour le César du meilleur espoir masculin 2013.
CRITIQUE DE « LA DELICATESSE » DE DAVID EET STEPHANE FOENKINOS
Il y a deux ans, dans le cadre du jury des lectrices de Elle dont je faisais partie, je découvrais « La Délicatesse », le roman de David Foenkinos en lice pour le prix et dont le film éponyme est l’adaptation signée par ce dernier et Stéphane Foenkinos. Je découvrais aussi l’écriture fantaisiste, précise et délicate de David Foenkinos (oui, je l’avoue, il m’a fallu attendre son 8ème roman pour cela) après avoir remarqué la présence joliment discrète de l’auteur quand d’autres se mettaient en avant avec une ridicule et présomptueuse ostentation, lors d’un débat dans le cadre de feu Forum International Cinéma et Littérature de Monaco. Bien qu’ayant obtenu dix prix littéraires, « La Délicatesse » (à mon grand regret) n’avait pas reçu celui des lectrices de Elle…mais cela ne l’a pas empêché d’en vendre 700000 exemplaires et d’être traduit dans 21 pays…et c’est particulièrement rassurant. Rassurant de voir que pour cela il n’aura fallu ni faire voyager le lecteur dans le temps, ni lui raconter des histoires rocambolesques improbables, ni faire preuve d’un cynisme vengeur et racoleur, ni recourir à un style même pas digne d’un scénario avec deux phrases par page (vous voyez à qui je songe ?). Un livre dont l’auteur ose l’intituler « La Délicatesse » dans une société (pas seulement littéraire) souvent brutale qui prône et glorifie plutôt le cynisme, cela force déjà le respect. A l’encontre d’une société qui veut qu’une pensée se résume à 140 caractères d’exagération ou de mauvaise foi (ah, twitter, mon amour…), ou qu’une personne soit appréhendée et jugée en quelques secondes, le temps d’un regard scrutateur et sentencieux.
« C’est l’histoire d’une femme qui va être surprise par un homme. Réellement surprise ». Ainsi était résumé ce roman. C’est l’inverse aussi. L’histoire d’un homme qui va être surpris par une femme. Réellement surpris. Et c’est surtout l’histoire de Nathalie (Audrey Tautou), une jeune femme qui a tout pour être heureuse, jeune, belle, insouciante, amoureuse de François (Pio Marmaï) qui avait décidé de la séduire parce qu’elle avait choisi un jus d’abricot, ou à peu près. Ils se marièrent et n’eurent pas le temps d’avoir beaucoup d’enfants car François décède brutalement. Tout pourrait s’arrêter là. D’ailleurs, pour elle le temps s’est arrêté, le jour où la lecture de son livre a été interrompue par la mort de François, mais après le deuil va venir le temps de la renaissance, là où et comme on ne l’attendait pas : un jour, sans raison, un peu perdue dans ses rêveries, elle embrasse un de ses collègues, l’insignifiant Markus (François Damiens)…enfin a priori insignifiant. Va alors naitre l’idée de ce couple improbable…
Pas facile de transcrire à l’écran ce qui faisait en partie le charme du roman : l’écriture sensible, à la fois pudique et sensuelle, de David Foenkinos, une écriture émaillée d’une réjouissante fantaisie (aphorismes, digressions aussi savoureuses que décalées) qui faisait de ce roman une passionnante histoire autant qu’une aventure ludique pour le lecteur que Foenkinos, avec, décidément, une délicatesse quasiment amoureuse, n’oubliait jamais, ce qui n’est finalement pas si courant…
« La Délicatesse » est un film à l’image de son personnage principal : d’apparence simple, discret, grave et triste, il se révèle gai, d’une lucidité joyeuse, tendre, et il vous charme d’une manière totalement inexplicable. Le charme des rencontres impromptues, improbables, inattendues. Les plus belles. Et ce n’était pas gagné d’avance. Il faut voir la première apparition de face de Markus, au bout de trente minutes de film (on aperçoit son dos et ses mains lors d’une réunion auparavant mais son visage reste invisible, insignifiant) avec son physique peu évident, son allure débraillée, son assurance hasardeuse. Le jeu du comédien est tel, remarquable François Damiens qui se glisse dans la peau du personnage avec une apparente facilité déconcertante (aidé par la réalisation), que le spectateur finit (presque) par le trouver séduisant, par être charmé à son tour, et en tout cas par comprendre le charme qu’il opère sur Nathalie. Il apparaît comme un personnage aussi lunaire que solaire, grâce à une photographie bienveillante, qui auréole la deuxième partie du film d’une douceur rassurante (très belle photographie de Rémy Chevrin) mais aussi grâce à la douce et énergique bo d’Emilie Simon.
C’est sans doute cela la délicatesse : une sensation indicible, des petits gestes qui vous vont droit au cœur, une empathie du personnage qui emporte celle du spectateur et qui m’a totalement charmée. Par sa fantaisie (celle du roman qui se retrouve par petites touches). Par son mélange subtil de gravité et légèreté. Par sa manière d’appréhender le deuil et de célébrer le retour à l’espoir, à la vie.
Dommage peut-être que Markus ne parle pas davantage puisque dans le roman, le charme opérait surtout par la parole. Il n’empêche que ce film est d’une douceur aussi simple que renversante. Audrey Tautou est l’actrice idéale pour incarner Nathalie. A la fois fragile et décidée, entre détermination énergique et une grâce enfantine qui me fait toujours penser à Audrey Hepburn. Une actrice trop rare qui jongle habilement entre le drame et la comédie, à l’image du film qui mêle subtilement les deux genres.
Un bel hymne à la différence. Un film qui rend hommage aux anonymes, héros du quotidien, ces « émotifs anonymes » (on retrouve d’ailleurs une sensibilité commune avec celle de Jean-Pierre Améris), ces êtres vulnérables qui se découvrent plus qu’ils ne se remarquent mais qui n’en sont que plus intéressants. Avec le même sens de la précision et de l’humour décalé (ah, les joies de la Suède et du 114), avec ces mêmes accents truffaldiens, David et Stéphane Foenkinos réussissent non pas à transposer mais à retranscrire le style enchanteur du roman, son romantisme décalé et dénué de mièvrerie.
Un délicieux film d’une gravité légère à déguster sans modération, l’histoire d’une renaissance lumineuse qui fera du bien tous ceux qui ont été touchés par le deuil, à tous ceux qui ne croient plus à la beauté foudroyante des hasards et coïncidences et des rencontres singulières, qui ne croit plus que le bonheur réside là où on ne l’attend pas. Voilà ce film m’a totalement charmée, aussi rare (et précieux) que la délicatesse qu’il met en scène, avec le même charme progressif et non moins ravageur.
En attendant le programme du Festival de Cannes 2013 dont je vous rappelle que vous pourrez le suivre en intégralité sur mes sites http://inthemoodforfilmfestivals.com et http://inthemoodforcannes.com je vous propose un petit flash back sur le film de ce dernier qui avait reçu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2006: "Babel", un de mes plus grands chocs cinématographiques cannois et, pour moi, un chef d'oeuvre. Le film sera projeté ce soir à 20H45 sur Ciné+ Emotion. Voici la critique que j'avais alors publiée:
En plein désert marocain, des enfants jouent avec un fusil que leur père vient d’acheter. Un coup de feu retentit et blesse une touriste américaine dans un bus qui passait sur la route, en contrebas. Les destins de cette femme (Cate Blanchett) et de son mari (Brad Pitt) dont le couple battait de l’aile, les destins des deux enfants responsables du coup de feu, le destin de la nourrice mexicaine des enfants du couple d’Américains, le destin d’une jeune Japonaise, en l’occurrence la fille de l’homme qui a donné le fusil à un Marocain qui l’a revendu au père des deux enfants : ces destins vont tous avoir une influence les uns sur les autres, des destins socialement et géographiquement si éloignés, mais si proches dans l’isolement et dans la douleur.
Rares sont les films que je retourne voir, mais pour Babel vu au Festival de Cannes 2006 où il a obtenu le prix de la mise en scène et celui du jury œcuménique, c’était une vraie nécessité parce que Babel c’est plus qu’un film : une expérience. Ce film choral qui clôt le triptyque du cinéaste après Amours chiennes et 21 grammes fait partie de ces films après lesquels toute parole devient inutile et impossible, de ces films qui expriment tant dans un silence, dans un geste, qu’aucune parole ne pourrait mieux les résumer. De ces films qui vous hypnotisent et vous réveillent. De ces films qui vous aveuglent et vous éclairent. Donc le même choc, la même claque, le même bouleversement, quelques mois après, l’effervescence, la déraison et les excès cannois en moins. Malgré cela.
Si la construction n’avait été qu’un vain exercice de style, qu’un prétexte à une démonstration stylistique ostentatoire, l’exercice aurait été alors particulièrement agaçant mais son intérêt provient justement du fait que cette construction ciselée illustre le propos du cinéaste, qu’elle traduit les vies fragmentées, l’incommunicabilité universelle.
Le montage ne cherche pas à surprendre mais à appuyer le propos, à refléter un monde chaotique, brusque et impatient, des vies désorientées, des destins morcelés. En résulte un film riche, puissant où le spectateur est tenu en haleine du début à la fin, retenant son souffle, un souffle coupé par le basculement probable, soudain, du sublime dans la violence. Du sublime d’une danse à la violence d’un coup de feu. Du sublime d’une main sur une autre, de la blancheur d’un visage à la violence d’une balle perdue et d’une blessure rouge sang. Du sublime du silence et du calme à la violence du basculement dans le bruit, dans la fureur, dans la déraison.
Un film qui nous emmène sur trois continents sans jamais que notre attention ne soit relâchée, qui nous confronte à l’égoïsme, à notre égoïsme, qui nous jette notre aveuglement et notre surdité en pleine figure, ces figures et ces visages qu’il scrute et sublime d’ailleurs, qui nous jette notre indolence en pleine figure, aussi. Un instantané troublant et désorientant de notre époque troublée et désorientée. La scène de la discothèque est ainsi une des plus significatives, qui participe de cette expérience. La jeune Japonaise sourde et muette est aveuglée. Elle noie son désarroi dans ces lumières scintillantes, fascinantes et angoissantes. Des lumières aveuglantes: le paradoxe du monde, encore. Lumières qui nous englobent. Soudain aveuglés et sourds au monde qui nous entoure nous aussi.
Le point de départ du film est donc le retentissement d'un coup de feu au Maroc, coup de feu déclenchant une série d'évènements qui ont des conséquences désastreuses ou salvatrices, selon les protagonistes impliqués. Peu à peu le puzzle se reconstitue brillamment, certaines vies se reconstruisent, d’autres sont détruites à jamais.
Jamais il n’a été aussi matériellement facile de communiquer. Jamais la communication n’a été aussi compliquée, Jamais nous n’avons reçu autant d’informations et avons si mal su les décrypter. Jamais un film ne l’a aussi bien traduit. Chaque minute du film illustre cette incompréhension, parfois par un simple arrière plan, par une simple image qui se glisse dans une autre, par un regard qui répond à un autre, par une danse qui en rappelle une autre, du Japon au Mexique, l’une éloignant et l’autre rapprochant.
Virtuosité des raccords aussi : un silence de la Japonaise muette qui répond à un cri de douleur de l’américaine, un ballon de volley qui rappelle une balle de fusil. Un monde qui se fait écho, qui crie, qui vocifère sa peur et sa violence et sa fébrilité, qui appelle à l’aide et qui ne s’entend pas comme la Japonaise n’entend plus, comme nous n’entendons plus à force que notre écoute soit tellement sollicitée, comme nous ne voyons plus à force que tant d’images nous soit transmises, sur un mode analogue, alors qu’elles sont si différentes. Des douleurs, des sons, des solitudes qui se font écho, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre. Et les cordes de cette guitare qui résonnent comme un cri de douleur et de solitude.
Véritable film gigogne, Babel nous montre un monde paranoïaque, paradoxalement plus ouvert sur l’extérieur fictivement si accessible et finalement plus égocentrique que jamais, monde paradoxalement mondialisé et individualiste. Le montage traduit magistralement cette angoisse, ces tremblements convulsifs d’un monde qui étouffe et balbutie, qui n’a jamais eu autant de moyens de s’exprimer et pour qui les mots deviennent vains. D’ailleurs chaque histoire s’achève par des gestes, des corps enlacés, touchés, touchés enfin. Touchés comme nous le sommes. Les mots n’ont plus aucun sens, les mots de ces langues différentes. Selon la Bible, Babel fut ainsi une célèbre tour construite par une humanité unie pour atteindre le paradis. Cette entreprise provoqua la colère de Dieu, qui pour les séparer, fit parler à chacun des hommes impliqués une langue différente, mettant ainsi fin au projet et répandant sur la Terre un peuple désorienté et incapable de communiquer.
C’est aussi un film de contrastes. Contrastes entre douleur et grâce, ou plutôt la grâce puis si subitement la douleur, puis la grâce à nouveau, parfois. Un coup de feu retentit et tout bascule. Le coup de feu du début ou celui en pleine liesse du mariage. Grâce si éphémère, si fragile, comme celle de l’innocence de ces enfants qu’ils soient japonais, américains, marocains, ou mexicains. Contrastes entre le rouge des vêtements de la femme mexicaine et les couleurs ocres du désert. Contrastes entres les lignes verticales de Tokyo et l’horizontalité du désert. Contrastes entre un jeu d’enfants et ses conséquences dramatiques. Contraste entre le corps dénudé et la ville habillée de lumière. Contraste entre le désert et la ville. Contrastes de la solitude dans le désert et de la foule de Tokyo. Contrastes de la foule et de la solitude dans la foule. Contrastes entre « toutes les télévisions [qui] en parlent » et ces cris qui s’évanouissent dans le désert. Contrastes d’un côté et de l’autre de la frontière. Contrastes d’un monde qui s’ouvre à la communication et se ferme à l’autre. Contrastes d’un monde surinformé mais incompréhensible, contrastes d’un monde qui voit sans regarder, qui interprète sans savoir ou comment, par le prisme du regard d’un monde apeuré, un jeu d’enfants devient l’acte terroriste de fondamentalistes ou comment ils estiment savoir de là-bas ce qu’ils ne comprennent pas ici.
Mais toutes ces dissociations et ces contrastes ne sont finalement là que pour mieux rapprocher. Contrastes de ces hommes qui parlent des langues différentes mais se comprennent d’un geste, d’une photo échangée (même si un billet méprisant, méprisable les séparera, à nouveau). Contrastes de ces êtres soudainement plongés dans la solitude qui leur permet finalement de se retrouver. Mais surtout, surtout, malgré les langues : la même violence, la même solitude, la même incommunicabilité, la même fébrilité, le même rouge et la même blancheur, la même magnificence et menace de la nuit au-dessus des villes, la même innocence meurtrie, le même sentiment d’oppression dans la foule et dans le désert.
Loin d’être une démonstration stylistique, malgré sa virtuosité scénaristique et de mise en scène Babel est donc un édifice magistral tout entier au service d’un propos qui parvient à nous transmettre l’émotion que ses personnages réapprennent. Notons que malgré la pluralité de lieux, de langues, d'acteurs (professionnels mais souvent aussi non professionnels), par le talent de son metteur en scène, Babel ne perd jamais sa cohérence qui surgit, flagrante, bouleversante, évidente, au dénouement.
La mise en scène est volontairement déstructurée pour refléter ce monde qu'il met en scène, un monde qui s'égare, et qui, au moindre geste , à la moindre seconde, au moindre soupçon, peut basculer dans la violence irraisonnée, un monde qui n'a jamais communiqué aussi vite et mal, un monde que l'on prend en pleine face, fascinés et horrifiés à la fois, un monde brillamment ausculté, décrit, par des cris et des silences aussi ; un monde qui nous aveugle, nous assourdit, un monde de différences si semblables, un monde d’après 11 septembre.
Babel est un film douloureux et clairvoyant, intense, empreint de la fébrilité du monde qu’il parcourt et dépeint de sa lumière blafarde puis rougeoyante puis nocturne. Un film magnifique et éprouvant dont la mise en scène vertigineuse nous emporte dans sa frénésie d’images, de sons, de violences, de jugements hâtifs, et nous laisse avec ses silences, dans le silence d’un monde si bruyant. Le silence après le bruit, malgré le bruit, le silence de l’harmonie retrouvée, l’harmonie éphémère car il suffirait qu’un coup de feu retentisse pour que tout bascule, à nouveau. La beauté et la douleur pareillement indicibles. Babel, tour de beauté et de douleur. Le silence avant les applaudissements, retentissants, mérités. Si le propre de l’Art c’est de refléter son époque et de l’éclairer, aussi sombre soit-elle, alors Babel est un chef d’œuvre. Une expérience dont on ne peut ressortir indemne ! Mais silencieux, forcément.
Après, l’an passé, l’affiche avec Marilyn Monroe, les yeux baissés, comme une invitation douce et langoureuse au rêve, soufflant une bougie, affiche à la fois gracieuse et épurée réalisée à partir d’une photo de l’actrice faite par Otto L. Bettmann, ce sont Joanne Woodward et Paul Newman qui sont à l’honneur, sur l’affiche de cette 66ème édition, avec une photo, d'une beauté étourdissante, prise sur le tournage de « A New Kind of Love » de Melville Shavelson, et qui, cette fois nous invitent à un tourbillon de cinéma, à un désir infini de pellicule, le désir infini…comme celui (de cinéma) que suscite Cannes.
Une affiche qui donne l’illusion du mouvement, de la profondeur, du cinéma donc. Une affiche moderne et intemporelle, d’un noir et blanc joyeusement nostalgique, paradoxale à l’image de tous ces cinémas qui se côtoient à Cannes. Une affiche qui, une fois de plus, nous donne envie de ce tourbillon de (la) vie, d’envies, de cinéma, d’envies de cinéma, un vertig(o)e (presque hitchcockien) troublant et envoûtant qu’est le Festival de Cannes et que sera indubitablement cette 66ème édition que je me réjouis de vous faire vivre prochainement ici.
Le Festival de Cannes a accueilli le couple mythique en 1958 – année de leur mariage- en sélectionnant en Compétition Les Feux de l’été (The Long Hot Summer) de Martin Ritt, premier film qu’ils tournèrent ensemble.
La photo de tournage a été isolée puis retravaillée et mise en scène par l’agence Bronx, qui l’a intégrée à un décor cinétique, jouant sur l’impression de mouvement et de profondeur pour renforcer l’effet cinématographique.
«C’est pour le Festival l’occasion de rendre hommage à la mémoire de Paul Newman, disparu en 2008, et de faire un salut plein d’admiration à Joanne Woodward, sa femme et son interprète d’élection», ont déclaré les organisateurs dans le communiqué de presse. Joanne Woodward pourrait monter les marches le jour de l’ouverture…mais rien n’a été confirmé pour le moment.
Je vous rappelle que l’ouverture du Festival aura lieu le 15 Mai avec la projection de « Gatsby le magnifique » de baz Luhrmann et que le jury sera présidé par Steven Spielberg et, enfin, que l’Inde sera le pays à l’honneur.