François Truffaut aurait eu 80 ans aujourd'hui. Pour l'occasion, Google lui a rendu hommage et je ne pouvais pas ne pas vous en parler, ce cinéaste étant un de ceux à l'origine de ma passion pour le cinéma. Pour l'occasion, je vous propose trois critiques de films: "Baisers volés", "La Femme d'à côté", "La Sirène du Mississipi". Impossible pour moi de choisir, j'adore quasiment tous les films de Truffaut. Je poursuivrai prochainement ce cycle Truffaut avec d'autres critiques de films de ce dernier.
Critique de "Baisers volés" (1968)
Réformé de son service militaire (dans une scène dont la drôlerie à elle seule mérite de voir ce film), Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) s'empresse d'aller revoir Christine Darbon (Claude Jade), dont il était amoureux. Comme tout ce qui lui arrive, presque par hasard, alors qu’il commence tout juste à chercher du travail, le père de Christine (Daniel Ceccaldi) lui trouve un emploi de veilleur de nuit dans un hôtel mais il se fait renvoyer pour n'avoir su empêcher un détective privé de faire un constat d'adultère…et même pour l’avoir aidé malgré lui ! Monsieur Blady (André Falcon), le détective privé, lui propose alors de travailler dans son agence.
Un riche marchand de chaussures, Monsieur Tabard, (Michael Lonsdale, extraordinaire en misanthrope irascible !) demande à l'agence de faire une enquête afin de savoir pourquoi sa femme et ses employés le détestent. Antoine se voit confier cette délicate mission. Il s'éprend de Fabienne Tabard (Delphine Seyrig), l’épouse inaccessible (à la voix inimitable !) du marchand de chaussures qui accepte de se donner à lui à condition qu'il ne cherche jamais à la revoir. Antoine doit alors quitter l’agence et devient réparateur de postes de télévision. Par hasard, il percute le véhicule du père de Christine. Christine casse délibérément son téléviseur... Ils passeront enfin leur première nuit ensemble. Puis ils se marièrent et … :la suite dans « Domicile conjugal » et « L’amour en fuite ».
« Baisers volés » est sans aucun doute de tous les films de Truffaut, celui qui allie le plus tendresse et drôlerie, légèreté et mélancolie, très différent donc du très sombre « La femme d’à côté ». « Baisers volés » est en effet le plus léger des films de Truffaut. Il le doit essentiellement au contexte qui, lui, ne l’était pas. En témoigne le générique qui se déroule sur l’image des portes de la Cinémathèque fermées par des grilles. Le 9 février 1968, Langlois avait en effet été limogé de la Cinémathèque (à laquelle le film est d’ailleurs dédié) dont il était alors fondateur et directeur alors que Truffaut souhaitait son maintien et comme il le disait lui-même il tourna alors le film en menant une « double vie de cinéaste et de militant », le tout trois mois avant mai 1968. (Langlois sera d’ailleurs réintégré, le 22 avril 1968). Le film est alors « devenu un jeu que l’on jouait quand on en avait le temps» d’après son réalisateur. De ces conditions particulières de tournage résulte cette impression d’insouciance, d’imprévisibilité, de légèreté, les séquences ayant été tournées comme autant de sketchs et surtout improvisées, ce qui explique aussi que le film soit aussi découpé. Il compterait ainsi environ 700 plans ! Le scénario signé François Truffaut, Claude de Givray, Bernard Revon n’en est pas moins le résultat d’une enquête minutieuse. Ces derniers menèrent diverses enquêtes, un peu comme des journalistes passant ainsi beaucoup de temps dans une agence de détectives privés.
Neuf ans après « Les 400 coups », nous retrouvons avec plaisir Antoine Doinel, (il réapparaît entre temps dans le sketch de « L’amour à 20 ans », un peu à part) alors âgé de 24 ans, sa démarche dégingandée, son air d’éternel adolescent rêveur, lunaire, parfois même absent, d’autant plus attachant. Antoine a grandi, du moins physiquement, mais ses gestes et ses actions sont plus que jamais empreints de maladresse. Si Antoine est un personnage anachronique et romantique, le film l’est aussi. Ce film est aussi un récit initiatique qui le voit passer d’inadapté pour qui tout est incertain et provisoire qui vit au gré de ses désirs à un être socialisé.
L’incertitude et l’instabilité concernent ainsi autant son travail que sa vie amoureuse : Antoine hésite entre la sage Christine et la sublime « apparition » Fabienne Tabard. Doinel n’est en effet pas un révolutionnaire mais un inadapté à la société dans laquelle il a dû mal à s’installer, ce qui le rend d’autant plus touchant et sympathique. Le « surjeu » de Jean-Pïerre Léaud s’accorde ( dans ce film plus que dans tout autre) parfaitement à Antoine qui se compose alors un personnage. Il faut le voir répéter un nombre incalculable de fois, devant son miroir, son nom, et celui de Fabienne Tabard et Christine Darbon. Sans doute une des scènes les plus célèbres et significatives du film, Doinel y scandant le refrain de sa vie, celui de son incertitude obsessionnelle, portant en elle les germes de la folie qui s’emparera de nombre des personnages de Truffaut dans ses autres films, scène qui nous fait passer du rire, à l’étonnement, de l’attendrissement à la perplexité à l’inquiétude peut-être même. Truffaut dira lui-même que la seule raison initiale de ce film était de tourner à nouveau avec Jean-Pierre Léaud alors qu’en général un film était pour lui la concordance d’un livre, une ambiance, un acteur.
L’improvisation contribue pour beaucoup à la fraîcheur et au caractère burlesque du film : beaucoup de scènes sont ainsi muettes et nous comprenons souvent les dialogues par la gestuelle. Les dialogues sont donc eux aussi souvent improvisés (comme cette scène où Claude Jade cherche le métier d’Antoine) et les acteurs avouent eux-mêmes qu’ils jouaient quand ils avaient le temps !
Si ce film est très drôle, il est aussi nostalgique. Il doit ainsi son titre au refrain de la chanson de Charles Trenet « Que reste-t-il de nos amours » (« Bonheur fané, cheveux au vent, Baisers volés, rêves mouvants) qui sert de générique. C’est une éducation sentimentale aussi comique que mélancolique.
Malgré son caractère improvisé, « Baisers volés » n’en paraît pas moins maitrisé, notamment par la limpidité des mouvements de caméra comme dans la scène frénétique où Antoine s’enfuit de chez Fabienne Tabard après l’avoir appelée « Monsieur » (scène pour laquelle Truffaut dit avoir retenu les leçons d’Hitchcock, le plus difficile ne consistant pas à créer la tension mais la maintenir).
De ce caractère improvisé émane un charme ensorcelant, à la fois suranné et intemporel, contribuant à un film inclassable mêlant admirablement les genres, ne cessant jamais de nous dérouter comme cette scène qui fait référence au « Lys dans la vallée » de Balzac. Lorsqu’il écrit à Fabienne, Antoine compare ainsi son histoire avec Fabienne Tabard à celle entre Mme de Mortsauf et Félix de Vendenesse, ce à quoi Fabienne répondra, dans une scène à la fois sublime, drôle, touchante que « Mme de Mortsauf aimait Félix de Vendenesse. C’est une histoire lamentable. Elle est morte de n’avoir pu partager cet amour avec lui. Je ne suis pas une apparition ».
Le dénouement de « Baisers volés » est annonciateur de thèmes chers à Truffaut (que l’on retrouve notamment dans « La femme d’à côté » mais aussi « L’histoire d’Adèle H…) : la folie et la passion. Un homme énigmatique que l’on entrevoit au cours du film, et qui suit régulièrement Christine, lui fait une déclaration alors qu’elle est aux côtés d’Antoine, une déclaration à l’image de l’ensemble du film : drôle, touchante, surprenante, agrémentée d’une dose de suspense, voire d’absurde : « Je hais le provisoire. Tout le monde trahit tout le monde.[…]Moi, je suis définitif ». Truffaut disait lui-même « Avec les années qui passent, je crois que cette dernière scène de « Baisers volés », qui a été faite avec beaucoup d’innocence sans savoir moi-même ce qu’elle voulait dire, devient presque une clef pour toutes les histoires que je raconte. »
Pour moi, impossible donc de choisir entre « La femme d’à côté » et « Baisers volés », deux chefs d’œuvre de Truffaut, très différents, mais portant chacun la marque inimitable et si reconnaissable du talent et des thèmes chers au cinéaste. Je crois néanmoins que je leur préfère encore le film dont je vous parlerai la fois prochaine dans le cadre de ce cycle consacré à Truffaut. A vous de deviner celui dont il s’agit…
« Baisers volés a reçu : le Grand prix du cinéma français, le Prix Méliès, le Prix Louis-Delluc 1969, le Prix femina belge 1969, le Prix de l’Academy Motion Picture Arts and Sciences, le prix du British Film Institute, le prix de la Hollywood Foreign Association, et enfin il a été sélectionné pour représenter la France aux Oscars.
Critique de "Le Femme d'à côté" de François Truffaut (1981)
François Truffaut, avec Alain Resnais, Claude Sautet, Woody Allen, Alfred Hitchcock fait partie de ces cinéastes dont j’aime tous les films sans exceptions. J’ai d’abord découvert « Le Dernier Métro », « La Femme d’à côté », « L’Histoire d’Adèle.H », « La Mariée était en noir » avant la série des Antoine Doinel, puis « La Peau douce » et je me souviens encore à quel point « La Femme d’à côté » m’avait marquée la première fois. Je l’ai revu bien souvent depuis et notamment avant-hier, à l’occasion de sa rediffusion sur Arte. Cette critique est la première d’une série que je consacrerai au cinéaste.
Bernard Coudray (Gérard Depardieu) et Mathilde Bauchard (Fanny Ardant) se sont connus et aimés follement, passionnément, douloureusement, et séparés violemment, sept ans plus tôt. L’ironie tragique du destin va les remettre en présence lorsque le mari de Mathilde, Philippe Bauchard (Henri Garcin), qu’elle a récemment épousé, lui fait la surprise d’acheter une maison dans un hameau isolé, non loin de Grenoble, dans la maison voisine de celle qu’occupent Bernard, son épouse Arlette (Michèle Baumgartner), et leur jeune fils. (Une fenêtre sur cour que l’admirateur et grand connaisseur d’Hitchcock qu’était Truffaut n’a d’ailleurs certainement pas choisie innocemment.) Bernard et Mathilde taisent leur passé commun à leurs époux respectifs et vont bientôt renouer avec leur ancienne passion.
A mon sens, personne d’autre que Truffaut n’a su aussi bien transcrire les ravages de la passion, sa cruauté sublime et sa beauté douloureuse, cette « joie » et cette « souffrance » entremêlées. Si : dans un autre domaine, Balzac peut-être, dont Truffaut s’est d’ailleurs inspiré, notamment pour « Baisers volés » (« Le Lys dans la vallée ») ou « La Peau douce » (Pierre Lachenay y donne ainsi une conférence sur Balzac). L’amour chez Truffaut est en effet presque toujours destructeur et fatal.
La femme d’à côté est cette étrange étrangère au prénom d’héroïne de Stendhal, magnifiquement incarnée par la classe, l’élégance, le mystère, la voix ensorcelante et inimitable de Fanny Ardant, ici impétueuse et fragile, incandescente, ardente Fanny.
Truffaut dira ainsi : "J'ai volontairement gardé les conjoints à l'arrière-plan, choisissant d'avantager un personnage de confidente qui lance l'histoire et lui donne sa conclusion : "Ni avec toi, ni sans toi ". De quoi s'agit-il dans la "La Femme d'à côté" ? D'amour et, bien entendu, d'amour contrarié sans quoi il n'y aurait pas d'histoire. L'obstacle, ici, entre les deux amants, ce n'est pas le poids de la société, ce n'est pas la présence d'autrui, ce n'est pas non plus la disparité des deux tempéraments mais bien au contraire leurs ressemblances. Ils sont encore tous deux dans l'exaltation du "tout ou rien" qui les a déjà séparés huit ans plus tôt. Lorsque le hasard du voisinage les remet en présence, dans un premier temps Mathilde se montre raisonnable, tandis que Bernard ne parvient pas à l'être. Puis la situation, comme le cylindre de verre d'un sablier, se renverse et c'est le drame."
Le rapport entre les deux va en effet se renverser à deux reprises. Bernard va peu à peu se laisser emporter par la passion, à en perdre ses repères sociaux, professionnels et familiaux, à en perdre même la raison, toute notion de convenance sociale alors bien dérisoire. Le tourbillon vertigineux de la passion, leurs caractères exaltés, leurs sentiments dans lesquels amour et haine s’entremêlent, se confondent et s’entrechoquent vont rendre le dénouement fatal inévitable. Chaque geste, chaque regard, chaque parole qu’ils échangent sont ainsi empreints de douceur et de douleur, de joie et de souffrance, de sensualité et de violence.
Truffaut y démontre une nouvelle fois une grande maîtrise scénaristique et de mise en scène. Après « Le Dernier Métro » , la fresque sur l’Occupation avec ses nombreux personnages, il a choisi ce film plus intimiste au centre duquel se situe un couple, sans pour autant négliger les personnages secondaires, au premier rang desquels Madame Jouve (Véronique Silver), la narratrice, sorte de double de Mathilde, dont le corps comme celui de Mathilde porte les stigmates d’une passion destructrice. Elle donne un ton apparemment neutre au récit, en retrait, narrant comme un fait divers cette histoire qui se déroule dans une ville comme il y en a tant, entre deux personnes aux existences en apparence banales, loin de la grandiloquence d’Adèle.H, mais qui n’ en a alors que plus d’impact, de même que ces plans séquences dans lesquels le tragique se révèle d’autant plus dans leur caractère apparemment anodin et aérien. A l’image des deux personnages, la sagesse de la mise en scène dissimule la folie fiévreuse de la passion, et ce qui aurait pu être un vaudeville se révèle une chronique sensible d’une passion fatale. D’ailleurs, ici les portes ne claquent pas: elles résonnent dans la nuit comme un appel à l’aide, à l’amour et à la mort.
Deux personnages inoubliables, troublants et attachants, interprétés par deux acteurs magnifiques. Truffaut aurait songé à eux pour incarner cette histoire, en les voyant côte-à-côte lors du dîner après les César lors desquels « Le Dernier Métro » avait été largement récompensé.
Il fallait un talent démesuré pour raconter avec autant de simplicité cette histoire d’amour fou, de passion dévastatrice, qui nous emporte dans sa fièvre, son vertige étourdissant et bouleversant, comme elle emporte toute notion d'ordre social et la raison de ses protagonistes. Un film qui a la simplicité bouleversante d’une chanson d’amour, de ces chansons qui « plus elles sont bêtes plus, elles disent la vérité ».
Ce film sorti le 30 septembre 1981 est l’avant-dernier de Truffaut, juste avant « Vivement Dimanche » dans lequel Fanny Ardant aura également le rôle féminin principal.
Un chef d’œuvre d’un maître du septième art : à voir et à revoir.
Critique de "La Sirène du Mississipi" de François Truffaut (1969)
Après « Baisers volés » (1969) et « La Femme d’à côté » (1981), je poursuis ce cycle consacré à François Truffaut en remontant un peu dans le temps, avec « La Sirène du Mississippi », un film sorti en 1969. Dédié à Jean Renoir, adapté, scénarisé et dialogué par Truffaut d’après un roman de William Irish intitulé « Waltz into Darkness » (pour acquérir les droits François Truffaut dut emprunter à Jeanne Moreau, Claude Lelouch et Claude Berri), c’est davantage vers le cinéma d’Alfred Hitchcock, que lorgne pourtant ce film-ci, lequel Hitchcock s’était d’ailleurs lui-même inspiré d’une nouvelle de William Irish pour « Fenêtre sur cour ». Truffaut avait lui-même aussi déjà adapté William Irish pour « La mariée était en noir », en 1968.
Synopsis : Louis Mahé (Jean-Paul Belmondo) est fabriquant de cigarettes à La Réunion. Il doit épouser Julie Roussel qu’il a rencontrée par petite annonce et dont il doit faire la connaissance le jour du mariage. Lorsqu’elle débarque à La Réunion, d’une beauté aussi froide que ravageuse, elle ressemble peu à la photo qu’il possédait d’elle. Elle lui affirme ainsi lui avoir envoyé un faux portrait, par méfiance. Peu de temps après le mariage, l’énigmatique Julie s’enfuit avec la fortune de Louis. Louis engage alors le solitaire et pointilleux détective Comolli (Michel Bouquet) pour la rechercher, et il rentre en France. Après une cure de sommeil à Nice, il retrouve Julie qui se nomme en réalité Marion (Catherine Deneuve) par hasard, elle travaille désormais comme hôtesse dans une discothèque. Il est déterminé à la tuer mais elle l’apitoie en évoquant son enfance malheureuse et ses sentiments pour lui qui l’aime d’ailleurs toujours… Commence alors une vie clandestine pour ce singulier couple.
Ce film connut un échec public et critique à sa sortie. Truffaut expliqua ainsi cet échec : « Il est aisé d’imaginer ce qui a choqué le monde occidental. La Sirène du Mississippi montre un homme faible (en dépit de son allure), envoûté par une femme forte (en dépit de ses apparences) ». Voir ainsi Belmondo ravagé par la passion qui lui sacrifie tout explique pour Truffaut l’échec du film. C’est vrai que ce film peut dérouter après « Baisers volés », quintessence du style Nouvelle Vague. Son romantisme échevelé, sombre, voire désespéré (même si Doinel était déjà un personnage romantique) mais aussi son mélange des genres (comédie, drame, film d’aventures, film noir, policier) ont également pu dérouter ceux qui voyaient avant tout en Truffaut un des éminents représentants de la Nouvelle Vague.
Comme chacun de ses films « La Sirène du Mississippi » n’en révèle pas moins une maîtrise impressionnante de la réalisation et du sens de la narration, des scènes et des dialogues marquants, des références (cinématographiques mais aussi littéraires) intelligemment distillées et le touchant témoignage d’un triple amour fou : de Louis pour Marion, de Truffaut pour Catherine Deneuve, de Truffaut pour le cinéma d’Hitchcock.
Truffaut traite ainsi de nouveau d’un de ses thèmes de prédilections : l’amour fou, dévastateur, destructeur. Malgré la trahison de la femme qu’il aime, Louis tue pour elle et la suit au péril de sa propre existence… Après les premières scènes, véritable ode à l’île de La Réunion qui nous laisse penser que Truffaut va signer là son premier film d’aventures, exotique, le film se recentre sur leur couple, la troublante et trouble Marion, et l’amour aveugle qu’elle inspire à Louis. Truffaut traitera ce thème de manière plus tragique, plus subtile, plus précise encore dans « L’Histoire d’Adèle.H », dans « La Peau douce » (réalisé avant « La Sirène du Mississippi) notamment ou, comme nous l’avons vu, dans « La Femme d’à côté », où, là aussi, Bernard (Gérard Depardieu) emporté par la passion perd ses repères sociaux, professionnels, aime à en perdre la raison avec un mélange détonant de douceur et de douleur, de sensualité et de violence, de joie et de souffrance dont « La sirène du Mississippi » porte déjà les prémisses.
Bien qu’imprégné du style inimitable de Truffaut, ce film est donc aussi une déclaration d’amour au cinéma d’Hitchcock, leurs entretiens restant le livre de référence sur le cinéma hitchcockien (si vous ne l’avez pas encore, je vous le conseille vivement, il se lit et relit indéfiniment, et c’est sans doute une des meilleures leçons de cinéma qui soit). « Les Oiseaux », « Pas de printemps pour Marnie », « Sueurs froides», « Psychose », autant de films du maître du suspense auxquels se réfère « La Sirène du Mississippi ». Et puis évidemment le personnage même de Marion interprétée par Catherine Deneuve, femme fatale ambivalente, d’une beauté troublante et mystérieuse, d’une blondeur et d’une froideur implacables, tantôt cruelle, tantôt fragile, empreinte beaucoup aux héroïnes hitchcockiennes, à la fois à Tippie Hedren dans « Pas de printemps pour Marnie » ou à Kim Novak dans « Sueurs froides » notamment pour la double identité du personnage dont les deux prénoms (Marion et Julie) commencent d’ailleurs comme ceux de Kim Novak dans le film d’Hitchcock- Madeleine et Judy-.
A Deneuve, qui vient d'accepter le film, Truffaut écrivit : « Avec La Sirène, je compte bien montrer un nouveau tandem prestigieux et fort : Jean-Paul, aussi vivant et fragile qu'un héros stendhalien, et vous, la sirène blonde dont le chant aurait inspiré Giraudoux. » Et il est vrai qu’émane de ce couple, une beauté ambivalente et tragique, un charme tantôt léger tantôt empreint de gravité. On retrouve Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo dans des contre-emplois dans lesquels ils ne sont pas moins remarquables. Elle en femme fatale, vénale, manipulatrice, sirène envoûtante mais néanmoins touchante dont on ne sait jamais vraiment si elle aime ou agit par intérêt. Lui en homme réservé, follement amoureux, prêt à tout par amour, même à tuer.
A l’image de l’Antiquaire qui avait prévenu Raphaël de Valentin dans « La Peau de chagrin » à laquelle Truffaut se réfère d’ailleurs, Louis tombant par hasard sur le roman en question dans une cabane où ils se réfugient ( faisant donc de nouveau référence à Balzac après cette scène mémorable se référant au « Lys dans la vallée » dans « Baisers volés »), et alors que la fortune se réduit comme une peau de chagrin, Marion aurait pu dire à Louis : « Si tu me possèdes, tu possèderas tout, mais ta vie m'appartiendra ».
Enfin ce film est une déclaration d’amour de Louis à Marion mais aussi et surtout, à travers eux, de Truffaut à Catherine Deneuve comme dans cette scène au coin du feu où Louis décrit son visage comme un paysage, où l’acteur semble alors être le porte-parole du cinéaste. Le personnage insaisissable, mystérieux de Catherine Deneuve contribue largement à l’intérêt du film, si bien qu’on imagine difficilement quelqu’un d’autre interprétant son rôle.
Comme souvent, Truffaut manie l’ellipse avec brio, joue de nouveau avec les temporalités pour imposer un rythme soutenu. Il cultive de nouveau le hasard comme dans « Baisers volés » où il était le principal allié de Doinel, pour accélérer l’intrigue.
Alors, même si ce film n’est pas cité comme l’un des meilleurs de Truffaut, il n’en demeure pas moins fiévreux, rythmé, marqué par cette passion, joliment douloureuse, qui fait l’éloge des grands silences et que symbolise si bien le magnifique couple incarné par Deneuve et Belmondo. Avec « La Sirène du Mississippi » qui passe brillamment de la légèreté au drame et qui dissèque cet amour qui fait mal, à la fois joie et souffrance, Truffaut signe le film d’un cinéaste et d’un cinéphile comme récemment Pedro Almodovar avec « Les Etreintes brisées ».
« La Sirène du Mississippi » s’achève par un plan dans la neige immaculée qui laisse ce couple troublant partir vers son destin, un nouveau départ, et nous avec le souvenir ému de cet amour fou dont Truffaut est sans doute le meilleur cinéaste.
Dix ans plus tard, Catherine Deneuve interprétera de nouveau une Marion dans un film de Truffaut « Le dernier métro », et sera de nouveau la destinataire d’ une des plus célèbres et des plus belles répliques de Truffaut, et du cinéma, que Belmondo lui adresse déjà dans « La Sirène du Mississippi »:
« - Quand je te regarde, c'est une souffrance.
- Pourtant hier, tu disais que c'était une joie.
- C'est une joie et une souffrance.''
Sans doute une des meilleures définitions de l’amour, en tout cas de l’amour dans le cinéma de Truffaut… que nous continuerons à analyser prochainement avec « L’Histoire d’Adèle.H ». En attendant je vous laisse méditer sur cette citation et sur le chant ensorcelant et parfois déroutant de cette insaisissable « Sirène du Mississippi ».
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus en peu de temps sur Truffaut: