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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 257

  • "J'enrage de son absence" de Sandrine Bonnaire - Film de la semaine

    Sandrine Bonnaire nous avait déjà bouleversés avec son documentaire consacré à sa sœur autiste, « Elle s’appelle Sabine », un documentaire ni larmoyant ni complaisant, deux écueils dans lesquels il aurait été si facile de tomber. Il s’agissait alors d’un véritable plaidoyer pour la mise en place de structures d’accueil pour les handicapés, aussi un hommage à ceux qui les encadrent, c’était aussi une véritable déclaration d’amour de Sandrine Bonnaire à sa sœur, un cri du cœur déchirant pour celle que 5 années d’hôpital psychiatrique changèrent à jamais mais qui joue un prélude de Bach avec la même facilité sidérante que des années auparavant. Sandrine Bonnaire parvient à nouveau, magistralement, à nous bouleverser avec son premier long-métrage de fiction, en salles le 31 octobre.

    Je l’ai découvert dans le cadre de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2012 et revu la semaine dernière au Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz où il était présenté en compétition et où William Hurt a reçu le prix d’interprétation masculine.

    Sandrine Bonnaire et Alexandra Lamy seront, ce soir, sur France 2, les invités de l’excellente émission « Grand Public » (l’émission sur la culture qui manquait jusqu’alors, à la fois grand public, documentée, distrayante et instructive), interviewées par Aïda Touihri. Retrouvez également ma critique du film ci-dessous ainsi que mes vidéos de présentation du film réalisées à Cannes et Saint-Jean-de-Luz.

    Ce film nous raconte l’histoire d’un couple, Jacques (William Hurt) et Mado (Alexandra Lamy), dont le fils est décédé accidentellement, quelques années auparavant. Lorsqu’ils se retrouvent, le père devient obsédé par le petit garçon de 7 ans que Mado a eu d’une autre union. Entre cet homme et ce petit garçon, un lien fort et inquiétant se crée dans le secret d’une cave.

    Sandrine Bonnaire, pour son premier film, dès la première seconde, fait preuve d’une maitrise étonnante, d’une manière de nous « impliquer » dans son drame, avec intensité et empathie.

    Le regard à la fois doux et perdu, un peu fou mais surtout fou d’amour et de la rage de l’absence, de William Hurt auquel sa caméra s’accroche souvent, y est pour beaucoup. Sa prestation (à juste titre récompensée à Saint-Jean-de-Luz) est une des plus magistrales qu’il m’ait été donné de voir et son personnage, aux portes de la folie, un des plus bouleversants de tendresse, de détresse, d’humanité. Il va peu à peu s’enterrer, se recroqueviller au propre comme au figuré, pour aller au bout de cette détresse. Quant à Augustin Legrand, il impose une belle et forte présence sans oublier le jeune Jalil Meheni, bouleversant dans la tendresse qu’il témoigne à ce deuxième père interprété par William Hurt.

    Jamais Sandrine Bonnaire ne tombe dans le pathos, toujours à hauteur de ses personnages, de leur cauchemar dans lequel elle nous enferme peu à peu, créant une tension croissante, bientôt suffocante. Elle ne juge jamais ses personnages mais les comprend, les suit pas à pas dans cette descente aux enfers.

    Ce sont aussi deux appréhensions du deuil. L’un qui tait sa douleur et l’autre qui la fait exploser, descend jusqu’au plus profond de celle-ci. Deux personnages abîmés par les terribles vicissitudes de l’existence et d’autant plus humains et touchants.

    Sandrine Bonnaire, si elle a certainement appris beaucoup avec tous les grands cinéastes avec lesquels elle a tournés (le prénom de Mado fait ainsi songer au film éponyme de Claude Sautet, d’ailleurs ce mélange des genres peut aussi faire penser à « Quelques jours avec moi » de ce même cinéaste, un film dans lequel Sandrine Bonnaire était d’ailleurs magistrale ; elle filme par ailleurs souvent la nuque et le dos d’Alexandra Lamy comme Claude Sautet avait coutume de le faire, notamment avec Romy Schneider), elle impose, dès son premier film, un style bien à elle, et surtout un regard et un univers, marques des grands cinéastes que d’imposer ainsi d’emblée leur style.

    En plus d’être une grande comédienne, Sandrine Bonnaire s’affirme donc ici comme une grande cinéaste en devenir. Elle filme la violence de la douleur avec une rage à la fois douce et âpre, sans jamais lâcher ses personnages tout comme cette douleur absolue ne les lâche jamais. Paradoxalement, un film qui fera du bien à tous ceux qui ont connu ou connaissent la douleur ineffable, étouffante et destructrice du deuil malgré un dernier plan d’une tristesse déchirante.

    Avec ce film dramatique, absolument bouleversant, entre drame familial et thriller, à la fois terriblement tendre et terriblement inquiétant, Sandrine Bonnaire met des images sur l’indicible douleur et donne à William Hurt et Alexandra Lamy leurs meilleurs rôles (un premier rôle et une nouvelle fois un beau personnage de mère qui montre toute l’étendue de l’immense talent de cette dernière, à la fois ici sensuelle et terrienne) et signe une première fiction sobre, palpitante, poignante, d’une maîtrise étonnante qui vous fera chavirer d’émotion pour ces beaux personnages enragés de douleur.

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  • Critique de « Skyfall » de Sam Mendes avec Daniel Craig, Judi Dench, Javier Bardem

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    « Skyfall » est le 23ème James Bond, lequel célèbre ce mois-ci ses 50 ans au cinéma (déjà), le troisième James Bond incarné par Daniel Craig après « Casino Royale » en 2006 et « Quantum of Solace » en 2008 qui nous a habitués à ce nouveau James Bond plus tourmenté, plus sombre, plus viril, plus glacial, plus humain, s’écartant du personnage du svelte dandy au sourire ravageur et carnassier aussi collectionneur de gadgets que de James Bond girls. Sixième acteur à incarner le célèbre héros de Ian Flemming, Daniel Craig est aussi à mon avis le meilleur (après Pierce Brosnan, Sean Connery, Roger Moore, Timothy Dalton, George Lazenby), en tout cas celui qui a apporté le plus d’épaisseur, de séduction brute, et de complexité au personnage. J’en attendais donc beaucoup de ce troisième Bond avec Daniel Craig, d’autant que c’est pour la première fois Sam Mendes qui se charge de la réalisation, réalisateur notamment du chef d’œuvre (et j’emploie toujours ce terme avec parcimonie) « Les Noces rebelles ».

    Premier plan : la silhouette de Bond apparaît, obscure, dans l’ombre. Tout est dit. Sam Mendes abusera d’ailleurs un peu de cette image.

     Cette fois, tout commence par la mort de Bond (Daniel Craig), tué par Eve (Naomie Harris), un autre agent. Une liste d’agents infiltrés se retrouve entre de mauvaises mains, et ces derniers sont dangereusement exposés. Pour couronner le tout, le MI6 est attaqué et M (Judi Dench) doit faire déménager l’Agence. Son autorité est remise en cause par Mallory (Ralph Fiennes), le nouveau président de l’ISC, le comité chargé du renseignement et de la sécurité. C’est donc une nouvelle fois vers Bond (dont vous vous doutez bien qu’il ne peut mourir, a fortiori au début) que M va se tourner. Ce dernier va devoir agir dans l’ombre pour retrouver et mettre hors d’état de nuire le mystérieux Sylva (Javier Bardem), à l’origine de cette double menace, intérieure et extérieure, dont est victime le MI6…

    Cela commence comme toujours ou presque par une poursuite spectaculaire, époustouflante, haletante et captivante, cette fois à Istanbul, mais qui, pour une fois, au lieu de laisser un Bond triomphant le laisse pour mort, tué par une de ses consoeurs. C’est donc vivant (évidemment, comme « demain ne meurt jamais », Bond non plus) mais affaibli que nous le retrouvons. Il doit même repasser les tests validant ses qualités d’agent auxquels il échoue d’ailleurs. Bond, comme c’était déjà amorcé dans « Casino Royale », et plus que jamais, n’est donc plus le héros invincible et insensible, flegmatique, des premières adaptations néanmoins, s’il meurt ici, c’est pour mieux renaitre.

    L’histoire de ce nouveau Bond est en effet celle d’un retour aux sources puisque, pour la première fois, est évoquée son enfance. Bond n’est donc pas une sorte de machine de guerre mais un être de chair et de sang, construit par une blessure d’enfance. Après un périple qui le mènera d’Istanbul à Shanghai en passant par Londres, c’est donc dans sa terre natale écossaise que nous le retrouverons, dans un paysage abandonné d’une tristesse d’une beauté étrangement envoûtante.

    La sublime photographie est signée Roger Deakins et donne au film cet aspect mélancolique, dans la lande écossaise mais aussi à Shanghai ou Macao avec les reflets des néons et des lumières phosphorescentes ( avec des plans remarquables entre Wong Kar Wai et Hitchcock dans "Fenêtre sur cour") dans une tour de verre  ou encore dans un temple transformé en casino et somptueusement illuminé.

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    Terminée aussi la guerre froide, Bond s’adapte désormais au monde moderne qui l’entoure et après le Chiffre (Mads Mikkelsen) et le Français Mathieu Amalric, il se retrouve confronté à un hacker redoutablement ironique et sans pitié incarné par un Javier Bardem décoloré car tout James Bond qui se respecte a évidemment son méchant qui n’est néanmoins plus un monstre sanguinaire qui veut dominer le monde interprété par un acteur au physique patibulaire et au jeu grandiloquent mais ici, comme James Bond d’ailleurs dans « Quantum of Solace », un homme assoiffé de vengeance. Cela donnera d’ailleurs lieu à un face à face savoureux…et à une révélation qui le sera tout autant.

    Si les 2H40 passent allègrement, si c’est du divertissement de haute voltige qui ravira autant les inconditionnels de Bond que les amateurs, si Craig demeure le meilleur Bond, ce « Skyfall » souffre néanmoins d’un scénario (John Logan ici à la rescousse du tandem Neal Purvis-Robert Wade ) parfois trop léger. L’intrigue tient en une ligne et est moins sophistiquée que celle de « Quantum of Solace » et surtout de « Casino Royale » et la psychologie des personnages féminins (la française Bérénice Marlohe a néanmoins une belle scène mêlant peur et arrogance) n’atteint pas celle de Vesper dans « Casino Royale ».  D’ailleurs, la vraie dame de cœur, et finalement la vraie James Bond girl est ici M. écartelée entre sa loyauté envers Bond et celle envers sa mission qui prime comme toujours sur tout le reste et la rend souvent intraitable.

    Ce James Bond marque aussi le retour de l’Aston Martin B25 et  le retour de Q (sous les traits du jeune Ben Whishaw).  Plutôt que de recourir à des gadgets sans cesse plus sophistiqués et à une surenchère, s’inspirant de « Dans la mort aux trousses » qui avait renouvelé la course poursuite (auparavant toujours dans des lieux étroits et sombres), c’est dans l’immensité d’un paysage désert, armé d’un seul fusil et de son imagination débordante, que s’achève ce Bond.

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    « Skyfall » est avant tout un hommage à James Bond, celui qui meurt, et même fait table rase du passé, pour mieux renaitre. Ce James Bond austère est porté par la musique ensorcelante d’Adèle (quel générique hypnotique et admirable) mais aussi par une photographie mélancolique, crépusculaire et somptueuse, l’interprétation mêlant élégance et dureté de Daniel Craig, l’humour de retour par petites touches, qui en font un divertissement remarquable malgré  les dialogues parfois assez pauvres ( on se souvient avec regret de la joute verbale entre Bond et Vesper dans « Casino Royale » et de leur duel sensuel) et malgré un scénario perfectible (certaines scènes manquent d’émotion alors qu’elles auraient pu s’y prêter, Mendes se concentrant davantage sur l’action et alors que « Casino royale », décidément le meilleur Bond, alternait intelligemment les scènes d'action pure, de suspense -aussi bien dans les scènes d'action que celles de poker, véritable combat intellectuel-, et de romance).

    Vous l’aurez compris : ce « Skyfall », malgré ces quelques réserves, vaut néanmoins le voyage et sait, comme toujours, nous faire attendre avec plus d’impatience encore le prochain, après ce Bond qui passe de l’ombre à la lumière, tue le mythe pour mieux le faire renaitre.

     

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  • Critiques - "Amour" et "Le ruban blanc" de Michael Haneke - 2 palmes d'or

    Photos ci-dessus, copyright Inthemoodlemag.com, prises lors de la conférence de presse du palmarès du Festival de Cannes 2012.

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    « Amour » de Michael Haneke présente plusieurs points communs avec mon autre coup de coeur du Festival de Cannes 2012 ( « J’enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire, présenté à la Semaine de la Critique) malgré des différences formelles évidentes: d’abord leurs titres pourraient être interchangeables et ensuite parce que j’ai été submergée par l’émotion par ces deux films. Enfin, l’un et l’autre parlent d’amour inconditionnel et de la violence de l’absence, du départ, du silence. En bonus, retrouvez également, en bas de cet article, ma critique de l’autre palme d’or de Michael Haneke « Le ruban blanc ».

    Mais revenons à « Amour », film au titre à la fois sobre, sibyllin et prometteur dans lequel Isabelle Huppert interprète la fille de Georges (Jean-Louis Trintignant) et d’Anne (Emmanuelle Riva), deux octogénaires, des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Egalement musicienne, elle vit à l’étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale. Lorsqu’elle sort de l’hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d’un côté. L’amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve.

    Dès le début, la gravité, l’austérité, le dénouement inéluctable s’imposent. La caméra explore les pièces d’un appartement pour arriver dans une chambre où une femme âgée git, paisible, morte. Puis, flashback: le couple rentre d’un concert de musique classique dont on ne voit d’ailleurs que les spectateurs comme un miroir de ce que nous allons être pendant tout ce film, les spectateurs de l’envers du décor, de ce que la société préfère habituellement cacher, dissimuler. Lorsqu’ils rentrent, ils constatent que leur porte a été vraisemblablement forcée. Les prémisses d’une tragédie, d’un huis-clos dramatique. Un étranger s’est immiscé dans leur doux quotidien. La mort qui va peu à peu tisser sa toile.

    La tendresse de leurs gestes, la manière dont ils s’excusent constamment, se considèrent, se regardent, semblent se découvrir encore, ne s’être pas tout raconté, avoir encore des secrets et plus que jamais des égards l’un pour l’autre, tout dit un amour qui n’a pas pris une ride mais qui s’est renforcé face aux épreuves de la vie. Notre souffle est suspendu, notre attention est captée, capturée, par ces gestes a priori anodins qui témoignent de leur amour indéfectible et magnifique. Leurs visages rayonnent, nous font oublier le poids des ans.

    Cela pourrait être le couple d’ « Un homme et une femme », 46 ans plus tard (Emmanuelle Riva s’appelle d’ailleurs Anne comme Anouk Aimée dans le film de Claude Lelouch). Bien entendu, le cinéma d’Haneke, si épuré, est très différent de celui de Lelouch, si lyrique, mais ces détails qui disent tant et auxquels notre souffle est suspendu les rapprochent ici (au risque d’en heurter certains). L’opposé du couple du « Chat » de Granier-Deferre.

    Jusqu’où peut-on aller par amour ? L’amour, le vrai, ne consiste-t-il pas à tout accepter, même la déchéance, à aider l’être aimé jusqu’au dernier souffle ? Le sujet était ô combien périlleux. Si Haneke ne nous épargne rien de ces moments terribles comme lorsque cette femme belle et fière se transforme peu à peu en enfant sans défense, il place sa caméra toujours avec pudeur.

    Nous ne quitterons alors plus cet appartement pour un face à face douloureux, cette lente marche vers la déchéance puis la mort. Seules quelques visites comme celles de leur fille, d’un ancien élève, de voisins qui les aident, ou d’infirmières viennent ponctuer ces terribles instants, témoignant à chaque fois de maladresses, voire de cruauté involontaires. La scène de l’infirmière qui, avec une voix mielleuse, s’adresse à Anne comme à une enfant, la forçant avec une douce et d’autant plus terrible condescendance à se regarder dans le miroir est redoutablement juste et absolument terrible.

    Que dire de Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva qui seraient à la hauteur de leurs bouleversantes prestations ? Le premier, qu’il raconte une anecdote sur son enfance, ou s’occupe d’Anne dans ses derniers instants avec une tendresse infinie (comment ne pas être bouleversé quand il lui raconte une histoire, lui caressant doucement la main, pour faire taire sa douleur, qu’elle hurle), est constamment juste, là, par un jeu d’une douce intensité. Ses gestes, sa voix, son regard, tout traduit et trahit son émotion mais aussi la digne beauté de son personnage qu’il dit être son dernier, ce qui rend ce rôle encore plus troublant et tragique. Quant à Emmanuelle Riva, elle fait passer dans son regard l’indicible de la douleur, de la détresse, après avoir fait passer la fierté et la force de cette femme debout, cette âme forte qui se transforme peu à peu en un corps inerte, pétri de douleurs.

    Un film tragique, bouleversant, universel qui nous ravage, un film lucide, d’une justesse et d’une simplicité remarquables, tout en retenue. «Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments» dit Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse. C’est aussi ce qu’il nous reste de ce film, l’essentiel, l’Amour avec un grand A, pas le vain, le futile, l’éphémère mais l’absolu, l’infini.

    Trois ans après sa palme d’or pour « Le ruban blanc », Michael Haneke méritait évidemment de l’obtenir à nouveau pour ce film éprouvant et sublime, d’une beauté tragique et ravageuse que vous hante et vous habite longtemps après la projection, après ce dernier plan d’une femme seule dans un appartement douloureusement vide. Un film d’Amour absolu, ultime. Et puis il y a la musique de Schubert, cet Impromptu que j’ai si souvent écouté et que je n’entendrai sans doute plus jamais de la même manière. Je crois qu’il me faudra un peu de temps encore pour appréhender pleinement ce film. Les mots me manquent encore.

    Critique « Le ruban blanc » de Michael Haneke

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    En raison de l’inimitié ou de la potentielle rancœur subsistant entre Isabelle Huppert et Quentin Tarantino suite à leurs dissensions lors du casting d’ « Inglourious Basterds » et du lien particulier qui unit cette dernière à Haneke ( « La Pianiste » du même Haneke lui a valu un prix d’interprétation cannois), je supposais que « Le ruban blanc » devait être un chef d’œuvre tel que ce prix mettait la présidente du jury 2009 hors du moindre soupçon d’avoir favorisé le réalisateur autrichien, pour des raisons autres que cinématographiques.

    Alors, « un ruban blanc » est-il ce chef d’œuvre irréfutable faisant de cette palme d’or une évidence ?

    Haneke est aussi outrancier dans l’austérité que Tarantino l’est dans la flamboyance. Leurs cinémas sont à leurs images, extrêmes. Alors difficile de comparer deux films aussi diamétralement opposés même si pour moi l’audace, l’inventivité, la cinéphilie de Tarantino le plaçaient au-dessus du reste de cette sélection 2009. Audace, inventivité, cinéphilie : des termes qui peuvent néanmoins tout autant s’appliquer à Haneke même si pour moi « Caché » (pour lequel il avait reçu un prix de la mise en scène en 2005) méritait davantage cette palme d’or (et celui-ci un Grand Prix) qui, à défaut d’être une évidence, se justifie et se comprend aisément.
     

    Synopsis : Un village de l’Allemagne du Nord à la veille de la Première Guerre Mondiale. Un instituteur raconte l’histoire d’étranges incidents qui surviennent dans la petite communauté protestante formée par les élèves et leurs familles. Peu à peu, d’autres accidents surviennent et prennent l’allure d’un rituel primitif.

    Quel qu’en soit l’enjeu et aussi âpre soit-elle, Haneke a le don de créer une atmosphère quasi hypnotique, et de vous y plonger. L’admiration pour la perfection formelle l’emporte toujours sur le rejet de l’âpreté, sur cette froideur qui devrait pourtant nous tenir à distance, mais qui aiguise notre intérêt, notre curiosité. La somptuosité glaciale et glaçante de la réalisation, la perfection du cadre et des longs plans fixes où rien n’est laissé au hasard sont aussi paralysants que l’inhumanité qui émane des personnages qui y évoluent.

    Derrière ce noir et blanc, ces images d’une pureté étrangement parfaite, à l’image de ces chérubins blonds symboles d’innocence et de pureté (que symbolise aussi le ruban blanc qu’on leur force à porter) se dissimulent la brutalité et la cruauté.

    L’image se fige à l’exemple de cet ordre social archaïquement hiérarchisé, et de cette éducation rigoriste et puritaine dont les moyens sont plus cruels que les maux qu’elle est destinée prévenir et qui va provoquer des maux plus brutaux encore que ceux qu’elle voulait éviter. La violence, au lieu d’être réprimé, s’immisce insidieusement pour finalement imposer son impitoyable loi. Cette violence, thème cher à Haneke, est toujours hors champ, « cachée », et encore plus effrayante et retentissante.

    Ce ruban blanc c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc.

    Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres.

    La forme démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.

    Que dire de l’interprétation ? Elle est aussi irréprochable. Les enfants jouent avec une innocence qui semble tellement naturelle que l’horreur qu’ils recèlent en devient plus terrifiante encore.

    Avec une froideur et un ascétisme inflexibles, avec une précision quasi clinique, avec une cruauté tranchante et des dialogues cinglants, avec une maîtrise formelle fascinante, Haneke poursuit son examen de la violence en décortiquant ici les racines du nazisme, par une démonstration implacable et saisissante. Une œuvre inclassable malgré ses accents bergmaniens.

    Un film à voir absolument. L’oeuvre austère, cruelle, dérangeante, convaincante, impressionnante d’un grand metteur en scène.

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  • Chaplin à l'honneur...

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    A  partir du 24 octobre, MK2 ressort aux MK2 Bibliothèque, Gambetta et Grand Palais (ouverture le 9 novembre) 10 longs-métrages de Charlie Chaplin, restaurés en numérique 2K: THE KID, L’OPINION PUBLIQUE, LA RUEE VERS L’OR, LE CIRQUE, LES LUMIERES DE LA VILLE, LES TEMPS MODERNES, LE DICTATEUR, MONSIEUR VERDOUX, LES FEUX DE LA RAMPE, UN ROI A NEW YORK . Difficile de choisir entre tous ces chefs d’oeuvre …

     
     
    Mes deux films de Chaplin favoris sont « Les Lumières de la ville » (la plus belle et poignante fin de l’Histoire du cinéma) et « Les feux de la rampe ». Je vous propose tout de retrouver la critique du second en cliquant ici, sur Inthemoodlemag.com .

     

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  • Thomas Vinterberg reçoit le Grand Prix du Cinéma de Elle 2012 pour "La Chasse"

    Retrouvez les photos de la remise du prix et mes critiques des films en lice en cliquant ici.

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  • Remise du Grand Prix Cinéma Elle 2012 au Grand Palais

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    Demain soir, au Grand Palais sera remis le Grand Prix Cinéma Elle 2012, au Grand Palais. Bien qu'ayant fait partie du jury, j'ignore à quel film le prix sera attribué même si, il y a de fortes chances pour qu'il revienne aux "Bêtes du sud sauvage" ou à "La Chasse" même si ma préférence va vers le premier. Vous retrouverez bien entendu ici le compte-rendu complet. En attendant retrouvez mon compte-rendu des projections et mon avis sur les 7 films en lice.

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    A peine revenue du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2012 (au sujet duquel vous pouvez retrouver de nombreux articles sur mon blog « In the mood for Deauville » en attendant le bilan complet, demain) et pas encore tout à fait à la réalité, me voilà repartie pour une immersion cinématographique grâce au jury du Grand Prix Cinéma de Elle 2012 dont je faisais partie ce week end, au Mk2 Bibliothèque, après avoir fait partie du jury littéraire du magazine il y a quelques années. Encore un jury de cinéma, me direz-vous (le 15ème, il me semble), mais la soif insatiable des découverte cinématographiques, le plaisir de vivre au rythme de projections et discussions enflammées sur celles-ci avec des inconnus, grâce à ce langage universel créant des liens immédiats, demeurent intacts, 14 ans après avoir intégré un jury de festival pour la première fois. Sept films dont la sortie en salles est prévue entre le 24 octobre et le 26 décembre 2012 ont été sélectionnés pour ce prix. La remise du prix aura lieu le 22 octobre au Grand Palais, à Paris. C’est là seulement que nous connaîtrons l’issue des votes (il y a trois jurys dans trois villes différentes, Paris, Lyon et Lille).

     

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    L’an passé, c’est « Polisse » de Maïwenn (dont vous pouvez retrouver ma critique, ici) qui avait remporté le prix.

     

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    Au programme de cette -belle- sélection 2012 : des films très divers parmi lesquels deux comédies (« Nous york » de Géraldine Nakache et Hervé Mimran, « Populaire » de Régis Roinsard), des films sélectionnés, voire primés, à Cannes (« Au-delà des collines » de Cristian Mungiu – double prix d’interprétation féminine et prix du scénario-, « La Chasse » de Thomas Vinterberg –prix d’interprétation masculine-, « Les Bêtes du Sud Sauvage » de Benh Zeitlin – caméra d’or de Cannes 2012, grand prix et prix de la révélation du Festival du Cinéma Américain de Deauville-, « Trois mondes » de Catherine Corsini), un film danois historique et de passion amoureuse en costumes (« A royal affair » de Nikolaj Arcel).

     

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    Les critiques issues des débats furent souvent élogieuses, parfois particulièrement cruelles, et heureusement pour certains cinéastes qu’ils ne purent les entendre. Après avoir débattu, nous avons attribué des notes à chacun des films. Une fois de plus, tenant à ne jamais attribuer de notes à des films sur mes blogs (tout comme un film pour moi ne PEUT être nul, il ne peut se réduire à une note et si cette note signifiait quelque chose pour établir un classement, elle ne signifierait plus rien ici), je ne vous livrerai pas les miennes ici mais simplement mon classement, le film y figurant en premier étant celui que je souhaite voir gagner ; pour savoir si mon souhait sera exaucé il faudra attendre le 22 octobre…

     

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    Vous trouverez ci-dessous un simple avis sur chaque film et prochainement je vous livrerai des critiques plus détaillées de chacun d’entre eux.

     

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    1. « Les Bêtes du Sud sauvage » de Benh Zeitlin

     

     

    L’ayant vu au Festival du Cinéma Américain de Deauville il y a 10 jours, et revu donc ce week end, à nouveau, je ne m’attendais pas à être encore ainsi emportée par l’émotion.

     

    « Quand le cinéma est beau comme le vôtre, quand les films sont beaux comme le vôtre, cela rassemble », avait déclaré la présidente du jury Sandrine Bonnaire lors de la cérémonie du palmarès du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2012 lors de laquelle le film avait été couronné du Grand Prix et du prix de la révélation Cartier. C’est en effet un des pouvoirs magiques du cinéma que de pouvoir rassembler ainsi des spectateurs différents dans un tourbillon d’émotions agréablement dévastateur.

     

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    Ci-dessus, Benh Zeitlin, lors de la cérémonie du palmarès de Deauville (photo inthemoodfordeauville.com )

     

    A Cannes, déjà, où je l’avais manqué et où le film a notamment été couronné de la caméra d’or, c’était une incessante litanie « il faut voir Les Bêtes du Sud sauvage ». Alors, ce film méritait-il autant de louanges et autant de prix ?

     

    « Les Bêtes du Sud sauvage » est le premier long-métrage de Benh Zeitlin adapté de « Juicy and Delicious», une pièce écrite par Lucy Alibar, une amie de Benh Zeitlin qui a coécrit le scénario avec lui. Il se déroule dans le Sud de la Louisiane, dans le bayou, «le « bathtub », une terre sauvage et âpre où vit Hushpuppy (Quvenzhané Wallis), une petite fille de 6 ans et son père Wink (Dwight Henry). Soudain cette nature rebelle s’emballe, les glaciers fondent, des aurochs apparaissent, le monde s’effondre pour Hushpuppy (la nature qui l’environne mais aussi le sien, son monde, puisque la santé de son père décline) ; elle va alors partir à la recherche de sa mère.

     

    Ne vous fiez pas à mon synopsis réducteur car ce film possède tout ce qu’un synopsis ou une critique ne pourront jamais refléter. Il en va ainsi de certains films, rares, comme de certaines personnes qui possèdent ce charme indescriptible, cette grâce ineffable, ce supplément d’âme que rien ni personne ne pourront décrire ni construire car, justement, il n’est pas le fruit d’un calcul mais une sorte de magie qui surgit presque par miracle (et sans doute grâce à la bienveillance et la sensibilité du regard du cinéaste) comme celle qui peuple les rêves de Hushpuppy.

     

    Dès les premières secondes, malgré la rudesse de la vie qu’il décrit, malgré l’âpreté de cette terre et celle du père de Hushpuppy, ce film vous séduit et vous emporte pour ne plus vous lâcher. C’est à travers les yeux innocents et l’imagination débordante de Hushpuppy que nous sommes embarqués dans cette histoire guidés par sa voix qui nous berce comme un poème envoûtant.

     

    La vie grouille, palpite, dans chaque seconde du film, dans cet endroit où elle est (et parce qu’elle est) si fragile, son cœur bat et résonne comme celui de ces animaux qu’écoute Hushpuppy pour, finalement, faire chavirer le vôtre. Un monde qu’il donne envie de préserver avant que les marées noires ne le ravagent et que la magie n’en disparaisse à jamais.

     

    Son monde est condamné mais Hushpuppy (incroyable présence et maturité de la jeune Quvenzhané Wallis) , avec son regard attendrissant, opiniâtre et frondeur résiste, lutte, et s’invente un univers magique où le feu s’allume au passage d’une belle femme, où elle résiste aux aurochs du haut de ses 6 ans. Benh Zeitlin filme à hauteur d’enfant et du regard d’Hushpuppy imprégnant tout le film de son riche imaginaire.

     

    Film inclassable : autant une histoire d’amour ( d’un réalisateur pour une terre sauvage et noble qui se confond avec la mer dans un tumulte tourmenté que pour ses habitants, fiers et courageux viscéralement attachés à leur terre mais aussi d’une fille pour son père et réciproquement dont les relations sont faites de dureté attendrissante), fantastique ou fantasmagorique que conte philosophique et initiatique, « Les bêtes du sud sauvage » est aussi un poème onirique qui mêle majestueusement tendresse et rudesse (des êtres, de la terre), réalité et imaginaire, violence (des éléments) et douceur (d’une voix), dureté et flamboyance (comme lors de ce défilé d’une gaieté triste pour célébrer la mort). Voilà, ce film est beau et contrasté comme un oxymore.

     

    Un film d’une beauté indescriptible, celle des êtres libres, des êtres qui résistent, des êtres qui rêvent, envers et contre tout, tous et cela s’applique aussi bien au film qu’à celui qui l’a réalisé avec un petit budget et des acteurs non professionnels sans parler des conditions de tournage puisque l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon de BP s’est produite le premier jour du tournage le 20 avril 2010.

     

    Un film universel, audacieux et dense, un hymne à la vie et l’espoir, au doux refuge de l’imaginaire aussi quand la réalité devient trop violente, un film d’une beauté âpre et flamboyante qui vous emmènera loin et vous accompagnera longtemps comme cette voix (texte de la voix off dit par Hushpuppy magnifiquement écrit), ce regard et cette musique qui reflètent ce mélange de force et de magie, de grâce et de détermination ( une musique dont Benh Zeitlin est le coauteur, elle fut même utilisée pour la campagne d’Obama) et, à l’image de son affiche, un feu d’artifices d’émotions. Un film rare qui méritait indéniablement son avalanche de récompenses. Je vous en reparlerai plus longuement au moment de sa sortie.

     

    Sortie en salles : le 12 décembre 2012

     

    2.« Au-delà des collines » de Cristian Mungiu

     

     

    Si je devais mettre de côté toute émotion, et ne juger que d’un point de vue purement cinématographique, ce film dominerait à mon avis la sélection tant j’ai été époustouflée par la perfection atteinte par celui-ci qui possède en commun avec le précédent de confronter deux univers (le monde du bayou et le reste du monde pour le film précédent, le couvent et le reste du monde, ce monde au-delà des collines, si proche et lointain, et sa modernité, certes relative, ici).

     

    « Alina (Cristina Flutur) revient d’Allemagne pour y emmener Voichita (Cosmina Stratan), la seule personne qu’elle ait jamais aimée et qui l’ait jamais imée. Mais Voichita a rencontré Dieu et en amour, il est difficile d’avoir Dieu comme rival. »

     

    Ce film s’inspire de deux livres de la journaliste Tatiana Niculescu qui traitaient de l’affaire dite de Tacanu, de 2005 : une jeune religieuse schizophrène avait été retrouvée morte après un exorcisme.

     

    Je doute que ce film l’emporte tant les avis des jurées étaient divisés à propos de celui-ci, certaines l’ayant trouvé lent et ennuyeux alors, que, au contraire, je n’ai pas vu passer ses 2H30 tant chaque plan d’une beauté –souvent sombre-picturale, trouve sa justification ultérieure, tant chaque seconde du film apporte un élément comme une preuve accablante, tant cette lenteur aussi concilie la forme et le fond, reflétant ainsi le rythme de vie au ralenti de ce couvent chrétien orthodoxe mais aussi cette forme de lancinante indifférence qui se révèlera meurtrière.

     

    La situation de l’intrigue dans ce couvent importe (presque) peu, le réalisateur ne condamne pas forcément plus la religion que tout autre groupe. Sa portée est beaucoup plus universelle et peut s’appliquer à n’importe quel groupe dans lequel l’indifférence peut tuer (une dictature comme celle qui exista en Roumanie), dans lequel le silence ou l’effet de groupe peuvent être meurtriers.

     

    Le souci du détail, la véracité qui en émane lui procurent un intérêt presque documentaire et les longs plans séquences parfois fixes sont d’une justesse et parfois d’une cruauté (non à cause de ce qui se passe mais plutôt à cause de ce qui ne se passe pas) terrifiantes. Le film fait aussi preuve d’un symbolisme appuyé qui se justifie ici entièrement par le fait que la religion est justement affaire de symboles.

     

    Une histoire de foi redoutablement universelle empreint de l’implacable douleur d’un meurtre commis par innocence. Un double prix d’interprétation à Cannes entièrement justifié tant les deux protagonistes semblent vivre et non jouer, que ce soit la retenue pour l’une, la fougue pour l’autre, avec des regards pareillement enflammés par une foi (en l’amour, en Dieu) différente pour chacune. Bouleversant. Cinq ans après la palme d’or, ce film coproduit par les Dardenne méritait aussi son prix du scénario pour sa justesse et tant chaque seconde du film semble être « utile » (j’oserais même le comparer à un film policier dans lequel les preuves s’accumulent) et justifier son terrible dénouement. Mon second coup de cœur de cette sélection.

     

     

    Photo ci-dessus inthemoodforcannes.com, Cristian Mungiu et ses deux comédiennes lors de la conférence de presse de clôture du Festival de Cannes 2012

     

    Sortie en salles : le 21 novembre 2012

     

    3. « A royal affair » de Nikolaj Arcel

     

     

    Là aussi, d’une certaine manière deux mondes s’affrontent et l’idée de faute causera la perte des protagonistes.

     

    « A royal affair » est l’histoire vraie d’un homme ordinaire qui gagne le cœur d’une reine et démarre une révolution. Centré sur le triangle amoureux constitué par Christian VII (Mikkel Folsgaard), roi cyclothymique et débauché, l’idéaliste Struensee ( Mads Mikkelsen), médecin imprégné de la pensée des Lumières, et la jeune reine Caroline Mathilde (Alicia Vikander), Royal Affair relate l’épopée d’idéalistes audacieux qui, vingt ans avant la révolution française, risquèrent tout pour imposer des mesures en faveur du peuple. »

     

    Il faut d’abord souligner qu’il s’agit là d’un première long-métrage, ce dont on ne se douterait pas à première vue tant l’écriture, la photographie, la direction d’acteurs et la réalisation sont maitrisées.

     

    Ce film sous-titré « Une passion secrète qui changea à jamais l’avenir d’une nation » est passionnant et à plus d’un titre. Il débute comme un conte de fée, une jeune princesse anglaise va épouser le roi du Danemark et devenir reine mais la santé mentale fragile de son époux, sa vie de débauche et les complots de cour vont rapidement le transformer en intrigue politique, historique et amoureuse passionnante et nous plonger dans cet épisode historique bien connu des Danois et méconnu du reste du monde.

     

    Le réalisateur a eu la bonne idée de traiter de manière contemporaine un fait historique, d’abord parce que Struensee était lui-même avant-gardiste et visionnaire en faisant appliquer les idées des philosophes des Lumières bien avant la Révolution française.

     

    Le film est porté par une musique inspirée ( comme souvent lorsqu’elle est signée Gabriel Yared), une photographie qui passe rapidement des couleurs lumineuses d’une vie idéalisée à celles plus grisâtres des réalités de la cour, et l’interprétation remarquable du trio –Mikkel Boefolsgaard qui interprète le roi Cristian VIII a obtenu le prix d’interprétation au Festival de Berlin 2012 et il faut dire qu’il est bluffant dans le rôle de ce roi débauché, égocentrique, manipulable et finalement surtout fragile et plus touchant qu’il n’en a l’air- et face à lui, Mads Mikkelsen qui incarne à merveille le charisme et le mystère de cette figure illustre et Alicia Vikander parfaite dans le rôle de cette reine qui gagne peu à peu en autorité, force et détermination. Ce sont les relations de ce trio et l’évolution de ces personnages qui rendent ce film passionnant avec quelques scènes magistrales comme celle lors de laquelle l’un d’entre eux monte à l’échafaud. Un premier film passionnant, historique et moderne, romanesque et instructif, étonnamment maitrisé.

     

    Sortie en salles : le 21 novembre 2012

     

    4.« La chasse » de Thomas Vinterberg

     

     

    Ce film a apparemment bouleversé grand nombre de jurées (et est donc le sérieux prétendant au prix Elle face aux « Bêtes du sud sauvage »). Il repose avant tout sur l’incroyable prestation de Mads Mikkelsen (oui, celui-là même qui joue Struensee dans « A royal affair ») couronnée du prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes. Le film tourne en effet entièrement autour de son personnage principal avec lequel nous sommes d’emblée en empathie, ce qui fait que certains autres personnages sont parfois moins nuancés (d’emblée persuadés de son innocence ou au contraire de sa culpabilité). Il est donc ici à nouveau question de l’idée de faute, de crime même, et d’homme broyé par le groupe.

     

    » Après un divorce difficile, Lucas (Mads Mikkelsen), quarante ans, a trouvé une nouvelle petite amie, un nouveau travail et il s’applique à reconstruire sa relation avec Marcus, son fils adolescent. Mais quelque chose tourne mal. Presque rien. Une remarque en passant. Un mensonge fortuit. Et alors que la neige commence à tomber et que les lumières de Noël s’illuminent, le mensonge se répand comme un virus invisible. La stupeur et la méfiance se propagent et la petite communauté plonge dans l’hystérie collective, obligeant Lucas à se battre pour sauver sa vie et sa dignité. »

     

    Le mensonge peut-il s’incarner dans l’innocence ? Quelle place donner à la parole de l’enfant, ici sacralisée ? Quatorze ans après le cruel et magistral « Festen » qui révélait le passé pédophile d’un père d’une rare abjection, Vinterberg traite d’un sujet similaire avec un film qui en est quasiment le contraire puisque, ici, à l’inverse, c’est l’innocent qui passe pour coupable.

     

    Le sujet a déjà été traité maintes fois au cinéma et on songe évidemment au film de Cayatte « Les risques du métier ». Si celui-ci ne présente pas d’originalité particulière, il n’en est pas moins une démonstration implacable (comme le film de Mungiu) de la violence du groupe se transformant en meute, le chasseur qu’est aussi Lucas devenant l’homme traqué, l’homme à abattre.

     

    Si la tension est présente du début à la fin, elle doit beaucoup et surtout à l’interprétation nuancée et magistrale de Mads Mikkelsen (prix d’interprétation du Festival de Cannes 2012), un homme qui reste digne bien que broyé par le mensonge et la rumeur.

     

     

    Mads Mikkelsen lors de la conférence de presse de clôture du Festival de Cannes 2012 – Photo inthemoodforcannes.com

     

    Sortie en salles : le 14 novembre 2012

     

    5. « Trois mondes » de Catherine Corsini

     

     

    A nouveau ce sont ici des mondes qui se confrontent, se rencontrent, c’est même le sujet du film. Trois mondes incarnés par Al, Juliette et Véra. Il est là encore question de faute, de pardon, de rédemption, et de la relativité du bien et du mal ( comme dans le film de Mungiu).

     

    « Al (Raphaël Personnaz) est un jeune homme d’origine modeste à qui tout réussit : il se marie dans huit jours avec la fille de son patron et doit prendre la tête de l’entreprise de son futur beau-père. Une nuit, après une soirée arrosée à fêter dignement tous ces projets d’avenir, il renverse un inconnu. Poussé par ses deux amis d’enfance, il abandonne le blessé et s’enfuit. De son balcon, Juliette (Clotilde Hesme) a tout vu. Hantée par l’accident, elle va aider Véra (Arta Dobroshi), la femme du blessé, à retrouver l’homme qu’elle a vu fuir. »

     

    Dans « Partir » déjà, Catherine Corsini confrontait des mondes qui n’auraient pas dû se rencontrer, c’est cette fois le sujet au centre de ce nouveau long-métrage. Dès les premières secondes, Catherine Corsini place son film sous le signe de l’urgence et de la tension et du côté de Al. Le film oscille entre un cinéma à la Claude Sautet (mon cinéaste de prédilection, donc un compliment ) avec les scènes sous la pluie de rigueur qui rapprochent les personnages et, selon ses propres dires, de thrillers celle-ci citant Hitchcock ou James Gray dont la principale qualité est justement de savoir mêler thriller et histoire d’amour.

     

    Catherine Corsini ne choisit finalement ni l’une ni l’autre, ce qui laisse une impression d’inachevé (mais, après tout, à l’image de ces mondes qui n’achèveront pas la rencontre forcée et entamée). Le film n’en reste pas moins palpitant mais inégal dans les mondes qu’il relate : dommage que les personnages moldaves n’échappent pas aux clichés, elle semble ici avoir plus d’attachement pour le personnage de Al sur lequel commence et se termine le film, et tirer un constat pessimiste puisque chacun, finalement, restera dans son monde.

     

    De cette confrontation l’un d’eux, bien que détruit, aura peut-être juste gagné en liberté. Là encore, le film est porté par ses interprètes principaux : Raphaël Personaz qui, par l’intensité de son jeu, et sa présence magnétique, me fait penser à Alain Delon ; Arta Dobroshi (inoubliable dans « Le silence de Lorna » des Dardenne) et Clothilde Hesme, écartelé entre deux mondes mais, comme toujours, très juste.

     

    Un film que je vous recommande malgré ses criantes invraisemblances scénaristiques (Al se rend à l’hôpital auprès de celui qu’il a renversé risquant d’être démasqué; Juliette a une liaison brève avec Al qui tombe dans ses bras, sans doute réunis par la violence de ce qu’ils ont vécu, mais elle est quand même enceinte et lui sur le point de se marier; Juliette qui ne travaille pourtant pas pour les services secrets retrouve Al miraculeusement en en disposant que du numéro de sa plaque d’immatriculation)

     

    Je serai plus brève sur les deux films suivants.

     

    6. « Populaire » de Régis Roinsard

     

     

    « Printemps 1958. Rose Pamphyle (Déborah François), 21 ans, vit avec son père, veuf bourru qui tient le bazar d’un petit village normand. Elle doit épouser le fils du garagiste et est promise au destin d’une femme au foyer docile et appliquée. Mais Rose ne veut pas de cette vie. Elle part pour Lisieux où Louis Echard (Romain Duris), 36 ans, patron charismatique d’un cabinet d’assurance, cherche une secrétaire. L’entretien d’embauche est un fiasco. Mais Rose a un don : elle tape à la machine à écrire à une vitesse vertigineuse. La jeune femme réveille malgré elle le sportif ambitieux qui sommeille en Louis… Si elle veut le poste, elle devra participer à des concours de vitesse dactylographique. Qu’importent les sacrifices qu’elle devra faire pour arriver au sommet, il s’improvise entraîneur et décrète qu’il fera d’elle la fille la plus rapide du pays, voire du monde ! Et l’amour du sport ne fait pas forcément bon ménage avec l’amour tout court… »

     

    De ce film au sujet improbable se dégage un charme joliment suranné qui doit beaucoup à la mise en scène très imprégné du cinéma des années 1950 et à ses brillantes références (clins d’œil à « Vertigo », influence de Demy etc) ainsi qu’ aux prestations de Déborah François et Romain Duris qui manient le second degré avec une dextérité admirable et qui sont d’une justesse irrésistible du début à la fin servis par de belles répliques et desservis par un scénario qui tourne en rond et incroyablement prévisible (c’est le concept même de la comédie romantique, me direz-vous, mais certaines tout de même savent nous réserver quelques surprises) et d’une naïveté, à la fois confondante et rafraîchissante.

     

    Le film repose sur leurs épaules car, pour le reste, j’avoue être restée à distance. Pour moi, un film doit reposer sur un besoin viscéral de raconter une histoire, de traiter d’un sujet… sans doute est-ici seulement l’envie de divertir (même si en filigrane, il est question de l’émancipation des femmes en cette fin des années 1950), ce n’est sans doute pas si mal mais pour moi pas suffisant.

     

    Je vous le recommanderais donc pour deux seules raisons, l’incroyable numéro d’acteurs de Romain Duris et Déborah François…et pour les nostalgiques des années 50, les décors étant particulièrement soignés et remarquables. Une parenthèse légère (dans tous les sens du terme) et néanmoins rafraîchissante. Pourquoi pas…

     

    Sortie : le 28 novembre 2012

     

    7. « Nous York » de Géraldine Nakache et Hervé Mimran

     

     

    Venons-en maintenant à l’unique véritable déception de cette sélection. J’en attendais peut-être trop de ce « Nous York » après avoir été si agréablement surprise par « Tout ce qui brille », film joyeux, rafraîchissant, pétillant, lumineux, d’une tendre drôlerie et justesse, intelligemment écrit et interprété. Si « Nous York » n’est pas une suite, il surfe indéniablement sur le succès du premier reprenant des personnages identiques.

     

    « Michaël (Manu Payet), Nabil ( Nader Boussandel) et Sylvain (Baptiste Lecaplain), trois trentenaires de Nanterre, débarquent à New-York par surprise à l’occasion de l’anniversaire de Samia (Leïla Bekhti), leur amie d’enfance. C’est Gabrielle (Géraldine Nakache), elle aussi une amie de toujours qui a tout organisé. Les deux copines ont quitté leur cité depuis deux ans pour tenter leurs chances aux États-Unis. Samia est l’assistante personnelle d’une célèbre comédienne avec qui elle partage un sublime appartement. Gabrielle, quant à elle, travaille dans une maison de retraite où elle a lié une relation tendre avec Mme Hazan, une française placée ici par ses enfants.Transposés à New-York, les liens étroits tissés depuis toujours prennent un relief particulier, au rythme des péripéties de leur séjour, du quotidien new-yorkais des deux amies et de la découverte de la ville culte… ».

     

    Certes, la petite bande semble s’entendre à merveille et s’amuser à jouer, à découvrir New York mais en oublier un peu trop le « eux », le spectateur au seul profit du Nous. Certes le film contient de nombreux beaux plans (je dois même avouer que les comédies sont rarement aussi bien filmées) et que le regard émerveillé de Français débarquant aux Etats-Unis imprègne l’image et donne à New York des couleurs chatoyantes et parfois nouvelles.

     

    Pour le reste… j’ai eu l’impression d’un immense gâchis, que le talent d’écriture des deux auteurs s’est perdu dans une admiration béate pour New York, totalement hypnotisés et paralysés par cette beauté de d’acier tant de fois filmée, aussi par l’envie de filmer la ville en long, en large et en travers et de filmer leur bande d’amis en oubliant totalement le scénario et réduisant le film à une suite de saynètes sans réelle consistance entre situations convenues, prévisibles et parfois plans interminables et inutiles. Les personnages censés être trentenaires sont particulièrement enfantins (peut-être le reflet d’une génération qui essaie de prolonger l’enfance mais en tout cas contrairement à « Tout ce qui brille », je ne m’y suis pas reconnue).

     

    Je suis néanmoins moins sévère que les autres jurées (vous pouvez me croire), beaucoup ayant attribué la note de 0 au film et ayant considéré qu’il n’y avait que le « générique à sauver ».

     

    CONCLUSION

     

    7 films et un voyage dans autant d’univers passionnants malgré des thématiques communes (l’individu broyé par le groupe, la faute et le pardon, des mondes qui se confrontent et qui n’auraient jamais dû se rencontrer, la relativité du Bien et du Mal, l’innocence de l’enfance).

     

    Retrouvez bientôt ici mes critiques détaillées de chacun d’entre eux et rendez-vous le 22 octobre pour l’annonce du lauréat et la remise du prix (je peux d’ores et déjà vous dire qu’il ne s’agira pas de « Nous York », vous l’aurez compris.) Les discussions avec les autres jurées ont été un réel plaisir. Si certaines d’entre elles passent par ici, je les invite à laisser un petit commentaire et leurs avis sur les films sélectionnés.

     

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