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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 45

  • 7ème FESTIVAL INTERNATIONAL DU CINEMA ET MUSIQUE DE FILM DE LA BAULE (22 au 27 juin 2021)

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    « Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. » « Entre l’art et la vie, je choisis la vie ».  Tel est l’un des pouvoirs magiques des festivals de cinéma : nous éviter d’être confrontés à ces choix cornéliens (ces citations sont extraites du film Un homme et une femme de Claude Lelouch) en permettant à l’art et la vie de s’entrelacer, au point qu’ils se confondent parfois, a fortiori au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule où la musique est omniprésente, et procure à chaque instant une aura romanesque.

    Des six premières éditions du festival, je n’en ai manqué aucune et plus que nulle part ailleurs mes souvenirs de vie et de cinéma s’y entremêlent. Comment oublier que j’y ai passé le 13 novembre 2015 ? Comment ne pas penser au concert de Michel Legrand qui avait eu lieu le lendemain, ce fameux 14 novembre 2015 donc, concert lors duquel Michel Legrand, alors comme toute l’assistance bouleversé par l’ignominie impensable qui avait eu lieu la veille, avait débuté son concert par un morceau improvisé et deux mesures de La Marseillaise ? Et puis la mise en abyme était à son apogée dans le cadre de ce festival puisque j’avais en effet immortalisé cette soirée du 14 novembre 2015 à La Baule dans l’une des nouvelles de mon recueil sur les festivals de cinéma Les illusions parallèles, publié en 2016, avec une nouvelle intitulée Un certain 14 novembre, un recueil que j’ai eu le plaisir de dédicacer le… 13 novembre de l’année suivante au festival, aux côtés de Lalo Schifrin, invité d’honneur cette année-là.

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    Une oasis de quiétude, de rêve et d'évasion. Voilà ce vers quoi nous invite à voyager l'affiche du 7ème Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule en référence aux films d'Aventure, thématique de cette édition, mais aussi à Philippe Sarde, invité d'honneur du festival, lequel a notamment signé les musiques de grands films d’aventures telles que celles de Fort Saganne, L’Ours, le Bossu ou La fille de d’Artagnan, mais aussi des musiques de films ou l’aventure est plus intime, comme celles des sublimes films de Claude Sautet (Les choses de la vie, César et Rosalie…) ou d'André Téchiné ( Hôtel des Amériques, Ma saison préférée …). L'hôtel Hermitage, lieu phare du festival apparaît ici comme une oasis au milieu du désert en lequel se transforme la plage de La Baule.

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    Pour rêver sous le ciel mystérieux, magique, et constellé d'étoiles de l’affiche qui fait allusion aux contes orientaux mais aussi au récit d’aventure de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, il faudra donc patienter un peu car  le festival qui devait avoir lieu du 10 au 15 novembre 2020 a été reporté au mois de Juin 2021, du 22 au 27.

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    En plus des concerts de ses invités d’honneur (au premier rang desquels celui, absolument inoubliable, de Vladimir Cosma), j’ai découvert tant de films remarquables grâce à ce festival parmi lesquels Paterson, À peine j’ouvre les yeux, Tanna, Le Prophète, Demain tout commence, Born to be blue, Jalouse, L’attente, Mr. Turner, Carole Matthieu, Tout nous sépare, Guy, La tortue rouge, Les hirondelles de Kaboul et, rien que pour l’année 2019, en compétition, sans doute les meilleurs films de l’année (Les Éblouis, J’ai perdu mon corps, La Belle époque, La dernière vie de Simon, La nuit venue, Lola vers la mer)…et tant d’autres et aussi de nombreux documentaires comme Abdel Rahman El Bacha - Un piano entre Orient et Occident, ou encore des courts-métrages.

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    « Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». Telle est la citation d’ouverture du film Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch que j’avais eu le plaisir de revoir au Festival de La Baule (comme tant d’autres classiques d’ailleurs, notamment West side story ou Le cercle rouge), une citation empruntée à Albert Cohen à laquelle chaque année ce festival qui nous unit dans un océan de musiques est un parfait démenti. Chaque année, je repars ainsi de ce festival avec une envie fiévreuse de m’enivrer de musiques. Et je ne doute pas que ce sera le cas après cette édition de Juin 2021 à laquelle je vous donne d’ores et déjà rendez-vous pour vous griser de musiques sur la plus longue plage d’Europe, baie aux mille visages, entre élégante quiétude et beauté incendiaire. 

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    La Baule était célèbre pour sa plage et les cinéastes qu’elle a inspirés comme Diane Kurys qui, en 1990, y tourna le populaire La Baule-les-pins. Elle l’est désormais aussi pour son festival de cinéma (créé il y a 7 ans par Sam Bobino et Christophe Barratier) auquel nous souhaitons une longue vie même si la route de cette 7ème édition a été jalonnée d’obstacles dont, sans aucun doute, ce bel évènement sortira encore grandi.

    CRITIQUE de LES CHOSES DE LA VIE DE CLAUDE SAUTET

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    L’hommage que le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2021 rendra à Philippe Sarde est pour moi l’excellent prétexte pour vous parler à nouveau de Claude Sautet pour qui Sarde a composé la musique du film Les Choses de la vie. Avec quelques digressions pour évoquer ma passion pour l'ensemble de la filmographie de Claude Sautet...en espérant vous donner envie de (re)voir ses films.

    Les choses de la vie est certainement le film de Sautet que j’ai le plus de mal à revoir tant il me bouleverse à chaque fois, sans doute parce qu’il met en scène ce que chacun redoute : la fatalité qui fauche une vie en plein vol. Le film est en effet placé d’emblée sous le sceau de la fatalité puisqu’il débute par un accident de voiture. Et une cacophonie et une confusion qui nous placent dans la tête de Pierre (Michel Piccoli). Cet accident est le prétexte à un remarquable montage qui permet une succession de flashbacks, comme autant de pièces d’un puzzle qui, reconstitué, compose le tableau de la personnalité de Pierre et de sa vie sentimentale.

    Au volant de sa voiture, Pierre (Michel Piccoli donc), architecte d’une quarantaine d’années, est victime d’un accident. Éjecté du véhicule, il gît inconscient sur l’herbe au bord de la route. Il se remémore son passé, sa vie avec Hélène (Romy Schneider), une jeune femme qu’il voulait quitter, sa femme Catherine (Lea Massari) et son fils (Gérard Lartigau)...

    Sur la tombe de Claude Sautet, au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance ». Voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma. Celui de la dissonance. De l’imprévu. De la note inattendue dans la quotidienneté. Et aussi parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition.

    Tous les films de Sautet se caractérisent d’ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants.  Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif. C’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ».

    Si son premier film, Classe tous risques, est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo ( Bonjour sourire, une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n’en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films et notamment  Les choses de la vie même si a priori Claude Sautet changeait radicalement de genre cinématographique avec cette adaptation d’un roman de Paul Guimard, écrite en collaboration avec Jean-Loup Dabadie.

     « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. » disait ainsi Truffaut. Et en effet, le principal atout des films de Sautet, c’est la virtuosité avec laquelle sont dépeints, filmés et interprétés ses personnages qui partent de stéréotypes pour nous faire découvrir des personnalités attachantes et tellement uniques, qui se révèlent finalement éloignées de tout cliché.

    On a souvent dit de Claude Sautet qu'il était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle.  S’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme  La Comédie Humaine peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.

    Ce sont avant tout de ses personnages dont on se souvient après avoir vu un film de Sautet. Ses films ensuite porteront d’ailleurs presque tous des prénoms pour titres. On se dit ainsi que  Les choses de la vie aurait ainsi pu s'intituler... Hélène et Pierre.

    Même dans Quelques jours avec moi, qui ne porte pas pour titre des prénoms de personnages (un film de Sautet méconnu que je vous recommande, où son regard se fait encore plus ironique et acéré, un film irrésistiblement drôle et non dénué de douce cruauté), c’est du personnage de Pierre (interprété par Daniel Auteuil) dont on se souvient. 

    De Nelly et M. Arnaud, on se souvient d'Arnaud (Michel Serrault), magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et de Nelly (Emmanuelle Béart), jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l’autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c’est l’implicite d’un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d’Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant référence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d’amour du cinéma : silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle et le suspense y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu’il a initié  avec Les choses de la vie : le thriller des sentiments.

    Dans Un cœur en hiver, là aussi, le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard, à chaque note, à chaque geste d’une précision rare, ceux de Stephan (Daniel Auteuil). Je n’ai d'ailleurs encore jamais trouvé au cinéma de personnages aussi « travaillés » que Stéphane, ambigu, complexe qui me semble avoir une existence propre, presque vivre en dehors de l’écran. Là encore comme s'il s'agissait un thriller énigmatique, à chaque visionnage, je l’interprète différemment, un peu aussi comme une sublime musique ou œuvre d’art qui à chaque fois me ferait ressentir des émotions différentes. Stéphane est-il vraiment indifférent ? Joue-t-il un jeu ? Ne vit-il qu’à travers la musique ? « La musique c’est du rêve » dit-il.

    Et puis, évidemment,  il y a l’inoubliable César. Un des plus beaux rôles d’Yves Montand. Derrière l’exubérance et la truculence de César, on ressent constamment la mélancolie sous-jacente. Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour la Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement.

    César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres. Les films de Sautet sont donc avant tout des films de personnages. Des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

    Les choses de la vie, c’est le film par lequel débute  la collaboration de Claude Sautet avec le compositeur Philippe Sarde. Le thème nostalgique et mélancolique intitulé La chanson d’Hélène a aussi contribué à son succès. Sarde avait d’ailleurs fait venir Romy Schneider et Michel Piccoli en studio pour qu’ils posent leur voix sur la mélodie. Cette version, poignante, ne sera finalement pas utilisée dans le film.

    Et puis il y a les dialogues, remarquables, qui pourraient aussi être qualifiés de musiques, prononcés par les voix si mélodieuses et particulières de Romy Schneider et Michel Piccoli :  « Quel est le mot pour mentir enfin pas mentir mais raconter des histoires, mentir mais quand on invente affabuler ». « Je suis fatiguée de t'aimer. » « Brûler la lettre pour ne pas vivre seul. » Parfois ils sont cinglants aussi… : la fameuse dissonance ! Comme « Nous n'avons pas d'histoire et pour toi c'est comme les gens qui n'ont pas d'enfants c'est un échec». On songe à la magnifique lettre de Rosalie dans César et Rosalie, aux mots prononcés par la voix captivante de Romy Schneider qui pourraient être ceux d’un poème ou d’une chanson : « Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. David, César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David qui m'emmène sans m'emporter, qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir... ».

    Il y eut un avant et un après Les choses de la vie pour Claude Sautet mais aussi pour Romy Schneider et Michel Piccoli. La première est aussi éblouissante qu’émouvante en femme éperdument amoureuse, après La Piscine de Jacques Deray, film dans lequel elle incarnait une femme sublime, séductrice dévouée, forte, provocante. Et Michel Piccoli incarne à la fois la force, l’élégance et la fragilité et puis il y a cette voix ensorceleuse et inimitable qui semble nous murmurer son histoire à notre oreille.

    Comme dans chacun des films de Sautet, les regards ont aussi une importance cruciale. On se souvient de ces regards échangés à la fin de César et Rosalie. Et du regard tranchant de Stéphane (Daniel Auteuil) dans Un cœur en hiver…Et de ce dernier plan qui est encore affaire de regards.

    Le personnage de Stéphane ne cessera jamais de m’intriguer, comme il intrigue Camille (Emmanuelle Béart), exprimant tant d’ambiguïté dans son regard brillant ou éteint. Hors de la vie, hors du temps. Je vous le garantis, vous ne pourrez pas oublier ce crescendo émotionnel jusqu’à ce plan fixe final polysémique qui vous laisse ko et qui n’est pas sans rappeler celui de Romy Schneider à la fin de « Max et les ferrailleurs » ou de Michel Serrault (regard absent à l’aéroport) dans « Nelly et Monsieur Arnaud » ou de Montand/Frey/Schneider dans « César et Rosalie ». Le cinéma de Claude Sautet est finalement affaire de regards, qu’il avait d’une acuité incroyable, saisissante sur la complexité des êtres. Encore une digression pour vous recommander "Un coeur en hiver", mon film de Sautet préféré, une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images (ma critique complète sur Inthemoodforcinema.com).

    Dans Les choses de la vie, on se souviendra longtemps du regard d’Hélène qui, de l’autre côté de la porte de son immeuble et à travers la vitre et la pluie, regarde, pour la dernière fois, Pierre dans la voiture, allumer sa cigarette sans la regarder, et partir vers son fatal destin. Et quand il relève la tête pour regarder elle n'est plus là et il semble le regretter. Et quand elle revient, il n’est plus là non plus. Un rendez-vous manqué d’une beauté déchirante….

    Les regards sont aussi capitaux dans la séquence sublime du restaurant dans laquelle ils passent du rendez-vous d’amour à la dispute, une scène qu’ils ne paraissent pas jouer mais vivre sous nos yeux, dans un de ces fameux cafés ou brasseries qu’on retrouvera ensuite dans tous les films de Claude Sautet, dans les scènes de groupe dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique. On retrouvera aussi la solitude dans et malgré le groupe. « A chaque film, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. »  dira ainsi Claude Sautet. On retrouvera souvent les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu Le jour se lève …17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes.

    Annie Girardot et Yves Montand puis Lino Ventura déclinèrent les rôles d'Hélène et de Pierre dans Les choses de la vie. Romy Schneider et Michel Piccoli seront ainsi à jamais Hélène et Pierre. Inoubliables. Comme le rouge d’une fleur. Peut-être la dernière chose que verra Pierre qui lui rappelle le rouge de la robe d’Hélène. Comme cet homme seul sous la pluie, mortellement blessé, gisant dans l'indifférence, tandis que celle qu’il aime, folle d’amour et d’enthousiasme, lui achète des chemises. Et que lui rêve d’un banquet funèbre. Et qu’il murmure ces mots avec son dernier souffle de vie qui, là encore, résonnent comme les paroles d’une chanson :  «J'entends les gens dans le jardin. J'entends même le vent. » Et ces vêtements ensanglantés ramassés un à un par une infirmière, anonymes, inertes.

    Je termine toujours ou presque la vision d’un film de Sautet bouleversée, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. En nous racontant des « histoires simples », il a dessiné des personnages complexes qui nous parlent si bien de « choses de la vie ». Claude Sautet, en 14 films, a su imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d’une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble, et celui-ci est sans doute le plus tragique et poignant.

    Il y a les cinéastes qui vous font aimer le cinéma, ceux qui vous donnent envie de faire du cinéma, ceux qui vous font appréhender la vie différemment, voire l’aimer davantage encore. Claude Sautet, pour moi, réunit toutes ces qualités.

    Certains films sont ainsi comme des rencontres, qui vous portent, vous enrichissent, vous influencent ou vous transforment même parfois. Les films de Claude Sautet font partie de cette rare catégorie et de celle, tout aussi parcimonieuse, des films dont le plaisir à les revoir, même pour la dixième fois, est toujours accru par rapport à la première projection. J’ai beau connaître les répliques par cœur, à chaque fois César et Rosalie m’emportent dans leur tourbillon de vie joyeusement désordonné, exalté et exaltant. J’ai beau connaître par cœur Les choses de la vie  et le destin tragique de Pierre me bouleverse toujours autant et ce « brûle la lettre » ne cesse de résonner encore et encore comme une ultime dissonance.

    Les choses de la vie obtint le Prix Louis-Delluc 1970 et connut aussi un grand succès public.

  • Critique de ON CONNAÎT LA CHANSON d'Alain Resnais ce 20 février 2020 sur France 2

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    Demain soir, sur France 2, ne manquez pas le chef-d'œuvre qu'est "Le goût des autres" suivi de "On connaît la chanson".  Pour le plaisir de revoir l'immense acteur qu'était Jean-Pierre Bacri mais aussi de savourer les remarquables dialogues et scénarii dont il était le coauteur. 

    Toute la malice du cinéaste apparaît déjà dans le titre de ce film de 1997, dans son double sens, propre et figuré, puisqu’il fait à la fois référence aux chansons en playback interprétées dans le film mais parce qu’il sous-entend à quel point les apparences peuvent être trompeuses et donc que nous ne connaissons jamais vraiment la chanson…

    Suite à un malentendu, Camille (Agnès Jaoui), guide touristique et auteure d’une thèse sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru » s’éprend de l’agent immobilier Marc Duveyrier (Lambert Wilson). Ce dernier est aussi le patron de Simon (André Dussolier), secrètement épris de Camille et qui tente de vendre un appartement à Odile (Sabine Azéma), la sœur de Camille. L’enthousiaste Odile est décidée à acheter cet appartement malgré la désapprobation muette de Claude, son mari velléitaire (Pierre Arditi). Celui-ci supporte mal la réapparition après de longues années d’absence de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), vieux complice d’Odile qui devient le confident de Simon et qui est surtout très hypocondriaque.

    Ce film est pourtant bien plus que son idée de mise en scène, certes particulièrement ludique et enthousiasmante, à laquelle on tend trop souvent à le réduire. A l’image de ses personnages, le film d’Alain Resnais n’est pas ce qu’il semble être. Derrière une apparente légèreté qui emprunte au Boulevard et à la comédie musicale ou du moins à la comédie (en) "chantée", il débusque les fêlures que chacun dissimule derrière de l’assurance, une joie de vivre exagérée, de l’arrogance ou une timidité.

    C’est un film en forme de trompe-l’œil qui commence dès la première scène : une ouverture sur une croix gammée, dans le bureau de Von Choltitz au téléphone avec Hitler qui lui ordonne de détruire Paris. Mais Paris ne disparaîtra pas et sera bien heureusement le terrain des chassés croisés des personnages de « On connaît la chanson », et cette épisode était juste une manière de planter le décor, de nous faire regarder justement au-delà du décor, et de présenter le principe de ces extraits chantés. La mise en scène ne cessera d’ailleurs de jouer ainsi avec les apparences, comme lorsqu’Odile parle avec Nicolas, lors d’un dîner chez elle, et que son mari Claude est absent du cadre, tout comme il semble d’ailleurs constamment « absent », ailleurs.

    Resnais joue habilement avec la mise en scène mais aussi avec les genres cinématographiques, faisant parfois une incursion dans la comédie romantique, comme lors de la rencontre entre Camille et Marc. L’appartement où ils se retrouvent est aussi glacial que la lumière est chaleureuse pour devenir presque irréelle mais là encore c’est une manière de jouer avec les apparences puisque Marc lui-même est d’une certaine manière irréel, fabriqué, jouant un personnage qu’il n’est pas.

    Le scénario est signé Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et témoigne déjà de leur goût des autres et de leur regard à la fois acéré et tendre sur nos vanités, nos faiblesses, nos fêlures. Les dialogues sont ainsi des bijoux de précision et d’observation mais finalement même s’ils mettent l’accent sur les faiblesses de chacun, les personnages ne sont jamais regardés avec condescendance mais plutôt lucidité et indulgence. Une phrase parfois suffit à caractériser un personnage comme cette femme qui, en se présentant dit, « J’suis une collègue d’Odile. Mais un petit cran au-dessus. Mais ça ne nous empêche pas de bien nous entendre ! ». Tout est dit ! La volonté de se montrer sous son meilleur jour, conciliante, ouverte, indifférente aux hiérarchies et apparences…tout en démontrant le contraire. Ou comme lorsque Marc répète à deux reprises à d’autres sa réplique adressée à Simon dont il est visiblement très fier « Vous savez Simon, vous n’êtes pas seulement un auteur dramatique, mais vous êtes aussi un employé dramatique ! » marquant à la fois ainsi une certaine condescendance et en même temps une certaine forme de manque de confiance, et amoindrissant le caractère a priori antipathique de son personnage.

    Les personnages de « On connaît la chanson » sont avant tout seuls, enfermés dans leurs images, leurs solitudes, leur inaptitude à communiquer, et les chansons leur permettent souvent de révéler leurs vérités masquées, leurs vrais personnalités ou désirs, tout en ayant souvent un effet tendrement comique. De « J’aime les filles » avec Lambert Wilson au « Vertige de l’amour » avec André Dussolier (irrésistible ) en passant par le « Résiste » de Sabine Azéma. C’est aussi un moyen de comique de répétition dont est jalonné ce film : blague répétée par Lambert Wilson sur Simon, blague de la publicité pour la chicorée lorsque Nicolas montre la photo de sa famille et réitération de certains passages chantés comme « Avoir un bon copain ».

    Chacun laissera tomber son masque, de fierté ou de gaieté feinte, dans le dernier acte où tous seront réunis, dans le cadre d’une fête qui, une fois les apparences dévoilées (même les choses comme l’appartement n’y échappent pas, même celui-ci se révèlera ne pas être ce qu’il semblait), ne laissera plus qu’un sol jonché de bouteilles et d’assiettes vides, débarrassé du souci des apparences, et du rangement (de tout et chacun dans une case) mais la scène se terminera une nouvelle fois par une nouvelle pirouette, toute l’élégance de Resnais étant là, dans cette dernière phrase qui nous laisse avec un sourire, et l’envie de saisir l’existence avec légèreté.

    Rien n’est laissé au hasard, de l’interprétation (comme toujours chez Resnais remarquable direction d’acteurs et interprètes judicieusement choisis, de Dussolier en amoureux timide à Sabine Azéma en incorrigible optimiste en passant par Lambert Wilson, vaniteux et finalement pathétique et presque attendrissant) aux costumes comme les tenues rouges et flamboyantes de Sabine Azéma ou d’une tonalité plus neutre, voire fade, d’Agnès Jaoui.

    « On connaît la chanson » a obtenu 7 César dont celui du meilleur film et du meilleur scénario original. C’est pour moi un des films les plus brillants et profonds qui soient malgré sa légèreté apparente, un mélange subtile –à l’image de la vie – de mélancolie et de légèreté, d’enchantement et de désenchantement, un film à la frontière des émotions et des genres qui témoigne de la grande élégance de son réalisateur, du regard tendre et incisif de ses auteurs et qui nous laisse avec un air à la fois joyeux et nostalgique dans la tête. Un film qui semble entrer dans les cadres et qui justement nous démontre que la vie est plus nuancée et que chacun est forcément plus complexe que la case à laquelle on souhaite le réduire, moins lisse et jovial que l’image « enchantée » qu’il veut se donner. Un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération…même si nous connaissons déjà la chanson !

     

  • Critique - LES FEUX DE LA RAMPE de Chaplin

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    Le (remarquable) documentaire consacré à Chaplin (qui fait partie de la sélection Cannes Classics 2020), diffusé sur France 3 cette semaine me donne l'occasion de vous parler d'un de ses nombreux chefs-d'œuvre « Les feux de la rampe » qui est aussi son dernier film américain sorti en 1953 (accusé de communisme en pleine période maccarthyste, Chaplin va en effet ensuite fuir les Etats-Unis), écrit en 3 ans et tourné en 45 jours.
    Il y interprète un vieil artiste de music hall déchu (Calvero) qui, un soir de l'été 1914, en rentrant ivre chez lui, sauve du suicide sa voisine, la jeune danseuse de ballet Thérèse Ambrouse, dite Terry (Claire Bloom). Il l'héberge chez lui, la soigne et surtout lui insuffle le goût de vivre et la force de danser... Tandis que sa carrière à lui décline, la jeune femme s'avance vers le triomphe et vers les feux de la rampe...
    Même s'il réalisa encore deux films par la suite (« Un roi à New York » et « La comtesse de Hong Kong »), « Les feux de la rampe » aurait pu être le dernier film de Chaplin tant il résonne comme son testament artistique.
    Le premier plan, un long travelling qui ressemble déjà à une danse nostalgique nous conduit jusqu'à la jeune femme, étendue inconsciente sur son lit, nous captivant d'emblée par sa fluidité et semble ainsi nous annoncer que la caméra va s'insinuer au plus profond des âmes. Les âmes des artistes surtout, mélancoliques, nostalgiques, aussi aptes à transmettre le bonheur qu'à se morfondre dans le malheur. L'âme de Calvero en particulier, un clown triste qui dissimule sa mélancolie avec beaucoup d'élégance mais qui, aussi, se démaquille sous nos yeux et montre son visage à nu à l'image de Chaplin dans ce film, le plus autobiographique de sa carrière. Le plus sombre aussi, celui où il nous fait davantage rire que pleurer, où ses tourments l'emportent sur le désir de faire rire et où le vagabond Charlot n'est
    plus qu'un spectre lointain qu'évoque vaguement ce clown qui doit changer de nom pour pouvoir encore jouer en public, qui refait sans cesse le cauchemar de salles vides, et à qui une rencontre redonne un instant l'éclat de sa jeunesse mais qui symbolise aussi "l'éclat des feux de la rampe que doit quitter la vieillesse quand la jeunesse entre en scène », et le passage de la lumière à l'ombre. Un hommage aussi à tous les arts et artistes qui, lorsque les feux de la rampe, brusquement et impitoyablement ne les éclairent plus, s'éteignent dans l'ombre carnassière.
    La caméra de Chaplin et les feux de la rampe caressent la danse éblouissante et aérienne de la jeune danseuse tandis que Calvero la regarde d'en haut, des coulisses, démiurge mort déjà. Celui sur qui les lumières de la scène s'éteignent, tandis qu'il reste abandonné et esseulé sur un banc, dans l'ombre, avec seulement son visage éclairé, à nu, sans les fards du clown devenu triste. Magnifique scène tellement évocatrice.
    Tandis que Terry s'épanouit et triomphe dans la lumière (Claire Bloom sublime en Colombine, doublée dans les scènes de danse par Melissa Hayden, vedette du New York city ballet), Calvero s'éteint peu à peu dans l'ombre pour simplement renaître le temps d'une représentation, ultime adieu à la scène, puisant dans ses dernières forces pour revivre un instant et pour faire revivre le cinéma muet le temps d'une scène d'anthologie avec Buster Keaton. L'art au péril de la vie puisqu'il en mourra, en coulisses, là où Chaplin laissera Charlot comme si c'était son dernier acte. L'art aussi plus fort que la vie et la mort puisque tandis qu'il agonise Terry danse sous les feux de la rampe. L'artiste est mort. Vive l'artiste !
    Avec ce film-testament artistique d'une tendre tristesse et lucidité, Chaplin nous livre l'âme et le visage à nu d'un artiste qui, tout en faisant ses adieux à son double Charlot, est au sommet de son art. Un hymne à l'art qui porte ou détruit, élève ou ravage lorsque le public, versatile, devient amnésique ou lorsque le talent se tarit. Un film d'une bouleversante beauté et nostalgie auquel la sublime musique (composée par Chaplin lui-même et qui reçut l'Oscar de la meilleure musique 20 ans plus tard) procure un charme poignant et envoûtant, et l'immortalité à un artiste à jamais sous les feux de la rampe de l'Histoire du cinéma. « La recherche du temps perdu de Charlie Chaplin » selon Bertolucci. Un temps sublimé par ces feux de la rampe qui, à jamais, éblouiront les cinéphiles et les cinéastes dont Chaplin a porté l'art au firmament.
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  • Lauréate du Prix de la nouvelle Alain Spiess 2020 avec ma nouvelle "Les âmes romanesques"

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    Petit ajout à mon article du mois dernier publié ci-dessous :

    Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site officiel du Prix Alain Spiess.

    Vous pouvez  lire la nouvelle en numérique, ici, dans le recueil contenant les nouvelles des 4 lauréats.   

    Le recueil est désormais disponible dans sa version papier notamment à l'Office de Tourisme de Trouville et à la Librairie du Marché de Deauville. Ou encore ici.

     

    Quelle joie d'apprendre que je suis lauréate du Prix de la nouvelle Alain Spiess ! Merci à son prestigieux jury !

    Ma nouvelle (inédite, écrite pour le concours) intitulée "Les âmes romanesques" sera publiée dans un recueil avec les nouvelles des deux autres lauréats.

    Cette nouvelle sera également lue par un comédien lors de la remise des prix, le 21 novembre, à midi, à la bibliothèque de Trouville.

    La conférence de presse parisienne aura lieu le 23 octobre.

    Le jury était composé de :

    - Tahar Ben Jelloun de l’Académie Goncourt, romancier et peintre

    - Françoise Spiess, écrivaine et fondatrice du prix

    - Anita Weber, inspectrice générale honoraire de la Culture

    - Véronique Jacob, éditrice

    - Lola Gruber, écrivaine et lauréate du Prix Alain Spiess 2019

    - Geneviève Damas, écrivaine, comédienne et metteure en scène

    - François Emmanuel de l’Académie royale de Belgique.

    - Frank Lanot, écrivain.

    - Vincent Blin professeur de Lettres

    - Michel Lederer, traducteur.

    - Jean-Luc Vincent, comédien.

    - Emmanuelle Lambert, écrivaine et commissaire d'exposition indépendante, prix Médicis 2019

    Le thème du concours lancé en mai dernier était "Trouville et le confinement."

    Le prix Alain Spiess récompense aussi un deuxième roman et donne lieu à deux jours à Trouville autour de la littérature en présence des finalistes et lauréats. Je suis invitée à participer à ces deux jours. Je vous donnerai prochainement le programme détaillé. Au plaisir de vous y voir !

     

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  • Ma nouvelle "La complainte des regrets" en finale du Grand Prix du Court Automne 2020 de Short Edition

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    Encore des (bonnes) nouvelles de mes nouvelles puisque ma nouvelle "La complainte des regrets" vient d'être sélectionnée par l'équipe éditoriale de Short Édition pour figurer en finale du Grand Prix du Court automne 2020. Une nouvelle à lire ici. (sur près de 2300 nouvelles au départ parmi lesquelles 463 avaient été qualifiées lors d'une première étape, 30 nouvelles restent ainsi en lice ).

    Deuxième finale de Short Édition pour moi cette année puisque j'y avais déjà figuré en début d'année avec ma nouvelle "L'homme au gant" qui avait d'ailleurs ensuite remporté le Prix du jury du Grand Prix du Court de Short Édition printemps 2020. Une nouvelle que vous pouvez toujours lire, là.

    J'en profite pour vous remercier pour vos chaleureux retours sur ma nouvelle lauréate du Prix Alain Spiess "Les âmes romanesques". Vous pouvez continuer à me donner vos avis et désormais la lire aussi sur le site du Prix Alain Spiess   mais aussi toujours directement sur Calameo. Le recueil papier sera aussi très prochainement disponible. Vous verrez d'ailleurs que "La complainte des regrets" et "Les âmes romanesques" présentent deux points communs...

    Merci aussi pour vos retours sur ma tentative de réponse à cette question suite à l'appel à textes du site Lettres Capitales sur le sujet "Écrire ? Être écrivaine ?", un texte que vous pouvez également toujours lire, ici.

    Vous pouvez également retrouver la version lue par la douce voix de l'auteure et dramaturge Sarah Oling, lecture publiée sur la page Facebook de Lettres Capitales. Je la remercie ainsi que le fondateur du site Dan Burcea pour cette surprise.

    Et puisque de nouvelles il est question, pour vous remercier d'être désormais plus de 2000 à me suivre sur Instagram, vous pouvez y gagner un exemplaire de mon recueil de 16 nouvelles au cœur des festivals de cinéma, "Les illusions parallèles" (publié en 2016 par Les éditions du 38). Pour cela, rendez-vous sur mon compte instagram. 

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  • ÉTÉ 85 de François Ozon (désormais disponible en VOD, Blu-ray, DVD) : ma chronique

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    Les premières minutes des films d’Ozon, brillants exercices d’exposition mais aussi de manipulation, sont des éléments incontournables de ses scénarii ciselés, délicieusement retors et labyrinthiques, et sont toujours annonciatrices des thématiques que chacun de ses films explore : deuil, mensonge, désir, enfoui et/ou inavoué et/ou dévorant.  Avec toujours ce sens précis de la mise en scène (maligne, complice ou traitre), riche de mises en abyme. Dès les premières secondes, il happe l’attention et pose les fondations d’un univers dont la suite consistera bien souvent à le déconstruire. « Été 85 » ne déroge pas à la règle. C’est le cliquetis d’une cellule qu'on ouvre qui précède la vision de deux silhouettes dans la pénombre, fantomatiques. Et puis, ces mots tranchants et saisissants : « Je dois être dingue. Quand on a choisi la mort comme passe-temps, c'est qu'on est dingue. […]Ce qui m'intéresse c'est la mort. Un cadavre m'a fait un effet pas possible. Si vous n'avez pas envie de savoir comment il est devenu un cadavre alors vous n'avez qu'à laisser tomber ce n'est pas une histoire pour vous. » Ensuite, la rupture de style avec ces images éblouissantes de la plage du Tréport, sur fond de la musique de "In Between days" de The Cure. Toujours aussi cette dichotomie (ici entre ombre et lumière, désirs -de vie, amoureux- et mort qui plane), présente dès le début, qui laisse présager un drame, inéluctable. L’illusion aussi : du bonheur, et celle que crée le cinéma. Un début qui rappelle celui de « Frantz » : les cloches d’une église qui retentissent et une silhouette fantomatique qui apparaît, furtivement, un homme de dos, courant dans la rue.  Les premiers plans d’« Une nouvelle amie » jouaient aussi avec notre perception de la réalité, et là aussi, se référaient à la mort, donnant l’impression qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage qui est en fait son enterrement. Là aussi, un premier plan dans lequel tout était dit : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, la double identité.

    L’été 85, c’est celui des 16 ans d’Alexis (Félix Lefebvre) qui, lors d’une sortie en mer, est sauvé héroïquement du naufrage (et donc de la mort, déjà) par David (Benjamin Voisin), 18 ans. Alexis vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu'un été ?  C’est aussi l’été 85, celui de ses 17 ans, que François Ozon a lu le roman d’Aidan Chambers, « La Danse du coucou » dont « Été 85 » est adapté. « Été 85 » faisait aussi partie de la Sélection officielle du Festival de Cannes 2020.

    Alexis ne cesse de parler de la mort sans doute pour en exorciser la hantise : « Les baignoires m'ont toujours fait penser à des cercueils ». Quant à David, il a perdu son père et il feint de ne rien en éprouver (« T'inquiète, c'est passé. ») et il dégaine son peigne comme un cowboy dégainerait un couteau : Ozon met ainsi en scène une inquiétante normalité qui, d’un instant à l’autre, semble pouvoir dériver vers le drame, toujours latent.

    En 2001, « Sous le sable », était le premier film de François Ozon sur le deuil et le refus de son acceptation. Le personnage incarné par Charlotte Rampling refusait ainsi d’accepter la mort de son mari tout comme Adrien et Anna, dans « Frantz » sont éprouvés par la mort de ce dernier qu’ils tentent de faire revivre à leur manière.  Dans « Une nouvelle amie », lorsque Claire et David révèlent leurs vraies personnalités en assumant leur féminité, travestissant la réalité, maquillant leurs désirs et leurs identités, c’est aussi pour faire face au choc dévastateur du deuil. Dans « Le temps qui reste », film sur les instantanés immortels d’un mortel qui en avait plus que jamais conscience face à l’imminence de l’inéluctable dénouement, là aussi, déjà, la mort rôdait constamment.

    Dans le cinéma de François Ozon, les êtres ne sont jamais réellement ce qu’ils paraissent. Ils dissimulent une blessure, un secret, leur identité, un amour, une culpabilité.  Ses films sont ainsi souvent à l’image de ceux dont ils relatent l’histoire : en trompe-l’œil, multiples et audacieux, derrière une linéarité et un classicisme apparents.  Manipulateur hors-pair, Ozon fait ainsi l’éloge de l’illusion et ainsi de son propre art comme dans « Dans la maison » dans lequel il s’amusait avec les mots faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux. Dans « Frantz », hymne à la vie comme peut l’être « Été 85 » Rilke était le poète préféré d’Anna, lui qui dans « Lettres à un jeune poète » mieux que quiconque a su définir l’art et l’amour, et les liens qui les unissent. Dans « Été 85 » aussi, l’écriture à nouveau permet à la vérité d’éclater et à l’amour de revivre, en tout cas une vérité, celle vue à travers le regard et les mots d’Alexis. Dans « Dans la maison », Ozon rendait déjà hommage au prodigieux pouvoir des mots (dans « Swimming pool » aussi), à leur troublante beauté, nous donnant des pistes pour mieux nous en écarter, bref, nous manipulant tout comme l’élève y manipule son professeur par un savant jeu de mise en abyme (un personnage de professeur d’ailleurs également présent dans « Été 85 » sous les traits de Melvil Poupaud.) Jeu de doubles, de miroirs et de reflets dans la réalisation comme dans les identités sont aussi souvent à l’œuvre dans le cinéma d’Ozon. Une fois de plus, Ozon fait ici l’éloge de l’art, de l’imaginaire, son pouvoir destructeur et salvateur. Ainsi, pour Alexis, la seule façon de retrouver David, c'est de lui redonner vie à travers les mots. Par la force de l’imaginaire. « Depuis que j'ai commencé à écrire c'est comme si j'étais devenu moi-même un personnage. » dit-il ainsi. L’imaginaire qui traduit ou trahit la réalité : « Ce n'est pas David que tu aimes mais l'idée que tu te fais de lui. », « Tu crois qu'on invente les gens qu'on aime ? ».

    Plusieurs scènes sont des bijoux d’émotion et/ou de tension avec toujours, un sens aigu du suspense : la scène du naufrage mais aussi deux scènes qui se répondent. Deux danses fiévreuses sur « Sailing » de Rod Stewart, foudroyantes de beauté qui glorifient la vie, la fureur de vivre même, celle de David épris de rage de vivre qui roule de plus en plus vite pour essayer de rattraper la vitesse (« Pourquoi perdre du temps, on est tous mortels ») mais aussi de l’amour, celui dont Alexis n’est « jamais rassasié. »

    Ce après quoi David court, Ozon nous le donne avec ce film envoûtant : une « bulle de temps intemporelle ». Une fois de plus, son film est construit comme une démonstration parfaite et implacable. En plus de ces deux scènes précédemment évoquées dans lesquelles vie et mort s’en(tre)lacent, le début et la fin se répondent comme dans presque tous ses films. Le plan de la fin (lumineux, ouvrant sur l’avenir, l’ailleurs, l’espoir, en extérieur, avec un personnage de dos) étant le parfait contraire de celui du début (obscur, annonciateur d’un avenir désespéré, dénué d’espoir, dans un lieu clos, avec un personnage de face). Une fin qui rappelle celle que Germain (Fabrice Luchini) définit comme idéale dans le cours d’écriture qu’il donne à son élève dans « Dans la maison » : « Quand le spectateur se dit : Je ne m’attendais pas à ça et ça ne pouvait pas finir autrement ».

    Ozon, une fois de plus, joue et jongle brillamment avec les genres cinématographiques,  les références (notamment  à la trouble incandescence de « Plein soleil », certains plans sur le bateau évoquant le film de René Clément), les perceptions, les illusions (du spectateur, des personnages) pour nous raconter une histoire d’amour universelle portée par deux acteurs à fleur de peau sidérants de justesse, Benjamin Voisin (déjà remarquable dans l’incroyablement inventif film de Léo Karmann, « La Dernière vie de Simon ») et Félix Lefebvre (sans oublier les excellents seconds rôles au premier rang desquels Valeria Bruni Tedeschi en mère loufoque), mais aussi grâce à une reconstitution à la fois réaliste et fantasmagorique d’une époque (aussi grâce au grain si particulier du Super 16), une bande-originale romantique et nostalgique. Un film fougueux, électrique, malicieusement dichotomique, sombre et lumineux, cruel et doux, tragique et ironique, qui enfièvre la réalité, enragé de fureur de vivre, d’aimer pour raconter la mort, ou la défier peut-être... Et une fois de plus, une passionnante réflexion sur le pouvoir des illusions, artistiques ou amoureuses, qui, au dénouement de ce film intense, portent et emportent vers un avenir radieux empreint de la beauté mélancolique d’un vers de Verlaine. Ou d’une danse funèbre, terriblement sublime, à jamais gravée dans nos mémoires de spectateurs.

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  • LA NUIT VENUE de Frédéric Farrucci

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    « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle…peut-être… » peut-on lire au début du film de Melville, « Le Samouraï ». Jin (Guang Huo), personnage principal de « La nuit venue » de Frédéric Farrucci rappelle ainsi le Jef Costello incarné par Alain Delon. Même solitude. Même impassibilité. Même mutisme. Même élégance mystérieuse. Même allure ténébreuse. Et même atmosphère de film noir, de fatalité inéluctable. Dès le début du film, des immeubles monotones et déshumanisés évoquent la solitude citadine. La comparaison avec le film de Melville s’arrête là car non seulement Jin n'a même pas le bouvreuil de Costello pour lui tenir compagnie mais formellement, une fois la nuit venue justement, le film de Frédéric Farrucci emprunte plus aux couleurs chatoyantes du cinéma de Wong kar-wai qu’à la beauté rigoureuse et froide des films de Melville. Et puis, surtout, Jin, dont le film épouse le point de vue, n’est pas tueur à gages mais immigré chinois clandestin à Paris, ex-DJ devenu chauffeur de VTC de nuit pour rembourser sa dette envers des passeurs. Il rêve du moment, proche, où il pourra refaire de la musique.
     
    Dans sa berline noire, les passagers se succèdent, ombres dans la nuit, dans SA nuit. Souvent, le spectateur les entend avant de les voir. Ils n’ont pas un mot, pas un regard pour Jin. Ils partagent, l’espace d’un trajet, le même habitacle mais appartiennent à deux univers cloisonnés, déambulent dans un Paris semblable sur lequel ils portent un regard dissemblable. Lui, Jin, voit un monde à portée de regards sur lequel ses passagers ne portent pas les leurs : les chambres de marchands de sommeil, les campements de migrants le long du périphérique, les vendeurs de Tour Eiffel, les bangladeshis qui récupèrent des chargements de fleurs, les clandestins qui sous les ponts ou ailleurs tentent de survivre. Une de ces nuits, Jin prend une passagère, Naomi. Elle vit de son corps, la nuit venue, finalement pas plus libre que lui de ses mouvements. Elle aussi a sans doute l’impression d’être enfermée, que sa vie ne lui appartient pas. Elle aussi rêve d’un ailleurs. Mais, elle, d’emblée, avec une vive insolence, le regarde, l’interpelle, le questionne, le tutoie. Le voit. Dehors, de l’autre côté des vitres de la berline, dans un autre monde, des sapins scintillent, lueurs inaccessibles pour ces deux-là qui n'ont personne avec qui fêter noël. La musique qu’il écoute l’intrigue, la captive. Elle les rassemble, unit leurs deux solitudes, dans ce lieu protecteur sinuant dans un Paris à la fois menaçant et scintillant et en même temps en dehors, abrités. Une musique paradoxalement métallique et réconfortante comme autant d’éclats sonores dans la nuit et qui semble être le miroir des éclats de lumières des néons. Il lui propose de faire un tour de périphérique comme il lui proposerait un tour de manège. Et, soudain, cet univers glacial s’habille de poésie mélancolique et sensuelle. Le morceau que Jin compose s’intitule « La nuit venue Naomi est dans mon rétroviseur ». Comme le vers d’un poème, ce qu’est ce lumineux film noir : un poème élégant, sensuel, langoureux, qui n’en a pas moins une forte résonance sociale.
     
    J’aurais aussi pu commencer avec la même citation que celle avec laquelle j’ai débuté pour évoquer « In the mood for love » dans mon article à ce sujet, une citation d’Oscar Wilde (oui, encore) : « J’aime le secret. C’est, je crois, la seule chose qui puisse rendre la vie mystérieuse ou merveilleuse. » On retrouve en effet ici la même atmosphère ensorcelante avec ses lueurs rougeoyantes, presque irréelles, et les échanges entre Naomie et Jin dans l’habitacle rappellent ainsi les pas dansants et indolents lors des déambulations quasi-fantasmagoriques de Su et Chow. Là aussi la musique cristallise les sentiments. À tout film noir, ses rues sombres, ses destinées tragiques, mais aussi sa femme fatale ici incarnée par Camélia Jordana, à nouveau d’une justesse remarquable, face à laquelle Guang Huo, pourtant non-professionnel, interprète admirablement et aussi bien l'homme drapé dans sa froide carapace, l'amoureux ébloui que le fils désemparé qui pleure au milieu des bruits stridents, dans l’indifférence de la nuit. Il vient d’ailleurs d’être à juste titre nommé dans la première liste des Révélations aux César 2021.
     
    Les films auxquels nous fait songer cette « nuit venue » ne manquent pas : « Taxi Driver », « Drive », « Collatéral », « Le Samouraï », "In the mood for love" mais ce premier long métrage de fiction de Frédéric Farrucci, notamment grâce au scénario coécrit avec Nicolas Journet et Benjamin Charbit, avec son identité singulière, son propre rythme poétique qui vous emporte dans sa danse tragique ne ressemble finalement à aucun autre.
     
    « La nuit venue » a obtenu les prix de la mise en scène et de la meilleure musique originale (signée Rone) au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz 2019, c’était déjà une bonne raison de le découvrir. Je vous y engage fortement.
     
    Peut-être peut-on trouver un dernier point commun avec "Le Samouraï", des plans de début et de fin qui se répondent. Ici ce sont deux visages en miroir. Là, en revanche, l’espoir est, malgré tout, permis, celui que porte la musique qui électrise et immortalise les émotions dont ce film foisonne à l'image de celle qui, parfois, nous étreint une fois la nuit venue : d'une mélancolie troublante.