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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 10

  • 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville - Critique de Frémont de Babak Jalali (compétition officielle)

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    Comme chaque année, l’édition 2023 du Festival du Cinéma Américain de Deauville, à travers ses films en compétition, nous dressé le tableau de l’état (souvent délabré, et en quête de second souffle) des États d’Amérique. 

    Anaita Wali Zada y incarne Donya, une jeune réfu­giée afghane de 20 ans, qui tra­vaille pour une fabrique de for­tune cookies à San Fran­cis­co. Ancienne tra­duc­trice pour l’armée amé­ri­caine en Afgha­nis­tan, elle a du mal à dor­mir et se sent seule. Sa rou­tine est bou­le­ver­sée lorsque son patron lui confie la rédac­tion des mes­sages et pré­dic­tions. Son désir s’éveille et elle décide d’envoyer un mes­sage spé­cial dans un des bis­cuits en lais­sant le des­tin agir…

    Le réalisateur, Bakak Jalali, est né dans le nord de l'Iran et a grandi principalement à Londres. C’est en un troisième lieu que nous embarque ce film, à Fremont, ville de la baie de San Francisco qui abrite la plus grande communauté afghane des Etats-Unis. Là vivent notamment des interprètes ou traducteurs pour l’armée américaine en Afghanistan.  Avec Carolina Cavalli, le cinéaste a rencontré de nombreuses personnes de cette communauté avant de s’atteler au scénario.

    Ils nous dressent le portrait d’une femme immigrée et solitaire, qui exerce un métier en-deçà de ses qualifications mais jamais regardée avec misérabilisme ou pitié. Elle apparaît fière, combattive, déterminée, indépendante, rêveuse, et comme les fortune cookies dont elle écrit les textes, le film ne lui promet pas non plus un destin idyllique mais illumine son avenir d’un éclair d’espoir, et de nouveaux possibles. Autour d’elles gravitent des personnages de différentes communautés, et ses relations avec ces derniers permettent de parfaire son portrait, par petites touches.

    Le mode de filmage, en 4/3, en plans fixes et en noir et blanc, poétise la mélancolie intemporelle  qui émane de son personnage principal, lui procure de l’élégance, une douceur qui rassérène. On ressort de ce film salutairement lent et délicat, aux accents kaurismäkiens et jarmuschiens, le cœur illuminé de possibles et, comme l'est Donya, tournée vers l’avenir.

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 - Première - Critique LE RÈGNE ANIMAL de Thomas Cailley

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    Hier soir, au CID était projeté un film singulier, puissant et saisissant dont vous entendrez forcément beaucoup parler dans les mois à venir, le deuxième film de Thomas Cailley après Les Combattants (César 2015 du meilleur premier film).

    Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François (Romain Duris) fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d'un nouveau genre, il embarque Émile (Paul Kircher), leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.

    D’apparence tout d’abord réaliste, le glissement se fait progressif vers le fantastique avec un parallèle évident avec une période récente : celle d’une réalité qui peu à peu s’est transformée en une situation inédite, angoissante et ubuesque qui a arrêté toute la planète. Ce film possède tant de ramifications qu’il faudrait en parler des heures. J’y reviendrai plus longuement. Il est notamment passionnant en ce qu’il questionne cette frontière entre l’Humanité et la Nature. Une manière particulièrement originale d’aborder les mutations du vivant (et donc écologiques) et les risques qui menacent la planète. L’immersion du fantastique dans la vie « réelle » rend le récit d’autant plus universel, en mêlant aussi astucieusement le spectaculaire et l’intime.

    Les Landes de Gascogne forment un décor idéal, presque fabuleux, magique, là aussi intemporel, d’une grande richesse et diversité. La forêt devient alors un personnage à part entière, mise en lumière par la magnifique photographie de David Cailley. Ces décors réels dans lesquels a été tournée la totalité du film rendent l’impensable d’autant plus crédible.

     Après le Lycéen, Paul Kircher confirme que le cinéma français devra compter sur lui. Son jeu exhale une sincérité et une force rares, sauvages, intense, et la relation complexe avec son père accroissent l’intérêt du film. Et je vous mets au défi de ne pas être bouleversés quand de la voiture, toutes fenêtres ouvertes, s’échappe la musique de Pierre Bachelet tandis que Paul Kircher hurle "maman !".  Soulignons aussi le rôle de Fix interprété par Tom Mercier, dans un rôle d’homme-oiseau, de « tout son être, tout son corps. »

    Un film atypique, hybride, ambitieux, audacieux intelligemment métaphorique et teinté d’humour. Un récit initiatique et une fable cauchemardesque d’une force rare qui résonne intelligemment avec l’actualité récente mais aussi un fim tendre sur la relation entre un père et son fils. Une auscultation de l’animalité et des mutations de l’homme mais aussi une ode à la différence. Ajoutez à cela une bo absolument magnifique de De Andréa Laszlo De Simone et vous obtiendrez un film d’une grande profondeur derrière un captivant divertissement.

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  • Hommage à Natalie Portman - Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 - Critique de BLACK SWAN de Darren Aronokfsy

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    Natalie Portman ne pouvait être présente pour son hommage, cela ne nous a pas moins permis de revoir le chef-d'œuvre qu'est Black Swan.

    Nina (Natalie Portman) est ballerine au sein du très prestigieux New York City Ballet. Elle (dé)voue sa vie à la danse et partage son existence entre la danse et sa vie avec sa mère Erica (Barbara Hershey), une ancienne danseuse. Lorsque Thomas Leroy (Vincent Cassel), le directeur artistique de la troupe, décide de remplacer la danseuse étoile Beth Mcintyre (Winona Ryder) pour leur nouveau spectacle « Le Lac des cygnes », Nina se bat pour obtenir le rôle. Le choix de Thomas s’oriente vers Nina même si une autre danseuse, Lily, l’impressionne également beaucoup, Nina aussi sur qui elle exerce à la fois répulsion et fascination. Pour « Le Lac des cygnes », il faut une danseuse qui puisse jouer le Cygne blanc, symbole d’innocence et de grâce, et le Cygne noir, qui symbolise la ruse et la sensualité. Nina en plus de l’incarner EST le cygne blanc mais le cygne noir va peu à peu déteindre sur elle et révéler sa face la plus sombre.

    Black swan »n’est pas forcément un film d’emblée aimable (ce qui, pour moi, est une grande qualité quand les synopsis des films ressemblent trop souvent à des arguments marketing) : il se confond ainsi avec son sujet, exerçant tout d’abord sur le spectateur un mélange de répulsion et de fascination, entrelaçant le noir et le blanc, la lumière (de la scène ou de la beauté du spectacle, celle du jour étant quasiment absente) et l’obscurité, le vice et l’innocence mais le talent de cinéaste d’Aronofsky, rusé comme un cygne noir, et de son interprète principale, sont tels que vous êtes peu à peu happés, le souffle suspendu comme devant un pas de danse époustouflant.

    Black swan à l’image de l’histoire qu’il conte (le verbe conter n’est d’ailleurs pas ici innocent puisqu’il s’agit ici d’un conte, certes funèbre) est un film gigogne, double et même multiple. Jeu de miroirs entre le ballet que Thomas met en scène et le ballet cinématographique d’Aronofsky. Entre le rôle de Nina dans le lac des cygnes et son existence personnelle. Les personnages sont ainsi à la fois doubles et duals : Nina que sa quête de perfection aliène mais aussi sa mère qui la pousse et la jalouse tout à la fois ou encore Thomas pour qui, tel un Machiavel de l’art, la fin justifie les moyens.

    Aronofsky ne nous « conte » donc pas une seule histoire mais plusieurs histoires dont le but est une quête d’un idéal de beauté et de perfection. La quête de perfection obsessionnelle pour laquelle Nina se donne corps et âme et se consume jusqu’à l’apothéose qui, là encore, se confond avec le film qui s’achève sur un final déchirant de beauté violente et vertigineuse, saisissant d’émotion.

    Par une sorte de mise en abyme, le combat (qui rappelle celui de The Wrestler) de Nina est aussi celui du cinéaste qui nous embarque dans cette danse obscure et majestueuse, dans son art (cinématographique) qui dévore et illumine (certes de sa noirceur) l’écran comme la danse et son rôle dévorent Nina. L’art, du cinéma ou du ballet, qui nécessite l'un et l'autre des sacrifices. Le fond et la forme s’enlacent alors pour donner cette fin enivrante d’une force poignante à l’image du combat que se livrent la maîtrise et l’abandon, l’innocence et le vice.

    Quel talent fallait-il pour se montrer à la hauteur de la musique de Tchaïkovski pour nous faire oublier que nous sommes au cinéma, dans une sorte de confusion fascinante entre les deux spectacles, entre le ballet cinématographique et celui dans lequel joue Nina. Confusion encore, cette fois d’une ironie cruelle, entre l'actrice Winona Ryder et son rôle de danseuse qui a fait son temps. Tout comme, aussi, Nina confond sa réalité et la réalité, l’art sur scène et sur l’écran se confondent et brouillent brillamment nos repères. Cinéma et danse perdent leur identité pour en former une nouvelle. Tout comme aussi la musique de Clint Mansell se mêle à celle de Tchaïkovski pour forger une nouvelle identité musicale.

    La caméra à l’épaule nous propulse dans ce voyage intérieur au plus près de Nina et nous emporte dans son tourbillon. L’art va révéler une nouvelle Nina, la faire grandir, mais surtout réveiller ses (res)sentiments et transformer la petite fille vêtue de rose et de blanc en un vrai cygne noir incarné par une Natalie Portman absolument incroyable, successivement touchante et effrayante, innocente et sensuelle, qui réalise là non seulement une véritable prouesse physique (surtout sachant qu’elle a réalisé 90% des scènes dansées !) mais surtout la prouesse d’incarner deux personnes (au moins...) en une seule.

    Un film aux multiples reflets et d’une beauté folle, au propre comme au figuré, grâce à la virtuosité de la mise en scène et de l’interprétation et d’un jeu de miroirs et mise(s) en abyme. Une expérience sensorielle, une danse funèbre et lyrique, un conte obscur redoutablement grisant et fascinant, sensuel et oppressant dont la beauté hypnotique nous fait perdre (à nous aussi) un instant le contact avec la réalité pour atteindre la grâce et le vertige.

    Plus qu’un film, une expérience à voir et à vivre impérativement (et qui en cela m’a fait penser à un film certes a priori très différent mais similaire dans ses effets : L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot) et à côté duquel le Somewhere de Sofia Coppola qui lui a ravi le lion d’or à Venise apparaît pourtant bien fade et consensuel...

  • 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville - Critique de JERRY SCHATZBERG, PORTRAIT PAYSAGE de Pierre Filmon (Hommage à Jerry Schatzberg )

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    Je vous avais déjà parlé de Pierre Filmon, l’an passé, à l’occasion de la sortie de Entre deux trains (Long Time No See), son deuxième long-métrage et son premier long-métrage de fiction pour lequel j’avais eu un énorme coup de cœur. Je vous le recommande à nouveau vivement. Il est désormais disponible en DVD chez Tamasa éditions. Il a d’ailleurs reçu de nombreux prix dans le monde. Il a ainsi parcouru 35 festivals internationaux et 17 pays. Pierre Rochefort a obtenu le prix du meilleur acteur en Espagne. Au Chili, le film a obtenu le prix du Best fiction film. En Inde, au Rajasthan IFF, Pierre Filmon a obtenu deux prix : honorary Award et best directeur. Au Kosovo, le film a obtenu le prix du meilleur film… Et si cela ne suffisait pas pour vous convaincre de le découvrir, vous trouverez à nouveau ma critique ci-dessous.

    Pierre Filmon a réalisé plusieurs courts-métrages et son premier long-métrage, Close encounters with Vilmos Zsigmond, était en Sélection officielle au Festival de Cannes 2016 dans le cadre de Cannes Classics. Ce documentaire est consacré à Vilmos Zsigmond, formidable directeur de la photographie qui a travaillé avec les plus grands réalisateurs : Robert Altman, John Boorman, Steven Spielberg, Brian de Palma, Peter Fonda et… Jerry Schatzberg.

    C’est justement à ce dernier que Pierre Filmon a donc consacré ce dernier documentaire qu'il a présenté aujourd'hui à Deauville dans le cadre de l'hommage à Jerry Schatzberg : Jerry Schatzberg, portrait paysage, qui se focalise sur « l’univers photographique de Jerry Schatzberg, jeune homme de 95 ans, le dernier des Mohicans du Nouvel Hollywood, photographe et cinéaste qui a réalisé des films avec Al Pacino, Gene Hackman, Meryl Streep, Faye Dunaway et Morgan Freeman et a obtenu une Palme d’Or en 1973 pour L’épouvantail». Le film a été présenté en Première Mondiale à la 79ème Mostra, en septembre dernier.

    Entre deux trains transpirait déjà la passion du cinéma, avec de nombreuses influences, d’Agnès Varda à David Lean. Et c’est cette même passion de l’art du passionné Pierre Filmon que l’on retrouve dans ce documentaire qui s’intéresse au travaille de photographe de Jerry Schatzberg. Même si vous ne connaissiez pas son travail, vous aviez forcément vu une de ses plus célèbres photos, celle, sublimissime, de Faye Dunaway, auréolée de noir, qui avait été mise à l’honneur sur l’affiche du Festival de Cannes 2011, modèle de grâce, d’épure, de sobriété, de sophistication, de mystère, de classe, de glamour, et même pourvue d’une certaine langueur… Cette photo avait été prise par Jerry Schatzberg en 1970.

    Le documentaire de Pierre Filmon qui est le plus beau des hommages au travail remarquable et fascinant de Jerry Schatzberg est un dialogue de ce dernier avec le critique Michel Ciment au gré d’une exposition lors de laquelle il croise des portraits (dont, d’ailleurs, le sien), l’occasion de revenir sur ces fabuleuses rencontres qui ont donné lieu à ces photos singulières et marquantes. Ce plan-séquence permet de découvrir la richesse, la profondeur, la diversité du travail de l’artiste né dans le Bronx en 1927 (un an avec Kubrick au même endroit !) découvert par Pierre Ricient qui s’est battu pour que son premier film sorte en France. Rien ne prédestinait à la photographie et au cinéma celui qui travailla d’abord comme fourreur, comme son père, (ce qu’il détesta) avant de commencer comme assistant photographe pour le New York Times jusqu’ à devenir ce photographe immensément talentueux qui parvient toujours à capter quelque chose de la vérité des êtres (que ce soit de la toute jeune Catherine Deneuve, Aretha Franklin ou un enfant inconnu ou même des photos de nus) même dans des photos plus sophistiquées.

    Michel Ciment a rappelé quel découvreur de talents il a aussi été, ayant notamment à son actif les découvertes d’Al Pacino ou Guillaume Canet qu’il avait fait tourner dès 2001 dans The day the ponies come back. « Ce qui le caractérisé, c'est de faire du mouvement, du presque cinéma dans un décor naturel réaliste» a expliqué hier Michel Ciment. Ce fut «le contraire pour Bob Dylan»  avec des photos en studio dans lesquelles Schatzberg a « capté sa sensibilité, son intelligence et son charisme » a souligné Michel Ciment. Par ailleurs, pour ce dernier, « pas un seul metteur en scène américain n’a fait à la suite trois films aussi extraordinaires ».

    Ce travail en petite équipe, 4 personnes avec Olivier Chambon qui avait déjà été le filmeur de la séquence sur Jerry Schatzberg dans le film de Pierre Filmon sur Vilmos Zsigmond, procure tout son caractère intimiste, sincère et naturel à ce documentaire.

    Michel Ciment a conclu en disant que « le rapport émotionnel avec le sujet est très important » et que Jerry Schatzberg est un « esthète, grand metteur en scène formel mais qui s'intéresse aussi aux émotions, aux rapports humains comme c'est le cas de tous les grands metteurs en scène. Le public vient au cinéma pour ressentir des émotions. C'est ce travail formel qui lui permet d’accéder aux émotions. » C’est sans aucun doute aussi le cas du cinéma de Pierre Filmon qui cherche toujours à saisir l’émotion, par la fiction ou le documentaire.

    Il se pourrait qu’il y ait une suite. Espérons-le tant ce documentaire nous donne envie d’en savoir plus sur Jerry Schatzberg mais aussi de retrouver le regard aiguisé, passionné et enthousiaste de Pierre Filmon sur celui-ci et sur le cinéma en général.

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  • Hommage à Jude Law - 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville - Critique de THE NEST de Sean Durkin

    Deauville, cinéma, critique, Festival du Cinéma Américain de Deauville, Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023

    The Nest était projeté aujourd'hui dans le cadre de l'hommage à Jude Law. L'occasion de revoir ce film qui avait obtenu le Grand Prix 2020 et de vous le recommander de nouveau.

    Dans les années 1980, Rory (Jude Law), un ancien courtier devenu un ambitieux entrepreneur, convainc Allison (Carrie Coon), son épouse américaine, et leurs deux enfants, de quitter le confort d’une banlieue cossue des États-Unis pour s’installer en Angleterre, son pays de naissance. Persuadé d’y faire fortune, Rory loue un vieux manoir en pleine campagne où sa femme pourra continuer à monter et à donner des cours d’équitation. Mais l’espoir d’un lucratif nouveau départ s’évanouit rapidement et l’isolement fissure peu à peu l’équilibre familial.

    Vanessa Paradis, la présidente du jury du 46ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, dans le cadre duquel The Nest avait été projeté en compétition, a évoqué « un thriller oppressant, une fable sur le délitement d'une famille portée par une élégance de sa mise en scène et deux acteurs d'exception ».

    Ce deuxième film de Sean Durkin, qui avait remporté en 2011 le prix du meilleur réalisateur au Festival de Sundance pour Martha Marcy May Marlene, a en effet récolté pas moins de trois récompenses au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 : Grand prix, Prix de la Révélation et Prix de la Critique Internationale.

    Tout est en ordre dans cette famille et dans le nid (signification de The Nest) au sein duquel elle vit. Du moins, en apparence : tout est en ordre. Les voitures sont bien rangées devant le cossu pavillon. Rory reçoit un coup de fil dont on n’entend pas le contenu. Tout juste le voit-on avoir une conversation téléphonique qui semble le réjouir, derrière une fenêtre de la maison. Premier élément qui instille mystère et suspicion quant à l’apparente sérénité qui semble régner. Chacun des membres de la famille a une vie bien orchestrée, en équilibre comme la gymnastique que pratique la fille d’Allison. La musique laisse deviner un bonheur tranquille, une vie sans aspérités. Chaque matin, Rory apporte le café à sa femme. Et puis un jour il lui annonce « on devrait déménager » et lui présente cela comme une opportunité. « Tu devrais avoir ta propre écurie » lui dit-il, comme s’il s’agissait de lui demander son avis et de la convaincre. De simples détails dont le spectateur se souviendra ensuite laissent pourtant déjà présager ce qui deviendra le centre de leurs préoccupations : l’argent (elle réclame l’argent de ses leçons d’équitation) et les remarques pernicieuses de Rory (Rory fait comprendre que s’ils sont venus dans ce coin des Etats-Unis, c’est pour se rapprocher de la famille d’Allison).

    Malgré les réticences d’Alison, ils partent pour l’Angleterre où ils emménagent dans un nouveau nid. Un manoir isolé aussi gigantesque qu’inhospitalier et lugubre choisi par Rory seul et dans lequel il n’aurait certainement pas déplu à Hitchcock de placer l’intrigue d’un de ses films. Rory fanfaronne en évoquant le « parquet posé dans les années 1700 », les «membres de Let Zeppelin qui ont vécu ici en enregistrant un album » ou encore en offrant un manteau de fourrure avec grandiloquence et une once de grossièreté à Allison. Son patron lui dit en plaisantant : « ton bureau c’est pour apaiser ton ego fragile. » Cet ego est bel et bien ce qui domine ce personnage dont la propension au mensonge pour satisfaire son orgueil est la principale caractéristique. A son épouse, il dit « j’ai hâte de te montrer à tout le monde » comme un objet qu’il exhiberait tout comme il évoquera les 5000 dollars que lui coûte le « cheval défectueux » de sa femme le rabaissant là aussi à un état d’objet. Il paie le restaurant pour ses collègues. Ment en parlant de leur « penthouse à New York » alors qu’ils ne possèdent rien. Et Allison découvre que ce départ n’était pas la conséquence d’une opportunité mais d'une démarche de Rory.

    Derrière ce bonheur de façade, tout semble pouvoir exploser d’un instant à l’autre, et le nid pouvoir se fissurer.  Une scène de dîner au restaurant entre les deux époux témoigne d’ailleurs de la fragilité de leur bonheur mais aussi du caractère d’Alisson, la force de ce personnage étant aussi un des atouts de ce film, ne la cantonnant pas au rôle d’épouse complaisante et fragile. Une scène jubilatoire que je vous laisse découvrir.

    Peu à peu, le vernis se craquèle. On découvre que Rory a une mère qui vit en Angleterre et  qu’il n’a pas vue depuis des années, et dont il n’a vraisemblablement pas parlé à sa femme, et auprès de laquelle il se vante d’avoir épousé « une sublime blonde américaine. »  Les signes extérieurs de richesse sont primordiaux pour Rory en ces années 1980 où l’argent est roi. Tout se mesure en argent pour lui. Une revanche sur son « enfance merdique » comme il la qualifiera. Une revanche qu’il estime mériter, quoiqu’il en coûte à sa famille (au propre comme au figuré). Peu à peu leur monde se délite. Leur fille se met à fumer en cachette, à avoir de mauvaises fréquentations, à se rebeller. Leur fils subit du harcèlement à l’école et est terrifié à l’idée de traverser le manoir. Et même Allison semble croire que des ombres fantomatiques se faufilent dans le décor.  Et le cheval, l’élément d’équilibre de la famille, semble lui aussi perdu, malade, et courir vers une mort qui semble annoncer celle de toute la famille.

    La grande richesse de ce film provient de la parfaite caractérisation de ses deux personnages principaux et de leurs deux enfants, de leurs fragilités qui s’additionnent et semblent les mener vers une chute irréversible. L’obsession de réussite de Rory lui fait occulter tout le reste. Et tout n’est plus qu’une question d’argent, même sa relation avec Allison à qui il rappelle qu’il l’a sortie de la situation dans laquelle elle se trouvait avec sa fille avant de le rencontrer.

    Derrière le personnage imbuvable, pétri d’orgueil et de suffisance, aveuglé par son ambition, se dessine peu à peu le portrait d’un être brisé par son enfance. Le scénario est émaillé d’indices qui, comme ceux d’une enquête, nous permettent de constituer peu à peu le portrait et les causes de sa personnalité. Les dialogues souvent cinglants donnent lieu à des scènes d’anthologie et le basculement semble à chaque instant possible.

    Le dénouement signe l’explosion finale (et l’implosion finale, celle de la famille), inévitables. Chacun des occupants du nid franchit le seuil de sa folie avant de basculer irrémédiablement ou, qui sait, de retrouver le cocon rassurant et protecteur,  là où il n’est plus permis de jouer, de faire semblant.  D’ailleurs, pour rentrer, Rory se fraie un chemin au milieu des feuilles comme pour venir se réfugier auprès des siens et assister à la morale de la fable.

    Sean Durkin pose finalement un regard compatissant sur l’enfant capricieux et en mal de reconnaissance qu’est Rory jusqu’à faire tomber le masque. Face à lui, son épouse n’est pas la victime de ses actes mais bataille pour maintenir à flot le nid familial.  Carrie Coon et Jude Law par l’intensité et les nuances de leur jeu apportent la complexité nécessaire à ces deux grands enfants perdus que sont Allison et Rory.

    La musique, de plus en plus inquiétante, et la mise en scène, d’une élégante précision, épousent brillamment l’angoisse qui progressivement, s’empare de chacun des membres de la famille, se retrouvant bientôt tous isolés, dans le fond comme dans la forme, dans le manoir comme dans les problèmes qu’ils affrontent. La noirceur et la nuit s’emparent des âmes et des décors. Jusqu’à ce que, qui sait, la clarté et le jour ne se lèvent et le nid ne réconforte et recueille ses occupants.  Un scénario ciselé, une mise en scène élégante, des personnages brillamment dessinés au service d’un suspense haletant et d’un dénouement d’une logique à la fois surprenante et implacable.

  • 49èmeFestival du Cinéma Américain de Deauville – Conversation avec Luc Besson et critique de DogMan de Luc Besson (Première)

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    L’évènement du jour à Deauville fut la master class de Luc Besson après la projection de DogMan hier soir (dans le cadre des « Premières » du festival), qui a enthousiasmé et ému les festivaliers. DogMan, fiklm écrit, réalisé et produit par Luc Besson a été présenté en avant-première au Festival de Deauville, et a aussi été sélectionné en compétition au Festival de Venise.

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    Le film débute par les images d’un travesti déguisé en Marilyn Monroe. Hagard. Et ensanglanté.

    C’est en lisant un article sur une famille qui avait jeté son enfant de 5 ans dans une cage que Luc Besson a eu l'idée de ce film si singulier. Selon le pitch officiel, DogMan raconte « l’incroyable histoire d’un enfant, meurtri par la vie, qui trouvera son salut grâce à l’amour que lui portent ses chiens ». Seul l’amour des chiens sauve en effet ce jeune homme traumatisé par les effroyables maltraitances subies dans son enfance. Son « gang » animalier qui aide les victimes de la violence humaine. Tel un Robin des bois, avec leur aide, il vole les riches propriétaires…

    À la suite d’un règlement de comptes qui termine tragiquement, il est arrêté par la police puis interrogé par une psychiatre bienveillante (dont les failles font écho aux siennes). Les flashbacks nous racontent alors sa tragique et romanesque histoire...

     C’est plus que « l’histoire incroyable d’un enfant meurtri ». C’est un conte funèbre. La construction d’un (anti)héros mémorable tels Léon et Nikita.  

    Caleb Landry Jones, prix d’interprétation masculine à Cannes en 2021 pour son rôle dans Nitram, incarne ici un DogMan tantôt attachant, tantôt effrayant, et livre une performance absolument sidérante qui nous embarque avec lui dans ce film hybride entre fable sombre, film social, série B, thriller, avec comme toujours chez Besson l’influence prégnante de la BD et une esthétisation de la violence même si le  hors-champs est judicieusement utilisé dans les scènes les plus « carnassières », de même que le son et le montage, remarquables. 
    « Au bout de 2 jours, j'étais au spectacle. C'est un bonheur d'avoir la chance de travailler avec un acteur de ce calibre. La dernière fois que j'ai vu ça c'est Gary Oldman » a ainsi  déclaré Luc Besson à propos de Caleb Landry Jones lors de sa conversation avec le public, à Deauville, cet après-midi.

    Bien sûr, ce n’est pas un cinéma de la demi-mesure et de la nuance que nous propose Luc Besson. Mais ce n’est pas là non plus que nous l’attendions. Tout est excessif et emphatique : les malheurs du héros, la musique (d’Éric Serra), l’interprétation, les dialogues. Malgré tout, se dégagent de cette histoire une humanité poignante et une poésie sombre qui finissent par nous emporter, a fortiori si vous aimez les animaux et savez la force que vous pouvez puiser dans leur compagnie.

    Un dénouement christique un peu trop surligné (too much diront certains) mais qui a le mérite d’aller au bout de son idée et de susciter l’émotion tout comme cette scène sur la musique de Piaf renversante d’émotions et qui, à elle seule, justifie de voir ce film, ode à l'art salvateur, à la construction en puzzle qui maintient le suspense jusqu'à la dernière seconde et qui a fait se lever la salle du CID.

    EXTRAITS DE LA MASTER CLASS (Conversation avec Luc Besson animée par Stéphane Charbit)

    « Créer, c’est se découvrir, c’est s’exposer, c’est se fragiliser. » Luc Besson

    « Chaque metteur en scène est fragilisé à cette période.  A l’époque du Grand Bleu, on m’a dit 10 millions d’entrées, c’est formidable. Alors j’ai dit, pourquoi les 50 millions ils n’ont pas envie de le voir ? Je pense qu’on est très démuni. On prépare en cuisine. On met un beau papier avec un ruban et on espère que ça va plaire. Le film vous appartient maintenant donc prenez soin de lui. »

    « Je pense que c’est un rapport d’émotions. Le cinéma c’est le septième art, c’est le dernier, c’est le plus jeune, c’est le résumé des autres. Il y a un peu d’architecture. Il y a un peu de danse. C’est un art préparatoire. Il n’est pas mineur. Il est préparatoire. Il prépare aux autres. Faire écouter de la musique classique à 14 ans, oubliez. Mais avec le cinéma, on y arrive. »

    « Ce n’est pas une impulsion, c’est une nourriture Dans l’art, tout est faux et pourtant on cherche une vérité. Normalement, dans la vie dans la politique tout est supposé être vrai mais on s’aperçoit qu’ils mentent tout le temps donc c’est assez paradoxal. Aller chercher dans quelque chose. Tout le monde sait que quand vous faites une déclaration d’amour il y n’y a pas 50 violons derrière. On le sait mais ça fait du bien. Et si ça peut nous rendre meilleur et si ça peut nous aider. Ce qui est amusant c’est que ce n ‘est pas sa mission de départ. Nous éveiller. Nous emporter. Embellir un peu la vie. »

    A propos de la musique de film :

    « Grâce à un ami de mes parents qui m’a fait découvrir Miles Davis. J’avais 14 ans. C’est le premier qui m’a montré l’architecture de la musique. La batterie avec la basse. Comment ça se répondait. Je n’avais jamais abordé la musique sous un aspect d’architecture. D’un seul coup, je me suis dit que c’était incroyable.  C’est par ce biais de l’architecture musicale que j’ai remonté la filière de Miles Davis…J’avais cette culture-là. Ce qui était un peu compliqué avec mes copains de l’époque. Comme mon beau-père n’avait pas d’électrophone chez lui. Je ne pouvais pas écouter mes disques chez lui. J’essayais d’emmener mes disques en boum. Je mettais Weather Report. Cette culture-là. Eric a cette base-là. Cette base de jazz. On se comprend tout de suite. La musique est le deuxième dialogue dans mes films. Il y a un sentiment qui est en train de naitre chez l’acteur. Il y a deux solutions. L’acteur qui dit ce que tu me dis cela me fait mal. Et puis la musique peut dire la même chose. Mais on ne peut pas dire deux fois la même chose. Il ne faut pas paraphraser. Si le jeune homme ou la jeune femme dit « je vous aime », il ne faut pas forcément balancer les violons. Généralement, je monte en musique de référence, sur d’autres films ou d’autres morceaux. Trente secondes d’un morceau et on prend un autre morceau. Cela guide beaucoup Éric. Cela le guide en termes de tempo. Il peut suivre après. Si on lui met du Mozart après cela peut être compliqué. Donc on essaie aussi de ne pas mettre des trucs trop beaux.  Je suis incapable d’écrire sans musique. N’importe où. Ce qui est très rigolo, quand je pars sur un script, j’écoute un album pendant parfois trois mois en boucle. J’ai compris pourquoi après. Quand tous les matins, on remet cet album cela vous remet dans le même tempo et dans le même mood que là où vous avez quitté le script la veille.  C’est presque un moyen mémo-technique de revenir à l’endroit où on était. Donc j’écoute tout l’album. Pour DogMan, c’est un album de Billie Eilish."

    « DogMan catalyse les souffrances de tout le monde. Il est là pour aider. L'art qui sauve est le thème du film. »

    « L'envie primaire de désir de cinéma, c'est simplement d'exister. »

    Il a déploré « l’appauvrissement du cinéma dans sa globalité. »

    « J’ai pris une claque en revoyant le Guépard. C'est de l'orfèvrerie, il n'y a plus d'orfèvrerie. C'est monstrueux, ce film. L'équivalent en architecture des pyramides. »

    « La force du cinéma, plus que les films, c'est les personnages qui font partie de notre vie. »

    « J'ai toujours été intéressé par montrer les faiblesses de l'homme et les forces de la femme. »

    « J’ai construit le plan de travail de DogMan en fonction des émotions que le personnage traverse dans l'histoire »

    « De Niro est un des piliers du cinéma capable de tout faire de tout jouer. »

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 - CRITIQUE de PAST LIVES – NOS VIES D’AVANT de CELINE SONG (compétition officielle)

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    Selon Baudelaire, « La mélancolie est l’illustre compagnon de la beauté. Elle l’est si bien que je ne peux concevoir aucune beauté qui ne porte en elle sa tristesse. » Une citation qu’illustre parfaitement ce film d’une mélancolie subrepticement envoûtante.

    Cela commence dans un bar à New York. Quelqu’un observe un trio (une femme et deux hommes) de l’autre côté du comptoir, interpellé par son étrangeté, s’interrogeant sur le lien qui peut bien les unir. La femme et un des deux hommes semblent en effet particulièrement complices. La première tourne le dos au deuxième homme, comme s’il n’existait pas. Qu’est-ce qui réunit ces trois-là ? Quelles peuvent être les relations entre eux ? Pourquoi la femme a soudain cette expression sur son visage, entre joie et nostalgie (entre « joie » et « souffrance » dirait Truffaut) ?  Le flashback va répondre à cette question…

    Nous retrouvons Nayoung (Moon Seung-ah) et Hae Sung (Seung Min Yim) à l’âge de douze ans. Ils sont amis d’enfance, inséparables, complices. Ils vont à la même école à Séoul et se chamaillent tendrement quand il s’agit d’avoir la première place à l’école. Jusqu’au jour où les parents de Nora, artistes, décident d’émigrer pour le Canada.  Douze ans plus tard, Nayoung devenue Nora (Greta Lee), habite seule à New York. Hae Sung (Teo Yoo), lui, est resté à Séoul où il vit encore chez ses parents pour suivre des études d’ingénieur. Par hasard, en tapant son nom sur internet, Nora découvre que Hae Sung a essayé de la retrouver. Elle lui répond. Ils retrouvent leur complicité d’avant. Au bout de plusieurs mois, Nora décide de suspendre ces échanges, face à l’impossibilité de se retrouver, et devant l’importance que prennent ces conversations et les sentiments qui les unissent. Mais douze ans plus tard, alors que Nora est désormais mariée à un Américain, Arthur (John Magaro), Hae Sung décide de venir passer quelques jours à New York.

    Celine Song s’est inspirée de sa propre histoire. Elle a ainsi quitté la Corée à l’âge de 12 ans pour Toronto, avant de s’installer à New York à vingt ans.

    Inyeon. Cela signifie providence ou destin en coréen. Si deux étrangers se croisent dans la rue et que leurs vêtements se frôlent cela signifie qu’il y a eu 8000 couches de inyeon entre eux. La réalisatrice explique ainsi ce en quoi consiste ce fil du destin : « Dans les cultures occidentales, le destin est une chose que l’on doit impérativement réaliser. Mais dans les cultures orientales, lorsqu’on parle d’"inyeon", il ne s’agit pas forcément d’un élément sur lequel on peut agir. Je sais que le "inyeon" est une notion romantique, mais en fin de compte, il s’agit simplement du sentiment d’être connecté et d’apprécier les personnes qui entrent dans votre vie, que ce soit aujourd’hui, hier ou demain ». « Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que des rendez-vous » écrirait Éluard…

    Quand Nora a changé de pays, elle a laissé derrière elle : son prénom asiatique, son amour d’enfance, la Corée. Past lives - nos vies d'avant est d’abord le récit d’un déracinement. Quand nous la retrouvons à New York, nous ne voyons jamais sa famille, comme si elle avait été amputée d’une part d’elle-même. C’est l’histoire d’un adieu. De l’acceptation de cet adieu, de ce qu’implique le Inyeon, d’une porte sur le passé et l’enfance qu’il faut apprendre à fermer. Rien n'est asséné, surligné. Tout est (non) dit en délicatesse, en silences, en mains qui pourraient se frôler, en regards intenses, en onomatopées qui en disent plus que de longs discours. Pas seulement pour ce qui concerne les liens entre Nora et Hae-Sung mais aussi les ambitions littéraires de la première dont des indices fugaces nous laissent deviner qu'ils ne sont peut-être pas à la hauteur de ses rêves. Comme si, cela aussi appartenait à une vie passée...

    Dans cette époque de fureur, de course effrénée et insatiable au résultat et à l’immédiateté, y compris dans les sentiments, ce refus du mélodrame, de l’explicite et de l’excès, n’est pas du vide, mais au contraire un plein de sensations et troubles contenus qui nous enveloppent, nous prennent doucement par la main, jusqu’à la fin, le moment où surgit enfin l’émotion, belle et ravageuse.

    Celine Song a ainsi déclaré : « Je voulais mettre en scène des relations qui ne soient pas définissables. Ce qui unit mes trois personnages ne se résume pas en un mot ou une expression. Leur relation est un mystère, et le film est la réponse à ce mystère. Past Lives - Nos vies d'avant n’est pas un film sur les liaisons amoureuses. C’est un film sur l’amour. »

    Et c’est aussi là que réside la beauté de ce film. Il n’y a pas de disputes, d’adultère, de fuite. Mais une confrontation à soi-même, à son être profond, comme un miroir tendu à Nora la confrontant à son passé et son devenir. Aucun des trois personnages n’est ridiculisé ou caricatural. Ils agissent avec maturité, empathie, compréhension. Ce que le film perd peut-être (judicieusement) en conflits, il le gagne en singularité et profondeur. Il sublime l'implicite, aussi, comme l'ont fait, sublimement, Wong Kar Wai ou Sofia Coppola (dans Lost in translation) avant Celine Song.

    Christopher Bear et Daniel Rossen ont signé la musique aux notes cristallines, là aussi jamais redondantes ou insistantes, accompagnant le mystère qui lie les personnages, et magnifiant leurs silences. Se joignent à ces musiques celles de Leonard Cohen, John Lee Hooker, John Cale ou encore du Coréen Kim Kwang Seok,. La réalisation privilégie l’intime, sans négliger les décors, Céline Song filme ainsi New York nimbée de lueurs romantiques, quand Hae Sung  et Nora la (re)découvrent ensemble.

    Ce film tout en retenue, ensorcelante, est un joyau de pudeur, de subtilité, d’émotions profondes que l’on emporte avec soi une fois la porte de Nora refermée, et celle de son cœur avec, une fois celui-ci s'étant laissé brusquement envahir et submerger. Et le nôtre avec. LE film à voir absolument en cette fin d'année et en cette période d'actualités tragiquement indicibles : une bulle de douceur réconfortante, comme un conte (lucide et mélancolique) de Noël, murmuré.

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