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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 45

  • Festival Quartier du Livre 2020 : mes recommandations de livres et d'adaptations

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    Le Festival Quartier du Livre m'a fait l'honneur de me demander mes conseils de lecture...et de films adaptés de livres. Sur la page Facebook du festival (liens ci-dessous),  vous  trouverez  ainsi des conseils de lecture d'écrivains, de libraires et des coups de projecteurs sur des éditeurs.

    Un festival auquel j'ai donc ainsi le plaisir de participer virtuellement puisqu'il ne pourra avoir lieu comme prévu cette année en Mai. Son thème devait être cette année "La terre est une personne" (il sera repris l'an prochain).

    Pour ceux qui ne connaissent pas ce festival, sachez qu'il se déroule dans le quartier mythique de la littérature, celui de la Sorbonne, du Panthéon et du Quartier Latin.

    Pendant une semaine, le livre prend ainsi ses quartiers dans le 5ème arrondissement avec 250 manifestations littéraires (débats, signatures, performances artistiques).

    A retrouver sur la page Facebook du festival : https://www.facebook.com/quartierdulivre/,

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  • The Film Society : une plateforme de recommandations de films pour cinéphiles à découvrir !

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    Voilà une nouvelle plateforme que je viens de découvrir (le confinement permet de voyager immobile et de découvrir ainsi des territoires cinéphiliques encore inexplorés !) et que je souhaitais vous faire découvrir à votre tour tant elle me semble être une mine d’or pour les amoureux du cinéma qu’ils soient de simples amateurs ou des cinéphiles. Je l’ai découverte car elle est partenaire du Champs-Elysées Film Festival dont cette édition 2020 ne pourra bien évidemment pas avoir lieu dans les conditions habituelles mais qui aura lieu en ligne. Ce festival qui, selon sa Présidente et fondatrice Sophie Dulac, a « pour ambition de présenter la jeune création du cinéma indépendant français et américain » vous propose ainsi cette année (du 9 au 16 juin) ses compétitions de courts et de longs métrages en ligne. Elles seront soumises aux votes du public et du jury. Vous pouvez ainsi retrouver de nombreux articles sur ce festival sur mes blogs, un festival auquel j’ai assisté dès sa première édition et à de nombreuses reprises et dont j’ai même fait partie d’un jury. Retrouvez, ici, mon compte rendu de l’édition 2013.

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    A l’image de ce festival, ce site a en effet pour objectif louable et ambitieux de « faire découvrir ou redécouvrir des pépites du paysage cinématographique » en rassemblant une communauté composée d'amateurs et de cinéphiles avertis. « Chacun peut contribuer, à sa manière, à l'ouverture des horizons » : tel est ainsi le credo du site. 

    Ce site m’est d’autant plus destiné qu’il est non seulement orienté clairement vers le cinéma indépendant, d'auteur, international et de patrimoine mais qu’il met aussi en valeur les festivals de cinéma, à l’exemple du Champs-Elysées Film Festival précédemment évoqué mais pas seulement.

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    Ce site se distingue vraiment d’autres modèles du genre pour les raisons évoquées ci-dessus mais ses atouts singuliers sont multiples. Ainsi, il vous propose des cours passionnants, par exemple le 2 juin une conférence sur « Edward aux mains d’argent » de Tim Burton. Il met aussi en exergue chaque jour un film, aujourd’hui un film du patrimoine, « Jour de fête » de Jacques Tati. Au programme également en ce moment : un cycle sur le cinéma japonais ou encore sur le cinéma français.

    Vous pourrez naviguer aisément sur le site et vous laisser ainsi inspirer par sa communauté ou par les propositions à la une du site ou choisir parmi les catégories de films suivantes : les plus populaires, recommandés par vos amis, les plus récents, à l’affiche.

    Le site vous propose aussi des articles passionnants et de remarquables master classes en ligne (véritable plus-value du site, attention, vous risquez de vite devenir accros !) comme celles de Jean-Pierre Jeunet, Philippe Lioret, Sylvie Pialat, Emmanuelle Devos, Arnaud Desplechin, Gaspard Ulliel et beaucoup d’autres. De quoi enrichir votre cinéphilie, aiguiser votre curiosité et vous embarquer vous aussi pour des territoires inconnus.

    Vous l’aurez compris, je vous recommande donc de le découvrir : cliquez sur le lien suivant pour Voir le site The Film Society

    En attendant, je m’en vais revoir « Le silence de la mer » de Jean-Pierre Melville…

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  • Mon texte du jour (sur le confinement) : L'IVRESSE DES NOMBRES

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    Petite nouvelle écrite hier soir, dictée par la colère, l’actualité, l’émotion de l'instant et inspirée par cette photo de la rue Férou datant de février 2020.

    Toute ressemblance avec la réalité ne serait pas fortuite.

    128339. 23293. 28055. 4608. 437* : comme une litanie glaçante.
    Connaissez-vous la rue Férou ? C’est une rue étroite qui serpente, comme un sas poétique, entre la place Saint-Sulpice et le Jardin du Luxembourg. C’est une rue qui invite aux secrets murmurés, qui incite aux élans rêveurs. Le temps s'y est arrêté. On y entendrait presque des fiacres résonner sur les pavés. On y apercevrait presque les ombres d’Hemingway, Apollinaire ou Prévert, quelques-uns des illustres écrivains qui y ont vécu. Rue Férou, c’est le décor de Minuit à Paris, ou tout comme, vous savez ce Paris de cinéma qui permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et de s’étreindre. Sur le mur d’enceinte du si prosaïque Hôtel des Impôts, on peut y lire, en lettres calligraphiées, l’intégralité du poème d’Arthur Rimbaud, Le Bateau ivre. Geneviève l’a appris par cœur à l’école, il y a des décennies, et le relit chaque mercredi, lorsqu’elle monte le pas lourd mais le cœur léger la rue en direction du Jardin du Luxembourg. C’est là qu’elle croise parfois Stéphanie. Quarante ans les séparent. Stéphanie aussi aime bien la poésie. Elle trouve cela joli en lettres imprimées sur un t-shirt. Elle a d’ailleurs fait imprimer les premiers vers. Elle se demande tout de même à quoi ressemble un bateau ivre.

    Parmi les destinées rêveuses, harassées, pressées, Stéphanie a remarqué cette petite mamie aux rides souriantes et au regard d’une tendre espièglerie. Elle la voit aussi au Jardin du Luxembourg qui toujours s’assied sur le même banc et qui semble attendre quelqu’un. En ce lieu, chaque mercredi, pour Geneviève la réalité cède devant les rêves infinis. On devrait tous avoir en soi un lieu pour que les rêves, même impossibles et inavouables, puissent s’esquisser, non ? C’est ce qu’elle se dit, Geneviève, la rêveuse obstinée. Elle envie ceux dont le cœur est versatile. Le sien attend toujours, depuis 40 ans. Après tout, les rêves n’ont pas de rides… Elle revient chaque mercredi. Chaque mercredi depuis 40 ans sur ce même banc.

    Cela fait des semaines que Geneviève ne sort plus de chez elle. Confinée. Il fait chaud dans son petit studio sous les toits. Mais elle en a vu d’autres. Elle sait que c’est pour son bien, et surtout celui des autres. Ce cinquième mercredi depuis le début du confinement, elle a pourtant décidé de sortir, enfin, munie de son attestation, soigneusement remplie et tout aussi soigneusement pliée et rangée dans sa poche. Elle veut passer par la rue Férou, à quelques minutes de chez elle, voir si le bateau ivre y tangue toujours. Cela lui prendra moins d’une heure. Une heure peut changer une vie, elle le sait. Il avait suffi d’une heure sur un banc du Luxembourg pour que son cœur soit emporté, 40 ans plus tôt.

    Ce jour-là, c’est Stéphanie qu’elle croise. Elle aussi, elle sort rue Férou. Elle aussi, elle sort moins d’une heure. Pour la sixième fois de la journée. Stéphanie n’aime pas qu’on lui dicte sa conduite. Elle sourit à Geneviève. Elle se sent solidaire tout à coup. Geneviève ne sait pas résister à un sourire. La résistance, pourtant, elle connaît. Elle a résisté à tant d’autres choses dans sa jeunesse. Des ennemis aussi sournois, moins invisibles peut-être. Elle ne porte pas de masque, Stéphanie. Cela donne chaud, et ce n’est pas seyant. Elle se dit que ce sera la bonne action du jour, prendre des nouvelles de cette mamie, et puis elle a besoin de parler. Elle se sent utile. Forte. Invincible. Elle n’a peur de rien. Geneviève porte une vieille écharpe en guise de masque. L’écharpe glisse lorsqu’elle répond à cette femme qu’elle se souvient vaguement avoir déjà croisée et à qui elle en veut vaguement pour la distraire de ses rêves qui la conduisent en pensées sur son banc du Luxembourg dont les grilles sont tristement fermées.

    Stéphanie était fatiguée ce jour-là lorsqu’elle a croisé Geneviève. Elle ne se remet pas de cette soirée de la semaine précédente. Elle avait reçu des amis dans son appartement. Une petite fête, rien de bien méchant. C’est interdit, mais Stéphanie est le courage incarné, elle n’a peur de rien, et elle ne supporte pas d’être seule. Elle se sent l’âme révolutionnaire. Elle a toujours été la rebelle de la famille. Qu’est-ce qu’ils ont pu rire ce soir-là de Bertrand qui toussait un peu. La blague sur le covid n’a pas fini d’animer les dîners en ville. Oui, Stéphanie est invincible. Cette maladie tue des vieux, surtout. Plus du tiers des victimes le sont dans des ehpads. Ça la rassure. C'est dans sa logique des choses. La mort est une chimère, une légende qu'on raconte aux enfants pour leur faire peur.

    En montant vers le Luxembourg, une semaine plus tard, devant Le Bateau ivre, Stéphanie se dit qu’elle ne croise plus cette petite mamie, celle du banc, celle qu’elle voyait parfois lire le poème. Elle se dépêche. 20h approche. L’heure d’applaudir à sa fenêtre. Elle aime bien ce moment qui est une insulte au silence assourdissant, à sa solitude, à ce printemps aux accents d’hiver sans fin. Cela lui donne l’âme résistante. Alors elle crie (moins fort ce jour, elle se sent faible). Tous ces soignants quand même, aussi, il faut penser un peu à eux, se dit-elle, fière de se sentir soudainement altruiste.

    Finalement, elle a commandé un masque, Stéphanie. En tissu Liberty. Elle trouve cela seyant, ce sera joli sur les selfies. Elle attend le 11 mai impatiemment. Ce sera la fête. Le virus aura disparu comme par magie. Elle pourra aller se pavaner avec son masque. Aller chez la manucure, aussi. Elle a déjà pris son rendez-vous. Elle a le sens de l’essentiel. Et puis, ce n'est pas si mal ce confinement après tout : elle a appris à faire du pain et la méditation (cela la stresse tellement tout ça, surtout parce qu’elle a dû annuler des vacances aux Maldives, cela faisait deux mois au moins qu'elle n'en avait pas pris, vous rendez-vous compte ?). Enfin officieusement. Officiellement, elle a relu A la recherche du temps perdu, appris le Mandarin, et s’est entrainé pour le marathon de Paris.

    Elle se dit qu’il ne faudra pas oublier de le photographier pour instagram avec le masque Liberty, son exemplaire d’A la recherche du temps perdu (il faudra aussi aller l’acheter pour l’occasion, pourquoi pas chez un bouquiniste, un exemplaire vieilli, ce sera encore plus photogénique). Aux infos, ils commencent à parler des vacances d'été, ils ne parlent d’ailleurs presque plus que de ça. Cela rassure Stéphanie. Moins de ces images de service de réanimation. Elle en était é-pui-sée. Elle met des petits RIP sur son facebook avec le petit smiley pour bien qu'on comprenne que tout cela la révolte (elle a dû annuler ses vacances à cause de cette satanée maladie de vieux tout de même).

    Elle se demande pourquoi elle ne voit plus la petite mamie au regard espiègle. Elle allait bien dans le paysage. Et cela aurait fait joli sur son selfie avec le masque Liberty et l’exemplaire (à acheter) de Proust.

    Cela fait deux semaines maintenant que Le Bateau ivre n’a plus vu passer Stéphanie. Elle ignorera toujours que ce poème célébrait l’ivresse du départ, l’euphorie et le désir de liberté, elle qui semblait en être tant éprise au point de nier celle des autres. Elle ignorera toujours que, dans le poème de Rimbaud, ce désir de liberté laisse place au désenchantement. Et que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Geneviève non plus ne passe plus devant le bateau ivre. Ivre à jamais de son absence.

    Quelque part à Paris, le Professeur Salomon arrive avec les chiffres du jour. Il se racle la gorge. Il faut les énoncer clairement. Il est fatigué. Il se trompe. De deux. 435. Il voit bien qu’il est écrit 437 sur sa fiche. Mais 2, qu’est-ce que cela change ? Une Stéphanie. Une Geneviève. En plus une nonagénaire dans le lot, c’est la logique des choses. Un de plus, un de moins. Oui, qu'est-ce que cela change ? Et puis, il se félicite, le nombre d’arrivées en réanimation baisse. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

    Le bateau ivre tangue toujours de ses mots ensorcelants. Rimbaud avait 17 ans quand il a écrit le Bateau ivre. Le talent n’attend pas le nombre des années. La maladie et l'égoïsme ne s'arrêtent pas au nombre des années, non plus. Geneviève n'existe pas. Stéphanie non plus. Mais, au fond, elles existent sûrement. Vous pouvez inverser les destins, remplacer Geneviève par Stéphanie, ça marche aussi.

    Essayons de ne pas oublier que derrière cette litanie glaciale, derrière chaque chiffre froidement énoncé se cachent des réalités et des destins brisés. Et que si des lits se libèrent, ce n’est pas parce que leurs occupants sont partis gambader joyeusement dans la campagne (ou au Jardin du Luxembourg, en passant ou non par la rue Férou).

    *Ces chiffres sont ceux de ce 27 avril 2020 en France, énoncés dans cet ordre : cas de Covid-19/Morts/Hospitalisés/ En réanimation/Morts du jour.

    #restezchezvous #confinementjour42

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  • Critique de SUR LA ROUTE DE MADISON de Clint Eastwood (à voir ce 16/04/2020 sur Chérie 25)

     

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    1 jour. 1 film. 1 critique.

    En cette période pendant laquelle il est absolument vital de rester chez soi, mais aussi nécessaire de s'évader (en restant chez soi surtout), j’ai décidé de vous proposer chaque jour de découvrir un film, un film récent disponible en VOD ou un classique du cinéma à voir en VOD ou à la télévision.

    Je vous ai déjà recommandé  MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan (disponible en VOD), LES EBLOUIS de Sarah Suco (disponible en VOD  également). Je vous ai recommandé le chef-d'œuvre parmi les chefs-d'œuvre, LE GUEPARD de  Luchino Visconti (que vous pourrez bien sûr également trouver en VOD). J'ai poursuivi avec un autre film de Visconti, ROCCO ET SES FRERES   puis LA PRINCESSE DE MONTPENSIER de Bertrand Tavernier. J'ai également évoqué à nouveau deux films dont je vous ai souvent parlé, UN COEUR EN HIVER et CESAR ET ROSALIE de Claude Sautet.

    On célébrait la semaine dernière l'anniversaire de Jean-Paul Belmondo. A cette occasion, j'avais choisi  de vous parler de LA SIRENE DU MISSISSIPI de François Truffaut et  ITINERAIRE D'UN ENFANT GÂTÉ de Claude Lelouch.

    Je vous ai également parlé du chef-d'oeuvre de Jean-Pierre Melville, L'armée des ombres, à l'occasion de sa diffusion récente sur France 3. 

    Aujourd'hui, j'ai choisi d'évoquer Sur la route de Madison de Clint Eastwood, à l'occasion de sa diffusion ce soir sur Chérie 25.

    CRITIQUE

    L’éphémère peut avoir des accents d’éternité. Quatre jours, quelques heures peuvent changer, illuminer et sublimer une vie. Du moins, Francesca Johnson (Meryl Streep) et Robert Kincaid (Clint Eastwood) le croient-il et le spectateur aussi, forcément, inévitablement, après ce voyage bouleversant sur cette route de Madison qui nous emmène bien plus loin que sur ce chemin poussiéreux de l’Iowa.

    Caroline et son frère Michael Johnson reviennent dans la maison où ils ont grandi pour régler la succession de leur mère, Francesca. Mais quelle idée saugrenue a-t-elle donc eue de vouloir être incinérée et d’exiger de faire jeter ses cendres du pont de Roseman, au lieu d’être enterrée auprès de son défunt mari ? Pour qu’ils sachent enfin qui elle était réellement, pour qu’ils comprennent, elle leur a laissé une longue lettre qui les ramène de nombreuses années en arrière, un été de 1965… un matin d’été de 1965, de ces matins où la chaleur engourdit les pensées, et réveille parfois les regrets. Francesca est seule. Ses enfants et son mari sont partis pour un concours agricole, pour quatre jours, quatre jours qui s’écouleront probablement au rythme hypnotique et routinier de la vie de la ferme sauf qu’un photographe au National Geographic, Robert Kincaid, emprunte la route poussiéreuse pour venir demander son chemin. Sauf que, parfois, quatre jours peuvent devenir éternels. Avec Robert Kincaid, c’est l’ailleurs qui fait immersion dans la vie endormie de Francesca.

    Sur la route de Madison aurait alors pu être un mélodrame mièvre et sirupeux. Mais cette adaptation libre et réussie du best-seller de Robert James Waller est tout sauf cela. Chaque plan, chaque mot, chaque geste suggèrent l’évidence de l’amour qui éclot entre les deux personnages.

    Ils n’auraient pourtant jamais dû se rencontrer : elle a une quarantaine d’années et, des années auparavant, elle a quitté sa ville italienne de Bari et son métier de professeur pour se marier dans l’Iowa et y élever ses enfants. Elle n’a plus bougé depuis. A 50 ans, solitaire, il n’a jamais suivi que ses désirs, parcourant le monde au gré de ses photographies. Leurs chemins respectifs ne prendront pourtant réellement sens que sur cette route de Madison. Ce jour de 1965, ils n’ont plus d’âge, plus de passé, juste cette évidence qui s’impose à eux et à nous, transparaissant dans chaque seconde du film, par le talent du réalisateur Clint Eastwood. Francesca passe une main dans ses cheveux, jette un regard nostalgico-mélancolique vers la fenêtre alors que son mari et ses enfants mangent, sans lui parler, sans la regarder: on entrevoit déjà ses envies d’ailleurs, d’autre chose. Elle semble attendre Robert Kincaid avant même de savoir qu’il existe et qu’il viendra.

    Chaque geste, simplement et magnifiquement filmé, est empreint de poésie, de langueur mélancolique, des prémisses de leur passion inéluctable : la touchante maladresse avec laquelle Francesca indique son chemin à Robert, la jambe de Francesca frôlée furtivement par le bras de Robert, la main de Francesca caressant, d’un geste faussement machinal, le col de la chemise de Robert assis, de dos, tandis qu’elle répond au téléphone, la main de Robert qui, sans se retourner, se pose sur la sienne, Francesca qui observe Robert à la dérobée à travers les planches du pont de Roseman, puis quand il se rafraîchit à la fontaine de la cour, et c’est le glissement progressif vers le vertige irrésistible. Les esprits étriqués des habitants renforcent cette impression d’instants volés, sublimés.

    Francesca, pourtant, choisira de rester avec son mari très « correct » à côté duquel son existence sommeillait, plutôt que de partir avec cet homme libre qui « préfère le mystère » qui l’a réveillée, révélée, pour ne pas ternir, souiller, ces 4 jours par le remord d’avoir laissé une famille en proie aux ragots. Aussi parce que « les vieux rêves sont de beaux rêves, même s’ils ne se sont pas réalisés ».

    Et puis, ils se revoient une dernière fois, un jour de pluie, à travers la vitre embuée de leurs voitures respectives. Francesca attend son mari dans la voiture. Robert est dans la sienne. Il suffirait d’une seconde… Elle hésite. Trop tard, son mari revient dans la voiture et avec lui : la routine, la réalité, la raison. Puis, la voiture de Francesca et de son mari suit celle de Robert. Quelques secondes encore, le temps suspend son vol à nouveau, instant sublimement douloureux. Puis, la voiture s’éloigne. A jamais. Les souvenirs se cristalliseront au son du blues qu’ils écoutaient ensemble, qu’ils continueront à écouter chacun de leur côté, souvenir de ces instants immortels, d’ailleurs immortalisés des années plus tard par un album de photographies intitulé « Four days ». Avant que leurs cendres ne soient réunies à jamais du pont de Roseman. Avant que les enfants de Francesca ne réalisent son immense sacrifice. Et leur passivité. Et la médiocrité de leurs existences. Et leur envie d’exister, à leur tour. Son sacrifice en valait-il la peine ? Son amour aurait-il survécu au remord et au temps ?…

    Ce dénouement sacrificiel est d’une beauté déchirante : avec la pluie maussade et inlassable, le blues évocateur, la voix tonitruante de ce mari si « correct » qui ignore que devant lui, pour sa femme, un monde s’écroule et la vie, fugace et éternelle, s’envole avec la dernière image de Robert Kincaid, dans ce lieu d’une implacable banalité soudainement illuminé puis éteint. A jamais. Un tel amour aurait-il survécu aux remords et aux temps ? Son sacrifice en valait-il la peine ? Quatre jours peuvent-ils sublimer une vie ?

    Sans esbroufe, comme si les images s’étaient imposées à lui avec la même évidence que l’amour s’est imposé à ses protagonistes, Clint Eastwood filme simplement, majestueusement, la fugacité de cette évidence. Sans gros plan, sans insistance, avec simplicité, il nous fait croire aux« certitudes qui n’arrivent qu’une fois dans une vie » ou nous renforce dans notre croyance qu’elles peuvent exister, c’est selon. Peu importe quand. Un bel été de 1965 ou à un autre moment. Peu importe où. Dans un village perdu de l’Iowa ou ailleurs. Une sublime certitude. Une magnifique évidence. Celle d’une rencontre intemporelle et éphémère, fugace et éternelle. Un chef d’œuvre d’une poésie sensuelle et envoûtante. A voir et revoir absolument.

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  • Critiques de LA SIRÈNE DU MISSISSIPI et d'ITINÉRAIRE D'UN ENFANT GÂTÉ

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    Photo ci-dessus prise lors de la remise de la palme d'or d'honneur à Jean-Paul Belmondo au Festival de Cannes 2011.

    1 jour. 1 film. 1 critique.

    En cette période pendant laquelle il est absolument vital de rester chez soi, mais aussi nécessaire de s'évader (en restant chez soi surtout), j’ai décidé de vous proposer chaque jour de découvrir un film, un film récent disponible en VOD ou un classique du cinéma à voir en VOD ou à la télévision.

    Je vous ai déjà recommandé  MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan (disponible depuis la semaine dernière en VOD), LES EBLOUIS de Sarah Suco (disponible en VOD depuis la semaine dernière également). Je vous ai recommandé le chef-d'œuvre parmi les chefs-d'œuvre, LE GUEPARD de  Luchino Visconti (que vous pourrez bien sûr également trouver en VOD). J'ai poursuivi avec un autre film de Visconti, ROCCO ET SES FRERES   puis LA PRINCESSE DE MONTPENSIER de Bertrand Tavernier. Avant-hier, j'évoquais deux films dont je vous ai souvent parlé, UN COEUR EN HIVER et CESAR ET ROSALIE.

    C'est aujourd'hui l'anniversaire de Jean-Paul Belmondo. A cette occasion, j'ai choisi donc de vous parler de La Sirène du Mississipi de François Truffaut et de Itinéraire d'un enfant gâté de Claude Lelouch.

    CRITIQUE - La Sirène du Mississipi de François Truffaut

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    Après mes critiques de Baisers volés  (1969) et La Femme d’à côté  (1981),  je poursuis le cycle consacré à François Truffaut en remontant un peu dans le temps, avec La Sirène du Mississipi , un film sorti en 1969. Dédié à Jean Renoir, adapté, scénarisé et dialogué par Truffaut d’après un roman de William Irish intitulé  Waltz into Darkness  (pour acquérir les droits François Truffaut dut emprunter à Jeanne Moreau, Claude Lelouch et Claude Berri), c’est davantage vers le cinéma d’Alfred Hitchcock, que lorgne pourtant ce film-ci, lequel Hitchcock s’était d’ailleurs lui-même inspiré d’une nouvelle de William Irish pour Fenêtre sur cour. Truffaut avait lui-même aussi déjà adapté William Irish pour La mariée était en noir, en 1968.

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    Synopsis : Louis Mahé (Jean-Paul Belmondo) fabrique des cigarettes à La Réunion. Il doit épouser Julie Roussel qu’il a rencontrée par petite annonce et dont il doit faire la connaissance le jour du mariage. Lorsqu’elle débarque à La Réunion, d’une beauté aussi froide que ravageuse, elle ressemble peu à la photo qu’il possédait d’elle. Elle lui affirme ainsi lui avoir envoyé un faux portrait, par méfiance. Peu de temps après le mariage, l’énigmatique Julie s’enfuit avec la fortune de Louis. Louis engage alors le solitaire et pointilleux détective Comolli (Michel Bouquet) pour la rechercher, et il rentre en France. Après une cure de sommeil à Nice, il retrouve Julie qui se nomme en réalité Marion (Catherine Deneuve) par hasard, elle travaille désormais comme hôtesse dans une discothèque. Il est déterminé à la tuer mais elle l’apitoie en évoquant son enfance malheureuse et ses sentiments pour lui qui l’aime d’ailleurs toujours… Commence alors une vie clandestine pour ce singulier couple.

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    Ce film connut un échec à sa sortie. Truffaut l'expliqua ainsi  : « Il est aisé d’imaginer ce qui a choqué le monde occidental. La Sirène du Mississipi montre un homme faible (en dépit de son allure), envoûté par une femme forte (en dépit de ses apparences) ». Voir ainsi Belmondo ravagé par la passion qui lui sacrifie tout explique pour Truffaut l’échec du film. C’est vrai que ce film peut dérouter après  Baisers volés, quintessence du style Nouvelle Vague. Son romantisme échevelé, sombre, voire désespéré (même si Doinel était déjà un personnage romantique) mais aussi son mélange des genres (comédie, drame, film d’aventures, film noir, policier) ont également pu dérouter ceux qui voyaient avant tout en Truffaut un des éminents représentants de la Nouvelle Vague.

    Comme chacun des films de Truffaut La Sirène du Mississipi n’en révèle pas moins une maîtrise impressionnante de la réalisation et du sens de la narration, des scènes et des dialogues marquants, des références (cinématographiques mais aussi littéraires) intelligemment distillées et le touchant témoignage d’un triple amour fou : de Louis pour Marion, de Truffaut pour Catherine Deneuve, de Truffaut pour le cinéma d’Hitchcock.

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    Truffaut traite ainsi de nouveau d’un de ses thèmes de prédilections : l’amour fou, dévastateur, destructeur. Malgré la trahison de la femme qu’il aime, Louis tue pour elle et la suit au péril de sa propre existence… Après les premières scènes, véritable ode à l’île de La Réunion qui nous laisse penser que Truffaut va signer là son premier film d’aventures, exotique, le film se recentre sur leur couple, la troublante et trouble Marion, et l’amour aveugle qu’elle inspire à Louis. Truffaut traitera ce thème de manière plus tragique, plus subtile, plus précise encore dans L’Histoire d’Adèle.H, dans La Peau douce (réalisé avant La Sirène du Mississipi) notamment ou, comme nous l’avons vu, dans La Femme d’à côté , où, là aussi, Bernard (Gérard Depardieu) emporté par la passion perd ses repères sociaux, professionnels, aime à en perdre la raison avec un mélange détonant de douceur et de douleur, de sensualité et de violence, de joie et de souffrance dont La sirène du Mississipi porte déjà les prémisses.

    Bien qu’imprégné du style inimitable de Truffaut, ce film est donc aussi une déclaration d’amour au cinéma d’Hitchcock, leurs entretiens restant le livre de référence sur le cinéma hitchcockien (si vous ne l’avez pas encore, je vous le conseille vivement, il se lit et relit indéfiniment, et c’est sans doute une des meilleures leçons de cinéma qui soit). Les Oiseaux , Pas de printemps pour Marnie, Sueurs froides, Psychose, autant de films du maître du suspense auxquels se réfère La Sirène du Mississipi. Et puis évidemment le personnage même de Marion interprétée par Catherine Deneuve, femme fatale ambivalente, d’une beauté troublante et mystérieuse, d’une blondeur et d’une froideur implacables, tantôt cruelle, tantôt fragile, emprunte beaucoup aux héroïnes hitchcockiennes, à la fois à Tippie Hedren dans Pas de printemps pour Marnie ou à Kim Novak dans Sueurs froides  notamment pour la double identité du personnage dont les deux prénoms (Marion et Julie) commencent d’ailleurs comme ceux de Kim Novak dans le film d’Hitchcock- Madeleine et Judy-.

    A Deneuve, qui vient d'accepter le film, Truffaut écrivit : « Avec La Sirène, je compte bien montrer un nouveau tandem prestigieux et fort : Jean-Paul, aussi vivant et fragile qu'un héros stendhalien, et vous, la sirène blonde dont le chant aurait inspiré Giraudoux. » Et il est vrai qu’émanent de ce couple une beauté ambivalente et tragique, un charme tantôt léger tantôt empreint de gravité. On retrouve Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo dans des contre-emplois dans lesquels ils ne sont pas moins remarquables. Elle en femme fatale, vénale, manipulatrice, sirène envoûtante mais néanmoins touchante dont on ne sait jamais vraiment si elle aime ou agit par intérêt. Lui en homme réservé, follement amoureux, prêt à tout par amour, même à tuer.

    A l’image de l’Antiquaire qui avait prévenu Raphaël de Valentin dans  La Peau de chagrin à laquelle Truffaut se réfère d’ailleurs, Louis tombant par hasard sur le roman en question dans une cabane où ils se réfugient ( faisant donc de nouveau référence à Balzac après cette scène mémorable se référant au  Lys dans la vallée dans Baisers volés ), et alors que la fortune se réduit comme une peau de chagrin, Marion aurait pu dire à Louis : « Si tu me possèdes, tu possèderas tout, mais ta vie m'appartiendra ».

    Enfin ce film est une déclaration d’amour de Louis à Marion mais aussi et surtout, à travers eux, de Truffaut à Catherine Deneuve comme dans cette scène au coin du feu où Louis décrit son visage comme un paysage, où l’acteur semble alors être le porte-parole du cinéaste. Le personnage insaisissable, mystérieux de Catherine Deneuve contribue largement à l’intérêt du film, si bien qu’on imagine difficilement quelqu’un d’autre interprétant son rôle.

    Comme souvent, Truffaut manie l’ellipse avec brio, joue de nouveau avec les temporalités pour imposer un rythme soutenu. Il cultive de nouveau le hasard comme dans Baisers volés, film dans lequel il était le principal allié de Doinel, pour accélérer l’intrigue.

    Alors, même si ce film n’est pas cité comme l’un des meilleurs de Truffaut, il n’en demeure pas moins fiévreux, rythmé, marqué par cette passion, joliment douloureuse, qui fait l’éloge des grands silences et que symbolise si bien le magnifique couple incarné par Deneuve et Belmondo. Avec La Sirène du Mississipi qui passe brillamment de la légèreté au drame et qui dissèque cet amour qui fait mal, à la fois "joie et souffrance", Truffaut signe le film d’un cinéaste et d’un cinéphile comme le fit par exemple également Pedro Almodovar avec Les Etreintes brisées.

    La Sirène du Mississipi s’achève par un plan dans la neige immaculée qui laisse ce couple troublant partir vers son destin, un nouveau départ, et nous avec le souvenir ému de cet amour fou que Truffaut, mieux que nul autre cinéaste, a su retranscrire à l'écran.

    Dix ans plus tard, Catherine Deneuve interprétera de nouveau une Marion dans un film de Truffaut, Le dernier métro, et sera de nouveau la destinataire d’ une des plus célèbres et des plus belles répliques de Truffaut, et du cinéma, que Belmondo lui adresse déjà dans La Sirène du Mississipi :

    « - Quand je te regarde, c'est une souffrance.

    - Pourtant hier, tu disais que c'était une joie.

    - C'est une joie et une souffrance.''

    Je vous laisse méditer sur cette citation et sur le chant ensorcelant et parfois déroutant de cette insaisissable « Sirène du Mississipi ».

    CRITIQUE de Itinéraire d'un enfant gâté de Claude Lelouch

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    Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch est un des plus grands succès du cinéaste, un film datant de 1988, que j'avais d'ailleurs eu le plaisir de revoir lors du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2016 dont vous pouvez retrouver mon compte rendu ici. (avec également le résumé de la rencontre avec Richard Anconina qui avait suivi la projection)

    Sam Lion (Jean-Paul Belmondo) a été élevé dans le milieu du cirque puis a dû faire une reconversion forcée comme chef d’entreprise. Mais la cinquantaine passée, il se lasse de ses responsabilités et de son fils, Jean-Philippe, dont la collaboration ne lui est pas d’un grand secours. Il décide d’employer les grands moyens et de disparaître en Afrique, après avoir simulé un naufrage lors de sa traversée de l’Atlantique en solitaire. Mais son passé va l’y rattraper en la personne d’Albert Duvivier (Richard Anconina), un de ses anciens employés licencié qu’il retrouve par hasard en Afrique et qui le reconnaît…

    « Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte ». La citation d’Albert Cohen qui ouvre le film le place sous le sceau du pessimisme et de la solitude, impression  que renforce la chanson de Nicole Croisille qui ouvre le film. « Qui me dira, les mots d’amour qui font si bien, du mal ? Qui me tiendra, quand tu iras décrocher toutes les étoiles ? Qui me voudra, avec le nez rouge, et le cœur en larmes ? Qui m’aimera, quand je n’serai plus que la moitié d’une femme ? » La musique est reprise en chœur tandis qu’un petit garçon seul sur un manège attend désespérément sa mère. Un homme s’occupe de lui, découvre le carton qu’il a autour du cou et qui indique que sa mère l’a abandonné.  La musique épique, flamboyante, lyrique, accompagne ensuite les premières années et les numéros de cirque étourdissants qui défilent (sans dialogues juste avec la musique pour établir le lien) jusqu’à l’accident fatidique. Les flashbacks alternent avec les vagues sur lesquelles flotte le navire de Sam Lion, des vagues qui balaient le passé. Les premières minutes sont bouleversantes, captivantes, montées et filmées sur un rythme effréné, celui sur lequel Sam Lion (ainsi appelé parce qu’il a été élevé dans un cirque) va vivre sa vie jusqu’à ce qu’il décide de disparaître.

    Rares sont les films qui vous émeuvent ainsi, dès les premiers plans et qui parviennent à maintenir cette note jusqu’au dénouement. Pour y parvenir, il fallait la subtile et improbable alliance d’ une musique fascinante comme un spectacle de cirque, d’acteurs phénoménaux au sommet de leur art, de dialogues jubilatoires magistralement interprétés, un scénario ciselé, des paysages d’une beauté à couper le souffle, des histoires d’amour (celles qui ont jalonné la vie de Sam Lion, avec les femmes de sa vie, son grand amour décédé très jeune, sa seconde femme, sa fille Victoria pour qui il est un héros et un modèle et qui l’aime inconditionnellement, mais aussi celles d’Albert avec Victoria), jouer avec nos peurs (l’abandon, la disparition des êtres chers, le besoin de reconnaissance), nos fantasmes (disparaître pour un nouveau départ, le dépaysement) et les rêves impossibles (le retour des êtres chers disparus).

    Sam Lion va par hasard rencontrer un employé de son entreprise (entre-temps, il a construit un empire, une entreprise de nettoyage), ce jeune homme maladroit et qui manque de confiance en lui va devenir l’instrument de son retour et sa nouvelle famille.  Cela tombe bien : il commence à s’ennuyer.

    Peu à peu, le puzzle de la vie et des déchirures de Sam Lion, grâce aux flashbacks, se reconstitue, celui des blessures de cet homme qui l’ont conduit à tout quitter, écrasé par les responsabilités sans avoir le temps de penser à ses blessures, ni de les panser, porté par la soif d’ailleurs, de vérité, de liberté.

    Alors, bien sûr, il y a la si célèbre et irrésistible scène du bonjour, toujours incroyablement efficace, tant la candeur d’Albert est parfaitement interprétée par Anconina, tant la scène est magistralement écrite, tant les comédiens sont admirablement dirigés mais chaque scène (les acteurs sont filmés en gros plan, au plus près des émotions) sont des moments d’anthologie de comédie, d’humour, de poésie, d’émotion (parfois tout cela en même temps lorsque Victoria est conduite à son père grimé en pompiste et qu’on lui présente comme le sosie parfait de son père qu’elle croit mort, lors de la demande en mariage…) et toujours ces moments qui auraient pu être de simples saynètes contribuent à faire évoluer l’intrigue et à nous faire franchir un cran dans l’émotion, dans ces parfums de vérité qu’affectionne tant le réalisateur. Claude Lelouch ne délaisse aucun de ses personnages ni aucun de ses acteurs. Chacun d’entre eux existe avec ses faiblesses, ses démons, ses failles, ses aspirations. Et puis quelle distribution : Marie-Sophie L, Michel Beaune, Pierre Vernier, Daniel Gélin… !

    Jean-Paul Belmondo,  plusieurs années après  Un homme qui me plaît  retrouvait ici Claude Lelouch qui lui offre un de ses plus beaux rôles en lui permettant d'incarner  pour la première fois un homme de son âge au visage marqué par le temps mais aussi un personnage non moins héroïque. En choisissant Anconina pour lui faire face, il a créé un des duos les plus beaux et les plus touchants de l’histoire du cinéma.

    Itinéraire d’un enfant gâté est une magnifique métaphore du cinéma, un jeu constant avec la réalité : cette invention qui nous permet d’accomplir nos rêves et de nous faire croire à l’impossible, y compris le retour des êtres disparus. Belmondo y interprète l’un de ses plus beaux rôles qui lui vaudra d’ailleurs le César du Meilleur Acteur, césar que le comédien refusera d’aller chercher.

    On sort de la projection, bouleversés de savoir que tout cela n’était que du cinéma (le temps malheureusement reste assassin), mais avec la farouche envie de prendre notre destin en main et avec, en tête, la magnifique et inoubliable musique de Francis Lai : « Qui me dira… »  et l’idée que si « chaque homme est seul », il possède aussi les clefs pour faire de cette solitude une force, pour empoigner son destin. Et ce dernier plan face à l’horizon nous laisse à la fois bouleversés et déterminés à regarder devant, prendre le large ou en tout cas décider de notre itinéraire. Un grand film intemporel, réjouissant, poignant.

     

    En bonus: mon article sur l'hommage du Festival de Cannes 2011 à Jean-Paul Belmondo

     

     

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  • Jean-Laurent Cochet...

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    « Une pièce de théâtre, c’est quelqu’un. C’est une voix qui parle, c’est un esprit qui éclaire, c’est une conscience qui avertit » écrivit Victor Hugo. Les master classes érudites de Jean-Laurent Cochet donnaient vie à cette voix, cet esprit, cette conscience qui nous accompagnaient longtemps après et nous donnaient l’envie irrépressible de revenir. C’était entre 2005 et 2008. J’allais très régulièrement, presque religieusement, assister à ses cours publics de théâtre dans l’antre presque secret, en tout cas discret, du théâtre de la Pépinière Opéra. Plus que du théâtre, ses cours publics étaient une véritable expérience, une leçon passionnante par un homme passionné, habité même par le théâtre qui, pendant deux heures, vous faisait oublier à quelle époque vous viviez, où vous vous trouviez, l’absence de décor même, qui vous plongeait et transportait dans une atmosphère recueillie, attentive, exaltée.  Vous traversiez les siècles et les histoires, les drames et les comédies, avec La Fontaine, Beaumarchais, Molière, Guitry, Mérimée, Giraudoux, Feydeau, Anouilh, Aragon, Hugo et les autres.


    Il faisait presque miraculeusement sortir la note juste à ses élèves.  En réalité en leur transmettant sa rigueur. En leur donnant parfois même la réplique. En se révoltant encore et toujours, aussi. Contre ceux qui malmenaient ou méprisaient cette langue française qu’il vénérait et dont il transmettait si bien la majesté. En deux heures, nous étions immergés dans son travail et celui des comédiens. Quand un élève-comédien montait sur scène, la salle retenait son souffle, silencieusement complice. Le maître Cochet scrutait chaque froncement de sourcil, chaque inflexion de voix, chaque esquisse de geste. Ses cours étaient un peu comme des rendez-vous amoureux auxquels le public se rendait le cœur battant, des rendez-vous d’amoureux du théâtre. Dans le public, il n’était pas rare de croiser de grands noms du théâtre et parfois du cinéma, désireux d’apprendre encore et toujours, et comme le reste du public, les yeux brillants de curiosité, d’admiration pour cet art dont Jean-Laurent Cochet savait si bien témoigner de la beauté, de la difficulté, et de la magie qui, si souvent pendant ses cours, surgissait devant une salle toujours conquise. Deux heures délicieuses à déguster la saveur des mots magistralement sublimés par la précision du jeu des élèves et les envolées lyriques explicatives de Jean-Laurent Cochet. Plus qu'une leçon de théâtre, une leçon de vie.


    Cochet, tantôt admiratif, tantôt sceptique, tantôt réprobateur, mais toujours exalté, livrait, jouait presque, ses commentaires, prétextes à de multiples anecdotes et citations dans lesquelles se côtoyaient Marie Belle, Gérard Philippe, Sarah Bernhardt et tant d’autres, nous emmenant avec lui dans l’histoire du théâtre et parfois nous relatant les débuts de ses prestigieux élèves.

    Dès que le bruissement de la salle se faisait entendre, peut-être plus fébrile qu’ailleurs en raison de la particularité de l’exercice auquel Jean-Laurent Cochet et ses élèves se pliaient, seul ce qui se passait sur scène existait qui ne nous éloignait pas de l’existence mais au contraire, par l’étude, la sublimation des mots et des textes, la rendait plus palpitante, fébrile elle aussi.

     Dès son arrivée sur scène, c’ait un jeu entre les spectateurs et « le maître » Cochet qui observait, jouait du silence, son regard malicieux balayant la salle. On parle de la magie du cinéma. Il faudrait évoquer aussi celle du théâtre qui était là tellement flagrante. Rien : pas un décor, pas une mise en scène, pas un projecteur pour guider notre attention, notre regard, notre pensée. Juste les comédiens et les mots. Et notre souffle suspendu. Et l’écoute, cette écoute si rare et si précieuse comme le déplorait Jean-Laurent Cochet. Cette écoute qui là semblait reprendre sens. Loin du tumulte de l’existence. Et exaltant aussi ce tumulte.

     Cela pouvait par exemple commencer par un exercice improvisé sur « Ruy Blas » de Victor Hugo. Six élèves débutants enchaînaient à l’appel de leurs noms, disant une phrase complétée par un autre sur ordre du maître : un exercice de haute voltige. L’exercice était périlleux d’autant plus qu’improvisé et le résultat était d’autant plus magistral, fascinant, comme si ces six interprétations n’en faisaient qu’une, comme si ces six comédiens en herbe constituaient chacun une part indissociable du texte et du personnage lui donnant ainsi vie.

     Puis, Jean-Laurent Cochet parlait, il parlait beaucoup. Jean-Laurent Cochet n’était pas sectaire, juste vigoureusement passionné, tout en fustigeant le sectarisme, le politiquement correct. Il égratignait au passage certains cours qui pour raisons « politiques » se refusaient à jouer certains auteurs comme Guitry. Guitry qu’il citait toujours à loisir comme Giraudoux sur un texte de qui un élève nous avait montré (je m’en souviens encore) à quel point c’est un métier avant d’être un art, à quel point chaque mot, chaque virgule, chaque intonation, chaque souffle importaient et contribuaient à faire vivre et exister un texte et un personnage, à quel point la langue française est multiple et précise, à quel point le comédien est funambule.

    Et puis il nous parlait de cinéma, des réalisateurs, cinq selon lui seulement méritant le nom de grands réalisateurs citant pour exemple Renoir et Grémillon. Il nous parlait du théâtre évidemment, toujours avec autant de passion communicative, de vigueur, de vivacité, de conviction : de ce théâtre qui est un métier avant tout, avant d’être un art, de ce théâtre qui est tout sauf de la démonstration, qui doit faire oublier que l’acteur joue, si ce n’est jouer à être. Et de tant de choses encore…

     Je me souviens encore d’un moment de grâce comme il y en eut tant. Un comédien avec lequel Jean-Laurent Cochet, toujours en phase avec l’actualité, trouvait une ressemblance (du moins un emploi similaire) avec Paul Newman. Le texte était joué avant d’être nommé. Une histoire palpitante sur les ravages dévastateurs et criminels du temps, une histoire caustique, cruelle et tendre d’une étonnante modernité, que l’on aurait écrite hier…une nouvelle signée Maupassant que la modernité du jeu nous avait fait croire contemporaine.  Nous avions l’impression de voir les personnages tous exister sous nos yeux, de voir le décor, la scène, les lumières tantôt poétiques tantôt crues. Mais lorsque le comédien disait son dernier mot, un peu après même, le temps de reprendre notre souffle nous aussi, nous réalisions que tout cela n’existait que dans notre imagination guidée par le jeu du comédien si réel, vibrant : là.

     Et puis il y avait les fables de La Fontaine dont raffolait tant Jean-Laurent Cochet. Je me souviens de cette fois où Jean-Laurent Cochet avait qualifié de génie et d’être d’exception un comédien qui venait d’en interpréter une. Il n’en avait dit pas davantage. Il ne dirait plus un mot. Une démonstration de cette qualité du silence dont il faisait l’éloge.  La dernière note d’un moment d’exception.

     C’était à chaque fois un moment inestimable de poésie, où surgissait la grâce là et quand on ne l’attendait pas, qui suspendait le vol du temps bien sûr mais surtout la volatilité de l’attention, un moment de passion, qui réunissait des passionnés, un moment unique où tout pouvait arriver, surtout la flamme incandescente de la vie sublimée par le théâtre et les mots qui transfiguraient ceux qui les jouaient.

     « Les œuvres d’art qui ont cherché la vérité profonde et nous la présentent comme une force vivante s’emparent de nous et s’imposent à nous ». Cette phrase d’Alexandre Soljenitsyne (Discours non prononcé pour le Prix Nobel de 1970) figurait sur un des programmes de ses cours publics et les illustrait magnifiquement. Les cours publics de Jean-Laurent Cochet étaient définitivement comme des rendez-vous amoureux où le public se rendait avec la peur délicieuse au ventre, la peur pour ceux qui jouaient là et qui jouaient finalement tellement plus qu’un texte.  Un spectacle forcément unique puisque les élèves qui passaient et les scènes jouées étaient chaque semaine différents, et un spectacle improvisé puisque Jean-Laurent Cochet ne savait pas à l’avance quels élèves joueraient. Jean-Laurent Cochet, lui-même comédien et metteur en scène, a formé les plus grands comédiens (Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Isabelle Huppert, Richard Berry, Daniel Auteuil, Carole Bouquet…).


     Quelle tristesse d'apprendre que le coronavirus vient de l'emporter. Un nom parmi les plus de 10000 emportés par cette maladie en France.

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  • Critiques - UN COEUR EN HIVER et CESAR ET ROSALIE de Claude Sautet

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    En cette période pendant laquelle il est absolument vital de rester chez soi, mais aussi nécessaire de s'évader (en restant chez soi surtout), j’ai décidé de vous proposer chaque jour de découvrir un film, un film récent disponible en VOD ou un classique du cinéma à voir en VOD ou à la télévision.

    Je vous ai déjà recommandé,  MATTHIAS ET MAXIME de Xavier Dolan (disponible depuis la semaine dernière en VOD), LES EBLOUIS de Sarah Suco (disponible en VOD depuis la semaine dernière également). Je vous ai recommandé le chef-d'œuvre parmi les chefs-d'œuvre, LE GUEPARD de  Luchino Visconti (que vous pourrez bien sûr également trouver en VOD). J'ai poursuivi avec un autre film de Visconti, ROCCO ET SES FRERES, à l'occasion de sa diffusion ce lundi 6 avril 2020 sur France 5 (J'espère que vous ne l'avez pas manqué !).

    Hier, je vous parlais de LA PRINCESSE DE MONTPENSIER de Bertrand Tavernier, diffusé hier après-midi à 14H sur France 2 (chaque jour France 2  a ainsi la bonne idée de vous proposer ainsi un film du patrimoine à 14H).

    Aujourd'hui, je vous parle de deux films dont je vous ai souvent parlé, et pour cause, je cite souvent l'un d'eux comme mon film préféré (mais j'aurais en fait pu citer tous les films de Claude Sautet). Vous pourrez trouver UN COEUR EN HIVER et CESAR ET ROSALIE en VOD (notamment sur UniversCiné). -Pardon d'avance pour les redites dans ces deux critiques qui furent publiées à des moments différents-.

    CRITIQUE de UN COEUR EN HIVER de Claude Sautet

     

    Lorsqu’on me demande mon film culte,  je cite le plus souvent soit « Le Guépard » de Luchino Visconti, soit « Un cœur en hiver » de Claude Sautet, suscitant régulièrement la perplexité chez mes interlocuteurs concernant le second, et la mienne en retour de constater que beaucoup ne connaissent pas ce film.  Bien que l'ayant revu une multitude de fois, il me bouleverse, me fascine et m’intrigue toujours autant. Si vous ne l’avez pas encore vu, ou si vous l’avez vu mais n’en gardez qu’un souvenir mitigé, je vais essayer de vous convaincre de (re)voir ce film que je considère comme un chef d’œuvre. « Un cœur en hiver » est une adaptation de Lermontov  mais est également inspiré de la vie de Maurice Ravel.

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    Maxime (André Dussolier) et Stéphane (Daniel Auteuil) sont (apparemment) amis et travaillent ensemble dans l’atmosphère feutrée d’un atelier de lutherie. Les violons sont toute la vie de Stéphane, contrairement à Maxime qui vient de tomber amoureux d’une jeune violoniste, Camille (Emmanuelle Béart), rapidement intriguée puis attirée par la retenue singulière de Stéphane. Pour Stéphane, véritable « cœur en hiver », ce n’est qu’un jeu dont il conte l’évolution à son amie Hélène (Elisabeth Bourgine). Stéphane semble n’aimer qu’une seule personne au monde : son maître de violon, Lachaume (Maurice Garrel).

    Sur la tombe de Claude Sautet au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance », voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma et peut-être même le mieux « Un cœur en hiver » : d’abord parce que son cinéma est un cinéma de la dissonance, de l’imprévu, de la note inattendue dans la quotidienneté (ici, l’arrivée de Camille dans la vie de Maxime et par conséquent dans celle de Stéphane comme c’est le cas de l’arrivée de David dans « César et Rosalie » ou de Nelly dans « Nelly et Monsieur Arnaud ») et ensuite parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique, une passion qui s’exprime pleinement ici puisque la musique est un personnage à part entière. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition.

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    C’est par elle, la musique, que Camille s’exprime (d’ailleurs Maxime le dira, elle ne se livre que lorsqu’elle joue) : tantôt sa mélancolie, sa violence (ainsi cette scène où elle enregistre en studio et qu’elle manie l’archet comme une lame tranchante), son désarroi, ses espoirs. C’est aussi à travers elle que Stéphane ressent et exprime ses (rares) émotions notamment lorsqu’un « c’est beau » lui échappe après avoir écouté Camille jouer. La musique ici, aussi sublime soit-elle (celle des  sonates et trio de Ravel) n’est pas forcément mélodieuse mais exprime la dissonance que connaissent les personnages. C’est un élément d’expression d’une force rare, bien plus que n’importe quel dialogue.

    La passion est donc celle pour la musique mais aussi celle qui s’exprime à travers elle, l’autre : la passion amoureuse. Celle qui s’empare de Camille pour cet homme hermétique au regard brillant, transperçant, qui la fascine, l’intrigue, la désempare.  Le trouble s’empare d’elle dès sa première répétition à laquelle Stéphane assiste. Elle ne parvient pas à jouer, dit qu’elle reprendra un autre jour et puis quand Stéphane quitte la pièce, elle reprend comme si de rien n’était. Ensuite, venue rejoindre Maxime dans l’atelier de lutherie, ce dernier occupé, elle l’attend en compagnie de Stéphane et lui confie ce qu’elle n’avait jamais dit à personne, lui parlant de ses rapports compliqués avec son agent et amie Régine (Brigitte Catillon). Enfin, troisième rencontre déterminante : Stéphane vient la voir jouer, seul, sans Maxime pour la première fois. Ils s’évadent un instant de la répétition pour aller boire un café après avoir traversé la rue sous la pluie. Leurs mains s’effleurent presque subrepticement, négligemment. Stéphane la protège de la pluie avec sa veste. Puis, il l’écoute assis au café, avec son regard scrutateur. Puis, c’est l’absence et le silence de Stéphane mais c’est trop tard : Camille est déjà bouleversée, amoureuse. A priori, racontées ainsi rien d’extraordinaire dans ces trois scènes, pourtant le scénario et la mise en scène de Sautet et surtout ses personnages sont d’une telle richesse que chacune d’elle est plus haletante qu’une scène d’un palpitant thriller. Aucun plan n’est inutile. Comme dans un thriller, chaque plan a une implication sur la résolution.

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    Tous les films de Sautet se caractérisent d’ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks ) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants.  Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif, c’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait  de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ».

    Le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard (le regard tellement transperçant de Stéphane, ou de plus en plus troublé de Camille) à chaque note, à chaque geste d’une précision rare. Je n’ai encore jamais trouvé au cinéma de personnages aussi « travaillés » que Stéphane, ambigu, complexe qui me semble avoir une existence propre, presque exister en dehors de l’écran. Là encore comme un thriller énigmatique, à chaque fois, je l’interprète différemment, un peu aussi comme une sublime musique ou œuvre d’art qui à chaque fois me ferait ressentir des émotions différentes. Stéphane est-il vraiment indifférent ? Joue-t-il un jeu ? Ne vit-il qu’à travers la musique ? « La musique c’est du rêve » dit-il. Ou, selon cette citation de La Rochefoucauld que cite Sautet  fait-il partie de ceux qui pensent que« Peu de gens seraient amoureux si on ne leur avait jamais parlé d’amour » ? A-t-il peur d’aimer ? Ou n’y croit-il simplement pas ? Est-il sincère quand il dit avec une froide tranquillité que Maxime n’est pas un ami, juste « un partenaire ».

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    Le film commence ainsi de nuit dans l’atelier et se termine de jour dans un café et entre ces deux moments, Stéphane passera de l’ombre à la lumière, d’une personnalité ombrageuse à (peut-être, là aussi, l’interprétation varie à chaque visionnage) un homme capable d’aimer. Un personnage assez proche du personnage de Martial dans « Quelques jours avec moi » (un autre film de Sautet méconnu que je vous recommande, où son regard se fait encore plus ironique et acéré, un film irrésistiblement drôle et non dénué de - douce - cruauté).  « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. » disait ainsi Truffaut.

    Et puis certaines scènes font pour moi partie des plus belles et cruelles du cinéma. Cette scène où dans une voiture, Camille lui avoue l’amour qu’il lui inspire et se livre à lui, ce à quoi Stéphane répond avec tranquillité, jubilation peut-être, froidement en tout cas : « je ne vous aime pas ». Cette scène me glace le sang à chaque fois. Et puis la scène où Camille veut l’humilier à son tour. Elle se maquille outrageusement, le rejoint au café où il a ses habitudes où il dîne avec son amie Hélène. Camille lui crie sa rancœur, sa passion, cherche à l’humilier. La scène est tranchante, violente et sublime comme la musique de Ravel jouée par Camille.

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    Et puis comment ne pas parler de la distribution, absolument parfaite, à commencer par Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart, sans aucun doute leurs meilleurs rôles auxquels ils semblent se livrer (ou se cacher) corps et âme, d’autant plus ambigus puisqu’ils vivaient alors ensemble. Emmanuelle Béart est à la fois mystérieuse, sensuelle, forte, fragile, fière, brisée, passionnée et talentueuse (elle apprit ainsi le violon pendant un an). Daniel Auteuil donne vie à ce Stéphane énigmatique, opaque, cinglant, glacial, austère qui se définit lui-même comme sournois, parfois révoltant, parfois touchant avec ce regard perçant, tantôt terriblement là ou terriblement absent. L’un comme l’autre, dans leurs regards, expriment une multitude d’émotions ou de mystères. Mais il ne faudrait pas non plus oublier les seconds rôles : André Dussolier, personnage digne qui échappe au cliché de l’amant trompé et qui obtint d’ailleurs le César du meilleur second rôle. Jean-Luc Bideau qui dans une scène courte mais intense aligne les clichés sur la culture et l’élitisme (magnifique scène de dialogue où là aussi Stéphane dévoile une trouble (et pour Camille troublante) facette de sa personnalité. Myriam Boyer, Brigitte Catillon, Elisabeth Bourgine (les femmes de l’ombre avec, chacune à leur manière, une présence forte et déterminante).

    « Un cœur en hiver »  obtint le lion d’argent à Venise. Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart passèrent à côté des César de meilleurs acteurs (que leur ravirent Claude Rich pour « Le souper » et Catherine Deneuve, pour « Indochine »). Claude Sautet obtint néanmoins le César du meilleur réalisateur (le seul avec celui de Dussolier malgré sept nominations) et celui du meilleur film fut cette année-là attribué à Cyril Collard pour « Les nuits fauves ». Tous les postes du film auraient mérités d’être récompensés : le scénario, l’image d’Yves Angelo, le travail sur la musique de Philippe Sarde, le scénario  de Jacques Fieschi et Claude Sautet…

    On retrouve là encore ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de groupe (dont « Vincent, François, Paul et les autres" est le film emblématique) et la solitude dans et malgré le groupe, l’implicite dans ce qui n’est pas -les ellipses- comme dans ce qui est -les regards- (Ah le regard tranchant de Daniel Auteuil! Ah, ce dernier plan !), des scènes de café ( « A chaque film, avouait Sautet, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. ») les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu « Le jour se lève » …17 fois en un mois!), des femmes combattives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes et avant tout un cinéma de personnages : César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres, des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

    On a souvent dit de Claude Sautet était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle.  S’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne,  ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme « La Comédie Humaine » peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.

    Le personnage de Stéphane ne cessera jamais de m’intriguer, intrigant le spectateur comme il intrigue Camille, exprimant tant d’ambiguïté dans son regard brillant ou éteint. Hors de la vie, hors du temps. Je vous le garantis, vous ne pourrez pas oublier ce crescendo émotionnel jusqu’à ce plan fixe final polysémique qui vous laisse ko et qui n’est pas sans rappeler celui de Romy Schneider à la fin de « Max et les ferrailleurs » ou de Michel Serrault (regard absent à l’aéroport) dans « Nelly et Monsieur Arnaud » ou de Montand/Frey/Schneider dans « César et Rosalie ». Le cinéma de Claude Sautet est finalement affaire de regards, qu’il avait d’une acuité incroyable, saisissante sur la complexité des êtres, et jamais égalée. Alors que le cinéma est de plus en plus univoque, explicatif, c’est plus que salutaire.

    Une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images.

    Un peu comme l’ours en peluche du « Jour se lève » qui a un œil qui rit et un autre qui pleure, nous ressortons des films de Sautet et de celui-là en particulier, entre rires et larmes, bouleversés, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. Personne après lui n’a su nous raconter des « histoires simples » aux personnages complexes qui nous parlent aussi bien de « choses de la vie ».

    Claude Sautet, en 14 films, a su imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d’une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble, et celui-ci pour moi le plus beau et bouleversant.

    CRITIQUE de CESAR ET ROSALIE de Claude Sautet

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    Il y a les cinéastes qui vous font aimer le cinéma, ceux qui vous donnent envie d'en faire, ceux qui vous font appréhender la vie différemment, voire l'aimer davantage encore. Claude Sautet, pour moi, réunit toutes ces qualités.

    Certains films sont ainsi comme des rencontres, qui vous portent, vous enrichissent, vous influencent ou vous transforment même parfois. Les films de Claude Sautet, pour moi, font partie de cette rare catégorie et de celle, tout aussi parcimonieuse, des films dont le plaisir à les revoir, même pour la dixième fois, est toujours accru par rapport à la première projection. J'ai beau connaître les répliques par cœur, à chaque fois César et Rosalie m'emportent dans leur tourbillon de vie joyeusement désordonné, exalté et exaltant.

    Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour la Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement. Derrière l'exubérance et la truculence de César, on ressent en effet la mélancolie sous-jacente. César donc c'est Yves Montand, un ferrailleur qui a réussi, vivant avec Rosalie (Romy Schneider) divorcée d'Antoine (Umberto Orsini), et qui aime toujours David (Sami Frey), un dessinateur de bandes dessinées, sans cesser d'aimer César. Ce dernier se fâche puis réfléchit et abandonne Rosalie à David. Des liens de complicité et même d'amitié se tissent entre les deux hommes si bien que Rosalie, qui veut être aimée séparément par l'un et par l'autre, va tenter de s'interposer entre eux, puis va partir...

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    Dans ce film de 1972, qui fut souvent comparé à Jules et Jim de Truffaut, on retrouve ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de café, de groupe et la solitude dans le groupe, la fugacité du bonheur immortalisée, l'implicite dans ce qui n'est pas- les ellipses- comme dans ce qui est-les regards- (Ah, ces derniers regards entre les trois personnages principaux! Ah, le regard de David lorsque l'enfant passe des bras de Rosalie à ceux de César, scène triangulaire parfaitement construite!).

    Sur la tombe de Claude Sautet au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance », voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma : d'abord parce que son cinéma est un cinéma de la dissonance, de l'imprévu, de la note inattendue dans la quotidienneté (ici, l'arrivée de David) et ensuite parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Claude Sautet a ainsi été critique musical au journal « Combat », un journal de la Résistance, il avait ainsi une vraie passion pour le jazz et pour Bach, notamment. Il a par ailleurs consacré un film entier à la musique, « Un cœur en hiver », (d'après un recueil de nouvelles de Lermontov : « Un héros de notre temps ») le meilleur selon moi tant les personnages y sont ambivalents, complexes, bref humains, et tout particulièrement le personnage de Stéphane interprété par Daniel Auteuil, le « cœur en hiver », pouvant donner lieu à une interprétation différente à chaque vision du film. Le tempo de ses films est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l'impression qu'en changer une note ébranlerait l'ensemble de la composition. C'est évidemment aussi le cas dans « César et Rosalie ».

    « L'unité dans la diversité ». Pour qualifier le cinéma de Claude Sautet et l'unité qui le caractérise malgré une diversité apparente, nous pourrions ainsi paraphraser cette devise de l'Union européenne. Certes a priori, « L'arme à gauche » est un film très différent de « Vincent, François, Paul et les autres », pourtant si son premier film « Classe tous risques » est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo (« Bonjour sourire », une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n'en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films. Tous ses films se caractérisent d'ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks ) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants. Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l'on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d'être démesurément explicatif, c'est au contraire un cinéma de l'implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait de Claude Sautet qu'il « reste une fenêtre ouverte sur l'inconscient ».

    Dans « Nelly et M. Arnaud » se noue ainsi une relation ambiguë entre un magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et une jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l'autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c'est l'implicite d'un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d'Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant référence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d'amour du cinéma: silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle, le suspense, presque hitchcockien y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu'il a initié: le thriller des sentiments.

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    Les films de Sautet ont tous des points communs : le groupe, (dont « Vincent, François, Paul et les autres » est le film emblématique), des personnages face à leurs solitudes malgré ce groupe, des scènes de café,( « A chaque film, avouait Sautet, je me dis toujours : non, cette fois tu n'y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m'en empêcher. Les cafés, c'est comme Paris, c'est vraiment mon univers. C'est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. ») les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu « Le jour se lève » ...17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes et avant tout un cinéma de personnages : César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, ...et les autres, des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

    Claude Sautet, en 14 films, a imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d'une savoureuse mélancolie, de l'ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l'ensemble. Il a signé aussi bien des "drames gais" avec « César et Rosalie », ou encore le trop méconnu, fantasque et extravagant « Quelques jours avec moi », un film irrésistible, parfois aux frontières de l'absurde, mais aussi des films plus politiques notamment le très sombre « Mado » dans lequel il dénonce l'affairisme et la corruption...

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    « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu'ils font (..). Claude Sautet c'est la vitalité. », disait Truffaut. Ainsi, personne mieux que Claude Sautet ne savait et n'a su dépeindre des personnages attachants, fragiles mais si vivants (à l'exception de Stephan interprété par Daniel Auteuil dans Un cœur en hiver, personnage aux émotions anesthésiées quoique...) comme le sont César et Rosalie.

    Ici au contraire ce n'est pas « un cœur en hiver », mais un cœur qui bat la chamade et qui hésite, celui de Rosalie, qui virevolte avec sincérité, et qui emporte le spectateur dans ses battements effrénés. Et effectivement on retrouve cette vitalité, celle de la mise en scène qui épouse le rythme trépidant de César face au taciturne David. César qui pourrait agacer ( flambeur, gouailleur, lâche parfois) face à la fragilité et la discrétion de l'artiste David. Deux hommes si différents, voire opposés, dans leur caractérisation comme dans leur relation à Rosalie que Sautet dépeint avec tendresse, parfois plutôt une tendre cruauté concernant César.

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    Là se trouve la fantaisie, dans ce personnage interprété magistralement par Yves Montand, ou dans la relation singulière des trois personnages, si moderne. Un film qui n'est pas conventionnel jusque dans sa magnifique fin, ambiguë à souhait. Sans effets spéciaux. Simplement par la caractérisation ciselée de personnages avec leurs fêlures et leur déraison si humaines.

    On a souvent dit de Claude Sautet était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle. S'il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d'après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme « La Comédie Humaine » peut s'appliquer aussi bien à notre époque qu'à celle de Balzac.

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    « César et Rosalie » est un film à l'image de son personnage principal qui insuffle ce rythme précis et exalté : truculent et émouvant, mélancolique et joyeux, exubérant et secret. Un film intemporel et libre, qui oscille entre le rire et les larmes, dans lequel tout est grave et rien n'est sérieux (devise crétoise, un peu la mienne aussi). Un film délicieusement amoral que vous devez absolument voir ou revoir ne serait-ce que pour y voir deux monstres sacrés (Romy Schneider et Yves Montand, l'une parfaite et resplendissante dans ce rôle de femme riche de contradictions moderne, amoureuse, indépendante, enjouée, et triste, incarnant à elle seule les paradoxes de ce « drame gai » ; l'autre hâbleur, passionné, cabotin, bavard, touchant face à Samy Frey silencieux, posé, mystérieux, séduisant mais tous finalement vulnérables, et les regards traversés de voiles soudains de mélancolie ) au sommet de leur art et pour entendre des dialogues aussi incisifs, précis que savoureux (comme pour le scénario également cosigné par Jean-Loup Dabadie)...

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    Claude Sautet disait lui-même que ses films n'étaient pas réalistes mais des fables. Son univers nous envoûte en tout cas, et en retranscrivant la vie à sa « fabuleuse » manière, il l'a indéniablement magnifiée. Certains lui ont reproché son classicisme, pour le manque de réflexivité de son cinéma, comme on le reprocha aussi à Carné dont Sautet admirait tant « Le jour se lève. » On lui a aussi reproché de toujours filmer le même milieu social (bourgeoisie quinquagénaire et citadine). Qu'importe ! Un peu comme l'ours en peluche du « Jour se lève » qui a un œil qui rit et un autre qui pleure, nous ressortons de ses films, entre rires et larmes, bouleversés, avec l'envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »...et il y est parvenu, magistralement. Personne après lui n'a su nous raconter des « histoires simples » aux personnages complexes qui nous parlent aussi bien de « choses de la vie ».

     

    FILMOGRAPHIE DE CLAUDE SAUTET

    Né à Montrouge (près de Paris) en 1924, Claude Sautet est mort à Paris le samedi 22 juillet 2000 à l'âge de soixante-seize ans...

    Longs-métrages réalisés par Claude Sautet

    Bonjour sourire (1955)

    Classe tous risques (1960)

    L'Arme à gauche (1965)

    Les Choses de la vie (1970)

    Max et les Ferrailleurs (1970)

    César et Rosalie (1972)

    Vincent, François, Paul et les autres (1974)

    Mado (1976)

    Une histoire simple (1978)

    Un mauvais fils (1980)

    Garçon ! (1983)

    Quelques jours avec moi (1988)

    Un cœur en hiver (1991)

    Nelly et Monsieur Arnaud (1995)

     

    A voir : le documentaire de N.T.Binh « Claude Sautet ou la magie invisible »

    A noter: Claude Sautet a également travailler comme ressemeleur de scénarii pour de nombreux cinéastes et notamment sur (parmi de nombreux autres films ) « Borsalino » de Jacques Deray.

     

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