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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 6

  • Critique de LA ZONE D’INTÉRÊT de Jonathan Glazer (au cinéma le 31.01.2024)

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    Photo ci-dessus : présentation du film dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023

    La Zone d’intérêt figurait parmi les films en compétition du dernier Festival de Cannes (d’où il est reparti avec le Grand Prix), fut présenté en avant-première au dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville, dans le cadre duquel je l’ai découvert, et le sera également la semaine prochaine au Dinard Festival du Film Britannique (dont je vous détaille le programme, ici).

    Rarement un film m’aura autant bousculée, de la première à la dernière seconde, et hantée, des jours après. Cela commence par un écran noir, interminable, tandis que des notes lancinantes et douloureuses viennent déjà heurter notre tranquillité, nous avertir que la sérénité qui lui succèdera sera fallacieuse. La première scène nous donne à voir une image bucolique, celle d’une famille au bord d’une rivière par une journée éclatante. Celle de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz de 1940 à 1943, qui habite avec sa famille dans une villa avec jardin, juste derrière les murs du camp. À qui ignorerait l’histoire (et l’Histoire) et ne serait pas attentif, la vie de cette famille semblerait de prime abord presque « normale ». Un air de vacances et de gaieté flotte dans l’air. Les corps s’exhibent, en pleine santé. Pourtant c’est dans cette normalité, cette banalité que réside toute l’horreur, omniprésente, dans chaque son, chaque arrière-plan, chaque hors-champ. Cette zone d’intérêt, ce sont les 40 kilomètres autour du camp, ainsi qualifiés par les nazis. Une qualification qui englobe déjà le cynisme barbare de la situation. La biographie de Rudolf Höss avait inspiré La mort est mon métier de Robert Merle, puis le roman The Zone of Interest de Martin Amis (publié chez Calmann-Lévy en 2015) dont le film est adapté. Il décrit le quotidien de cet artisan de l’horreur avec Hedwig, son épouse et leurs cinq enfants.

    Avant même le premier plan, ce qui nous interpelle, c’est le son, incessant, négation permanente de la banalité des scènes de la maisonnée. C’est le bruit d’un wagon. Ce sont des cris étouffés. Ce sont des coups de feu. Ce sont des aboiements. Ce sont ces ronronnements terrifiants et obsédants des fours crématoires. Mais c’est l’arrière-plan aussi qui teinte d’horreur tout ce qui se déroule au premier, cette indifférence criante qui nous révulse. C’est la vue de cette cheminée, juste au-dessus du jardin, dont une fumée noire s’échappe, sans répit. Ce sont les barbelés. C’est ce prisonnier qui s’affaire dans le jardin du Commandant. C’est la vue de ces trains qui ne cessent d’arriver. Ce sont ces os que charrie la rivière. L’horreur est là, omniprésente, et pourtant insignifiante pour les occupants de la zone d’intérêt qui vivent là comme si de rien n’était, comme si la mort ne se manifestait pas à chaque seconde. La vie est là dans ce jardin, entre le père qui fume, les pépiements des oiseaux et les cris joyeux des enfants, éclaboussant de son indécente frivolité la mort qui sévit constamment juste à côté. La « banalité du mal » définie par Hannah Arendt représentée dans chaque plan.

    Hedwig Höss se glorifie même d’être gratifiée du titre de « reine d’Auschwitz » par son mari. Hedwig est en effet très fière : de son statut, de ce qu’elle fait de sa maison, surtout de son jardin, avec sa serre et sa piscine. Son havre de paix au cœur de l’horreur absolue. Son mari est muté. Pour elle, l’horreur absolue s’inscrit cependant là : dans la perspective de devoir déménager de son « paradis ». Cette « zone d’intérêt » qu’elle ne quitterait pour rien au monde. Ce cliché de propagande nazie.

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    Claude Lanzmann (dont le documentaire Shoah, reste l’incontournable témoignage sur le sujet, avec également le court-métrage d’Alain Resnais, Nuit et brouillard) écrivit ainsi : « L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu de l’horreur est intransmissible : prétendre pourtant le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. » Le film de Glazer a cette intelligence-là : ne jamais montrer l’intransmissible. L’imaginer est finalement plus parlant encore. Ainsi, nous ne voyons rien de ce qui se déroule dans le camp mais nous le devinons. Nous ne voyons que des objets appartenant aux déportés qui contiennent en eux des destins tragiques et racontent la folie des hommes : un manteau de fourrure, des vêtements d'enfants, des bijoux, ou ce rouge à lèvres appartenant à une déportée qu’Hedwig s’applique soigneusement, et dans cette application en apparence insignifiante s’insinue le souffle glaçant de la mort qui la sous-tend. Le film adopte la retenue qui sied au sujet, au respect des victimes dont l’absence à l’image ne contribue pas à les nier mais n’est que le reflet de ce qu’elles étaient pour leurs bourreaux : des chiffres, des êtres dont on occultait sans état d'âme l'humanité. Le dénouement leur rend la lumière et la dignité. La Zone d’intérêt a été tourné à Auschwitz même, encore une fois avec ce souci, de respect des victimes et de fictionnaliser le moins possible. Pas d’esthétisation. Pas de lumière artificielle. Le sentiment de contemporanéité n’en est que plus frappant.

    Sandra Hüller figurait au générique de deux films remarquables en compétition du Festival de Cannes 2023, puisqu’elle incarne aussi la Sandra de Anatomie d’une chute de Justine Triet, la palme d’or de cette édition. Révélée à Cannes en 2016 dans Toni Erdmann, dans le film de Justine Triet, elle est impressionnante d’opacité, de froideur, de maitrise, d’ambiguïté. Ici, dans le rôle d'Hedwig, elle est carrément glaçante. Elle se délecte à essayer un manteau de fourrure trop grand pour elle dont il est aisé de deviner l’origine. Elle distribue des vêtements à ses amis dont la provenance ne fait aucun doute là non plus. Elle est si fière d’être cette femme à la vie si privilégiée, clamant qu’elle a une vie « paradisiaque » dans ce jardin qu’elle montre avec orgueil à sa mère, comme cette chambre d’enfant où elle l’héberge, avec fenêtre sur les miradors et cheminées. Elle est monstrueuse dans l’apparente normalité de ses gestes et paroles, et laissant même éclater toute sa violence lorsqu’une assiette n’est pas là où elle doit être. Ou quand elle demande à « Rudolf » de l'« emmener encore dans ce spa italien »  tandis que rugissent les fours crématoires, et la mort, alors qu’elle ne pense qu’à jouir de la vie, sans scrupules.

    Pour le Commandant (Christian Friedel), seule compte la fierté de servir le 3ème Reich. Obstinément. Des industriels viennent louer les qualités de leurs fours, comme s’il s’agissait d’un quelconque produit industriel. Comment ne pas avoir la nausée devant l’ignominieuse distance et l’abominable froideur avec lesquelles ils discutent des modalités de la solution finale et du principe d’un "four crématoire circulaire" ? Les réunions des directeurs de camps sont aussi nauséeuses dans leur apparence ordinaire. Il est question d’efficacité, de rendement, de logistique. Comme si rien de tout cela ne concernait des êtres humains, et leur mort atroce.

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     Une folie qui semble contaminer jusqu’aux enfants quand l’un enferme son frère dans la serre. On pense alors au chef-d’œuvre de Michael Haneke, Le ruban blanc. Ce ruban blanc, dans le film d’Haneke, c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc, c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc. Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres. La forme, comme dans le film de Glazer, démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.

    Je ne saurais citer un autre film dans lequel le travail sur le son est aussi impressionnant que dans La Zone d’intérêt, la forme sonore tellement au service du fond (parmi les films récents, je songe au long-métrage de Vincent Maël Cardona,  Les Magnétiques mais le sujet est à des années-lumière de celui du film de Glazer) : cette dichotomie permanente entre ce vacarme et l’indifférence qu’il suscite. Ce grondement incessant qui nous accompagne des jours après. Les musiques composées par Mica Levi et les sons du concepteur sonore Johnnie Burn sont pour beaucoup dans la singularité de cette œuvre et dans sa résonance. Ces dissonances qui constamment nous rappellent que tout cela n'a rien de normal, qui nous oppressent. Et au cas où nous aurions souhaité occulter ce que ces sons représentent, ce qui se joue là, derrière les discussions sur la façon d’agencer le jardin ou les jeux des enfants, un écran brusquement rouge vient nous heurter, comme un écho à l’écran noir du début, nous signifiant bien que ce paradis bucolique masque un enfer, que le vert qui envahit l’écran n’est là que pour masquer le rouge qui déferle à quelques mètres. Seules des parenthèses en négatif laissent éclater un peu d’humanité (lueur d’espoir apparaissant alors comme irréalité au milieu de cette inconcevable réalité), et peut-être le départ anticipé de la mère d’Hedwig avec un mot dont nous ne connaîtrons pas la teneur et dont on a envie de croire qu'il dénonce l'horreur, et qui pourtant a elle aussi profité des déportés, en l’occurrence ses anciens patrons. C’est tout. Pas d'autre lueur d'espoir.

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    En 2015, avec Le Fils de Saul, László Nemes nous immergeait dans le quotidien d'un membre des Sonderkommandos, en octobre 1944, à Auschwitz-Birkenau. Saul Ausländer est alors membre de ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums où il est chargé de « rassurer » les Juifs qui seront exterminés et qui ignorent ce qui les attend, puis de nettoyer… quand il découvre le cadavre d’un garçon en lequel il croit ou veut croire reconnaître son fils. Tandis que le Sonderkommando prépare une révolte (la seule qu’ait connue Auschwitz), il décide de tenter l’impossible : offrir une véritable sépulture à l’enfant afin qu’on ne lui vole pas sa mort comme on lui a volé sa vie, dernier rempart contre la barbarie. La profondeur de champ, infime, renforce cette impression d’absence de lumière, d’espoir, d’horizon, nous enferme dans le cadre avec Saul, prisonnier de l’horreur absolue dont on a voulu annihiler l’humanité mais qui en retrouve la lueur par cet acte de bravoure à la fois vain et nécessaire, son seul moyen de résister. Que d’intelligence dans cette utilisation du son, de la mise en scène étouffante, du hors champ, du flou pour suggérer l’horreur ineffable, ce qui nous la fait d’ailleurs appréhender avec plus de force encore que si elle était montrée. László Nemes s’est beaucoup inspiré de Voix sous la cendre, un livre de témoignages écrit par les Sonderkommandos eux-mêmes.

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    Avec le plus controversé La vie est belle, Benigni a lui opté pour le conte philosophique, la fable pour démontrer toute la tragique et monstrueuse absurdité à travers les yeux de l’enfance, de l’innocence, ceux de Giosué. Benigni ne cède pour autant à aucune facilité, son scénario et ses dialogues sont ciselés pour que chaque scène « comique » soit le masque et le révélateur de la tragédie qui se « joue ». Bien entendu, Benigni ne rit pas, et à aucun moment, de la Shoah mais utilise le rire, la seule arme qui lui reste, pour relater l’incroyable et terrible réalité et rendre l’inacceptable acceptable aux yeux de son enfant. Benigni cite ainsi Primo Levi dans Si c’est un homme qui décrit l’appel du matin dans le camp. « Tous les détenus sont nus, immobiles, et Levi regarde autour de lui en se disant : “Et si ce n’était qu’une blague, tout ça ne peut pas être vrai…” C’est la question que se sont posés tous les survivants : comment cela a-t-il pu arriver ? ». Tout cela est tellement inconcevable, irréel, que la seule solution est de recourir à un rire libérateur qui en souligne le ridicule. Le seul moyen de rester fidèle à la réalité, de toute façon intraduisible dans toute son indicible horreur, était donc, pour Benigni, de la styliser et non de recourir au réalisme. Quand il rentre au baraquement, épuisé, après une journée de travail, il dit à Giosué que c’était « à mourir de rire ». Giosué répète les horreurs qu’il entend à son père comme « ils vont faire de nous des boutons et du savon », des horreurs que seul un enfant pourrait croire mais qui ne peuvent que rendre un adulte incrédule devant tant d’imagination dans la barbarie (« Boutons, savons : tu gobes n’importe quoi ») et n’y trouver pour seule explication que la folie (« Ils sont fous »). Benigni recourt à plusieurs reprises intelligemment à l’ellipse comme lors du dénouement avec ce tir de mitraillette hors champ, brusque, violent, où la mort terrible d’un homme se résume à une besogne effectuée à la va-vite. Les paroles suivantes le « C’était vrai alors » lorsque Giosué voit apparaître le char résonne alors comme une ironie tragique. Et saisissante.

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    Autre approche encore que celle de La Liste de Schindler de Spielberg dont le scénario sans concessions au pathos de Steven Zaillian, la photographie entre expressionnisme et néoréalisme de Janusz Kaminski (splendides plans de Schindler partiellement dans la pénombre qui reflètent les paradoxes du personnage), l’interprétation de Liam Neeson, passionnant personnage, paradoxal, ambigu et humain à souhait, et face à lui, la folie de celui de Ralph Fiennes, la virtuosité et la précision de la mise en scène (qui ne cherche néanmoins jamais à éblouir mais dont la sobriété et la simplicité suffisent à retranscrire l’horrible réalité), la musique poignante de John Williams par laquelle il est absolument impossible de ne pas être ravagé d'émotions à chaque écoute (musique solennelle et austère qui sied au sujet -les 18 premières minutes sont d’ailleurs dénuées de musique- avec ce violon qui larmoie, voix de ceux à qui on l’a ôtée, par le talent du violoniste israélien Itzhak Perlman, qui devient alors, aussi, le messager de l’espoir), et le message d’espérance malgré toute l’horreur en font un film bouleversant et magistral. Et cette petite fille en rouge que nous n'oublierons jamais, perdue, tentant d’échapper au massacre (vainement) et qui fait prendre conscience à Schindler de l’individualité de ces juifs qui n’étaient alors pour lui qu’une main d’œuvre bon marché. 

    Avec The Zone of Interest, Jonathan Glazer prouve d’une nouvelle manière, singulière, puissante, audacieuse et digne, qu’il est possible d’évoquer l’horreur sans la représenter frontalement, par des plans fixes, en nous en montrant le contrechamp, reflet terrifiant de la banalité du mal, non moins insoutenable, dont il signe une démonstration implacable. Cette image qui réunit dans chaque plan deux mondes qui coexistent et dont l’un est une insulte permanente à l’autre est absolument effroyable.  Si cette famille nous est montrée dans sa quotidienneté, c’est avant tout pour nous rappeler que la monstruosité peut porter le masque de la normalité. L’intelligence réside aussi dans la fin, qui avilit le monstre et le fait tomber dans un néant insondable tandis que nous restent les images de ce musée d’Auschwitz dans lequel s’affairent des femmes de ménage, au milieu des amas des valises, de chaussures et de vêtements, et des portraits des victimes. C’est d’eux dont il convient de se souvenir. De ces plus de cinq millions de morts tués, gazés, exterminés, parfois par des journées cyniquement ensoleillées. Un passé si récent comme nous le rappellent ces plans de la maison des Höss aujourd’hui transformée en mémorial. Une barbarie passée contre la résurgence de laquelle nous avons encore trop peu de remparts. Le film s’achève par un écran noir accompagné d’une musique lugubre, là pour nous laisser le temps d’y songer, de nous souvenir, de respirer après cette plongée suffocante, et de reprendre nos esprits et notre souffle face à l’émotion qui nous submerge. Un choc cinématographique. Un choc nécessaire. Pour rester en alerte. Pour ne pas oublier les victimes de l’horreur absolue mais aussi que le mal peut prendre le visage de la banalité. Un film brillant, glaçant, marquant, incontournable. Avec ce quatrième long-métrage (après Sexy Beast, Birth, Under the skin) Jonathan Glazer a apporté sa pierre à l'édifice mémoriel. De ce film, vous ne ressortirez pas indemnes. Vous ne pourrez pas (l') oublier. Voyez-le, impérativement.

    La Zone d'intérêt de Jonathan Glazer sortira sur les écrans français le 31 janvier 2024.

  • Roman - La Symphonie des rêves (Editions Blacklephant) - premiers épisodes de la belle aventure : critiques et dédicaces

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    Ci-dessus, La Symphonie des rêves à la librairie du Bon Marché Rive Gauche

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    Ci-dessus, La Symphonie des rêves à la nouvelle librairie Albin Michel, Boulevard Raspail, à Paris

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    Ci-dessus et ci-dessous, à la FNAC

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    Ci-dessous, à la librairie Gibert à Paris

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    Il est là. Le rêve qui se concrétise. Au milieu des autres. Un peu intimidé par ce prestigieux compagnonnage. Un peu fier d’y être, enfin. Je me souviens de ce sentiment d’exaltation quand l’idée s’est imposée, obsessionnelle, quand l’envie irréfragable d’écrire ce livre m’a transportée, quand j’ai établi un véritable plan d’attaque pour en bâtir l’univers en six mois alors que j’écris d’habitude à l’instinct, me laissant porter par mes personnages et émotions. L’émotion. C’est toujours la source et le but. Une émotion qui me submerge et m’envahit tant qu’il est vital de la transformer en histoire. Celle que j’espère réussir à vous transmettre, aussi. Je me souviens de cette énergie démente pendant ces six mois, à l’image de l’émotion d’alors qui la guidait. Je me souviens de ce journal intime auquel, à huit ans, j’avais confié le rêve secret, celui de devenir romancière. La voie me semblait impossible mais aussi être la seule possibilité de faire résonner ma voix. Je me souviens de ces livres dits d’adultes (Balzac, Hugo, Stendhal), que je dévorais à l’âge où ce n'était pas "normal", où au cours imposé de lecture à l’école je feignais de lire des BD pour avoir l’air « comme les autres ». Je me souviens que la normalité n’est qu’une invention des êtres sans fantaisie pour claquemurer celles des autres, et se rassurer. Je me souviens que les livres furent les derniers compagnons de vie de mon père qui m'en a transmis la passion, qu’ils nous relient au passé, aux disparus, aux rêves et êtres impossibles. Je me souviens qu’il vaut mieux éviter de se souvenir, parfois. Je me souviens d’une musique qui a tout enclenché, consolante et magnétique. Je me souviens que j’écris, à la fois pour me souvenir et pour oublier, pour une seule personne et pour tous. Et comme l’héroïne sur la couverture, pour regarder vers la mer, l’avenir, l’ailleurs, l’espoir.
    Je me souviens enfin de ces deux phrases déjà citées mais qui évoquent si bien la genèse de ce roman :
    « Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas il n'est qu'écriture. » Cocteau
    « Écrire, c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit. » Duras

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    Je pourrais vous parler des chemins détournés et épineux qu'empruntent les rêves pour se concrétiser. Je pourrais vous parler de tous les hasards et coïncidences, des turbulences et des rebondissements qui ont jalonné ces derniers mois avant et après la publication de ce roman. Je pourrais vous parler de ce qui, profondément, viscéralement, a suscité l'envie irrépressible de raconter cette histoire sur la force des rêves et la puissance émotionnelle de la musique qui, dans ce roman, bouscule et relie les destinées, enfièvre et console. Je pourrais vous parler des désillusions, des drames, des joies, des rencontres, des doutes qui l'ont nourri. Mais au fond je ne "parlerai" jamais aussi sincèrement et aussi bien de tout cela qu'à travers les personnages de La Symphonie des rêves, sorte de kaléidoscope de toutes ces émotions qui vous feront voyager, d'Athènes à Venise, de Trouville à Nice, de Dinard à Cannes, de La Baule à Hydra, de Beaune à Paris, du Festival de Cannes au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, au rythme des élans musicaux et de leurs élans du cœur.

    D'autres, aussi, en ont parlé magnifiquement, et je les remercie, tout particulièrement Dan Burcea pour son sublime article et sa magnifique analyse dans la revue littéraire Lettres Capitales, une chronique que vous pouvez lire, ici.

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    Retrouvez également mon interview sur le site littéraire A la lettre pour en savoir plus sur le roman, sa genèse, mes goûts cinématographiques, en matière de musiques de films...

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    Quelques avis de lecteurs, aussi (partagés avec leur accord) :

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    Merci à radio J pour l'invitation, et en particulier à Line Toubiana et Lise Gutman, les premières à avoir parlé de La Symphonie des rêves.

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    Enfin, les premières séances de dédicaces furent un bonheur, à la Librairie du Marché de Deauville, à la FNAC de Laval et à la Librairie du Cinéma du Panthéon de Paris que je remercie pour leur confiance.

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    Photo ci-dessus, copyright Dominique Saint

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    Retrouvez d'autres photos et vidéos des séances de dédicaces sur mon compte Instagram @Sandra_Meziere.

     

  • L'Avant- Scène Cinéma à Laval : cinema paradiso...

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    Cela fait deux mois déjà qu'a ouvert l'Avant-Scène cinéma de Laval. Le 8 novembre 2023, la salle de spectacle se transformait en effet en cinéma art et essai. De quoi réjouir les Lavallois (étant native de cette ville où il m'arrive encore souvent de séjourner, je sais de quoi je parle !) qui l'attendaient depuis si longtemps, la programmation du Cinéville (seul autre cinéma de la ville) se cantonnant principalement aux films grand public, aux blockbusters et surtout à de la VF, même si cela tend à s'améliorer depuis quelques années. Il manquait néanmoins un cinéma art et essai pour les passionnés et cinéphiles. Ce projet de la Ligue de l'enseignement-FAL53 qui est propriétaire des locaux, après tant d'années où les Lavallois ont attendu un tel lieu, a donc abouti à la plus grande joie des Mayennais, amoureux du cinéma. Ce cinéma est ainsi géré par la ville et la Fédération des Associations Laïques de la Mayenne (FAL 53).

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    Mais, surtout, ce cinéma est dirigé par Karen Raymond avec passion, enthousiasme, bonne humeur, détermination, une grande cinéphile qui a en plus beaucoup d'expérience dans le domaine de l'exploitation cinématographique pour avoir travaillé dans l'équipe parisienne de MK2, et notamment dirigé le MK2 Beaubourg parmi de nombreuses autres fonctions à son actif dans ce groupe, pendant une dizaine d'années, aux côtés de Marin Karmitz, son fondateur.  Elle fut ainsi d'abord ouvreuse avant d'obtenir un CAP d’opératrice-projectionniste, puis monteuse, critique de cinéma mais aussi auteure d'une thèse d’études cinématographiques.

    L'équipe de ce nouveau cinéma (quatre salariés et de nombreux bénévoles), et avant tout sa directrice, fourmille d'idées. Et la programmation (de 12 à 20 films par semaine, avec 28 séances par semaine !), remarquable (qui met avant tout en avant le cinéma d'auteur), s'en ressent. Voyez plutôt, rien que ces jours prochains : un ciné club avec Django de Sergio Corbucci, un ciné débat par La Ligue des Droits de l'Homme, une ciné-rencontre sur le thème cinéma et santé autour du film Loup y es-tu ?, l'avant-première de The Green Border et de La Ferme des Bertrand, une conférence sur le thème "notre monde est beau mais est-il durable ?", une ciné-rencontre sur Emmaüs, une soirée "anim' ta nuit" avec 4 films d'animation pour 16 euros seulement mais aussi de formidables animations pour le jeune public comme le Veloptik.  Et des films aussi formidables que :

    - Aftersun de Charlotte Wells, un film premier avec (notamment) un dernier plan inoubliable. Un dernier plan qui évoque le vide et le mystère que laissent les (êtres et moments, essentiels) disparus, et les instants en apparence futiles dont on réalise trop tard qu’ils étaient cruciaux, fragiles et uniques. Celui du manque impossible à combler. Celui du (couloir) du temps qui dévore tout.

    - The Fabelmans, déclaration d’amour fou à ses parents et au cinéma de Spielberg. Film mélancolique, flamboyant, intime et universel. Ode aux rêves qu’il faut poursuivre coûte que coûte, malgré le danger, comme on pourchasserait une tornade dévastatrice. Un film sur le pardon, la curiosité. À fleur de peau. À fleur d’enfance. La force du cinéma en un film. Le cinéma qui transcende, transporte, révèle. Qui mythifie la réalité et débusque le réel. Le cinéma qui éclaire et sublime la réalité comme une danse à la lueur des phares. L’art cathartique aussi comme instrument de distanciation. L’art qui capture la beauté, même tragique. 

    - The quiet girl,

    - Memories,

    - Chien de la casse,

    - Anatomie d'une chute de Justine Triet, un film palpitant sur le doute, le récit, la vérité, la complexité du couple, et plus largement des êtres. Un film qui fait une confiance absolue au spectateur. Un film dont le rythme ne faiblit jamais, que vous verrez au travers du regard de Daniel, l'enfant que ce drame va faire grandir violemment, comme lui perdu entre le mensonge et la vérité, juge et démiurge d’une histoire qui interroge, aussi, avec maestria, les pouvoirs et les dangers de la fiction.

    - Les Filles d'Olfa de Kaouther Ban Hania, lauréat du Prix de la Citoyenneté du dernier Festival de Cannes, une mise en abyme, une théâtralisation du réel aussi intéressante pour les questions avec lesquelles elle nous laisse et que cela fait émerger, les doutes sur la réécriture de la réalité également. Finalement, c’est aussi à une « anatomie d’une chute » que procède Kaouther Ben Hania, presque une enquête pour comprendre comment deux jeunes filles gaies et lumineuses ont pu se radicaliser, se tourner vers la noirceur, l’obscurantisme et la violence aveugle et inouïe. La musique d’Amine Bouhafa amplifie encore l’émotion. Par ce dispositif, la réalisatrice exalte aussi le rôle de la parole, là où elle n’était plus possible avec celles qui ne voulaient plus entendre que leur vérité, dogmatique. Le dernier regard face caméra nous hantera longtemps et renforce nos interrogations. Ce documentaire qui ne cède jamais au manichéisme, et qui brouille intelligemment la frontière entre réalité et fiction, pour mieux enfanter la vérité, est aussi original que fascinant, citoyen, instructif et poignant.

    - Les Herbes sèches,

    - L'innocence de Hirokazu Kore-eda, un film qui  incarne toute la beauté et la force du cinéma : sonder la complexité des êtres, nous perdre pour mieux nous aider à trouver une vérité, nous trouver aussi parfois, nous éblouir pour nous éclairer (avec ces  plans du début et de fin, enflammé pour l’un et irradié pour l’autre, qui se répondent). Un film doux et poétique sur la rugosité des êtres et de la société japonaise, sur l’enfance et ses cruautés. Un film labyrinthique qui nous ramène à la source du tunnel et du secret qu’il traque comme dans un polar, celui des mystères de l’adolescence et de la fausse innocence des adultes. Un film sur les blessés de la vie, thème cher au cinéaste, comme la famille. Scénario et réalisation magistraux à l’unisson portés par la sublime ultime bo de Ryuichi Sakamoto.

    - Scrapper de Charlotte Regan (primé lors du dernier Dinard Festival du Film Britannique, dont vous pouvez retrouver mon compte-rendu, ici), une ode à l’imagination, à l’utopie, et donc finalement au cinéma, pleine de douceur, de fantaisie et d'espoir.

    - L'abbé Pierre -une vie de combats,

    - Moi Capitaine,

    - Jeunesse,

    - Dream scenario,

    - Un silence...

    Cela vous donne une idée de la formidable diversité et densité de la programmation !

    Ajoutez à cela une vraie qualité de son et d'image, et de confort dans la salle, des films du patrimoine aussi bien que des avant-premières,  un accueil chaleureux et convivial (il n'est pas rare de voir les spectateurs converser et faire connaissance, encouragés par l'affabilité et l'enthousiasme communicatifs de Karen), des prix inférieurs à ceux pratiqués au Cinéville...vous aurez compris pourquoi ce lieu est incontournable et est devenu en deux mois l'antre des cinéphiles du département, un vrai "cinema paradiso" qui rend à la salle de cinéma toutes ses lettres de noblesse, dont on ressort comme Jacques Perrin à la fin du film éponyme qui, par le pouvoir magique du 7ème art, retrouve les émotions de son enfance et le message d'amour que lui envoie Alfredo, par-delà la mort. Un parfum d'éternité. Le cinéma est décidément un paradis. Celui des vivants. 

    Pour en savoir plus : le site internet de l'Avant-Scène cinéma de Laval et son compte Instagram (@avantscene.laval). 29 Allée du Vieux Saint Louis, 53000 Laval

  • Librairie du Cinéma de Panthéon à Paris - Dédicace du roman "La Symphonie des rêves"

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    J'ai le grand plaisir de vous inviter à découvrir mon deuxième roman La Symphonie des rêves ( Editions Blacklephant) à l'occasion de cette première séance de dédicaces parisienne à la Librairie du Cinéma du Panthéon, le mercredi 24.01, à 19h. Ce moment littéraire, cinématographique et convivial sera accompagné d'un cocktail de la "meilleure table étrangère", le restaurant / traiteur des merveilleuses Maria et Dina Nikolaou, Evi Evane.
     
    Ode à la puissance émotionnelle et salvatrice de la musique, La Symphonie des rêves est en effet aussi une invitation au voyage qui vous emmènera notamment en Grèce mais aussi en Italie. Empreint de ma passion pour le septième art, ce roman vous transportera également au cœur des festivals de cinéma, notamment le Festival de Cannes et le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, des festivals de cinéma que je couvre depuis plus de vingt ans.
    Extrait de l'analyse de la revue littéraire Lettrescapitales.com par Dan Burcea qui, peut-être vous donnera envie de le découvrir (à lire en entier, ici : https://lettrescapitales.com/la-symphonie-des-reves-de.../) :
     
    "Sandra Mézière utilise avec intelligence autant le fond que la forme littéraire de son récit. Pour elle, la construction romanesque suit intimement le titre de son histoire, étant structurée en quatre mouvements dont on reconnait, s’il fallait encore le rappeler, ceux d’une symphonie. C’est au fil de cette structure que le lecteur est invité à suivre les histoires de ces quatre personnages, dans une évolution bien maîtrisée et qui ne manque pas de lui faire découvrir, à chaque étape ou plutôt à chaque partition, le chemin que chacun emprunte pour arriver à accomplir leur rêve.
    Les références nombreuses au monde du cinéma, l’ambiance des festivals et les accords de la musique remplissent un espace suffisant, une scène dans le sens propre du terme. Sandra Mézière maîtrise avec tout autant de talent à la fois cette ambiance dorée, placée sous les feux de la rampe que l’introspection du récit intime qui lui permet d’exprimer le vécu intense, passionné, souvent dramatique des protagonistes de son roman.
    Le roman de Sandra Mézière confirme son talent et sa capacité très remarqués de construire des personnages complexes, d’une vraie beauté et d’une authenticité incontestables. Plus encore, mais à cette question elle seule serait capable d’y répondre, n’est-ce pas à se demander si derrière Carole, Rebecca, Catherine et Stéphanie ne se cacherait pas une seule et unique personne ? Peut-être la narratrice elle-même ? Peut-être l’autrice ?
    La réponse, en lisant ce passionnant roman !"
     
    Pour ne pas oublier la date ou pour en savoir plus, rejoignez la page de l'événement :
     
    Pour en savoir plus sur le roman :
     
    Pour retrouver le récit des deux premiers mois de cette belle aventure :
  • Critique de L’INNOCENCE de HIROKAZU KORE-EDA

    cinéma, critique, L'innocence, Kore-eda, Festival de Cannes, Festival de Cannes 2023, compétition officielle

    Kore-eda, habitué de Cannes, avec ce 16ème long-métrage, figurait cette année pour la 7ème fois en compétition officielle. Il a reçu également plusieurs fois les honneurs du palmarès avec : Nobody Knows, en 2004 (Prix d'interprétation masculine pour Yûya Yagira), Tel père, tel fils en 2013 (Prix du jury) et Une affaire de famille en 2018 (Palme d'or).

    Dans Une affaire de famille, Kore-eda nous dépeignait les membres d’une famille qui, en dépit de leur pauvreté, survivaient de petites rapines qui complétaient leurs maigres salaires, et semblaient vivre heureux, jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets. Ce film représentait la quintessence de son cinéma, clamant dès son titre ce thème présent dans chacun de ses longs-métrages : la famille. Un film d’une sensibilité unique et des personnages bouleversants sur des blessés de la vie que la fatalité, la pauvreté et l’indifférence allaient conduire à la rue et réunir par des liens du cœur, plus forts que ceux du sang. Une peinture pleine d’humanité, de nuance, de poésie, de douceur qui n’édulcore pas pour autant la dureté et l’iniquité de l’existence. Comme un long travelling avant, la caméra de Kore-eda dévoilait progressivement le portrait de chacun des membres de cette famille singulière, bancale et attachante, pour peu à peu révéler en gros plan leurs âpres secrets et réalités. Kore-Eda, plus que le peintre de la société japonaise, est ainsi celui des âmes blessées et esseulées.

    Lors de la conférence de presse d’Une affaire de famille, le cinéaste avait déclaré : « À chaque fois, je reviens avec une nouvelle équipe, à chaque fois c'est une nouvelle expérience, il y a toujours ce plaisir renouvelé d'une expérience qui n'est jamais la même et se prolonge ».

    Après Les bonnes étoiles avec lequel Kore-Eda nous embarquait dans un road-movie entre Busan et Séoul, cadre sublimé par une magnifique lumière (scènes inondées de lumière du bord de mer, magnifiques !), une mise en scène, un souci du cadre toujours très inspirés, dans lequel le cinéaste regardait ses personnages avec une tendresse qui contrebalançait la violence sociale à laquelle ils étaient confrontés, le cinéaste japonais revient dans son pays d’origine et, comme il le disait lors de la conférence de presse d’ Une affaire de famille, chacun de ses films est une nouvelle expérience d’autant plus avec celui-ci pour lequel le producteur Genki Kawamura l’a contacté en 2019 pour un projet de long métrage écrit par Yuji Sakamoto qui souhaitait que le film soit réalisé par Kore-Eda qui, de son côté, a souhaité travailler avec le scénariste estimant ne pas savoir écrire un scénario comme lui.

    Tout cela commence par un incendie, une musique légèrement dissonante (sublime ultime bo de Ryuichi Sakamoto) puis une mère et son fils, Minato, depuis leur balcon, qui observent la scène, complices. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ... Le comportement de Minato qui semble dévoré de l’intérieur par un étrange « monstre » semble de plus en plus étrange : il se coupe les cheveux en rentrant de l’école, se met en péril, disparaît…

    C’est la première fois, depuis son premier long métrage en 1995 que Kore-eda réalise un film dont il n’a pas écrit le scénario même s’il a contribué aux recherches sur place pour développer le script dont l’intrigue se déroule à Suwa, dans la préfecture de Nagano. Et quel scénario ! Au-delà de la réalisation, toujours très inspirée, signifiante et juste, c’est ici la grande force du film. D’apparence classique, il se révèle aussi limpide que labyrinthique pour nous ramener à la sortie du tunnel (au sens propre comme au sens figuré), et à la source du secret qu’il traque comme dans un polar, celui des mystères de l’adolescence mais aussi de la fausse innocence de certains adultes.

    Un film qui pose un regard sans concessions sur la société japonaise, sur ses arrangements avec la vérité, sur son hostilité à la différence, sur sa dureté. Mais aussi un portrait tout en nuances de l’enfance et de sa cruauté. Ce film est comme une vague aussi, qui vous emporte, ramène vers le rivage, puis emporte plus loin encore pour vous faire complètement chavirer, d’émotions, et d’admiration devant une telle virtuosité, une telle sensibilité pour aborder la confusion des sentiments, les premiers émois, la complexité de la vérité aussi, sa pluralité même.

    Un film doux sur la rugosité des êtres et de la société japonaise, poétique tout disséquant la réalité, et à nouveau un film sur des blessés de la vie. Un film qui irradie de beauté comme ce dernier plan dont la lueur répond aux flammes du premier. Une perfection d’écriture, d’interprétation, de sensibilité.

    Monster. Tel était le titre de la version originale qui, dans la version française, a été traduit par L’innocence. En la juxtaposition de ces deux titres résident le secret du film et sa richesse. Ces deux titres et leur dualité font écho à cette scène de la directrice d’école qui, d’apparence impassible et stoïque et surtout si inoffensive, fait un croche-pied à un enfant qui court dans un supermarché. 

    Ce film m’a rappelé le film de Lukas Dhont, Close (également présenté en compétition à Cannes, en 2022) là aussi d’une maitrise (de jeu, d’écriture, de mise en scène) rare, empreint de poésie avec ce regard final qui ne nous lâchait pas comme l’émotion poignante, la douce fragilité et la tendresse qui parcourent et illuminent ce film, et qui résonnait comme un écho à un autre visage, disparu, dont le souvenir inondait tout le film de sa grâce innocente.

    C’est cela, la beauté du cinéma que magnifie ce nouveau film de Kore-eda : sonder la complexité des êtres, nous perdre pour mieux nous aider à trouver une vérité, nous trouver aussi parfois, nous éblouir pour nous éclairer. Et nous bouleverser.

    L'Innocence a obtenu le Prix du Scénario ainsi que la Queer Palm au Festival de Cannes 2023.

  • Bilan cinéma 2023

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    Les affiches des films qui figurent ci-dessus sont celles des longs-métrages qui, en 2023, m’ont enchantée, bousculée, bouleversée, et surtout ont laissé une forte empreinte, parfois pour une seule raison, parfois pour de multiples. Bref, les films qui sont des « rêves que l’on n’oublie jamais » pour paraphraser Spielberg dans le sublime The Fabelmans. Vous retrouverez mes critiques de tous ces films ici. Si n’y figurent pas les films de Scorsese, Tran Anh Hung et Kore-eda, et quelques autres incontournables, c’est que je ne les ai pas encore vus mais je ne manquerai pas de vous en parler très bientôt. J’ai en revanche volontairement écarté trois films pour lesquels je n’ai pas partagé l’engouement général : Yannick, Je verrai toujours vos visages  et Barbie. Et comme toujours, je fais le choix de ne chroniquer que les films qui m’enthousiasment. Pas de top car il m’est impossible pour moi de choisir entre :

    -la déclaration d’amour fou à ses parents et au cinéma de Spielberg. Film mélancolique, flamboyant, intime et universel. Ode aux rêves qu’il faut poursuivre coûte que coûte, malgré le danger, comme on pourchasserait une tornade dévastatrice. Un film sur le pardon, la curiosité. A fleur de peau. A fleur d’enfance. La force du cinéma en un film. Le cinéma qui transcende, transporte, révèle. Qui mythifie la réalité et débusque le réel. Le cinéma qui éclaire et sublime la réalité comme une danse à la lueur des phares. L’art cathartique aussi comme instrument de distanciation. L’art qui capture la beauté, même tragique. Et pour tant d’autres raisons encore…

    - les cœurs déchirés, meurtris, inconsolables, dévorés par la souffrance, l’impuissance ou la culpabilité de la magistrale tragédie universelle de Florian Zeller, The son, ne serait-ce que pour a réalisation qui fait contraster ces espaces gris et déshumanisés de New York avec les jours ensoleillés, et épouse l’instabilité des êtres, la caméra qui caresse les espaces inertes ou un chapeau qui s’égare dans les flots pour dire les souvenirs broyés, ou encore pour chavirer devant la beauté lumineuse, fugace et renversante d’une danse au son de It’s not unusual de Tom Jones puis de Wolf de Awir Leon, une joie évincée en un éclair comme le sera un personnage par un brillant mouvement de caméra.

    - Tár pour Cate Blanchett, prodigieuse dans cette ode à la polysémie et à la complexité humaines et artistiques, aussi palpitante qu’un thriller dont l’énigme consiste à découvrir qui était Linda Tarr devenue Lydia Tár.  La force du film réside dans le fait de ne pas la lever totalement, donnant juste quelques pistes dans l'alcôve d'une modeste maison d'enfance américaine dans laquelle elle croise un frère dédaigneux.

    -Babylon, épopée à dessein cacophonique et fougueuse qui exhale une fièvre qui nous emporte comme un morceau de jazz échevelé, un film d’une captivante extravagance, excessif, effervescent et mélancolique, un chaos étourdissant aussi repoussant qu’envoûtant, qui heurte et emporte, une parabole du cinéma avec son mouvement perpétuel, dont vous ne pourrez que tomber amoureux si vous aimez le cinéma parce qu’il en est la quintessence, une quintessence éblouissante et novatrice.

    - le fascinant, citoyen, instructif et poignant Les Filles d’Olfa, avec ce dernier regard face caméra qui nous hante longtemps, un documentaire qui ne cède jamais au manichéisme, et qui brouille intelligemment la frontière entre réalité et fiction.

    -ou encore un autre film avec un dernier plan inoubliable, celui du long-métrage renversant d’émotions de Charlotte Wells, Aftersun. Un dernier plan qui évoque le vide et le mystère que laissent les (êtres et moments, essentiels) disparus, et les instants en apparence futiles dont on réalise trop tard qu’ils étaient cruciaux, fragiles et uniques. Celui du manque impossible à combler. Celui du (couloir) du temps qui dévore tout.

    - le duo magnifique et leur improbable « symbiose », dans le film pétri d’humanité, profondément émouvant, tendre, sensible, optimiste de Jean-Pierre Améris, porté par l’amour des mots, des êtres, et du cinéma de son réalisateur. 

    - Le cours de la vie de Frédéric Sojcher pour son magnifique scénario coécrit avec Alain Layrac qui nous donne envie d’embrasser (et scénariser) chaque parcelle de seconde de l’existence.

    - Past lives, nos vies d’avant, joyau de pudeur, de subtilité, d’émotions profondes,

    - la promenade poétique de Wim Wenders dont on ressort avec l’envie de croire en tous les possibles de l’existence que ce film esquisse avec une infinie délicatesse.

    - le réquisitoire politique puissant de Jean-Paul Salomé qui réussit le défi d’être aussi un grand film populaire avec une Isabelle Huppert impériale.

    Certains des films de cette liste qui m’ont enchantée n’ont pas reçu le succès qu’ils auraient mérité et je vous les recommande aussi vivement :

    - Emily :  hymne palpitant à la vie que l'écriture permet de sublimer, surmonter, exalter, romancer pour qu'elle devienne intensément romanesque à l'image de ce film qui est aussi enflammé et flamboyant, comme son héroïne, en contraste avec les paysages ombrageux du Yorkshire, et qui interroge intelligemment les rapports entre la fiction et la vie d'un (ou une) auteur(e), la part de vérité qu’elle ou il y puise pour nourrir son art, qu’il s’agisse de s’y sauver ou de s’y perdre.

    - Le prix du passage : dont vous ressortirez le cœur empli du souvenir revigorant et rassérénant de ce plan d'un horizon ensoleillé mais aussi du souvenir de ces deux magnifiques personnages, deux combattants de la vie qui s'enrichissent de la confrontation de leurs différences.

    - Un coup de maître :   hymne à l'amitié (et à l'émotion inestimable -au sens propre comme au sens figuré- que procure la peinture, et l'art en général), décalée, burlesque, inventive, tendre, inattendue, incisive, mélancolique, profonde et drôle. Tragi-comédie maligne aussi, qui joue et jongle avec l'art et la réalité. Un film porté par la puissance magnétique de la musique qui accompagne le geste du peintre, et caresse les toiles.

    - Second tour : Un film salutairement candide, au rythme trépidant, au scénario brillamment dichotomique, entre fable, comédie et thriller politique, bercé de nobles références dans divers domaines (de Médée à Pakula, de Chaplin à Gilliam ou Pollack), tantôt tendre, tantôt cynique, porté par l’utopie de la prise de conscience de l’urgence écologique que résume parfaitement cette citation de Hannah Arendt citée par Dupontel : « Je me prépare au pire en espérant le meilleur. » 

    - Cléo, Melvil et moi : promenade germanopratine, à la fois joyeuse et mélancolique, jalonnée d’escales nostalgiques et gracieuses, que l’on termine à regret avec, en tête, la beauté de Paris, le sourire de Marianne et un parfum de Dolce vita.

    - Le théorème de Marguerite  : Un sublime portrait de femme et une brillante dissection métaphorique des effets de la création, de la solitude et de l'abnégation qu'elle implique, mais surtout un film sensible, parfaitement écrit et interprété, passionnant de la première à la dernière seconde…

    - Les algues vertes  : magnifique portrait d’héroïne contemporaine, mais surtout un film engagé, militant même, qui pour autant n’oublie jamais le spectateur, et d’être une fiction, certes particulièrement documentée et instructive mais qui s’avère prenante de la première à la dernière seconde, tout en décrivant avec beaucoup d’humanité et subtilité un scandale sanitaire et toutes les réalités sociales qu’il implique.


    Et tous les autres dont les affiches figurent ci-dessus…

    N’hésitez pas à aller lire mes critiques qui, peut-être, vous donneront envie de les regarder. Des films* que, pour certains,, je n’aurais peut-être pas découverts sans les festivals de cinéma. En 2024, je couvrirai -au moins- à nouveau Cannes, Dinard, Deauville (dont ce sera les 50 ans !), Arras, La Baule, et je dédicacerai même pendant certains de ces festivals. Je vous en dirai bientôt plus…

    Je termine par quelques questions extraites de ma critique du palpitant « Tar », plus que jamais d’actualité :

    L’art justifie-t-il tout ? 
    Selon le précepte de Machiavel, la fin justifie-t-elle toujours les moyens ?  Le pouvoir est-il indissociable d’abus ? L’art et/ou la réussite nécessitent-ils de céder au mensonge, de toujours se réinventer, de claquemurer une part de soi, de manipuler les autres, de perdre une part d’humanité ? Ou au contraire le véritable artiste n'est-il pas celui qui ne se trahit pas et qui ne transige par avec son intégrité ? Ou l'art nécessite-t-il forcément des concessions, y compris jusqu'à y perdre son âme ? L'art véritable ne doit-il pas élever celui qui le reçoit comme celui qui le pratique ?

    Et je vous donne rendez-vous en 2024 pour de nouvelles critiques passionnées, et surtout le 31 janvier 2024 pour la sortie de ce qui fut mon plus grand choc cinématographique de ces dernières années, La zone d’intérêt, dont vous pouvez déjà lire ma critique ici.


    ( *Beaucoup de films qui interrogent l'art, la vérité et la fiction auxquels il faut évidemment ajouter le film de Justine Triet, film palpitant sur le doute, le récit, la vérité, la complexité du couple, et plus largement des êtres. Un film qui fait une confiance absolue au spectateur. Un film dont le rythme ne faiblit jamais, que vous verrez au travers du regard de Daniel, l'enfant que ce drame va faire grandir violemment, comme lui perdu entre le mensonge et la vérité, juge et démiurge d’une histoire qui interroge, aussi, avec maestria, les pouvoirs et les dangers de la fiction...)
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  • CRITIQUE de PAST LIVES – NOS VIES D’AVANT de CELINE SONG

    cinéma, critique, film, Past lives nos vies d'avant, Celine Song, Festival du Cinéma Américain de Deauville, Golden Globes

    Sélectionné par les festivals de Sundance, Berlin et Deauville, le premier long-métrage de Celine Song vient de récolter 5 nominations aux Golden Globes (actrice dans un film dramatique, meilleur film dramatique, meilleur film en langue étrangère, meilleur réalisateur, meilleur scénario), et il ne fait aucun doute que les Oscars devraient leur emboîter le pas...à juste titre !

    Selon Baudelaire, « La mélancolie est l’illustre compagnon de la beauté. Elle l’est si bien que je ne peux concevoir aucune beauté qui ne porte en elle sa tristesse. » Une citation qu’illustre parfaitement ce film d’une mélancolie subrepticement envoûtante.

    Cela commence dans un bar à New York. Quelqu’un observe un trio (une femme et deux hommes) de l’autre côté du comptoir, interpellé par son étrangeté, s’interrogeant sur le lien qui peut bien les unir. La femme et un des deux hommes semblent en effet particulièrement complices. La première tourne le dos au deuxième homme, comme s’il n’existait pas. Qu’est-ce qui réunit ces trois-là ? Quelles peuvent être les relations entre eux ? Pourquoi la femme a soudain cette expression sur son visage, entre joie et nostalgie (entre « joie » et « souffrance » dirait Truffaut) ?  Le flashback va répondre à cette question…

    Nous retrouvons Nayoung (Moon Seung-ah) et Hae Sung (Seung Min Yim) à l’âge de douze ans. Ils sont amis d’enfance, inséparables, complices. Ils vont à la même école à Séoul et se chamaillent tendrement quand il s’agit d’avoir la première place à l’école. Jusqu’au jour où les parents de Nora, artistes, décident d’émigrer pour le Canada.  Douze ans plus tard, Nayoung devenue Nora (Greta Lee), habite seule à New York. Hae Sung (Teo Yoo), lui, est resté à Séoul où il vit encore chez ses parents pour suivre des études d’ingénieur. Par hasard, en tapant son nom sur internet, Nora découvre que Hae Sung a essayé de la retrouver. Elle lui répond. Ils retrouvent leur complicité d’avant. Au bout de plusieurs mois, Nora décide de suspendre ces échanges, face à l’impossibilité de se retrouver, et devant l’importance que prennent ces conversations et les sentiments qui les unissent. Mais douze ans plus tard, alors que Nora est désormais mariée à un Américain, Arthur (John Magaro), Hae Sung décide de venir passer quelques jours à New York.

    Celine Song s’est inspirée de sa propre histoire. Elle a ainsi quitté la Corée à l’âge de 12 ans pour Toronto, avant de s’installer à New York à vingt ans.

    Inyeon. Cela signifie providence ou destin en coréen. Si deux étrangers se croisent dans la rue et que leurs vêtements se frôlent cela signifie qu’il y a eu 8000 couches de inyeon entre eux. La réalisatrice explique ainsi ce en quoi consiste ce fil du destin : « Dans les cultures occidentales, le destin est une chose que l’on doit impérativement réaliser. Mais dans les cultures orientales, lorsqu’on parle d’"inyeon", il ne s’agit pas forcément d’un élément sur lequel on peut agir. Je sais que le "inyeon" est une notion romantique, mais en fin de compte, il s’agit simplement du sentiment d’être connecté et d’apprécier les personnes qui entrent dans votre vie, que ce soit aujourd’hui, hier ou demain ». « Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que des rendez-vous » écrirait Éluard…

    Quand Nora a changé de pays, elle a laissé derrière elle : son prénom asiatique, son amour d’enfance, la Corée. Past lives - nos vies d'avant est d’abord le récit d’un déracinement. Quand nous la retrouvons à New York, nous ne voyons jamais sa famille, comme si elle avait été amputée d’une part d’elle-même. C’est l’histoire d’un adieu. De l’acceptation de cet adieu, de ce qu’implique le Inyeon, d’une porte sur le passé et l’enfance qu’il faut apprendre à fermer. Rien n'est asséné, surligné. Tout est (non) dit en délicatesse, en silences, en mains qui pourraient se frôler, en regards intenses, en onomatopées qui en disent plus que de longs discours. Pas seulement pour ce qui concerne les liens entre Nora et Hae-Sung mais aussi les ambitions littéraires de la première dont des indices fugaces nous laissent deviner qu'ils ne sont peut-être pas à la hauteur de ses rêves. Comme si, cela aussi appartenait à une vie passée...

    Dans cette époque de fureur, de course effrénée et insatiable au résultat et à l’immédiateté, y compris dans les sentiments, ce refus du mélodrame, de l’explicite et de l’excès, n’est pas du vide, mais au contraire un plein de sensations et troubles contenus qui nous enveloppent, nous prennent doucement par la main, jusqu’à la fin, le moment où surgit enfin l’émotion, belle et ravageuse.

    Celine Song a ainsi déclaré : « Je voulais mettre en scène des relations qui ne soient pas définissables. Ce qui unit mes trois personnages ne se résume pas en un mot ou une expression. Leur relation est un mystère, et le film est la réponse à ce mystère. Past Lives - Nos vies d'avant n’est pas un film sur les liaisons amoureuses. C’est un film sur l’amour. »

    Et c’est aussi là que réside la beauté de ce film. Il n’y a pas de disputes, d’adultère, de fuite. Mais une confrontation à soi-même, à son être profond, comme un miroir tendu à Nora la confrontant à son passé et son devenir. Aucun des trois personnages n’est ridiculisé ou caricatural. Ils agissent avec maturité, empathie, compréhension. Ce que le film perd peut-être (judicieusement) en conflits, il le gagne en singularité et profondeur. Il sublime l'implicite, aussi, comme l'ont fait, sublimement, Wong Kar Wai ou Sofia Coppola (dans Lost in translation) avant Celine Song.

    Christopher Bear et Daniel Rossen ont signé la musique aux notes cristallines, là aussi jamais redondantes ou insistantes, accompagnant le mystère qui lie les personnages, et magnifiant leurs silences. Se joignent à ces musiques celles de Leonard Cohen, John Lee Hooker, John Cale ou encore du Coréen Kim Kwang Seok,. La réalisation privilégie l’intime, sans négliger les décors, Céline Song filme ainsi New York nimbée de lueurs romantiques, quand Hae Sung  et Nora la (re)découvrent ensemble.

    Ce film tout en retenue, ensorcelante, est un joyau de pudeur, de subtilité, d’émotions profondes que l’on emporte avec soi une fois la porte de Nora refermée, et celle de son cœur avec, une fois celui-ci s'étant laissé brusquement envahir et submerger. Et le nôtre avec. LE film à voir absolument en cette fin d'année et en cette période d'actualités tragiquement indicibles : une bulle de douceur réconfortante, comme un conte (lucide et mélancolique) de Noël, murmuré.