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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 76

  • Critique de IN THE FADE de Fatih Akin

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    Diane Kruger interprète ici Katja dont la vie s’effondre lorsque son mari et son fils meurent dans un attentat à la bombe. Après le deuil et l’injustice, viendra le temps de la vengeance.

    Si le réalisateur allemand d’origine turque s’inspire ici des attentats commis contre des immigrés par le trio néonazi de la NSU, entre 2000 et 2007, son film est terriblement actuel et surtout passionnant dans son traitement de l’après. L’après attentat. L’après deuil. L’après drame.  Après un drame quel qu’il soit. La solitude et le sentiment d’incompréhension dans lesquels s’enferment les victimes. L’oubli auquel on souhaite les contraindre. Et en cela il est terriblement universel.

    C’est la première fois que l’actrice allemande joue dans sa langue maternelle.  Elle fait magistralement évoluer son personnage de la félicité au malheur et à la douleur, absolues, démontrant toute l’étendue et la finesse de son jeu. Cela démarre par une séquence de mariage en prison. Comme une métaphore de ce qui l’attend. Cette prison de souffrance dans laquelle le drame va ensuite l’enfermer.

    Le film est divisé en trois parties. Trois étapes du drame. Deuil. Injustice. Vengeance. Jusqu’au point de non retour. Un film aux accents de film noir avec cette pluie qui, rageuse, tombe continuellement.

    Si Fatih Akin tombe dans certaines facilités scénaristiques (il avait pourtant obtenu le prix du scénario en 2007 pour « De l’autre côté »), il n’en dresse pas moins un  poignant portrait de femme, dévorée par la douleur. Et lorsque, sur les côtes grecques, la nature et son corps même semblent la rappeler vers la vie, comment ne pas être bouleversée par son refus de celle-ci, moins une apologie (et encore moins une justification) de la vengeance que lui ont reproché ses détracteurs (les critiques n’ont pas toujours été tendres) que l’acte désespéré d’une femme que la douleur du deuil étouffe et terrasse.

    L’utilisation de la musique du groupe de rock américain Queens of the Stone Age achève ce tableau dramatique auquel il est difficile de rester indifférent, notamment grâce à la performance parfaite de Diane Kruger au service de ce personnage désarmé face à tant d’injustice et d’indifférence et qui, seule, doit faire face à l’insoutenable.

  • Les bons plans culture et sorties à Paris du mois de janvier 2018

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    Désormais, chaque mois, je vous proposerai ici des bons plans culture et sorties sélectionnés spécialement pour vous à Paris.

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    Je vous parlais ainsi hier du Festival cinéma Télérama qui aura lieu du 24 au 30 janvier 2018 et qui présente aussi l’avantage de ne pas avoir lieu seulement à Paris. Une semaine pour voir ou revoir les meilleurs films de l’année 2017 sélectionnés par la rédaction de Télérama dans les salles art et essai ainsi que des films en avant-première. Dans cette liste figurent ainsi 3 films de mon top 2017 dont LE film qui est pour moi le meilleur film de l'année passée « Faute d’amour ». 

    Autre occasion de rattraper les meilleurs films de 2017,  Les «Incontournables UGC », 23 films qui ont marqué l'année 2017 à (re)découvrir dans les cinémas UGC au tarif exceptionnel de 3.50€ pour tous.  L’occasion là aussi de revoir de nombreux films qui figuraient dans mon top 2017 :  La La Land, 120 battements par minute, Faute d’amour, Dunkerque, Visages, villages…

    Si vous avez plutôt envie d’expos ou de cinéma ET d’expos, je vous recommande d’aller faire un tour au Musée du Louvre profiter de la onzième édition des Journées internationales du film sur l'art du 19 au 28 janvier 2018. C'est le réalisateur de documentaires Frederick Wiseman qui en est l'invité principal. La programmation met ainsi à l'honneur les liens entre l'art et la danse.

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    Puisque de danse il est question, pour ceux qui en sont amateurs et qui affectionnent aussi la musique live, pour ceux qui veulent découvrir un spectacle singulier alors rendez-vous à  Bobino pour voir le spectacle Les Franglaises, un spectacle qui a emporté le Molière du meilleur spectacle musical en 2015. Les Franglaises reviennent en effet, un spectacle qui exhale la bonne humeur  et dans lequel sont traduits de façon littérale ou décalée les plus grands succès du répertoire anglo-saxon. De quoi passer un moment plein d’allégresse. Pour en savoir plus et voir le spectacle Les Franglaises    voici le site officiel.

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    Enfin, pour ceux qui au cinéma, au musée, à la musique, la musique, la danse préfèrent une découverte gastronomique, je vous propose une escale culinaire…et olfactive sur les Champs-Elysées, plus de 1000m2 avec un salon de thé, une belle boutique et une expérience olfactive avec l’Occitane en Provence, née de l’association de la marque avec le plus célèbre des pâtissiers Pierre Hermé, un lieu sobrement appelé « 86 ». Un incroyable concept store qui a ouvert en décembre avec pâtisseries à l’assiette, boissons et pâtisseries Pierre Hermé, desserts exclusifs, petit-déjeuner ou tea time Pierre Hermé, avec même une carte salée signée également Pierre Hermé et des plats de brasserie revisités. Rendez-vous au 86 Champs-Elysées pour découvrir ce lieu unique à Paris qui vous promet plein d’autres belles surprises.

    Article sponsorisé

     

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  • Festival cinéma Télérama du 24 au 31 janvier 2018 : une semaine pour revoir les meilleurs films de 2017 !

     

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    Il y a quelques semaines, je vous donnais mon top des films de 2017. Si vous avez manqué les films dont je vous parlais alors, voici l'occasion idéale de les rattraper. En effet, pour la 11ème année consécutive, BNP Paribas est partenaire du Festival cinéma Télérama qui aura lieu du 24 au 30 janvier 2018. Une semaine pour voir ou revoir les meilleurs films de l’année 2017 sélectionnés par la rédaction de Télérama dans les salles art et essai ainsi que des films en avant-première.

    Dans cette liste figurent ainsi 3 films de mon top 2017 dont LE film qui est pour moi le meilleur film de l'année passée : "Faute d'amour" dont vous pourrez ainsi retrouver ma critique ci-dessous ainsi que celles des autres films qui figuraient dans mon top : "120 battements par minute" et "Visages villages".

    Voici la liste des films que pourrez voir :

    • 120 battements par minute
    • Faute d'amour
    • Blade Runner 2049
    • The lost City of Z
    • Logan Lucky
    • Barbara
    • Visages villages
    • Un homme intègre
    • L'atelier
    • Le Caire confidentiel
    • La villa
    • Une vie violente
    • Certaines femmes
    • Une femme douce
    • Patients
    • Le grand méchant renard et autres contes

     

    et des films en avant-première :

    • America
    • Les bonnes manières
    • Razzia
    • Jusqu'à la garde
    • À l'heure des souvenirs

    3,50 € chaque séance avec le PASS dans Télérama ou sur Télérama.fr

    Plus d’infos sur : http://festivals.telerama.fr/festivalcinema

    1. FAUTE D'AMOUR d'Andreï Zviaguintsev

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    Cette critique est extraite de mon compte rendu du Festival de Cannes 2017 à retrouver ici.

    « Faute d’amour » est mon grand coup de cœur de cette édition que je retournerai voir pour vous en parler plus longuement et plus précisément.

    Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Genia fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser... Aucun des deux ne semble avoir d'intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu'à ce qu'il disparaisse.

    En 2007, Konstantin Lavronenko, remportait le prix d’interprétation masculine pour son rôle dans « Le Bannissement » de Zvyagintsev. Avec « Elena », Zvyangintsev remportait le Prix spécial du jury  Un  Certain Regard en 2011. Et le Prix du scénario pour « Leviathan » en 2014. Avec ce cinquième long-métrage, il frôle la perfection.

    Ce film palpitant m’a littéralement scotchée à l’écran du premier au dernier plan. Premiers plans de ces arbres décharnés, morts, comme un avertissement. Et de ce drapeau russe flottant sur le fronton d’une école déserte. « Je voulais parler d’absence d’empathie et d’égoïsme permanent et l’arrière-plan politique contribue à votre perception ». Voilà comment Zvyagintsev a évoqué son film lors de la conférence de presse des lauréats. Il a obtenu le grand prix, son film avait aussi tout d’une palme d’or. Et dans ces premiers plans, déjà, tout était dit.

    Chaque séquence, portée par une mise en scène vertigineuse d’une précision stupéfiante (perfection du cadre, des mouvements de caméra, de la lumière, du son même), pourrait être un court-métrage parfait et le tout esquisse le portrait d’êtres ne sachant plus communiquer ni aimer. La mère passe ainsi son temps sur Facebook et à faire des selfies. Métaphore de la Russie et plus largement d’un monde, individualiste, matérialiste et narcissique, où il est plus important de parler de soi sur les réseaux sociaux que de s’occuper de ses enfants. Où l’entreprise devient un univers déshumanisé dans l’ascenseur de laquelle les employés sont  silencieusement alignés tels des zombies.

    « Faute d’amour » est un film très ancré dans le pays dans lequel il se déroule mais aussi très universel. Le pays en question c’est une Russie qui s’essouffle (au propre comme au figuré, et tant pis pour ceux qui trouveront le plan le matérialisant trop symboliste). A l’arrière-plan, l’Ukraine. « Il y a une dimension métaphysique. La perte de l'enfant pour ces deux parents, c'est pour la Russie la perte de la relation naturelle et normale avec notre voisin le plus proche, l'Ukraine », a ainsi expliqué le cinéaste. Et quand la caméra explore le bâtiment fantôme, surgi d’une autre époque, figé, chaque pas dans cette carcasse squelettique nous rappelle ainsi à la fois les plaies béantes d’un pays et celles d’un enfant qui venait s’y réfugier.

    Le film est éprouvant, par moment étouffant, suffocant même. Il décrit des êtres et un univers âpres, abîmés,  cela ne le rend pas moins passionnant comme un éclairage implacable sur une société déshumanisée, pétrie de contradictions. Ainsi, le père travaille dans une société avec un patron intégriste qui ne supporte pas que ses employés divorcent tandis que la mère travaille dans un institut de beauté et passe son temps à s’occuper de son corps.

    Les scènes de disputes entre les parents sont d’une violence inouïe et pourtant semblent toujours justes, comme celle, féroce, où la mère dit à son mari qu’elle ne l’a jamais aimé et a fortiori celle que l’enfant entend, caché derrière une porte, dont nous découvrons la présence à la fin de celle-ci, dispute qui avait pour but de s’en rejeter la garde. L’enfant semble n’être ici qu’un obstacle à leur nouveau bonheur conjugal. Une séquence d’une force, d’une brutalité à couper le souffle. Et lorsque l’enfant se réfugie pour pleurer, secoué de sanglots, exprimant un désarroi incommensurable que personne ne viendra consoler, notre cœur saigne avec lui.

    Zvyangintsev, s’il stigmatise l’individualisme à travers ceux-ci, n’en fait pas pour autant un portrait manichéen des parents. La mère, Genia, a ainsi vécu elle aussi une enfance sans amour avec une mère surnommée « Staline en jupons » qui, elle-même, après une séquence dans laquelle elle s’est montrée impitoyable avec sa fille, semble s’écrouler, visiblement incapable de communiquer autrement qu’en criant et insultant, mais surtout terriblement seule. Genia apparaît au fil du film plus complexe et moins détestable qu’il n’y paraissait, la victime d’un système (humain, politique) qui broie les êtres et leurs sentiments. Son mari nous est presque rendu sympathique par la haine que sa femme lui témoigne et par son obstination silencieuse à aider aux recherches menées par des bénévoles qui témoignent d’une générosité qui illumine ce film glaçant et glacial.

    Des décors de l’appartement, d’une froideur clinique, à ces arbres squelettiques, à l’entreprise du père avec ses règles et espaces rigides, en passant par les extérieurs que la neige et l’obscurité envahissent de plus en plus au fil du film, tout semble sans âme et faire résonner ces pleurs déchirantes d’un enfant en mal d’amour (auxquelles d’ailleurs feront écho d’autres pleurs et d’autres cris lors de séquences ultérieures  également mémorables et glaçantes). Des plans qui nous hanteront bien après le film. Bien après le festival. Un très grand film qui m’a rappelée une palme d’or qui nous interrogeait sur les petitesses en sommeil recouvertes par l’immaculée blancheur de l’hiver, un film rude et rigoureux,« Winter sleep » de Nuri Bilge Ceylan. Une palme d’or que Zvyagintsev  (reparti avec le prix du jury) aurait indéniablement méritée pour ce film parfait de l’interprétation au scénario en passant par la mise en scène et même la musique, funèbre et lyrique, qui renforce encore le sentiment de désolation et de tristesse infinie qui émane de ces personnages que la richesse du scénario nous conduit finalement à plaindre plus qu’à blâmer. Du grand art.

    2. 120 BATTEMENTS PAR MINUTE de Robin Campillo

     

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    Cette critique est extraite de mon compte rendu du Festival de Cannes 2017 à retrouver ici. "120 battements par minute" a également obtenu le prix du public du Festival du Film de Cabourg 2017 dont vous pouvez retrouver mon bilan, là.

    C’est le film qui avait bouleversé les festivaliers au début de la 70ème édition du Festival de Cannes  et qui méritait amplement son Grand Prix. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’émotion que Pedro Almodovar l’avait évoqué lors de la conférence de presse du jury du festival. On sentait d’ailleurs poindre un regret lorsqu’il a déclaré : « J'ai adoré 120 battements par minute. Je ne peux pas être plus touché par un  film. C'est un jury démocratique. Et je suis 1/9ème seulement. » Il avait également déclaré :   « Campillo raconte l'histoire de héros qui ont sauvé de nombreuses vies. Nous avons pris conscience de cela. »

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    Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan (Arnaud Valois) va être bouleversé par la radicalité de Sean (Nahuel Perez Biscayart) qui consume ses dernières forces dans l’action. Sean est un des premiers militants d' Act Up. Atteint du VIH, il est membre de la commission prisons.  Au film politique va s’ajouter ensuite le récit de son histoire avec Nathan, nouveau militant, séronégatif.

    Le film s’attache en effet à nous raconter à la fois la grande Histoire et celle des deux personnages. Celle d’Act Up se heurtant aux groupes pharmaceutiques, essayant d’alerter  l’opinion publique et le gouvernement insensible à sa cause. Celle de l’histoire d’amour entre Sean et Nathan. Deux manières de combattre la mort. La première est racontée avec une précision documentaire. La seconde est esquissée comme un tableau avec de judicieuses ellipses. L’une domine tout le début du film avant que la seconde ne prenne une place grandissante, le film se focalisant de plus en plus sur l’intime même si le combat est toujours présent, en arrière-plan.

    La durée du film (2H10) devient alors un véritable atout nous permettant de nous immerger pleinement dans leur action et de faire exister chaque personnage, de nous les rendre attachants, de nous permettre d'appréhender la violence apparente de leurs actions qui deviennent alors simplement  à nos yeux des appels au secours, des cris de colère, si compréhensibles. Parce qu’il n’y a pas d’autre solution face à l’indifférence et l’inertie. Parce que le temps court et leur manque. La caméra s’attache et s’attarde à filmer les visages et les corps, vivants, amoureux, mais aussi les particules qui les détruisent inéluctablement. Deux réalités qui s’opposent. Une course contre la montre. Contre la mort.

    Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois et Antoine Reinartz sont impressionnants de force, d’intensité, de justesse, de combattivité. Ils rendent leurs personnages furieusement vivants et Adèle Haenel impose sa colère avec force, totalement imprégnée de son rôle.

    Campillo démontre ici une nouvelle fois son talent de scénariste (il fut notamment celui d’ « Entre les murs », palme d’or 2008 mais aussi  notamment des autres films de Laurent Cantet), dosant brillamment l’intime et le collectif, l’histoire d’amour et le combat politique et parvenant à faire de chacun des débats, parfois virulents,  des moments passionnants, témoignant toujours de ce sentiment d’urgence.  Certains ont reproché au film d’être trop long ou bavard mais aucun de ces échanges n’est vain ou gratuit. Ils sont toujours vifs et incisifs, enragés de l’urgence dictée par la maladie et la mort qui rôde. Ne pas s’arrêter, ne pas se taire pour ne pas mourir.

    La dernière partie du film, poignante, ne tombe pourtant jamais dans le pathos ni dans la facilité. Campillo raconte avec minutie et pudeur les derniers sursauts de vie, puis la mort et le deuil, leur triviale absurdité. « Mince » réagit une mère à la mort  de son enfant. Et c’est plus bouleversant que si elle s’était écroulée, éplorée.

     En immortalisant ces combats personnels et ce combat collectif, Campillo a réalisé un film universel, transpirant la fougue et la vie dont chaque dialogue, chaque seconde, chaque plan palpitent d'une urgence absolue. A l’image de la réalisation, effrénée, nerveuse,  d’une énergie folle qui ne nous laisse pas le temps de respirer. Avec sa musique exaltant la vie. Ses images fortes aussi comme ces corps allongés sur le sol de Paris symbolisant les défunts, des corps que la caméra surplombe, tourbillonnant autour comme si elle filmait un ballet funèbre. Sa poésie aussi. Un film jalonné de moments de grâce et d’images fortes qui nous laissent une trace indélébile. Lorsque la Seine devient rouge. Lorsque Sean évoque le ciel et la vie, plus prégnante avec la maladie, et que Paris défile, insolemment belle et mélancolique, derrière la vitre, irradiée de soleil.

    Un film qui rend magnifiquement hommage à ces combattants, à leur ténacité. Lorsque, finalement, le désir de vie l’emporte, avec ces battements musicaux et cardiaques, qui s’enlacent et se confondent dans un tourbillon sonore et de lumières stroboscopiques, qui exaltent la force de l’instant, et nous accompagnent bien après le générique de film, Campillo nous donne envie d’étreindre furieusement le moment présent.

    3. VISAGES VILLAES D'Agnès Varda et JR

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    Que de poésie dans ce film, révélateur de la profondeur, la noblesse, la beauté et la vérité des êtres ! Présenté hors-compétition du dernier Festival de Cannes où il a reçu le prix L’œil d’or du meilleur documentaire, il est coréalisé par Agnès Varda et JR.

    Agnès Varda et JR ont des points communs : passion et questionnement sur les images en général et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. Agnès a choisi le cinéma. JR a choisi de créer des galeries de photographies en plein air. Quand Agnès et JR se sont rencontrés en 2015, ils ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique (et magique) de JR. Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés et parfois affichés. Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries, en se riant des différences.

    Dès le générique, le spectateur est saisi par la délicatesse et la poésie. Poésie ludique des images. Et des mots, aussi : « tu sais bien que j’ai mal aux escaliers » dit Agnès Varda lorsqu’elle peine à rejoindre JR, « Les poissons sont contents, maintenant ils mènent la vie de château» à propos de photos de poissons que l'équipe de JR a collées sur un château d’eau.

    « Le hasard a toujours été le meilleur de mes assistants », a ainsi déclaré Agnès Varda et en effet, de chacune de ces rencontres surgissent des instants magiques, de profonde humanité. Sur chacun des clichés, dans chacun de leurs échanges avec ces « visages » affleurent les regrets et la noblesse de leurs détenteurs.

    En parallèle de ces explorations des visages et des villages, se développe l’amitié entre ces deux humanistes qui tous deux ont à cœur de montrer la grandeur d’âme de ceux que certains appellent avec condescendance les petites gens (terme qui m’horripile), de la révéler (au sens photographique et pas seulement).

    En les immortalisant, en reflétant la vérité des visages que ce soit celui de la dernière habitante de sa rue, dans un coron du Nord voué à la destruction en collant sa photo sur sa maison, à ces employés d'un site chimique,  ils en révèlent la beauté simple et fulgurante. Et nous bouleversent. Comme cet homme à la veille de sa retraite  qui leur dit avoir « l’impression d’arriver au bout d’une falaise et que ce soir je vais sauter dans le vide ». Et dans cette phrase et dans son regard un avenir effrayant et vertigineux semble passer.

    Le photographe de 33 ans et la réalisatrice de « 88 printemps » forment un duo singulier, attachant, complice et attendrissant. Le grand trentenaire aux lunettes noires (qu’Agnès Varda s’évertuera pendant tout le film à lui faire enlever) et la petite octogénaire au casque gris et roux. Deux silhouettes de dessin animé. Les mettre l’un avec l’autre est déjà un moment de cinéma. Tous deux se dévoilent aussi au fil des minutes et des kilomètres de ce road movie inclassable. Et ces visages dont les portraits se dessinent sont aussi, bien sûr, les leur. Ce voyage est aussi leur parcours initiatique. Celui d’un JR gentiment taquin, empathique, et d’une Agnès Varda tout aussi à l’écoute des autres, tantôt malicieuse et légère (impayable notamment quand elle chante avec la radio) tantôt grave et nous serrant le cœur lorsqu’elle dit « la mort j’ai envie d’y être parce que ce sera fini ».

    Ce récit plein de vie et fantaisie est aussi jalonné par l’évocation tout en pudeur de ceux qui ne sont plus, du temps qui efface tout (parce que photographier les visages c’est faire en sorte qu’ils « ne tombent pas dans les trous de la mémoire ») comme la mer qui engloutit ce portrait de cet ami d’Agnès Varda qui avait pourtant été soigneusement choisi pour être collé sur un bunker en bord de mer. Et la nostalgie et la mélancolie gagnent peu à peu du terrain jusqu’à la fin. Jusqu’à cette « rencontre » avec le « redoutable » Jean-Luc Godard qui donne lieu à un grand moment de cinéma poignant et terriblement cruel. Jusqu’au lac où la vérité et le regard sont, enfin, à nu. Et le nôtre embué de larmes.

    Ajoutez à cela la musique de M. Et vous obtiendrez une ode au « pouvoir de l’imagination », un petit bijou de délicatesse et de bienveillance. Un pied de nez au cynisme. Passionnant. Poétique. Surprenant. Ensorcelant. Emouvant. Rare. A voir absolument.

     

  • Critique de THE REVENANT d’Alejandro González Iñárritu à 20H45 sur Ciné + Premier

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    Les Oscars 2016 ont enfin couronné Leonardo DiCaprio pour ce film (son premier Oscar après 5 tentatives, sans compter tous les films pour lesquels il n’était pas nommé et l’aurait mérité – Cliquez ici pour retrouver mes 7 critiques de films avec DiCaprio- ). Ils ont également récompensé son réalisateur pour la deuxième année consécutive. Alejandro González Iñárritu avait en effet déjà reçu l’Oscar du meilleur réalisateur, l’an passé, pour « Birdman ». Avant lui, John Ford (en 1941 et 1942) et Joseph L. Mankiewicz (en 1950 et 1951) avaient déjà réussi cet exploit. « The Revenant » a également reçu l’Oscar de la meilleure photographie attribué à Emmanuel Lubezki qui le reçoit ainsi pour la troisième année consécutive (il l’avait eu l’an passé pour « Birdman » et il y a deux ans pour « Gravity »).

    « The Revenant » n’a cependant finalement récolté que 3 des 12 Oscars pour lesquels il était nommé, certes non des moindres. Alejandro González Iñárritu a souvent eu les honneurs des palmarès : « Babel » avait ainsi reçu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2006, « Biutiful » avait permis à Javier Bardem de recevoir le prix d’interprétation masculine à Cannes en 2010 et « Birdman » était le grand vainqueur de la cérémonie des Oscars 2015 : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleure photographie. Et si, justement, ce film n’était qu’affaire d’exploits ?

    Les films d’Alejandro González Iñárritu sont toujours des expériences fascinantes dans lesquelles le montage prend une place centrale, souvent pour souligner la solitude, voire la déchéance, d’un personnage confronté à la violence (de la maladie, des éléments, de la société…) et ce sixième long-métrage ne déroge pas à la règle. Les solitudes et les douleurs se faisaient écho d’un pays à l’autre dans « Babel ». Cet écho résonne désormais entre les différents films du cinéaste. Là ne sont pas les seuls éléments distinctifs de ses films, je vais y revenir…

    Le film est une adaptation du roman éponyme de l'écrivain Michael Punke sur le trappeur Hugh Glass brutalement attaqué par un ours et laissé pour mort par les membres de sa propre équipe. Il nous plonge dans une Amérique profondément sauvage. Hugh Glass, le trappeur, est interprété par Leonardo DiCaprio et, comme dans le roman, est attaqué par un ours et grièvement blessé. Abandonné et laissé pour mort par ses équipiers, des soldats qu’il devait aider, accompagné de son fils (un « sang-mêlé ») à regagner leur camp, et en particulier par l’un d’eux, John Fitzgerald (dont la médiocrité s’avèrera aussi mythique que son nom) incarné par Tom Hardy, méconnaissable, qui l’enterre vivant. Mais Glass refuse de mourir. Seul, armé de sa volonté et porté par l’amour qu’il voue à sa femme et à leur fils, et par sa soif de vengeance, Glass entreprend un voyage de plus de 300 kms dans un environnement hostile qu’il devra affronter en plus des tribus et d’un hiver glacial, sur la piste de l’homme qui l’a trahi.

    « Birdman » débutait par le plan d’un homme simplement -dé-vêtu, assis, comme suspendu dans les airs. De dos alors qu’il ne rêvait que d’être à nouveau sous les feux des projecteurs et au devant de la scène. Une voix off (sa voix intérieure, celle du personnage qu’il avait incarné) apparaissait parfois à ses côtés. Si le cadre et le lieu sont très différents, ce début n’est pas sans similitudes avec celui de « The Revenant ». C’est là aussi l’histoire d’un homme condamné à une certaine animalité, donc à nu, d’ailleurs filmé, dans l’un des premiers plans du film, là aussi de dos, face à la nature cette fois. Iñárritu n’économise pas non plus les métaphores, les plans pour nous faire comprendre que Glass est réduit à l’état animal : privé de paroles et réduit à ânonner des râles et des sons incompréhensibles, vêtu d’une peau qui se confond avec ses cheveux, rampant comme un animal avec cette peau sur le dos et se retrouvant soudainement face à une nature paisible et majestueuse dont l’homme a disparu. comme « Birdman » était « l’homme oiseau », « The Revenant » devient « l’homme ours ». Un homme qui va peu à peu renaître, en se débarrassant progressivement de sa façon de se mouvoir et de ses attributs d’animal pour (par le biais d’une scène choc dans laquelle il vide la carcasse d’un animal et s’y love en position fœtale) ne faire qu’un avec la nature puis renaitre, redevenir un homme qui marche sur ses deux jambes, se redresse, parle et peut (potentiellement) croire et admettre que « la vengeance appartient à Dieu. » La caméra le suit, le traque, l’emprisonne parfois face à cette nature aux étendues vertigineuses. Déjà dans « Biutiful », le personnage central était encerclé, enserré même par la caméra d’Iñárritu qui le suivait jusqu’à son dernier souffle. L’unité de temps, l’unité de lieu et d’action renforçaient l’impression de fatalité inéluctable.

    « Babel » était pour moi un chef d’œuvre à la virtuosité scénaristique rarement égalée. Si « The Revenant » n’est pas avare de virtuosité, ce n’est certainement pas du côté du scénario qu’elle se trouve. J’évoquais plus haut ce qui caractérise et singularise les films d’ Iñárritu. Outre cette confrontation d’un personnage principal à lui-même et à la violence, ses films se distinguent par le montage (à l’exception de « Biutiful », le seul à proposer un montage linéaire), une utilisation judicieuse du son, une musique toujours prenante ( comme les cordes de cette guitare qui résonnent comme un cri de douleur et de solitude dans « Babel », le pendant du solo de batterie dans « Birdman »), des scènes oniriques (ainsi dans « Biutiful » des incursions oniriques ponctuaient un film par ailleurs extrêmement réaliste comme si le seul espoir possible était dans un ailleurs poétique mais irréel comme c’est d’ailleurs dans le cas dans « The Revenant ») et de forts contrastes, tout ce qui se retrouve dans « The Revenant ».

    Ainsi, les dialectes et le ruissellement de l’eau ressemblent à une mélopée enchanteresse et une phrase qui revient à plusieurs reprises semble battre la mesure : « Tant que tu respires, tu te bats ». Des scènes oniriques ponctuent là aussi l’aventure de Glass, certaines un peu « plaquées » et d’autres magnifiques comme celles du rêve de Glass qui voit une Eglise délabrée et non moins belle surgir au milieu de nulle part et qui étreint son fils mort qui se transforme brutalement en arbre.

    Le montage alterne entre les scènes du passé de Glass explicitant la mort de sa femme et celles de son épopée. Quant aux contrastes, ils sont toujours aussi saisissants. Contraste entre la lumière naturelle éblouissante et l’âpreté de ce à quoi est confronté Glass. Contraste entre la majesté de la nature et sa violence. Contraste entre la blancheur de la nature et la noirceur des desseins de ceux qui la traversent. Contraste entre la beauté étourdissante, royale même, de l’environnement et des animaux (cerfs traversant une rivière sous un soleil étincelant, aigle observant la nature majestueuse etc) et la brusquerie de l’homme.

    Evidemment, DiCaprio, grand défenseur de la nature (comme il l’a une nouvelle fois prouvé dans son sublime discours lorsqu’il a reçu son Oscar) pouvait difficilement refuser ce film (il aurait refusé « Steve Jobs » pour celui-ci et de ce point de vue, il a eu raison) qui est un hymne vibrant à la nature. Evidemment aussi, certains plans sont d’une beauté inouïe et la prouesse technique est indéniable comme elle l’est dans chacun des films du cinéaste, a fortiori le dernier, « Birdman », tourné et monté de telle sorte que le spectateur avait l’impression qu’il ne s’agissait que d’un seul plan séquence (à une exception près, au dénouement). Evidemment encore, DiCaprio, est une fois de plus, une de fois encore, magistral, transfiguré, et dans son regard animé par une volonté farouche et vengeresse et la douleur indicible de la perte des siens, passent toutes ses émotions qu’il ne peut plus exprimer par une parole réduite à des borborygmes. La prouesse physique est aussi incontestable et d’après ses propres dires, ce tournage fut son plus difficile (des membres de l’équipe ont même abandonné en cours de route) et nous le croyons bien volontiers. Qu’il combatte à mains nues avec un ours (la scène est bluffante et nous fait retenir notre souffle et nous accrocher à notre siège) ou qu’il soit plongé dans une rivière glaciale, il contribue à ce que nous croyions à ce combat surhumain.

    S’il mérite son Oscar, il y a eu aussi tant d’autres films pour lesquels il l’aurait mérité, peut-être davantage, par exemple « Shutter island » (le film ne fut pas nommé aux Oscars), dans lequel il est habité par son rôle et dans lequel, en un regard, il nous plonge dans un abîme où alternent et se mêlent même parfois angoisse, doutes, suspicion, folie, désarroi ou encore dans « Gatsby le magnifique » dans lequel il incarne un Gatsby bouleversant, énigmatique, mélancolique, fragile, charismatique, avec ce sourire triste, si caractéristique du personnage ou encore dans « J.Edgar » dans lequel le maquillage n’est pour rien dans l’étonnante nouvelle métamorphose qui le fait devenir Hoover, avec sa complexité, son autorité, son orgueil, ses doutes qui passent dans son regard l’espace d’un instant, lorsque ses mots trahissent subitement son trouble et le font alors redevenir l’enfant en quête de l’amour de sa mère qu’il n’a finalement jamais cessé d’être derrière ce masque d’intransigeance et d’orgueil. Et je pourrais continuer longtemps ainsi tant la liste est longue et impressionnante et tant l’éclectisme de ses judicieux choix révèlent son intelligence…. Mais revenons à « The Revenant ».

    Malgré toutes les qualités du film énoncées ci-dessus : des plans majestueux, une interprétation irréprochable, une prouesse technique, une utilisation judicieuse du son et de la musique, des scènes spectaculaires, je n’ai pas été totalement emportée. La faute sans doute à un propos trop appuyé (trop d’excès, trop de redondances), à un rythme inégal, à un scénario et des personnages secondaires extrêmement manichéens (le personnage de Tom Hardy d’une médiocrité abyssale dont la haine des Indiens est certes expliquée par un scalp qu’ils lui avaient fait subir ou encore le personnage de Bridger interprété par Will Poulter dont le cas est vite expédié). Les plans du soleil qui perce à travers les arbres et de la caméra qui tournoie m’ont semblé tellement nombreux qu’ils en ont perdu de leur lyrisme (certain) et de leur force. Les personnages secondaires sont réduits à des stéréotypes et les scènes phares me semblent ne pas avoir suscité l’émotion et là encore, la force, qu’elles auraient dû contenir même si, pour me contredire, je suis bien consciente que le cinéaste ne cherchait pas à séduire ni à flatter (tout comme dans « Birdman »), bien au contraire, et c’est d’une certaine manière tout à son honneur. Dans un western (que ce film est aussi), avant la confrontation finale, le retour du héros est toujours LE moment crucial mais ici il m’a juste donné l’impression d’une fin qui s’essoufflait, d’un  moment par lequel on devait passer parce qu’il faut en finir comme Glass veut lui aussi en finir avec son adversaire.

    Tout comme dans « Birdman », au-delà de la prouesse technique, encore une fois admirable, grandiose, tout comme j’avais eu l’impression de voir un énième film dans et sur les coulisses du spectacle et la vie d’artiste (et tant de chefs d’œuvre l’avaient précédé : « Eve », «La comtesse aux pieds nus », « Le dernier métro », « Vous n’avez encore rien vu », « The Artist » et tant d’autres) sur le narcissisme, l’égocentrisme, la folie, l’excès ou le manque de confiance (l’un étant souvent le masque de l’autre) des acteurs, j’ai là aussi eu l’impression de voir un énième film sur la majesté de la nature, et quand tant d’autres l’ont précédé ( à commencer par Malick auquel Iñárritu emprunte tant, à commencer par son –très talentueux- directeur de la photographie).

    « The Revenant » est une fable spectaculaire, fascinante, âpre, une ode à la nature aussi hostile soit-elle presque inoffensive face à la sauvagerie des hommes ( et qui, contrairement à eux, quand elle se rebelle le fait toujours pour se défendre ou survivre, la nature étant dépourvue de la médiocrité propre à l’homme) et une ode aux Indiens spoliés puisque nature et Indiens sont les décideurs finaux, les vrais Dieux que Glass avaient un temps supplantés, une fable portée par une réalisation époustouflante qui culmine dans ce plan final qui est d’une puissance redoutable et poignante et qui nous interpelle comme l’a fait DiCaprio lors de ces Oscars et dont je vous retranscris ici la fin du discours : « Faire The Revenant a aussi été une histoire de relation entre l'homme et la nature. Une année 2015 que nous avons collectivement menée à être la plus chaude de l'histoire enregistrée. La production a dû voyager jusqu'à l'extrême sud de la planète pour pouvoir trouver de la neige. Le réchauffement climatique est quelque chose de réel, qui arrive maintenant. C'est la plus grande menace à laquelle notre espèce doit faire face, et nous devons travailler ensemble et cesser de procrastiner. Nous devons apporter notre soutien aux leaders du monde entier qui ne parlent pas au nom des gros pollueurs, mais au nom de l'humanité toute entière, pour les peuples indigènes de ce monde, pour les millions et millions de populations déshéritées qui sont les plus affectées par tout cela. Pour les enfants de nos enfants, et pour les gens dont la voix a été noyée par des politiques avides. Merci à tous pour cette incroyable soirée de remise de prix. Ne considérons pas cette planète comme acquise, je ne considère pas cette récompense comme acquise. »

    Iñárritu nous fait vivre une expérience, non dénuée de redondances, d’excès, de métaphores surlignées qui sont la marque de ce cinéaste qui, à chacun de ses films, toujours jalonnés de fulgurances, prouve néanmoins qu’il possède un univers singulier, une inventivité technique et une capacité à porter ses comédiens au sommet de leur art. « Tant que tu respires, tu te bats », « Le vent ne peut rien contre un arbre aux racines solides », telles sont les phrases qui symbolisent le parcours et la volonté incroyables de Glass et qui m’accompagnent bien après la projection, des phrases portées par la plus belle des mélodies, celle de la nature : le ruissellement de l’eau, la force du vent, le bruissement des feuilles. Une nature dont Iñárritu film et glorifie avec maestria l’effrayante et admirable majesté.

    « Birdman », dont vous pouvez retrouver ma critique en cliquant, ici.

    Cliquez ici pour lire ma critique du chef d’œuvre « Babel ».

  • Cate Blanchett, présidente du jury du Festival de Cannes 2018 : 3 critiques de films avec l'actrice

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    Photo ci-dessus prise lors de l'hommage rendu à l'actrice dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville.

    Comme chaque année, avec le mois de janvier arrivent les premières annonces concernant le Festival de Cannes que vous pourrez bien sûr suivre ici en direct ainsi que sur mon blog entièrement consacré au festival, Inthemoodforcannes.com.  Vient ainsi d'être annoncé le nom de la présidente du jury de ce 71ème Festival de Cannes. Il s'agit de l'actrice australienne,aussi talentueuse qu'engagée, Cate  Blanchett.

    Voici le communiqué de presse officiel du Festival de Cannes à ce sujet. En-dessous, en bonus, je vous propose 3 critiques de films avec Cate Blanchett.

    Je viens à Cannes depuis des années comme actrice, comme productrice, pour les soirées de gala et pour les séances en Compétition, pour le Marché même, a-t-elle déclaré. Mais je ne suis encore jamais venue pour le seul plaisir de profiter de la corne d’abondance de films qu’est ce grand festival. »

    Cate Blanchett succèdera à Pedro Almodóvar, Président de la 70e édition du Festival de Cannes dont le Jury a attribué la Palme d’or à The Square du réalisateur suédois Ruben Östlund.

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    Photo ci-dessus prise lors de la conférence de presse du jury du 70ème Festival de Cannes.

    « Le privilège que l’on me fait de me demander de présider le Jury et la responsabilité qui sera la mienne m’emplissent d’humilité, poursuit-elle. Cannes joue un rôle majeur dans l’ambition du monde de mieux se connaître en racontant des histoires, cette tentative étrange et vitale que tous les peuples partagent, comprennent et désirent ardemment. »

    Pierre Lescure, Président du Festival de Cannes et Thierry Frémaux, Délégué général, se réjouissent : « Nous sommes très heureux d’accueillir une artiste rare et singulière dont le talent et les convictions irriguent les écrans de cinéma comme les scènes de théâtre. Nos conversations, cet automne, nous promettent qu’elle sera une Présidente engagée, une femme passionnée et une spectatrice généreuse. »

    Cate Blanchett est de ces comédiennes pour qui jouer est une joie permanente, quelle que soit la nature de ce qui l’installe sur scène ou à l’écran. Au cinéma, toujours sous la direction de grands réalisateurs, elle alterne films indépendants et grosses productions en figurant au générique de tout ce qui compte dans le cinéma anglo-saxon contemporain : dans la trilogie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, dans L’Étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher, dans Babel d’Alejandro González Iñárritu, La Vie Aquatique de Wes Anderson, The Good German de Steven Soderbergh, Coffee and Cigarettes de Jim Jarmusch. Liste non-exhaustive à laquelle il faut ajouter Steven Spielberg, Terrence Malick, Sally Potter, Ridley Scott, Woody Allen et Todd Haynes.
     

    Lorsqu’elle s’absente du grand écran, c’est pour rejoindre les scènes des théâtres du monde entier. Elle a codirigé avec Andrew Upton la Compagnie théâtrale de Sydney entre 2008 et 2013 et reçu plusieurs prix sur les planches de New York, Washington, Londres, Paris (elle y a joué Les Bonnes de Jean Genêt avec Isabelle Huppert, Présidente du Jury en 2009) ainsi que Sydney, bien sûr, où elle avait démarré dans Un Tramway nommé Désir produit par Liv Ulmann.

    En 2012, elle est faite Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en France par le ministre de la Culture, et se voit remettre en Australie la Médaille du Centenaire pour son importante contribution à l’art. En 2015 elle reçoit le Lifetime Achievement Award de l’Académie australienne et, en 2017, elle devient Compagnon de l’ordre de l’Australie.

    Quand elle retourne au cinéma, elle reçoit en 2014 l’Oscar de la meilleure actrice pour Blue Jasmine de Woody Allen. Cette récompense succédait à celle qui lui fut attribuée en 2004 : Oscar du meilleur second rôle féminin pour Aviator de Martin Scorsese où elle campait une inoubliable Katharine Hepburn – c’est ainsi la première fois qu’une actrice gagne un Oscar en jouant une actrice… qui gagna aussi un Oscar.

    Cate Blanchett fut également nommée pour sa performance dans Carol de Todd Haynes, qu’elle a coproduit et qui fut présenté en Compétition à Cannes en 2015. A noter qu’en 2008, elle fut aussi nommée pour deux Oscars, meilleure actrice pour Elizabeth the Golden Age de Shekhar Kapur (avec qui elle avait travaillé dix ans plus tôt dans Elizabeth) et meilleur second rôle pour I’m not There de Todd Haynes (pour lequel elle remporta le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise), ce qui fait d’elle l’une des cinq artistes dans l’histoire de l’Académie à avoir été nommée la même année dans ces deux catégories.

    Récemment, Cate Blanchett est apparue dans la superproduction Marvel Thor : Ragnarok, et sera bientôt à l’affiche d’Ocean’s 8, premier volet d’une saga entièrement féminine produite par Warner qui sortira en juin 2018. Cette année, on la verra aussi dans Where’d you go Bernadette, adaptation très attendue du roman de Maria Semple par Richard Linklater et dans celle de The House With a Clock in its Walls par Eli Roth.

    Cate Blanchett est également Ambassadrice de bonne volonté pour le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), où elle défend leur cause à travers le monde.
    Le Festival de Cannes 2018 se déroulera du 8 au 19 mai prochains et, une fois n’est pas coutume, commencera un mardi et s’achèvera un samedi.

    CRITIQUE de BLUE JASMINE de Woody Allen

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    Jasmine est marié avec Hal (Alex Baldwin), un homme d’affaires fortuné avec lequel elle vit dans une somptueuse demeure à New York. Sa vie va brusquement voler en éclats. Elle va alors quitter New York et la vie de luxe pour vivre chez sa sœur Ginger au mode de vie beaucoup plus modeste, celle-ci habitant dans un petit appartement de San Francisco et gagnant sa vie en tant que caissière de supermarché.

    Après Barcelone, Londres, Paris et Rome, Woody Allen est donc de retour aux Etats-Unis. Comme à chaque fois, le lieu  a une importance capitale. Le film commence d’ailleurs par un vol en avion. Jasmine est encore entre deux villes et deux vies. New York et San Francisco. Deux villes qui s’opposent, géographiquement, temporellement et socialement pour Jasmine puisque l’une représente le passé et la richesse, l’autre le présent et la pauvreté. Deux faces de son existence. Le film est d’ailleurs brillamment monté avec ces mêmes allers et retours dans le montage, et une alternance entre le présent et des flashbacks sur la vie passée de Jasmine.  Après l’arrivée de Jasmine dans l’appartement de sa sœur ( « C’est chaleureux » dira-t-elle avec une douce condescendance), nous découvrons en flashback la première visite de Jasmine dans la magnifique propriété de Hal.

     

    Chaque film de Woody Allen est une véritable leçon de scénario, sur la manière d’exposer une situation, de croquer un personnage, et surtout de traiter les sujets les plus graves avec une apparente légèreté, de passer d’un genre à l’autre. Surtout, ici magistralement, il illustre par la forme du film le fond puisque Jasmine ment constamment, y compris à elle-même, la réalisation mentant au spectateur pour nous donner une apparence de légèreté comme Jasmine cherche à s’en donner une. Toute sa vie est d’ailleurs basée sur un mensonge. Son mari est tombé amoureux de son prénom qui n’est pas vraiment le sien. L’intelligence de l’écriture se retrouve jusque dans le titre du film, finalement aussi un mensonge comme l’est toute la vie de Jasmine.

    Woody Allen manie les paradoxes comme personne et y parvient une nouvelle fois avec une habileté déconcertante. Je ne suis pas forcément d’accord avec ceux pour qui c’est son meilleur film depuis « Match point », film au scénario parfait, audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu'à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d'un regard désabusé et d'une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un vrai chef d’œuvre. Depuis, il m’a enchantée avec chacun de ses films, même si certains furent moins réussis, et « Minuit à Paris » reste pour moi un de ses meilleurs :  une déclaration d’amour à Paris, au pouvoir de l’illusion, de l’imagination,  à la magie de Paris et du cinéma qui permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et s’étreindre.

     

    Mais revenons au don de scénariste de Woody Allen. Dès les premiers plans, nous comprenons que Jasmine ne va pas très bien, qu’elle est aussi volubile que perdue.  Si Woody Allen manie savamment les paradoxes, il manie aussi les contrastes entre Ginger la brune et Jasmine la blonde, deux sœurs adoptées et diamétralement opposées.

    Le vernis de Jasmine et son allure impeccable de blonde hitchcockienne se fissurent progressivement. Sa vie dorée (au propre comme au figuré, prédominance du jaune) va exploser. Le statut social est essentiel pour Jasmine et cette déchéance sociale va la plonger en pleine dépression. Snob, a priori antipathique, elle va finalement susciter notre empathie grâce au talent de Woody Allen qui va nous dresse son portrait et celui de sa vie d’avant en flashbacks.

    Bien sûr, Cate Banchett avec ce rôle sur mesure, doit beaucoup à cette réussite. Elle parvient à nous faire aimer ce personnage horripilant, snob, condescendant, inquiétant même parfois mais surtout très seul, perdu, et finalement touchant. De ces personnes qui se révèlent plus complexes que leur apparente futilité voudrait nous le laisser croire, qui maquillent leurs failles derrière un culte de l’apparence et qu’il nous satisferait de croire seulement exaspérantes. Face à elle, Sally Hawkins est également parfaite.

    Derrière une apparence de légèreté (jusque dans la musique), Woody Allen a finalement réalisé un de ses films les plus sombres, encore une fois d’une étonnante modernité, en phase avec son époque, aussi peu linéaire et aussi sinueux que son montage. Les dialogues sont cinglants, cruels et réjouissants. Le casting est irréprochable et par de discrets plans séquences Woody Allen nous rappelle qu’il n’est pas seulement un grand dialoguiste et scénariste mais aussi un immense metteur en scène qui, tout aussi discrètement, fait coïncider la forme et le fond.

    Un dernier plan, finalement tragique,  lève le voile sur la réalité de Jasmine, et les vraies intentions du cinéaste,  notamment celle de dresser un magnifique portrait de femme, d’une époque aussi. Un film désenchanté, mélancolique, caustique, qui révèle finalement une nouvelle fois le don d’observation du cinéaste et sa capacité, en  à révélant les failles de ses personnages, aussi détestables puissent-ils être parfois a priori, et nous les faire aimer.

    Critique de L'ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON de David Fincher

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    L’existence de Benjamin Button (Brad Pitt) débute à la Nouvelle Orléans à l’âge auquel elle s’achève pour certains : à 80 ans. Il nait avec le corps d’un vieillard rabougri et il rajeunit progressivement sans que rien ne puisse arrêter l’impitoyable course du temps. Sa mère meurt en lui donnant la vie. Son père (Jason Flemyng), effrayé par cet être étrange, le dépose sur les marches d’une maison de retraite (ce n’est évidemment pas anodin) où il sera recueilli par la charmante Queenie (Taraji P.Henson), il grandira au contact des autres pensionnaires.

     Son histoire est lue dans une chambre d’hôpital par une fille (Julia Ormond) à sa mère Daisy (Cate Blanchett), une vieille dame à l’agonie qui possède le journal intime de Benjamin. Cette vieille dame est la femme dont Benjamin est tombé amoureux dès qu’il l’a vue, alors qu’elle n’était qu’une petite fille, la petite fille d’une des pensionnaires de la maison de retraite.

    Tandis qu’à l’extérieur de l’hôpital l’ouragan Katrina gronde, la lecture déroule le cours de cette étrange vie à rebours, de 1918 à nos jours…

     Adaptée d’une nouvelle de Scott Fitzgerald écrite en 1922, « L’étrange histoire de Benjamin Button »  (elle-même inspirée d’une pensée de Mark Twain : «  La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et nous approchions graduellement de nos 18 ans ») est avant tout une idée prodigieuse, une métaphore magistrale sur la course-évidemment perdue d'avance- contre le temps, contre la mort, une brillante allégorie sur l’effroyable écoulement de temps. En cela, la très alléchante bande-annonce est à la fois fidèle et trompeuse. Fidèle en ce qu’elle reflète le sujet du film. Trompeuse en ce qu’elle n’en reflète que partiellement l’atmosphère, violemment mélancolique.

    Plus que quiconque, Benjamin se sait condamné par l’inéluctable compte à rebours mais aussi condamné à profiter intensément de chaque instant. Son existence est jalonnée de rencontres insolites, touchantes, marquantes (parmi lesquelles celle avec le troublant personnage  incarné par la talentueuse Tilda Swinton) inéluctablement tragiques car prisonnières de l’emprise du temps.

    Le film aurait pu être outrancièrement mélodramatique mais l’écueil est brillamment évité : toutes les morts surviennent hors-champ. Benjamin grandit et rajeunit pourtant entouré par la mort comme si un autre cyclone balayait son entourage. David Fincher n’a pas réalisé de ces films caricaturalement hollywoodiens qui usent et abusent du gros plan suréclairé et de la musique à outrance.  Le film est essentiellement en clair-obscur, la musique, judicieuse, d’Alexandre Desplat souligne sans surligner et laisse le plus souvent place au tic-tac récurrent, obsédant, omniprésent, terrifiant de l’horloge, symbole de ce temps que rien ne peut arrêter, même une horloge qui fonctionne à rebours, métaphore qui résonne d’autant plus dans une industrie hollywoodienne où rien ne semble arrêter la course effrénée et souvent ridicule au jeunisme.

     Malgré son sujet qui relève du conte (finalement plus philosophique que fantastique) costumes, décors, époques savamment reconstituées, tout concourt au réalisme (option finalement aussi courageuse que judicieuse), de même que les réactions ou plutôt la relative absence de réactions à la particularité de Benjamin contre laquelle personne, pas même lui-même, ne cherche à lutter. En cela, c’est un hymne à la différence, de surcroît parce que Queenie qui l’adopte, est une jeune femme noire qui adopte donc un enfant blanc né dans des circonstances très étranges, à une époque où le racisme régnait.

     « L’étrange histoire de Benjamin Button » est aussi et avant tout une magnifique histoire d’amour entre Benjamin et Daisy, une histoire qui défie les apparences, la raison, le temps et même la mort. L’histoire de deux destins qui se croisent, que les fils, tortueux, impitoyables et sublimes, du destin finissent toujours pas réunir, malgré le fracas du temps, de leurs temps, s’écoulant irrémédiablement dans deux directions opposées.

     C’est encore une formidable prouesse technique (qui a nécessité 150 millions de dollars et 150 jours de tournage) qui l’est d’autant plus qu’elle n’est jamais là pour épater mais pour servir admirablement l’histoire. Ainsi, il fut un temps question de Robert Redford pour incarner Benjamin Button vieux. C’est finalement Brad Pitt qui interprète Benjamin Button tout au long de sa vie. L’impact dramatique et visuel à le voir ainsi rajeunir sublimement jusqu’à incarner la jeunesse dans toute sa ténébreuse splendeur, puis dramatiquement à redevenir un enfant ayant tout oublié, n’en est que plus fort. Sa nomination aux Oscars en tant que meilleur acteur est amplement méritée (le film est nommé 13 fois) et doit davantage à sa performance d’acteur qu’au maquillage, prouvant après « Babel » et « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » (cliquez sur le lien ci-contre pour voir ma vidéo de la conférence de presse au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2007 ainsi que la présentation du film) la très vaste palette de son jeu mais aussi l’intelligence de ses choix d’acteur. Face à lui Cate Blanchett incarne parfaitement cette femme finalement presque plus irréelle que lui, qui irradie, danse avec la vie, la dévore et la savoure.

     Certes, le film comporte quelques longueurs (L’épisode de la guerre était-il vraiment nécessaire ?) sans pour autant être jamais ennuyeux, tout concourant à servir son thème principal et à rappeler le temps qui s’écoule tragiquement. Le temps de la séance (2H44) épouse ainsi judicieusement le thème du film incitant à ne pas vouloir aller à tout prix contre le temps et à apprendre à l’apprivoiser, à laisser le temps au temps, profiter de chaque rencontre et chaque instant sans pour autant vouloir tout obtenir, réussir, immédiatement.

     Ce film est comme ces personnes (et comme son personnage principal) qui ne vous sont pas immédiatement sympathiques parce qu’elles ne cherchent pas à plaire à tout prix et par tous les moyens mais qui, quand vous les découvrez, progressivement et vraiment, vous procurent  une impression, émotion même, qui n’en sont que plus profondes et intenses. Le charme est alors plus durable que celui, volatile, d’une beauté éphémère et incandescente.

    « L’étrange histoire de Benjamin Button », malgré la singularité de son protagoniste, est un film à portée universelle sur la perte d’être chers,  la cruelle et inexorable fuite du temps, l’amour inconditionnel et intemporel.

     Au-delà de sa mélancolie, c’est aussi un magnifique hymne à la vie, dont chaque plan (une danse dans la nuit, un lever de soleil, une bouchée ou une gorgée dont ils se délectent…) chaque réplique incitent à « savourer » chaque instant, à croire en l’avenir, malgré tout, parce qu’ « on ne peut jamais savoir ce que l’avenir nous réserve ».

     Ce n’est peut-être pas le chef d’œuvre auquel je m’attendais, mais à l’image de l’existence il n’a peut-être que plus de mérite et ne  recèle que plus de beauté à sortir des sentiers battus et à charmer plus insidieusement, en cela c’est un beau et grand film qui porte et/ou hante bien après l’ouragan. Un film mélancolique , et  donc, malgré tout sombre, tendre aussi, un hymne à la vie dont on ne ressort en tout cas pas indemne tant il bouscule en soi (en moi en tout cas) tout ce qui constitue l’essence même de l’existence, de son sens et de son temps, inéluctablement destructeur et fatal.

    Critique de BABEL de Alejandro Gonzalez Inarritu

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    Je vous recommande vivement ce film qui avait reçu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2006:  un de mes plus grands chocs cinématographiques cannois et, pour moi, un chef d’oeuvre. Voici la critique que j’avais alors publiée:

    En plein désert marocain, des enfants jouent avec un fusil que leur père vient d’acheter. Un coup de feu retentit et blesse une touriste américaine dans un bus qui passait sur la route, en contrebas. Les destins de cette femme (Cate Blanchett) et de son mari (Brad Pitt) dont le couple battait de l’aile, les destins des deux enfants responsables du coup de feu, le destin de la nourrice mexicaine des enfants du couple d’Américains, le destin d’une jeune Japonaise, en l’occurrence la fille de l’homme qui a donné le fusil à un Marocain qui l’a revendu au père des deux enfants : ces destins vont tous avoir une influence les uns sur les autres, des destins socialement et géographiquement si éloignés, mais si proches dans l’isolement et dans la douleur.

    Rares sont les films que je retourne voir, mais pour Babel vu au Festival de Cannes 2006 où il a obtenu le prix de la mise en scène et celui du jury œcuménique, c’était une vraie nécessité parce que Babel c’est plus qu’un film : une expérience. Ce film choral qui clôt le triptyque du cinéaste après Amours chiennes et 21 grammes fait partie de ces films après lesquels toute parole devient inutile et impossible, de ces films qui expriment tant dans un silence, dans un geste, qu’aucune parole ne pourrait mieux les résumer. De ces films qui vous hypnotisent et vous réveillent. De ces films qui vous aveuglent et vous éclairent. Donc le même choc, la même claque, le même bouleversement, quelques mois après, l’effervescence, la déraison et les excès cannois en moins. Malgré cela.

    Si la construction n’avait été qu’un vain exercice de style, qu’un prétexte à une démonstration stylistique ostentatoire, l’exercice aurait été alors particulièrement agaçant mais son intérêt provient justement du fait que cette construction ciselée illustre le propos du cinéaste, qu’elle traduit les vies fragmentées, l’incommunicabilité universelle.

    Le montage ne cherche pas à surprendre mais à appuyer le propos, à refléter un monde chaotique, brusque et impatient, des vies désorientées, des destins morcelés. En résulte un film riche, puissant où le spectateur est tenu en haleine du début à la fin, retenant son souffle, un souffle coupé par le basculement probable, soudain, du sublime dans la violence. Du sublime d’une danse à la violence d’un coup de feu. Du sublime d’une main sur une autre, de la blancheur d’un visage à la violence d’une balle perdue et d’une blessure rouge sang. Du sublime du silence et du calme à la violence du basculement dans le bruit, dans la fureur, dans la déraison.

    medium_P80601087315038.jpgUn film qui nous emmène sur trois continents sans jamais que notre attention ne soit relâchée, qui nous confronte à l’égoïsme, à notre égoïsme, qui nous jette notre aveuglement et notre surdité en pleine figure, ces figures et ces visages qu’il scrute et sublime d’ailleurs, qui nous jette notre indolence en pleine figure, aussi. Un instantané troublant et désorientant de notre époque troublée et désorientée. La scène de la discothèque est ainsi une des plus significatives, qui participe de cette expérience. La jeune Japonaise sourde et muette est aveuglée. Elle noie son désarroi dans ces lumières scintillantes, fascinantes et angoissantes. Des lumières aveuglantes: le paradoxe du monde, encore. Lumières qui nous englobent. Soudain aveuglés et sourds au monde qui nous entoure nous aussi.

    Le point de départ du film est donc le retentissement d’un coup de feu au Maroc, coup de feu déclenchant une série d’évènements qui ont des conséquences désastreuses ou salvatrices, selon les protagonistes impliqués. Peu à peu le puzzle se reconstitue brillamment, certaines vies se reconstruisent, d’autres sont détruites à jamais.

    Jamais il n’a été aussi matériellement facile de communiquer. Jamais la communication n’a été aussi compliquée, Jamais nous n’avons reçu autant d’informations et avons si mal su les décrypter. Jamais un film ne l’a aussi bien traduit. Chaque minute du film illustre cette incompréhension, parfois par un simple arrière plan, par une simple image qui se glisse dans une autre, par un regard qui répond à un autre, par une danse qui en rappelle une autre, du Japon au Mexique, l’une éloignant et l’autre rapprochant.

    Virtuosité des raccords aussi : un silence de la Japonaise muette qui répond à un cri de douleur de l’américaine, un ballon de volley qui rappelle une balle de fusil. Un monde qui se fait écho, qui crie, qui vocifère sa peur et sa violence et sa fébrilité, qui appelle à l’aide et qui ne s’entend pas comme la Japonaise n’entend plus, comme nous n’entendons plus à force que notre écoute soit tellement sollicitée, comme nous ne voyons plus à force que tant d’images nous soit transmises, sur un mode analogue, alors qu’elles sont si différentes. Des douleurs, des sons, des solitudes qui se font écho, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre. Et les cordes de cette guitare qui résonnent comme un cri de douleur et de solitude.

    Véritable film gigogne, Babel nous montre un monde paranoïaque, paradoxalement plus ouvert sur l’extérieur fictivement si accessible et finalement plus égocentrique que jamais, monde paradoxalement mondialisé et individualiste. Le montage traduit magistralement cette angoisse, ces tremblements convulsifs d’un monde qui étouffe et balbutie, qui n’a jamais eu autant de moyens de s’exprimer et pour qui les mots deviennent vains. D’ailleurs chaque histoire s’achève par des gestes, des corps enlacés, touchés, touchés enfin. Touchés comme nous le sommes. Les mots n’ont plus aucun sens, les mots de ces langues différentes. Selon la Bible, Babel fut ainsi une célèbre tour construite par une humanité unie pour atteindre le paradis. Cette entreprise provoqua la colère de Dieu, qui pour les séparer, fit parler à chacun des hommes impliqués une langue différente, mettant ainsi fin au projet et répandant sur la Terre un peuple désorienté et incapable de communiquer.

    medium_P80601161052655.jpgC’est aussi un film de contrastes. Contrastes entre douleur et grâce, ou plutôt la grâce puis si subitement la douleur, puis la grâce à nouveau, parfois. Un coup de feu retentit et tout bascule. Le coup de feu du début ou celui en pleine liesse du mariage. Grâce si éphémère, si fragile, comme celle de l’innocence de ces enfants qu’ils soient japonais, américains, marocains, ou mexicains. Contrastes entre le rouge des vêtements de la femme mexicaine et les couleurs ocres du désert. Contrastes entres les lignes verticales de Tokyo et l’horizontalité du désert. Contrastes entre un jeu d’enfants et ses conséquences dramatiques. Contraste entre le corps dénudé et la ville habillée de lumière. Contraste entre le désert et la ville. Contrastes de la solitude dans le désert et de la foule de Tokyo. Contrastes de la foule et de la solitude dans la foule. Contrastes entre « toutes les télévisions [qui] en parlent » et ces cris qui s’évanouissent dans le désert. Contrastes d’un côté et de l’autre de la frontière. Contrastes d’un monde qui s’ouvre à la communication et se ferme à l’autre. Contrastes d’un monde surinformé mais incompréhensible, contrastes d’un monde qui voit sans regarder, qui interprète sans savoir ou comment, par le prisme du regard d’un monde apeuré, un jeu d’enfants devient l’acte terroriste de fondamentalistes ou comment ils estiment savoir de là-bas ce qu’ils ne comprennent pas ici.

    medium_P80601693016905.jpgMais toutes ces dissociations et ces contrastes ne sont finalement là que pour mieux rapprocher. Contrastes de ces hommes qui parlent des langues différentes mais se comprennent d’un geste, d’une photo échangée (même si un billet méprisant, méprisable les séparera, à nouveau). Contrastes de ces êtres soudainement plongés dans la solitude qui leur permet finalement de se retrouver. Mais surtout, surtout, malgré les langues : la même violence, la même solitude, la même incommunicabilité, la même fébrilité, le même rouge et la même blancheur, la même magnificence et menace de la nuit au-dessus des villes, la même innocence meurtrie, le même sentiment d’oppression dans la foule et dans le désert.

    Loin d’être une démonstration stylistique, malgré sa virtuosité scénaristique et de mise en scène Babel est donc un édifice magistral tout entier au service d’un propos qui parvient à nous transmettre l’émotion que ses personnages réapprennent. Notons que malgré la pluralité de lieux, de langues, d’acteurs (professionnels mais souvent aussi non professionnels), par le talent de son metteur en scène, Babel ne perd jamais sa cohérence qui surgit, flagrante, bouleversante, évidente, au dénouement.

    La mise en scène est volontairement déstructurée pour refléter ce monde qu’il met en scène, un monde qui s’égare, medium_P80601398560603.jpget qui, au moindre geste , à la moindre seconde, au moindre soupçon, peut basculer dans la violence irraisonnée, un monde qui n’a jamais communiqué aussi vite et mal, un monde que l’on prend en pleine face, fascinés et horrifiés à la fois, un monde brillamment ausculté, décrit, par des cris et des silences aussi ; un monde qui nous aveugle, nous assourdit, un monde de différences si semblables, un monde d’après 11 septembre.

    Babel est un film douloureux et clairvoyant, intense, empreint de la fébrilité du monde qu’il parcourt et dépeint de sa lumière blafarde puis rougeoyante puis nocturne. Un film magnifique et éprouvant dont la mise en scène vertigineuse nous emporte dans sa frénésie d’images, de sons, de violences, de jugements hâtifs, et nous laisse avec ses silences, dans le silence d’un monde si bruyant. Le silence après le bruit, malgré le bruit, le silence de l’harmonie retrouvée, l’harmonie éphémère car il suffirait qu’un coup de feu retentisse pour que tout bascule, à nouveau. La beauté et la douleur pareillement indicibles. Babel, tour de beauté et de douleur. Le silence avant les applaudissements, retentissants, mérités. Si le propre de l’Art c’est de refléter son époque et de l’éclairer, aussi sombre soit-elle, alors Babel est un chef d’œuvre. Une expérience dont on ne peut ressortir indemne ! Mais silencieux, forcément.

     

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  • Top cinéma 2017 : FAUTE D'AMOUR d'Andreï Zviaguintsev, film de l'année 2017

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    Même si j'ai manqué quelques films incontournables de l'année comme "The Square", "The Lost City of Z", "L'amant double" (que je vais essayer de rattraper très rapidement), je vous livre tout de même mon top 2017 dont j'assume l'éclectisme. J'ai gardé les films qui ont suscité de fortes impressions et émotions, dont la qualité de l'écriture était remarquable et qui ont résisté à l'écoulement du temps...et que cet écoulement du temps a même fait ressurgir différemment dans ma mémoire, d'où la présence de "La La Land" qui m'avait déçue lors de sa sortie. Je n'ai guère hésité pour attribuer la première place à "Faute d'amour" dont chaque plan, chaque dialogue sont pour moi une leçon de cinéma...et qui contient la scène la plus forte et bouleversante de 2017.  Pour le reste, l'ordre est purement aléatoire.

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    1. FAUTE D'AMOUR d'Andreï Zviaguintsev

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    Cette critique est extraite de mon compte rendu du Festival de Cannes 2017 à retrouver ici.

    « Faute d’amour » est mon grand coup de cœur de cette édition que je retournerai voir pour vous en parler plus longuement et plus précisément.

    Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Genia fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser... Aucun des deux ne semble avoir d'intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu'à ce qu'il disparaisse.

    En 2007, Konstantin Lavronenko, remportait le prix d’interprétation masculine pour son rôle dans « Le Bannissement » de Zvyagintsev. Avec « Elena », Zvyangintsev remportait le Prix spécial du jury  Un  Certain Regard en 2011. Et le Prix du scénario pour « Leviathan » en 2014. Avec ce cinquième long-métrage, il frôle la perfection.

    Ce film palpitant m’a littéralement scotchée à l’écran du premier au dernier plan. Premiers plans de ces arbres décharnés, morts, comme un avertissement. Et de ce drapeau russe flottant sur le fronton d’une école déserte. « Je voulais parler d’absence d’empathie et d’égoïsme permanent et l’arrière-plan politique contribue à votre perception ». Voilà comment Zvyagintsev a évoqué son film lors de la conférence de presse des lauréats. Il a obtenu le grand prix, son film avait aussi tout d’une palme d’or. Et dans ces premiers plans, déjà, tout était dit.

    Chaque séquence, portée par une mise en scène vertigineuse d’une précision stupéfiante (perfection du cadre, des mouvements de caméra, de la lumière, du son même), pourrait être un court-métrage parfait et le tout esquisse le portrait d’êtres ne sachant plus communiquer ni aimer. La mère passe ainsi son temps sur Facebook et à faire des selfies. Métaphore de la Russie et plus largement d’un monde, individualiste, matérialiste et narcissique, où il est plus important de parler de soi sur les réseaux sociaux que de s’occuper de ses enfants. Où l’entreprise devient un univers déshumanisé dans l’ascenseur de laquelle les employés sont  silencieusement alignés tels des zombies.

    « Faute d’amour » est un film très ancré dans le pays dans lequel il se déroule mais aussi très universel. Le pays en question c’est une Russie qui s’essouffle (au propre comme au figuré, et tant pis pour ceux qui trouveront le plan le matérialisant trop symboliste). A l’arrière-plan, l’Ukraine. « Il y a une dimension métaphysique. La perte de l'enfant pour ces deux parents, c'est pour la Russie la perte de la relation naturelle et normale avec notre voisin le plus proche, l'Ukraine », a ainsi expliqué le cinéaste. Et quand la caméra explore le bâtiment fantôme, surgi d’une autre époque, figé, chaque pas dans cette carcasse squelettique nous rappelle ainsi à la fois les plaies béantes d’un pays et celles d’un enfant qui venait s’y réfugier.

    Le film est éprouvant, par moment étouffant, suffocant même. Il décrit des êtres et un univers âpres, abîmés,  cela ne le rend pas moins passionnant comme un éclairage implacable sur une société déshumanisée, pétrie de contradictions. Ainsi, le père travaille dans une société avec un patron intégriste qui ne supporte pas que ses employés divorcent tandis que la mère travaille dans un institut de beauté et passe son temps à s’occuper de son corps.

    Les scènes de disputes entre les parents sont d’une violence inouïe et pourtant semblent toujours justes, comme celle, féroce, où la mère dit à son mari qu’elle ne l’a jamais aimé et a fortiori celle que l’enfant entend, caché derrière une porte, dont nous découvrons la présence à la fin de celle-ci, dispute qui avait pour but de s’en rejeter la garde. L’enfant semble n’être ici qu’un obstacle à leur nouveau bonheur conjugal. Une séquence d’une force, d’une brutalité à couper le souffle. Et lorsque l’enfant se réfugie pour pleurer, secoué de sanglots, exprimant un désarroi incommensurable que personne ne viendra consoler, notre cœur saigne avec lui.

    Zvyangintsev, s’il stigmatise l’individualisme à travers ceux-ci, n’en fait pas pour autant un portrait manichéen des parents. La mère, Genia, a ainsi vécu elle aussi une enfance sans amour avec une mère surnommée « Staline en jupons » qui, elle-même, après une séquence dans laquelle elle s’est montrée impitoyable avec sa fille, semble s’écrouler, visiblement incapable de communiquer autrement qu’en criant et insultant, mais surtout terriblement seule. Genia apparaît au fil du film plus complexe et moins détestable qu’il n’y paraissait, la victime d’un système (humain, politique) qui broie les êtres et leurs sentiments. Son mari nous est presque rendu sympathique par la haine que sa femme lui témoigne et par son obstination silencieuse à aider aux recherches menées par des bénévoles qui témoignent d’une générosité qui illumine ce film glaçant et glacial.

    Des décors de l’appartement, d’une froideur clinique, à ces arbres squelettiques, à l’entreprise du père avec ses règles et espaces rigides, en passant par les extérieurs que la neige et l’obscurité envahissent de plus en plus au fil du film, tout semble sans âme et faire résonner ces pleurs déchirantes d’un enfant en mal d’amour (auxquelles d’ailleurs feront écho d’autres pleurs et d’autres cris lors de séquences ultérieures  également mémorables et glaçantes). Des plans qui nous hanteront bien après le film. Bien après le festival. Un très grand film qui m’a rappelée une palme d’or qui nous interrogeait sur les petitesses en sommeil recouvertes par l’immaculée blancheur de l’hiver, un film rude et rigoureux,« Winter sleep » de Nuri Bilge Ceylan. Une palme d’or que Zvyagintsev  (reparti avec le prix du jury) aurait indéniablement méritée pour ce film parfait de l’interprétation au scénario en passant par la mise en scène et même la musique, funèbre et lyrique, qui renforce encore le sentiment de désolation et de tristesse infinie qui émane de ces personnages que la richesse du scénario nous conduit finalement à plaindre plus qu’à blâmer. Du grand art.

    2. 120 BATTEMENTS PAR MINUTE de Robin Campillo

     

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    Cette critique est extraite de mon compte rendu du Festival de Cannes 2017 à retrouver ici. "120 battements par minute" a également obtenu le prix du public du Festival du Film de Cabourg 2017 dont vous pouvez retrouver mon bilan, là.

    C’est le film qui avait bouleversé les festivaliers au début de la 70ème édition du Festival de Cannes  et qui méritait amplement son Grand Prix. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’émotion que Pedro Almodovar l’avait évoqué lors de la conférence de presse du jury du festival. On sentait d’ailleurs poindre un regret lorsqu’il a déclaré : « J'ai adoré 120 battements par minute. Je ne peux pas être plus touché par un  film. C'est un jury démocratique. Et je suis 1/9ème seulement. » Il avait également déclaré :   « Campillo raconte l'histoire de héros qui ont sauvé de nombreuses vies. Nous avons pris conscience de cela. »

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    Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan (Arnaud Valois) va être bouleversé par la radicalité de Sean (Nahuel Perez Biscayart) qui consume ses dernières forces dans l’action. Sean est un des premiers militants d' Act Up. Atteint du VIH, il est membre de la commission prisons.  Au film politique va s’ajouter ensuite le récit de son histoire avec Nathan, nouveau militant, séronégatif.

    Le film s’attache en effet à nous raconter à la fois la grande Histoire et celle des deux personnages. Celle d’Act Up se heurtant aux groupes pharmaceutiques, essayant d’alerter  l’opinion publique et le gouvernement insensible à sa cause. Celle de l’histoire d’amour entre Sean et Nathan. Deux manières de combattre la mort. La première est racontée avec une précision documentaire. La seconde est esquissée comme un tableau avec de judicieuses ellipses. L’une domine tout le début du film avant que la seconde ne prenne une place grandissante, le film se focalisant de plus en plus sur l’intime même si le combat est toujours présent, en arrière-plan.

    La durée du film (2H10) devient alors un véritable atout nous permettant de nous immerger pleinement dans leur action et de faire exister chaque personnage, de nous les rendre attachants, de nous permettre d'appréhender la violence apparente de leurs actions qui deviennent alors simplement  à nos yeux des appels au secours, des cris de colère, si compréhensibles. Parce qu’il n’y a pas d’autre solution face à l’indifférence et l’inertie. Parce que le temps court et leur manque. La caméra s’attache et s’attarde à filmer les visages et les corps, vivants, amoureux, mais aussi les particules qui les détruisent inéluctablement. Deux réalités qui s’opposent. Une course contre la montre. Contre la mort.

    Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois et Antoine Reinartz sont impressionnants de force, d’intensité, de justesse, de combattivité. Ils rendent leurs personnages furieusement vivants et Adèle Haenel impose sa colère avec force, totalement imprégnée de son rôle.

    Campillo démontre ici une nouvelle fois son talent de scénariste (il fut notamment celui d’ « Entre les murs », palme d’or 2008 mais aussi  notamment des autres films de Laurent Cantet), dosant brillamment l’intime et le collectif, l’histoire d’amour et le combat politique et parvenant à faire de chacun des débats, parfois virulents,  des moments passionnants, témoignant toujours de ce sentiment d’urgence.  Certains ont reproché au film d’être trop long ou bavard mais aucun de ces échanges n’est vain ou gratuit. Ils sont toujours vifs et incisifs, enragés de l’urgence dictée par la maladie et la mort qui rôde. Ne pas s’arrêter, ne pas se taire pour ne pas mourir.

    La dernière partie du film, poignante, ne tombe pourtant jamais dans le pathos ni dans la facilité. Campillo raconte avec minutie et pudeur les derniers sursauts de vie, puis la mort et le deuil, leur triviale absurdité. « Mince » réagit une mère à la mort  de son enfant. Et c’est plus bouleversant que si elle s’était écroulée, éplorée.

     En immortalisant ces combats personnels et ce combat collectif, Campillo a réalisé un film universel, transpirant la fougue et la vie dont chaque dialogue, chaque seconde, chaque plan palpitent d'une urgence absolue. A l’image de la réalisation, effrénée, nerveuse,  d’une énergie folle qui ne nous laisse pas le temps de respirer. Avec sa musique exaltant la vie. Ses images fortes aussi comme ces corps allongés sur le sol de Paris symbolisant les défunts, des corps que la caméra surplombe, tourbillonnant autour comme si elle filmait un ballet funèbre. Sa poésie aussi. Un film jalonné de moments de grâce et d’images fortes qui nous laissent une trace indélébile. Lorsque la Seine devient rouge. Lorsque Sean évoque le ciel et la vie, plus prégnante avec la maladie, et que Paris défile, insolemment belle et mélancolique, derrière la vitre, irradiée de soleil.

    Un film qui rend magnifiquement hommage à ces combattants, à leur ténacité. Lorsque, finalement, le désir de vie l’emporte, avec ces battements musicaux et cardiaques, qui s’enlacent et se confondent dans un tourbillon sonore et de lumières stroboscopiques, qui exaltent la force de l’instant, et nous accompagnent bien après le générique de film, Campillo nous donne envie d’étreindre furieusement le moment présent.

    3. VISAGES VILLAES D'Agnès Varda et JR

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    Que de poésie dans ce film, révélateur de la profondeur, la noblesse, la beauté et la vérité des êtres ! Présenté hors-compétition du dernier Festival de Cannes où il a reçu le prix L’œil d’or du meilleur documentaire, il est coréalisé par Agnès Varda et JR.

    Agnès Varda et JR ont des points communs : passion et questionnement sur les images en général et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. Agnès a choisi le cinéma. JR a choisi de créer des galeries de photographies en plein air. Quand Agnès et JR se sont rencontrés en 2015, ils ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique (et magique) de JR. Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés et parfois affichés. Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries, en se riant des différences.

    Dès le générique, le spectateur est saisi par la délicatesse et la poésie. Poésie ludique des images. Et des mots, aussi : « tu sais bien que j’ai mal aux escaliers » dit Agnès Varda lorsqu’elle peine à rejoindre JR, « Les poissons sont contents, maintenant ils mènent la vie de château» à propos de photos de poissons que l'équipe de JR a collées sur un château d’eau.

    « Le hasard a toujours été le meilleur de mes assistants », a ainsi déclaré Agnès Varda et en effet, de chacune de ces rencontres surgissent des instants magiques, de profonde humanité. Sur chacun des clichés, dans chacun de leurs échanges avec ces « visages » affleurent les regrets et la noblesse de leurs détenteurs.

    En parallèle de ces explorations des visages et des villages, se développe l’amitié entre ces deux humanistes qui tous deux ont à cœur de montrer la grandeur d’âme de ceux que certains appellent avec condescendance les petites gens (terme qui m’horripile), de la révéler (au sens photographique et pas seulement).

    En les immortalisant, en reflétant la vérité des visages que ce soit celui de la dernière habitante de sa rue, dans un coron du Nord voué à la destruction en collant sa photo sur sa maison, à ces employés d'un site chimique,  ils en révèlent la beauté simple et fulgurante. Et nous bouleversent. Comme cet homme à la veille de sa retraite  qui leur dit avoir « l’impression d’arriver au bout d’une falaise et que ce soir je vais sauter dans le vide ». Et dans cette phrase et dans son regard un avenir effrayant et vertigineux semble passer.

    Le photographe de 33 ans et la réalisatrice de « 88 printemps » forment un duo singulier, attachant, complice et attendrissant. Le grand trentenaire aux lunettes noires (qu’Agnès Varda s’évertuera pendant tout le film à lui faire enlever) et la petite octogénaire au casque gris et roux. Deux silhouettes de dessin animé. Les mettre l’un avec l’autre est déjà un moment de cinéma. Tous deux se dévoilent aussi au fil des minutes et des kilomètres de ce road movie inclassable. Et ces visages dont les portraits se dessinent sont aussi, bien sûr, les leur. Ce voyage est aussi leur parcours initiatique. Celui d’un JR gentiment taquin, empathique, et d’une Agnès Varda tout aussi à l’écoute des autres, tantôt malicieuse et légère (impayable notamment quand elle chante avec la radio) tantôt grave et nous serrant le cœur lorsqu’elle dit « la mort j’ai envie d’y être parce que ce sera fini ».

    Ce récit plein de vie et fantaisie est aussi jalonné par l’évocation tout en pudeur de ceux qui ne sont plus, du temps qui efface tout (parce que photographier les visages c’est faire en sorte qu’ils « ne tombent pas dans les trous de la mémoire ») comme la mer qui engloutit ce portrait de cet ami d’Agnès Varda qui avait pourtant été soigneusement choisi pour être collé sur un bunker en bord de mer. Et la nostalgie et la mélancolie gagnent peu à peu du terrain jusqu’à la fin. Jusqu’à cette « rencontre » avec le « redoutable » Jean-Luc Godard qui donne lieu à un grand moment de cinéma poignant et terriblement cruel. Jusqu’au lac où la vérité et le regard sont, enfin, à nu. Et le nôtre embué de larmes.

    Ajoutez à cela la musique de M. Et vous obtiendrez une ode au « pouvoir de l’imagination », un petit bijou de délicatesse et de bienveillance. Un pied de nez au cynisme. Passionnant. Poétique. Surprenant. Ensorcelant. Emouvant. Rare. A voir absolument.

    4 Critique de 24 FRAMES d'Abbas Kiarostami

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    Cette critique est extraite de mon compte rendu du Festival de Cannes 2017.

    Le réalisateur iranien Abbas Kiarostami, disparu en juillet 2016,  a réalisé ces courts-métrages réunis par le producteur Charles Gillibert.

    La projection cannoise était doublement émouvante. Parce qu’il s’agissait d’un film posthume. Parce que c’était quelques heures après l’attentat de Manchester et que, lors de la présentation de cette séance spéciale, Thierry Frémaux l’a évoqué, annonçant une minute de silence l’après-midi.

    "Je me demande toujours dans quelle mesure les artistes cherchent à représenter la réalité d'une scène. Les peintres et les photographes ne capturent qu'une seule image et rien de ce qui survient avant ou après. Pour "24 Frames", j'ai décidé d'utiliser les photos que j’ai prises ces dernières années, j'y ai ajouté ce que j'ai imaginé avoir eu lieu avant ou après chacun des moments capturés", avait ainsi déclaré Kiarostami.

    Que dire de cette projection sans dénaturer ou banaliser la beauté de chacun de ces plans, de chacun de ces cadres, pour refléter le sentiment d’émerveillement et de quiétude que chacun d’eux m’ont inspiré ? Le film est ainsi divisé en 24 parties. 24 cadres. 24 plans. 24 moments de grâce et de poésie. Cinq minutes chacun. Séparés par un fondu au noir. Ouverts par le chiffre qui indique leur numéro. Parfois leurs lignes et leurs motifs se répondent. D’abord, souvent le tableau semble inerte et puis la vie s’immisce et avec elle la force et la majesté du cinéma.

    « J’ai décidé d’utiliser les photos que j’ai prises ces dernières années, j’y ai ajouté ce que j’ai imaginé avoir eu lieu avant ou après chacun des moments capturés » a également déclaré Kiarostami. Le cinéma, fenêtre ouverte sur le monde. Mais aussi sur l’imaginaire. Vibrant hommage au septième art. A la peinture aussi, incitant ainsi notre imagination à vagabonder, à s’évader de l’autre côté de la fenêtre, à construire l’avant et l’après du tableau. Toujours cette confiance de Kiarostami dans le spectateur, acteur responsable de ce qu’il regarde. (Sans aucun doute « Copie conforme » est-il un de mes plus beaux souvenirs de cinéma du Festival de Cannes, remarquable film sur la réflexivité de l’art, film de questionnements plus de de réponses,  réflexion passionnante sur l’art et l’amour et, là aussi, un dernier plan délicieusement énigmatique et polysémique qui signe le début ou le renouveau ou la fin d'une histoire plurielle.) Et puis la photographie, la peinture, la poésie, tout s’entremêle comme un adieu à tout ce qui a constitué son œuvre.

    Le premier segment est ainsi un tableau de Brueghel l’Ancien intitulé « Chasseurs dans la neige ». Un village en hiver. En apparence rien ne bouge. Et puis la fumée, un oiseau, un chien, la neige et tout s’anime… Nous retrouverons d’ailleurs ensuite souvent ces motifs : les animaux, les changements climatiques (orage, neige surtout…). Des plans souvent à travers une fenêtre. Fenêtre ouverte sur le monde, encore…

     Chacune de ces « frames » est mémorable. De ces deux chevaux dansant langoureusement sous la neige sur fond de musique italienne, à surtout, ce dernier cadre. Une fenêtre à nouveau s’ouvrant sur des arbres qui se plient. Devant un bureau avec un écran avec, au ralenti, un baiser hollywoodien. Et, devant l’écran, une personne endormie. La magie de l’instant lui est invisible. Comme un secret partagé,  pour nous seuls, spectateurs, éblouis, de cet ultime plan du film et de la carrière de cet immense cinéaste. Comme une dernière déclaration d’amour au cinéma. A la fin des 5 minutes de ce baiser au ralenti sur l’écran de l’ordinateur s’écrivent ces deux mots, “The End”, sur une musique qui célèbre l’amour éternel. Une délicate révérence. Deux mots plus que jamais chargés de sens. Un film et une carrière qui s’achèvent sur l’éternité du cinéma et de l’amour. Un pied de nez à la mort. Son dernier geste poétique, tout en élégance. Et le plus beau plan de ce festival.

    5. Critique de LA LA LAND de Damien Chazelle

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    J’ai vu ce film il y a une dizaine de jours et j’ai attendu pour vous en parler me disant que, peut-être, la magie qui n’a pas opéré lors de la projection se révèlerait à moi a posteriori… Alors ?

    Le synopsis d’abord. «La La Land » nous emmène au cœur de Los Angeles, et suit deux personnages : une actrice en devenir prénommée Mia (Emma Stone) qui, entre deux  castings, sert des boissons à des actrices dans la cafétéria où elle travaille, située dans les célèbres studios de la vil et Sebastian (Ryan Gosling), passionné de jazz et talentueux musicien, qui est contraint de jouer la musique d’ascenseur qu’il déteste pour assurer sa subsistance. Elle rêve de rôles sur grand écran. Lui de posséder son propre club de jazz. Elle aime le cinéma d’hier, lui le jazz qui, par certains, est considérée comme une musique surannée.  Ces deux rêveurs mènent pourtant une existence bien loin de la vie d’artistes à laquelle ils aspirent… Le hasard les fait se rencontrer sans cesse, dans un embouteillage d’abord, dans un bar, et enfin dans une fête. Ces deux idéalistes tombent amoureux…

    Le film débute par un plan séquence virevoltant, jubilatoire, visuellement éblouissant. Sur une bretelle d’autoroute de Los Angeles, dans un embouteillage qui paralyse la circulation, une musique jazzy s’échappe des véhicules. Des automobilistes en route vers Hollywood sortent alors de leurs voitures, soudain éperdument joyeux, débordants d’espoir et d’enthousiasme, dansant et chantant leurs rêves de gloire.  La vue sur Los Angeles est à couper le souffle, la chorégraphie millimétrée est impressionnante et d’emblée nous avons envie de nous joindre à eux, de tourbillonner, et de plonger dans ce film qui débute par ces réjouissantes promesses. A ma grande déception, rien n’égalera ensuite cette scène époustouflante.

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    Après ses 7 récompenses aux Golden Globes,   « La La Land » totalise 14 nominations aux Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice, meilleure chanson... Deux films seulement avaient auparavant atteint un tel nombre de nominations, « Titanic » de James Cameron en 1997 et « Eve » de Joseph L. Mankiewicz  en 1951, un chef-d’œuvre passionnant,  tableau  cruel et lucide de la vie d’actrice. Décidément, les Oscars affectionnent les films sur le cinéma.

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    Le cinéma affectionne la mise en abyme, ce qui a d’ailleurs souvent produit des chefs d’œuvre. Il y a évidemment « La comtesse aux pieds nus » de Mankiewicz, « Etreintes brisées » de Pedro Almodovar « La Nuit américaine d Truffaut », « Sunset Boulevard » de Billy Wilder, « Une étoile est née » de George Cukor et encore « Chantons sous la pluie » de Stanley Donen et Gene Kelly, deux films auxquels « The Artist » de Michel Hazanivicius se référait également. Le film de Stanley Donen et Gene Kelly (comme beaucoup d’autres et comme le cinéma de Demy) est aussi largement cité dans « La la land » (comme dans la photo ci-dessous). Les points communs sont également nombreux entre La la land et « The Artist ».

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    « The Artist » raconte ainsi l’histoire de George Valentin (Jean Dujardin), une vedette du cinéma muet qui connait un succès retentissant…mais l’arrivée des films parlants va le faire passer de la lumière à l’ombre et le plonger dans l’oubli. Pendant ce temps, une jeune figurante, Peppy Miller (Bérénice Béjo) qu’il aura au départ involontairement  placée dans la lumière, va voir sa carrière débuter de manière éblouissante. Le film raconte l’histoire de leurs destins croisés.  Comme « La la land », « The Artist » est un hommage permanent et éclatant au cinéma. Hommage à ceux qui ont jalonné et construit son histoire, d’abord, évidemment. De Murnau à Welles, en passant par Borzage, Hazanavicius cite brillamment ceux qui l’ont ostensiblement inspiré. Hommage au burlesque aussi, avec son mélange de tendresse et de gravité, et évidemment, même s’il s’en défend, à Chaplin qui, lui aussi,  lui surtout, dans « Les feux de la rampe », avait réalisé un hymne à l'art qui porte ou détruit, élève ou ravage, lorsque le public, si versatile, devient amnésique, lorsque le talent se tarit, lorsqu’il faut passer de la lumière éblouissante à l’ombre dévastatrice. Le personnage de Jean Dujardin est aussi un hommage au cinéma d’hier : un mélange de Douglas Fairbanks, Clark Gable, Rudolph Valentino, et du personnage de Charles Foster Kane (magnifiques citations de « Citizen Kane ») et Bérénice Béjo, avec le personnage de Peppy Miller est, quant à elle, un mélange de Louise Brooks, Marlène Dietrich, Joan Crawford…et nombreuses autres inoubliables stars du muet. Michel Hazanavicius  signe là un hommage au cinéma, à sa magie étincelante, à son histoire, mais aussi et avant tout aux artistes, à leur orgueil doublé de solitude, parfois destructrice. Des artistes qu’il sublime, mais dont il montre aussi les troublantes fêlures et la noble fragilité. Parce qu’il est burlesque, inventif, malin, poétique, et touchant.  Parce qu’il montre les artistes dans leurs belles et poignantes contradictions et fêlures. Rarement un film aura aussi bien su en concentrer la beauté simple et magique, poignante et foudroyante. Foudroyante comme la découverte  de ce plaisir immense et intense que connaissent les amoureux du cinéma lorsqu’ils voient un film pour la première fois, et découvrent son pouvoir d’une magie ineffable, omniprésente ici.

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    Malheureusement je n’ai pas été foudroyée par « La La Land ». Bien sûr, les hommages à l’âge d’or de la comédie musicale se multiplient. Sebastian tournoie admirablement autour d’un lampadaire, référence revendiquée à « Singing in the rain ». Et les deux amoureux s’envolent dans les airs comme dans « Moulin rouge ». Deux exemples parmi tant d’autres. Chazelle, au-delà de la comédie musicale, rend aussi hommage  à l’âge d’or hollywoodien tout entier notamment avec la scène de l’Observatoire Griffith, clin d’œil au chef-d’œuvre de Nicholas Ray, « La Fureur de vivre ». Et Mia cite « L’impossible Monsieur bébé », « Les Enchaînés », « Casablanca » sans parler de la réalisation qui rend elle aussi hommage au cinéma d’hier, fermeture à l’iris y comprise.

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    Si j’ai fait cette parenthèse, c’est en raison des nombreux points communs entre les deux films, deux films qui ont eu les honneurs des Oscars, et si le film de Michel Hazanavicius m’a transportée, emportée, enthousiasmée, même après de nombreux visionnages, celui de Damien Chazelle m’a souvent laissée au bord de l’autoroute…au point même (ce qui ne m’arrive quasiment jamais au cinéma) de parfois m’ennuyer. Paradoxalement, le film en noir et blanc de Michel Hazanavicius m’aura semblé plus étincelant que le film si coloré de Damien Chazelle. J’avais pourtant sacrément envie de les aimer ces deux rêveurs idéalistes, guidés par un amour et des aspirations intemporels.

    C'est la troisième fois que Ryan Gosling et Emma Stone sont partenaires de jeu au cinéma après « Crazy, Stupid, Love » et « Gangster Squad ». Ici, c’est Emma Stone qui crève littéralement l’écran comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans les films de Woody Allen « Magic in the moonlight » et « L’homme irrationnel ». Ici, elle est remarquable, notamment dans les scènes de casting, lorsqu’elle est écoutée d’une oreille distraite alors que le « casteur » regarde un assistant lui faire des signes derrière la porte tandis que face caméra elle passe d’une émotion à l’autre, et montre toute l’étendue de son talent, indéniable. Une des très belles scènes du film, d’ailleurs. Ryan Gosling réalise lui aussi une performance impressionnante ayant appris tous les morceaux de piano du film.

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    Damien Chazelle montre et transmet une nouvelle fois sa fascination pour le jazz, mais aussi pour les artistes qui endurent souffrances et humiliations pour tenter de réaliser leurs rêves.   « Whiplash », le film précédent de Damien Chazelle, notamment couronné au Festival du Cinéma Américain de Deauville, est ainsi exemplaire dans sa précision et l’exigence à l’image de la musique qu’il exalte et sublime. Comme son personnage,  Andrew Nieman (à une lettre près Niemand, personne en Allemand) qui semble avoir une seule obsession, devenir quelqu’un par la musique. Assouvir sa soif de réussite tout comme le personnage interprété par J.K Simmons souhaite assouvir sa soif d’autorité. Une confrontation explosive entre deux desseins, deux ambitions irrépressibles, deux folies.   La réalisation s’empare du rythme fougueux, fiévreux, animal de la musique, grisante et grisée par la folie du rythme et de l’ambition, dévastatrice, et joue judicieusement et avec manichéisme sur les couleurs sombres, jusque dans les vêtements: Fletcher habillé en noir comme s’il s’agissait d’un costume de scène à l’exception du moment où il donne l’impression de se mettre à nu et de baisser la garde, Andrew habillé de blanc quand il incarne encore l’innocence puis de noir à son tour et omniprésence du rouge (du sang, de la viande, du tshirt d’un des « adversaires » d’Andrew) et des gros plans lorsque l’étau se resserre, lorsque le duel devient un combat impitoyable, suffocant. Le face à face final est un véritable combat de boxe (et filmé comme tel) où l’immoralité sortira gagnante : la dictature et l’autorité permettent à l’homme de se surpasser… La scène n’en est pas moins magnifiquement filmée  transcendée par le jeu enfiévré et exalté des deux combattants.

    Etrange critique me direz-vous que la mienne qui consiste à parler d’autres films pour donner mon opinion sur celui-ci. Peut-être, justement, parce que de là provient ma déception, après l’électrique et captivant « Whiplash » qui déjà évoquait -magnifiquement- les ambitions artistiques de ses personnages, et malgré tous les chefs-d’œuvre auxquels il se réfère ce « La La Land » ne m’a pas projetée dans les étoiles malgré la caméra virevoltante qui, constamment, cherche à nous étourdir et à nous embarquer dans sa chorégraphie.  

    Les personnages secondaires, comme le scénario, manquent à mes yeux de consistance pour être totalement convaincants. Sans doute me rétorquera-t-on que Mia et Sebastian sont tout l’un pour l’autre, et que le reste du monde n’existe pas pour eux et n’existe donc pas pour le spectateur. Si j’ai cru à l’amour de l’art de ces deux-là, je n’ai pas réussi à croire en leur histoire d’amour. Certes la sympathique mélodie  composée par Justin Hurwitz nous trotte dans la tête longtemps après la projection. Certes le travail sur le son est intéressant et les transitions sont habiles (comme ce bruit de klaxon qui succède à celui du four qui siffle à nous percer les tympans). Certes certaines scènes sont particulièrement réussies (la scène d’ouverture, les castings de Mia, les plans de Sebastian jouant dans un halo de lumière, ou encore cet échange de regards chargés de regrets et, peut-être, de possibles).

    Le film devient d’ailleurs intéressant vers la fin quand il évoque cette dichotomie entre les rêves et la réalité,  les idéaux et les concessions à son idéalisme que nécessite souvent la concrétisation de ses rêves (dont on réalise alors qu’ils n’étaient qu’illusion d’un bonheur dont la réalisation des rêves en question a nécessité l’abandon comme le montre la séquence - déjà vue ailleurs mais efficace- de ce qu’aurait été la vie si…).

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    Sans doute la nostalgie d’une époque insouciante, l’utopie de revivre une période révolue où les spectateurs allaient au cinéma pour voir des "vedettes" glamours interprétant des personnages sans aspérités (dont les noms sur l’affiche suffisaient à inciter les spectateurs à découvrir le film en salles), évoluant dans un monde enchanté et enchanteur à la Demy (sans les nuances de ses personnages, plus complexes), sans doute le besoin de légèreté (dans les deux sens du terme), sans doute la rencontre entre une époque troublée, sombre, cynique, et un mélo coloré, léger, lumineux expliquent-ils le succès retentissant de ce film aussi bien en salles qu’aux Golden Globes et dans ses nominations aux Oscars. Comme un feu d'artifice qui nous éblouirait et, un temps, occulterait la réalité. Je n’ai pas succombé au charme, pourtant certain, de "La la land", peut-être  parce que, à la joie feinte et illusoire, je préfère la mélancolie (qui y  affleure un peu tard), mais ce n’est pas une raison suffisante pour vous dissuader d'aller le voir...

    6. Critique de BORN TO BE BLUE de Robert Budreau

    L’envoûtant et magnétique « Born to be blue », premier long-métrage de Robert Budreau sur la tragique histoire du trompettiste de jazz Chet Baker, depuis son comeback dans les années 70 jusqu’à sa disparition brutale, était présenté en avant-première au dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville puis au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule.

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    Ethan Hawke et Robert Budreau, le réalisateur de ce biopic (qu’il serait d’ailleurs réducteur et même inexact de qualifier ainsi) ont en commun une véritable passion pour le trompettiste et chanteur de jazz Chet Baker. L’acteur américain avait en effet déjà travaillé sur le scénario d’une journée dans la vie de Chet Baker, le James Dean du jazz, un film qui qui n’a jamais été tourné. Le film alterne les temporalités, la couleur, souvent magnétique et crépusculaire, et le noir et blanc nostalgique, la fiction dans la fiction (Chet Baker devait tourner un film sur sa vie) et la fiction qui raconte la vie de Chet Baker. Une structure dichotomique à l’image de cet être écartelé entre sa passion viscérale et ses démons. Un être multiple qu’un flashback fait passer d’une cellule d’une prison italienne à ses débuts devant Miles Davis et Dizzy Gillespie à une scène du film dans le film (s’inspirant du projet du producteur Dino de Laurentiis de 1966) dans laquelle Baker, qui joue son propre rôle, prend de l’héroïne pour la première fois, incité par une admiratrice.

    Au-delà du portrait du grand artiste, « Born to Be Blue » est un film sur les affres de la création, sur les revers du succès et de la vie d’artiste, sur la versatilité du destin. Le portrait d’un homme, seul blanc trompettiste de l’époque, qui place l’amour de son art, vital, au-dessus de tout et prêt à tous les sacrifices et douleurs pour effectuer son retour, épaulé seulement par sa compagne Jane quand même son propre père ne croit plus en lui. Le titre se réfère d’ailleurs à une chanson que lui jouait son père. Ethan Hawke, à fleur de peau, EST Chet Baker et porte ce rôle, cette personnalité aussi séduisante que fragile, sur ses épaules et lorsque, lors d’une ultime chance,  cet écorché vif chante « My Funny Valentine » devant des professionnels, c’est poignant et nous retenons notre souffle à sa voix brisée. Ce film judicieusement construit et mis en abyme, enfiévré de la musique, de l’amour et des excès qui portaient et détruisaient l’artiste est une enivrante et bouleversante mélodie du malheur et finalement le plus beau des hommages que l’on pouvait consacrer à l’artiste, et aux artistes qui se consument pour leur art. Un film nimbé d’une mélancolie envoûtante et foudroyante de beauté…comme un air de jazz joué par Chet Baker. Comme les derniers soupirs d’un artiste. Les plus intenses et émouvants

    Ma critique de DUNKERQUE sera en ligne ultérieurement et retrouver mon avis sur JALOUSE dans mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2017.

     

  • Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2017 : résumé et palmarès

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    Je n’ai manqué aucune des  4 premières éditions du Festival du Cinéma et Musique de Film de la Baule qui s’installe progressivement comme un rendez-vous cinématographique incontournable. Lors des trois premières éditions de ce festival créé en 2014  par Sam Bobino ( qui  a aussi notamment à son actif  d’être délégué général de la Semaine du Cinéma Positif) et par le cinéaste Christophe Barratier, je vous avais fait part de mon enthousiasme pour ce nouvel évènement cinématographique et musical qui a lieu dans le décor idyllique de La Baule, entre la plus belle plage du monde bordée de ses célèbres pins, ses palaces mythiques, la majestueuse salle Atlantia et le cinéma le Gulf Stream, un festival  qui est d'ailleurs le cadre de l’une des nouvelles de mon recueil « Les illusions parallèles » (Editions du 38).

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    Une séance de dédicaces de celui-ci avait d'ailleurs été organisée dans le cadre du festival l'an passé.

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    Ci-dessus, souvenir du Festival de La Baule 2016, je dédicace en même temps que Lalo Schifrin.

    Petite parenthèse pour vous informer en avant-première de ma prochaine rencontre dédicace qui aura lieu au Salon du Livre de Paris en mars 2018. Je vous en dirai bientôt plus sur ce rendez-vous que j'attends avec grande impatience. Mais revenons à La Baule, au septième art, à la musique...

    Cette année, le festival fut aussi pour moi l’occasion d’une séance photos à l'hôtel Barrière Le Royal de la Baule -quelques extraits ci-dessus- (autre cadre de la nouvelle en question) dont je remercie à nouveau toutes les équipes pour l’accueil :

    Retrouvez mon article complet consacré à l’hôtel Royal de la Baule ici, avec mon avis sur celui-ci,

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     et retrouvez mon article consacré à l’hôtel Barrière L’Hermitage, là, avec également mon avis sur celui-ci.

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    Un grand merci au passage à Lilia du Groupe Barrière pour sa bienveillance  et ses délicates attentions et à la direction de la salle Atlantia sans lesquelles ce festival n'aurait pas été pour moi un moment aussi agréable. Merci également à Patricia Menant pour sa disponibilité.

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    Au programme de cette quatrième édition du festival : 48 films dont 20  avant-premières, 2 concerts, 3 Master class, 2 ciné-concerts, une exposition De Funès avec une durée en plus rallongée d'une journée cette année ! Ajoutez à cela une affiche de festival avec l'inimitable silhouette dégingandée de M.Hulot voilà qui promettait le meilleur !

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    Comme chaque année, le temps  fort du festival fut la cérémonie de remise des prix en présence du Jury et de nombreux invités avec, surtout, un hommage à Catherine Deneuve et un concert dirigé par Vladimir Cosma intitulé  « Vladimir Cosma, dirige ses plus grandes musiques de films » (avec un Orchestre de 60 musiciens !).  Un moment magique qui nous a transportés dans ses plus grands succès et surtout qui nous a rappelé le rôle majeur de la musique dans les films en question. Ponctué de quelques mots du Maestro entre humour et émotion, ce concert qui a enchanté les festivaliers  valait à lui seul le déplacement au festival. De la musique de La septième cible (ma préférée) en passant par celles de La Boum (avec son chanteur Richard Sanderson venu interpréter le célèbre Reality) à la musique des  Aventures de Rabbi Jacob, La Chèvre et tant d'autres, ce fut un moment hors du temps, dont on aurait aimé qu'il s'éternise, a fortiori dans la somptueuse salle Atlantia qui en a été l'écrin. Après l’hommage rendu à Francis Lai en 2014, le concert de Michel Legrand en 2015 et celui de  Lalo Schifrin, dirigé par Jean-Michel Bernard l’an passé, le concert de Vladimir Cosma a encore été une indéniable réussite grâce aussi à la présence de solistes exceptionnels  : la soprano Irina Baiant, l’harmoniciste Greg Zlap, le joueur de cymbalum Marius Preda, le trompettiste Emil Bizga, le violoniste David Castro-Balbi, le flûtiste de pan César Cazanoi et, pour la rythmique, Fifi Chayeb (basse), Claude Salmieri (batterie) et Hervé Noirot (clavier). Chaque musique nous a replongés dans une atmosphère, un film, ou même un moment de notre vie. Un voyage enchanteur qui nous a fait frissonner, battre le cœur et la mesure, dont chacun un ressorti avec un air célèbre en tête et le sourire aux lèvres. Merci M.Cosma pour ce grand moment...

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    Le lendemain de son concert, Vladimir Cosma donnait également une passionnante master class au cinéma le Gulf Stream.

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    Parmi une multitude d'anecdotes, il a raconté comment il est arrivé en France à 22 ans, comment il a enregistré avec des solistes classiques comme Chet Baker, comment il a travaillé pendant plusieurs années comme assistant de Michel Legrand qu'il "vénère", comment il a débuté avec Yves Robert. Ainsi définit-il son rôle :  "La musique ne doit pas prendre la place des bruitages mais elle doit apporter une dimension supplémentaire ". "Cosma a des idées très arrêtées mais il sait les vendre "dit ainsi de lui Francis Veber. Il fallait ainsi avoir le culot d'écrire toute une partition avec une flûte de pan soliste comme dans "Le grand blond avec une chaussure noire" d'Yves Robert. "Je ne fais pas de musique descriptive mais une musique qui s'entend et qui se remarque " a-t-il également souligné. Il a ainsi travaillé 14 fois pour des films avec Pierre Richard . "Les Aventures de Rabbi Jacob" a selon lui été un tournant car "j'allais voir 20 fois un film pour voir De Funès" a-t-il ainsi raconté.

     

    Un autre des temps forts de ce festival et de la cérémonie de clôture fut l'hommage à Catherine Deneuve, également présente à La Baule pour présenter en avant-première Tout nous sépare de Thierry Klifa aux côtés de ce dernier et de Nicolas Duvauchelle. 

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    Cliquez ici pour retrouver mon article avec de nombreuses critiques de films avec Catherine Deneuve (parmi lesquels tant de chefs-d'œuvre). 

    Catherine Deneuve a reçu un Ibis d'or pour l'ensemble de sa carrière.

    Cette année, Jacques Tati, les comédies mais aussi Jean-Pierre Melville étaient à l'honneur, l'occasion de revoir des chefs-d'oeuvre de ce dernier comme Le cercle rouge (qui joue d'ailleurs un rôle central dans mon premier roman "L'amor dans l'âme") et que j'ai revu avec grand plaisir dans le cadre du festival, de même que "L'armée des ombres").

    Critique - Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville

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     Bien plus qu'un film policier, ce film est sans nul doute un de ceux qui ont fait naitre ma passion pour le cinéma...
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    Synopsis : Le commissaire Matteï (André Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s'enfuir et demeure introuvable malgré l'importance des moyens déployés. A même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit la visite d'un gardien  dans sa cellule venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l'affaire proposée par le gardien : le cambriolage d'une bijouterie place Vendôme. Ils s'adjoignent ensuite les services d'un tireur d'élite : Janson, un ancien policier, rongé par l'alcool.

    Dès la phrase d'exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et la fatalité : " Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".

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    C'est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policier et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu'à l'inspecteur général pour qui les hommes sont « tous coupables ». Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l'un est policier et l'autre un prévenu. Il n'y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu'ils traquent sont des hommes seuls. A deux reprises il nous est montré avec ses chats qu'il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l'alcool lui fait imaginer.

    Tous sont prisonniers. Prisonniers d'une vie de solitude. Prisonniers d'intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l'appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l'extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d'une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu'elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).

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    Avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu'un mot soit échangé), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe un polar d'une noirceur, d'une intensité, d'une sobriété rarement égalées.

     Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c'est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l'alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s'il tourna ensuite « Le mur de l'Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ».  Ce sont pourtant d'autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour « Le commissaire Matteï », Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.

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    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu'il est l'auteur du scénario original et de cette idée qu'il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu' j'ai tournés, parce que j'en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l'écrivant. »

    En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernières fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu'inoubliable.

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    Le festival ce sont aussi des master class. Elles furent cette année à nouveau passionnantes (notamment grâce à Stéphane Lerouge qui les anime avec bienveillance, passion et érudition) notamment celle de Christian Carion et Laurent Perez del Mar suite à la projection de "Mon garçon" de Christian Carion, thriller avec Mélanie Laurent et Guillaume Canet sorti en septembre, l'occasion aussi de rattraper cet excellent film que j'avais manqué lors de sa sortie.
     

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    Passionné par son métier, Julien voyage énormément à l’étranger. Ce manque de présence a fait exploser son couple quelques années auparavant. Lors d’une escale en France, il découvre sur son répondeur un message de son ex femme en larmes : leur petit garçon de sept ans a disparu lors d’un bivouac en montagne avec sa classe. Julien se précipite à sa recherche et rien ne pourra l’arrêter.

    Ce cinquième long-métrage de Christian Carion, troisième avec Guillaume Canet, thriller haletant du début à la fin doit beaucoup au procédé (film tourné dans l’ordre chronologique en 6 jours, Guillaume Canet n’avait pas le scénario et était donc dans la situation du personnage principal, improvisant constamment face aux situations auxquelles il était confronté) qui contribue à l’intensité du jeu de l’acteur mais aussi à l’identification immédiate du spectateur, renforcée par un judicieux travail sur le hors-champ, le son, la musique. La caméra le suit au plus près, épouse sa fébrilité et sa rage, et nous immerge ainsi dans l’action. Le décor naturel avec ses tons gris et blancs menaçants est un personnage à part entière qui joue sa partition dans ce cauchemar. Une véritable expérience de cinéma sous haute tension, oppressante et captivante. Mention spéciale à celui qui interprète le compagnon formidablement agaçant de l’ex femme, Olivier de Benoist, qui fait preuve d’une suspicieuse indifférence au drame qui se joue.  Une traque rageuse, prenante et finalement bouleversante à voir absolument.

    Lors de la master class qui a suivi la projection Christian Carion a expliqué que Guillaume Canet connaissait juste le nom et le prénom du personnage, la raison pour laquelle il avait divorcé, et son métier. Rien d'autre. Il a évoqué sa passion pour l'environnement, la présence du thème de l'engagement dans chacun de ses films."Ma maman est la plus grande conteuse que j'ai pu rencontrer. Je suis ch'timi. Les dimanches il pleut et ma mère racontait des histoires" , a-t-il également expliqué. "Mon envie de cinéma vient de là, raconter des histoires et avec le cinéma, on peut toucher plus de gens qu'à table le dimanche." "Je n'ai pas fait d'école de cinéma mais des courts métrages." a-t-il également précisé. Il a également évoqué sa passion pour Ford et Hitchock. "C'est avec Hitchcock que j'ai appris la grammaire de cinéma." "Avec Ford il y a une esthétique, une manière de filmer l'espace dont je me lasse pas comme dans L'homme qui tua Liberty Valance que je peux voir 20 fois sans m'en lasser." "J'étais ingénieur. Je travaillais pour le Ministère de l'Agriculture. Mais ma passion était ailleurs." Il a également raconté comme il s'était arrangé pour que Michel Serrault obtienne la médaille du mérite agricole, ce qui avait bouleversé ce dernier. Si son  film fut Une hirondelle a fait le printemps fut son premier film, il a expliqué que sa première envie de long-métrage était de raconter la fraternisation qui a donné lieu au magnifique Joyeux Noël. Il a également fustigé le manque d'imagination des chaînes qui voulaient qu'il fasse "Une hirondelle 2". Il a aussi expliqué qu'une partie de l'armée française ne voulait pas que le film Joyeux Noël soit tourné et qu'il a ainsi été tourné en Roumanie. Il a également raconté que le film avait engrangé  2100000 entrées alors qu'à TF1 on lui avait dit qu'on ne pouvait faire plus 400000 entrées pour un films avec des sous-titres.

    Il a ensuite raconté sa rencontre avec Morricone. Faute de musique pour son film En mai, fais ce qu'il te plaît (que je vous recommande au passage), il  a réalisé un montage avec des musiques de films préexistantes dont principalement celles de Morricone. Le récit de cette rencontre est un film en soi. Christian Carion a dressé un portrait très vivant du grand maître de la musique, du récit inénarrable du moment où celui-ci a regardé le film avec ses musiques, à la découverte de son appartement à Rome, à celui-ci racontant que son studio se situe sous une église disant "je compose mieux sous Dieu" ou encore comment Morricone a réclamé une minute de silence au lendemain des attentats de Charlie Hebdo avant de frapper dans les mains en disant "cinéma !" signifiant à la fois sa compassion et son émotion et la nécessité de continuer.

    Ce fut ensuite au tour de Laurent Perez del mar d'évoquer son parcours, de ses études de médecine (il a été urgentiste, ostéopathe), au Grand bleu  de Luc Besson à la sortie de la séance duquel il a dit à son père "je veux faire de la musique de film". Il a également raconté comment il s'est retrouvé en compétition avec 11 autres musiciens pour la musique de La tortue rouge (prix de la meilleure musique de film à La Baule l'an passé.) Le film a notamment été nommé comme meilleur film d'animation aux Oscars 2017.

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    Ce conte philosophique et écologique est un éblouissement permanent qui nous attrape dès le premier plan, dès la première note de musique pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions que ce passage sur cette île déserte n’était qu’un voyage cinématographique, celui de la vie, dont le film est la magnifique allégorie.« La Tortue rouge » a été cosignée par les prestigieux studios d’animation japonaise Ghibli. C’est la première fois que Ghibli collabore avec un artiste extérieur au studio, a fortiori étranger. Le résultat est un film universel d’une force foudroyante de beauté et d’émotions, celle d’une Nature démiurgique, fascinante et poétique.

    Le festival proposait également, comme chaque année, une compétition de longs-métrages que le jury présidé par Diane Kurys a eu la charge de départager.  Ces films ont en commun de présenter des univers et personnages contrastés qui s'opposent, se confrontent, et parfois, malgré les oppositions et les différences, se retrouvent et se réunissent. Le miracle de la musique...: allez savoir ! Si de musique bien sûr il était question, c'est souvent celle des mots qui a été à l'honneur pendant ce festival avec des films aux dialogues ciselés, réjouissants, mélodieux.

    Parmi ces longs-métrages figurait notamment "Gook" (un film qui était également en compétition du 43ème Festival du Cinéma Américain de Deauville dont vous pouvez retrouver mon compte rendu, ici).

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    Avec une précision quasi documentaire, « Gook » nous immerge dans le quartier de Paramount à L.A en avril 1992, le jour où de violentes émeutes éclatent suite à la décision de justice de déclarer les policiers non-coupables d’une agression sur un jeune noir, Rodney King. Ce sont deux frères d’origine coréenne, Eli et Daniel, sur lequel le réalisateur braque sa caméra ainsi qu’une jeune fille noire de onze ans, Kamilla, qui préfère les aider à la boutique plutôt que d’aller à l’école. « Gook » est un film de contrastes. Pas seulement entre le noir et le blanc pour lequel le cinéaste a opté. Contraste entre la candeur, la naïveté des scènes entre Kamilla et les deux frères qui se chamaillent tels des enfants. Et la violence qui les environne. Contrastes entre la gaieté de leurs danses et les agressions verbales. Contrastes entre les rêves (Daniel rêve se rêve en chanteur de RnB) et la réalité (il finira par jeter sa démo car en toile de fond figurent des aboiements de chien). C’est un deuil du passé qui a divisé ces deux communautés. Un autre les réunira. Entre les deux une tranche de vie et des personnages bouleversants brillamment interprétés. Malheureusement comme à Deauville, "Gook" est reparti de La Baule sans prix...


     

     

    Ce ne fut en revanche pas le cas de Bravo virtuose de Levon Minasian ( Sortie en salles le 14 février 2018) qui est reparti avec le prix du public Barrière remis ici par Dominique Desseigne et Elodie Frégé, membre du jury.

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    Arménie. Alik, 25 ans, musicien d’exception, membre d’un orchestre de musique classique prépare un grand concert. Tout bascule quand le mécène de l’orchestre est assassiné. Par un concours de circonstances, Alik se retrouve en possession du téléphone d’un tueur à gage nommé “Virtuose”.

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    Un premier film produit par Robert Guédiguian dans lequel le réalisateur a fait le choix audacieux du mélange des genres et du film DE genre : romantisme, polar, comédie. Ce film très personnel nous embarque en Arménie dont le cadre et la découverte de ce qui corrompt la société sont pour beaucoup dans la réussite du projet. La musique y joue un rôle à part entière. Difficile de savoir si le kitsch l'emporte sur l'originalité ou l'inverse mais toujours est-il que ce premier film nous fait passer un moment jubilatoire grâce à cette plongée dans une Arménie qui devient le cadre et le personnage de cette comédie noire, singulière et savoureuse.

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    Fariha une escort-girl (Alexandra Naoum) et Youssouf (Benoit Rabille) converti à l’islam radical, sont deux français, à la vision du monde opposée. Ils se rendent à une même Soirée sur un yacht...

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    L’autre objet filmique non identifié de ce festival (également reparti sans prix) fut  Fractures  la première réalisation du journaliste Harry Roselmack qui a là aussi le mérite de l’audace. S’il avait déjà produit des documentaires, ce film est en revanche sa première réalisation. Pour son premier long-métrage qu’il a écrit, réalisé et coproduit, indéniablement le journaliste n’a pas choisi la facilité. Saluons d’abord la volonté et l'engagement de son réalisateur pour mener à bien ce projet périlleux. Je vous le disais antérieurement, c'était le point commun des films de cette compétition : la confrontation de mondes qui n’étaient pas destinés à se rencontrer.  Là encore le hasard met en présence  deux mondes  que tout oppose a priori : celui d’une prostituée et d’un terroriste potentiel. Deux égarés. Roselmack n’a pas choisi le réalisme mais la fable pour opposer deux réalités, pour évoquer la radicalisation et le communautarisme, les fractures de la société. Cette volonté de scruter, ausculter, décrypter, sans la juger la société française lui a été inspirée par ses rencontres, lors de ses différentes enquêtes journalistiques. Les personnages sont ici des archétypes qu’il a rencontrés et qu’il assume d’avoir mis en scène. Ce qui donne d’ailleurs toute sa force à la joute verbale centrale du film qui pourrait avoir lieu dans un tribunal. Le film n’est pas dénué de partis pris de réalisation (que je vous laisse découvrir, très originale utilisation du hors-champ) qui captent notre attention, décontenancent, suscitent la curiosité, bousculent de potentiels préjugés et font la richesse de cette première œuvre qui ose aborder un sujet sensible avec un point de vue et un regard. Là aussi les genres se mêlent : film noir...et même comédie romantique par le biais des personnages secondaires joliment écrits et interprétés notamment par Alix Bénézech qui apporte une belle candeur à son personnage (à retrouver bientôt dans Mission impossible). Quant à Alexandra Naoum et Benoit Rabille, ils crèvent littéralement l'écran et apportent toutes les nuances nécessaires à leurs personnages fiévreux pourtant pétris de certitudes que leur rencontre fera voler en éclats. Même s'il s'agit d'un véritable exercice d'équilibriste, Harry Roselmack parvient sans justifier l'innommable, à une tentative d'explication es racines du "mal". L'exercice périlleux, conduit toujours au bord du gouffre mais évite tous les écueils grâce à des dialogues minutieusement élaborés dans lesquels chaque mot compte et grâce à des comédiens remarquables qui les exaltent avec fougue et conviction.

     

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    Le grand lauréat de cette édition, c’est Tout nous sépare de Thierry Klifa : meilleur film, meilleure interprétation masculine pour Nekfeu et Nicolas Duvauchelle et meilleure musique.

    Une maison bourgeoise au milieu de nulle part. Une cité à Sète. Une mère et sa fille. Deux amis d’enfance. Une disparition. Un chantage. La confrontation de deux mondes.

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    Une  nouvelle fois, après Les yeux de sa mère, Thierry Klifa braque sa caméra sur la figure maternelle  à nouveau incarnée par Catherine Deneuve. Dans le film précité, Thierry Klifa revendiquait d’emblée le genre du film, celui du mélodrame auquel il était une sorte d’hommage. Un cinéma des sentiments exacerbés, des secrets enfouis, des trahisons amères, des amours impossibles. Dans cette nouvelle réalisation, Thierry Klifa joue et jongle avec les codes du film noir et de la chronique sociale, entre Chabrol et Corneau, avec la légende que transporte avec elle son actrice principale. Toujours parfaite, Diane Krüger (ne la manquez pas dans "In the fade" de Fatih Akin) incarne sans retenue ce personnage écorché, fragile, brisé. Un film qui assume son côté romanesque et qui confronte deux réalités, deux mondes, deux fragilités.  C’est avant tout un film "de personnages", à la fois moins sombres et moins irréprochables qu'ils ne le paraissent. Si Catherine Deneuve est, comme toujours, magistrale, dans ce nouveau rôle de femme forte, la vraie révélation est Nekfeu dont l'interprétation, d'une étonnante justesse pour un premier rôle, permet à rendre crédible cette improbable alliance.  Le paysage et le décor symbolisent aussi la confrontation de ces univers que rien ne devait destiner à se rencontrer : celui des paysages interlopes à la fois menaçants et captivants de l'Ile de Thau de Sète, avec ses marécages inquiétants, la grande maison bourgeoise avec ses pièces immenses et la Cité de Sète. Les lieux, les vêtements, les véhicules, le langage : tout symbolise l'opposition, les "fractures" là aussi, entre ces deux mondes qui vont pourtant les réunir. Si les invraisemblances du scénario font parfois sortir un peu de l'histoire, la force de l'interprétation nous incite à l'indulgence et à nous laisser embarquer avec ces personnages violemment vivants.

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    Belle surprise de cette compétition, « La Mélodie » de Rachid Hami qui s’annonçait, à la lecture de son pitch, comme caricatural et larmoyant et qui s’avère être tout l’inverse, une comédie émouvante et subtile.

    A bientôt cinquante ans, Simon est un violoniste émérite et désabusé. Faute de mieux, il échoue dans un collège parisien pour enseigner le violon aux élèves de la classe de 6ème de Farid. Ses méthodes d’enseignement rigides rendent ses débuts laborieux et ne facilitent pas ses rapports avec des élèves difficiles. Arnold est fasciné par le violon, sa gestuelle et ses sons. Une révélation pour cet enfant à la timidité maladive. Peu à peu, au contact du talent brut d'Arnold et de l'énergie joyeuse du reste de la classe, Simon revit et renoue avec les joies de la musique. Aura-t-il assez d’énergie pour surmonter les obstacles et tenir sa promesse d’emmener les enfants jouer à la Philharmonie ?

    De ce premier film émane beaucoup de douceur, de bienveillance, de luminosité, d'espoir, d'optimisme, de tendresse. Et cela fait un bien fou dans une époque qui glorifie si souvent le cynisme. Si un film avait bien sa place dans cette compétition, c'est bien celui-ci dans lequel la musique classique reconstruit les êtres et le lien entre eux. Ce feel good movie ne serait pas ce qu'il est sans ses jeunes comédiens épatants (un prix spécial du jury leur a été décerné) et sans Kad Merad (qui lui n'a pas eu le prix qu'il aurait aussi mérité) qui interprète avec mesure, subtilité, lenteur, ce personnage dépressif qui va retrouver le goût de la vie et des autres au contact de ses jeunes élèves qui eux vont grandir et s'émanciper au contact de la musique.

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    Le festival, ce sont aussi des avant-premières parmi lesquelles "Brillantissime", gentille comédie de Michèle Laroque et surtout  mon coup de cœur : « Jalouse » de Stéphane et David Foenkinos.

    Nathalie Pêcheux, professeure de lettres divorcée, passe quasiment du jour au lendemain de mère attentionnée à jalouse maladive. Si sa première cible est sa ravissante fille de 18 ans, Mathilde, danseuse classique, son champ d'action s'étend bientôt à ses amis, ses collègues, voire son voisinage... Entre comédie grinçante et suspense psychologique, la bascule inattendue d’une femme.

    Comme dans le film de Thierry Klifa, l'exploration de leur part d'ombre permet de dresser le portrait de magnifiques personnages féminins trop rares au cinéma. Plus que "Jalouse", Nathalie Pêcheux est seule, malheureuse, fragile, confrontée aux tourments physiques et moraux qui vont avec l'âge qui avance, loin de l'image de la femme quinquagénaire forcément épanouie que les médias nous vendent un peu trop souvent. Comme dans leur film éponyme, les frères Foenkinos font une nouvelle fois preuve de beaucoup de "délicatesse" pour dessiner ce personnage qui en manque pourtant parfois. Tout comme dans La Délicatesse, ils s'intéressent ici à un personnage à un tournant de sa vie qui le fait basculer . Quoique Nathalie dise, quoiqu'elle fasse, ils parviennent à ne jamais nous la rendre antipathique. Il faut dire que Karin Viard excelle dans ce rôle riche et complexe qui réussit la gageure d'être agaçant et attendrissant. La dextérité avec laquelle elle passe d'un registre à un autre (parfois dans une même réplique) est fascinante notamment quand la jalousie presque attendrissante devient dangereuse. Il en faut du talent pour incarner un personnage qui dit à sa meilleure amie "Tu peux pas comprendre toi tout va bien, en plus ta fille elle est moche" sans nous être tout à fait antipathique. Là aussi (décidément !), c'est un film à la frontière des genres,  entre comédie et drame et qui lorgne même du côté du thriller, une comédie noire en somme. Un oxymore à l'image de son personnage principal d'une touchante cruauté. Un film à voir aussi pour Dara Tombroff ( qui incarne Mathilde, la fille de Nathalie), ancienne danseuse de l’Opéra de Bordeaux dont c’est ici le premier rôle et qui est d'une rare justesse. Un divertissement intelligent, à la fois délicat et grinçant, corrosif et tendre, des dialogues brillamment écrits (j'insiste: rarement des dialogues sont aussi bien écrits, aussi justes, sans doute aussi en raison de la bienveillance avec laquelle ses auteurs regardent les failles de leur personnage principal), une interprétation magistrale du rôle principal aux rôles "secondaires" (Marie-Julie Baup, Anne Dorval également parfaites) : la comédie de l'année qui en explorant la part sombre de son personnage principal la rend plus touchante, humaine et dont la caustique drôlerie est finalement le pudique masque de la mélancolie qui affleure et qui au dénouement nous cueille et nous émeut.

     

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    Egalement en avant-première « Le Brio » de Yvan Attal qui plus que la musique fait l’éloge de la mélodie des mots, avec moins de "brio" que dans "Ridicule" de Patrice Leconte mais tout de même avec beaucoup de conviction. Eloge de l'éloquence pourrait d'ailleurs le titre de ce film qui est un véritable hymne au pouvoir et à la beauté du langage. Les mots ici permettent de se cacher mais aussi de se libérer, de s'émanciper, d'exister

    Neïla Salah a grandi à Créteil et rêve de devenir avocate. Inscrite à la grande université parisienne d’Assas, elle se confronte dès le premier jour à Pierre Mazard, professeur connu pour ses provocations et ses dérapages. Pour se racheter une conduite, ce dernier accepte de préparer Neïla au prestigieux concours d’éloquence. A la fois cynique et exigeant, Pierre pourrait devenir le mentor dont elle a besoin… Encore faut-il qu’ils parviennent tous les deux à dépasser leurs préjugés.

    Là encore, de la confrontation de deux mondes nait la force de la fiction. Deux personnages qui s'opposent par l'origine sociale, l'âge, le caractère, et au départ le langage. La qualité des dialogues et de l'interprétation nous font passer outre les invraisemblances (Neïla franchit les étapes avec une facilité déconcertante sans que nous la voyions vraiment se confronter à ses adversaires). Il faut dire que Camelia Jordana met toute son énergie dans ce rôle de composition dans lequel elle se glisse à merveille. Face à elle, Daniel Auteuil est une fois de plus remarquable dans ce rôle de misanthrope solitaire et malheureux qui retrouve au contact de sa jeune élève le goût de sourire et des autres. Une radiographie de notre société aux mondes parfois cloisonnés dont la rencontre improbable et les joutes jouissives permettent l'éclosion de l'émotion et du plaisir du spectateur, nous faisant occulter certaines facilités et ellipses scénaristiques. L'autre "feel good movie" de ce festival.

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     Le festival propose en effet aussi des documentaires parmi lesquels le très réussi "Mon Prince est parti..." de Thierry Guedj.

    Après un documentaire sur Al JArreau, Thierry Guedj réalise un nouveau documentaire, cette fois-ci consacré à un autre artiste qu’il admire  : Prince. Pendant presque un an, il a rencontré des personnes ayant eu un lien (direct, d'admiration, artistique, émotionnel, personnel)  avec l’artiste. Avec Larry Graham, Raphaël Melki, Antoine de Caunes, Jackie Lombard, Jean-Paul Gaultier, Mathieu & Hubert Blanc-Francard, Sandra Nkaké, Emma de Caunes, Matthieu Chedid, Juan Rozoff, Médéric Collignon, Guillaume Perret, Mathilda May, David Lanzmann, Alfred Bernardin, Madje Malki, Hakim Hachouche, Carla Estarque, Gérad Bar-David, Frédéric Goaty, Jeanne Added, Thomas de Pourquery, Georges Montredon, Bertrand Chamayou, Frédéric Yonnet

    Une façon originale de revisiter la carrière de l'artiste disparu l'an passé puisque celui-ci n'apparaît jamais à l'écran. Sa musique est pourtant omniprésente dans le regard (ému, souvent), dans les paroles et fredonnements de ceux qui l'ont côtoyé et admiré. Cela commence par Larry Graham, bassiste et ami qui chante "Purple rain" et nous voilà partis pour une heure de témoignages qui permettent d'esquisser la personnalité complexe de l'homme et surtout de l'artiste. Ainsi pour Jean-Paul Gaultier, il n'était "pas du tout politiquement correct". Pour Sinclair, ce qui le rendait exceptionnel était sa "quête permanente de nouveauté et de recherche". Il apparaît comme un artiste très perfectionniste, imprévisible qui pouvait par exemple décider de louer au Stade de France 3 semaines avant.  "Il ne fallait pas qu'il ait d'entraves sans sa création. C'est l'audace qui définit le niveau de l'artiste et son importance dans la société. Prince a eu de l'audace au début et jusqu'au bout." a également déclaré Mathilda May. La réussite de l'ensemble est indéniable, suscitant intérêt et curiosité pour l'artiste. J'en veux pour preuve que moi qui, je l'avoue, connaissais mal l'artiste n'ai eu qu'une envie à la fin de celui-ci : me plonger dans l'œuvre de Prince !

    La plus belle déclaration à son propos est sans doute celle de Sandra Nkaké : "cela donne envie d'être soi de l'écouter. " Finalement la définition parfaite de l'artiste et de l'art pour terminer ce compte rendu. Une définition qui sans aucun doute réunit le cinéma et la musique qui, séparés ou alliés, procurent cette féroce et inestimable envie d'être soi...

     

    PALMARES

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    Comme chaque année, un jury de professionnels avait pour passionnante charge de décerner les différents Ibis (du meilleur film, de la meilleure musique de film, du meilleur scénario, du meilleur acteur, de la meilleure actrice, du meilleur court-métrage AG2R La Mondiale, du prix du public Groupe Barrière). Le jury 2017était présidé par la réalisatrice et scénariste Diane Kurys (réalisatrice notamment de La Baule Les Pins) qui était entourée : du compositeur Laurent Perez del mar  (Ibis d'or de la meilleure musique 2016 pour "La tortue rouge"), de la productrice journaliste et présentatrice Daniela Lumbroso, de l'actrice, compositrice, interprète Elodie Frégé),  de l'acteur, humoriste, chanteur Elie Seimon.

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    Retrouvez mes bilans des éditions précédentes :

    mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2014

    et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015

    et mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2016.

    Retrouvez également mes premiers articles consacrés à cette édition 2017 :

    Programme détaillé et commenté

    L'hommage du Festival et Cinéma et Musique de Film de La Baule à Catherine Deneuve : critiques de films avec l'actrice ("Elle s'en va", La Sirène du Mississipi", "Les yeux de sa mère"... et de nombreuses autres)

    Jacques Tati à l'honneur : critique de "Playtime"

    Melville à l'honneur au festival : critiques du "Samouraï", "Le Cercle rouge", L'armée des ombres"

    En attendant "Tout les sépare de Thierry Klifa (en compétition au festival), ma critique de "Les yeux de sa mère" et le récit de ma rencontre avec l'équipe du film

    Retrouvez également mon recueil de nouvelles "Les illusions parallèles" (Editions du 38) dont une nouvelle se déroule intégralement dans le cadre du festival et dont j'aurai l'occasion de vous reparler la semaine prochaine. Toutes les critiques ici dans mon "actualité de romancière".

     

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