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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 14

  • Festival de Cannes 2023 - Critique de RIEN À PERDRE de DELPHINE DELOGET (Un Certain Regard - 1er film)

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    Programmé dans la section Un Certain Regard, ce premier long-métrage de fiction de la documentariste Delphine Deloget (notamment lauréate du prix Albert-Londres 2015 dans la catégorie audiovisuel), est d'abord un magnifique portrait de femme, prise au piège de mécanismes et d’une réalité qui la dépassent.

    Virginie Efira incarne ici Sylvie qui vit à Brest avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Elle travaille dans un bar et le soir doit donc laisser ses enfants seuls. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement : en voulant se faire des frites, il fait exploser la friteuse. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer, le temps de mener une enquête. C’est alors la cellule familiale qui explose, aussi. Persuadée d’être victime d’une erreur judiciaire, Sylvie se lance dans un combat pour récupérer son fils, persuadée qu’elle sera plus forte que la machine judiciaire…

    Ce film nous tient en haleine de la première à la dernière seconde, en empathie avec cette mère aimante et attentionnée à qui on enlève son enfant, qui révèle peu à peu ses zones d’ombre, parfois un peu d’inconscience, une vie de bohème, mais rien qui ne semble justifier l’inhumanité de l’institution à son égard et à l’égard de son enfant.

    Sous prétexte de le protéger d’une éventuelle maltraitance, le point de vue de l’enfant est nié, et ses troubles du comportement ne font alors que croître. Le film aborde cette réalité dans toute sa complexité, sans manichéisme, le passé de documentariste de Delphine Deloget servant sans aucun doute le long-métrage pour lui procurer cette humanité nuancée.

    Le film aborde aussi le thème de la séparation sous différents angles. L’aîné se cherche lui aussi, aspire à trouver son indépendance. Virginie Efira prouve une nouvelle fois l’étendue de son talent, éclatant dans les deux films projetés cette année à Cannes (l’autre était L’amour et les forêts de Valérie Donzelli su les violences psychologiques faites aux femmes.)

    Le film de Delphine Deloget met en exergue les dysfonctionnements d’une machine administrative rigide et implacable qui sous prétexte de ne pas passer à côté d’un cas de maltraitance broie les êtres qu’elle est censée protéger. Voir cette famille unie ainsi déchirée, la mère de famille peu à peu sombrer (et finalement par leur faute donner raison aux services sociaux), la surdité de l’administration (remarquable India Hair), ses deux frères (formidables Arieh Worthalter et Mathieu Demy) se démener pour l’aider, et le mal-être évident de l’enfant (et de son frère aîné à qui on essaie de faire avouer des blessures passées dont lui-même n’avait pas conscience) …tout cela touche en plein cœur. Un film poignant qui ouvre aussi le débat sur une réalité, comme le ferait un passionnant documentaire.

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  • Festival de Cannes 2023 – Critique de L’ÉTÉ DERNIER de Catherine Breillat (compétition officielle) et conférence de presse

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    Anne (Léa Drucker), avocate renommée, vit en harmonie avec son mari Pierre (Olivier Rabourdin) et leurs filles de 6 et 7 ans. Un jour, Théo (Samuel Kircher), 17 ans, fils de Pierre d’un précédent mariage, emménage chez eux. Peu de temps après, il annonce à son père qu’il a une liaison avec Anne. Elle nie.

    Tout commence dans un bureau dans lequel, off, une femme pose des questions intimes à une adolescente, avec froideur. Elle n’apparaît pas tout de suite de sorte que l’on pense à une accusatrice avant de réaliser qu’il s’agit d’une avocate, Anne. Comme si là déjà résidait le double visage de ce personnage. A sa jeune cliente, elle dit ainsi :  « Aux assises les victimes font souvent figure d'accusés. Rassure-toi, les juges savent faire la part des choses. Tu restes calme et tu dis surtout toujours la vérité. » Est-ce ainsi qu’elle se considérera ensuite : « une victime qui fait figure d’accusée » ? Peut-être. Dans son tailleur rigide, elle ne laisse encore rien apparaître de la femme qui sera bientôt dominée par ses pulsions. Théo est torse nu la première fois qu’elle voit celui dont son père dit « il est méchant comme la galle. » Elle aussi peut se montrer d’une grande cruauté, notamment pendant un acte d’amour avec son mari lorsqu’elle lui raconte une anecdote peu valorisante pour lui se terminant ainsi : « Il avait 33 ans et je le voyais comme un pré-cadavre »

    « Des gosses perturbés, j'en vois tous les jours » dit-elle à Théo. « Je suis pas un gosse. » lui rétorque-t-il. Et puis commencent les premiers contacts, lorsqu’ils se mettent réciproquement la tête sous l’eau. Tu n’y vas pas de main morte, lui dit-il. Jamais, répond-elle, comme une adolescente bravache. Il dit qu’il n’a pas d’amis. Elle non plus. Il lui prend le bras pour lui faire un tatouage, ils semblent seuls au monde. Elle peine à réprimer sa jubilation… Elle délaisse un déjeuner barbant entre amis (ceux qu’elle appelle les « normauxpathes », magnifique trouvaille) pour l’accompagner en ville sur sa trottinette. Le glissement se fait progressif.

    Dans le rôle de Théo, Samuel Kircher est stupéfiant. Frère de Paul Kircher qui devait initialement incarner ce personnage, présent également à Cannes cette année pour Le Règne animal de Thomas Cailley (ouverture Un Certain Regard), et qui est tout aussi impressionnant.  Le personnage incarné par Samuel Kircher semble pouvoir passer de l’enfance à l’âge adulte en un quart de seconde, même parfois dans un même plan sur le même regard. Ce regard de loup traqueur et traqué, implacable. Fragile et redoutable.

    En conférence de presse, Catherine Breillat a évoqué l’inspiration de Caravage à propos d’Anne, « Marie-Madeleine en extase », et « son ambition passionnée, fiévreuse parfois féroce d'aller vers une image. » Mais aussi, à propos de Théo, ce « personnage qui n'a jamais eu d'attention de personne. Pour une fois considéré comme un adulte. Pour la première fois quelqu'un pour qui il a l'impression de compter. »

    L’été dernier est aussi un film passionnant sur la vérité (Tu jures de dire toute la vérité ? demande ainsi Théo à Anne. LES vérités, répond-elle), la manière dont on s’arrange avec, soi-même avec sa propre conscience et les autres. A cet égard, le dernier plan, les derniers mots sont d’une force incroyable sur cette vérité que l’on enterre. Anne sera allée au bout de sa plus grande peur : « Que tout disparaisse. Ou que je fasse moi-même tout pour que tout disparaisse. La tentation irrépressible de la chute. Il vaut mieux se jeter dans le vide pour que la peur cesse. » Lors de la conférence de presse, Léa Drucker a ainsi évoqué le « chaos à l'intérieur de cette femme. La tentation irrépressible de la chute. Le vertige qui se joue dans beaucoup de vies. » Catherine Breillat devance aussi certaines accusations lors de cet échange entre Théo et Anne : «  - C’est toi l’adulte. - Et toi, alors, un enfant ? J’ai eu tort de céder mais ce n’est pas constitutif d’un inceste ».

    Une actrice ne m’avait pas fascinée à ce point depuis longtemps. Léa Drucker est une fois de plus exceptionnelle, mais aussi filmée comme elle ne l’a jamais été. Elle peut passer de la femme meurtrie quand elle dit, en éludant de raconter son passé à Théo :   « Parfois, il y a des choses qui n'auraient jamais dû arriver », à la femme froide et diabolique pour sauver sa peau devant son mari quand Théo révèle leur histoire : « C’est ignoble. Insensé. Tu vas pas me dire que tu l’as cru une seconde ? Ce petit morveux minable. Avaler une ignominie pareille. Comment j’aurais pu avoir envie d’une liaison avec ton fils ? C’est un gamin ! » Elle arrive à nous faire prendre d’empathie pour ce personnage aride et complexe capable de nier farouchement la vérité et même de nous faire croire à son mensonge et juste après de sauver une jeune fille en détresse, la jeune Sarah qu’elle sauve et qui lui offre des fleurs pour la remercier de l’avoir aidée.

    Clotilde Courau est aussi parfaite dans le rôle coloré de la sœur coiffeuse, dont Anne dit que c’est sa « meilleure amie » mais aussi « elle a été toujours jalouse de moi ». Chacune de ses relations, même si avec sa sœur, semble ainsi, sous le signe de la/sa dualité. Lors de la conférence de presse, il a aussi été question du « salon de coiffure très Almodovar opposé à univers plus feutré de sa sœur ». Olivier Rabourdin dans le rôle du mari est d’une douce puissance et surtout d’une justesse remarquables.

    L’Été dernier est le remake du film danois Queen of hearts, envoyé par le producteur Saïd Ben Saïd à Catherine Breillat à un moment où elle ne voulait plus faire de cinéma. Et il a particulièrement bien fait de lui suggérer ce projet tant sa caméra regarde sans juger. L’amoralité du film instaure évidemment un malaise mais cette ambigüité contribue aussi à sa singularité et sa beauté.  La caméra de Breillat enferme les passions pour mieux les laisser transpirer l’écran, elle enferme les visages pour qu’ils nous happent dans leurs vertiges. Ils nous apparaissent dans toute leur clarté (magnifique photographie de Jeanne Lapoirie) qui dissimule tant d’obscurités.

     « Je suis féministe mais avant tout cinéaste et entomologiste, j'aime scruter les choses. » a ainsi déclaré Catherine Breillat en conférence de presse.

    Un film fort et captivant servi par des dialogues et des comédiens exceptionnels, qui interroge la vérité (que l’on enterre, comme cet « été dernier » qu’Anne et son mari vont sans doute feindre d’oublier), les hypocrisies sociales, nous bouscule, nous laissant ko après la dernière réplique.

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  • Festival de Cannes 2023 - Critique de PERFECT DAYS de Wim Wenders (compétition officielle)

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    Je dois vous le dire d’emblée car je sais l’attention volatile et il serait dommage que vous passiez à côté de ce film que j’ai follement aimé : ce nouveau long-métrage de Wim Wenders est une merveille qui met le cœur en joie.  Le bruissement des feuilles. Le reflet des ombres. L’architecture des bâtiments de Tokyo. Les rayons du soleil qui éclaboussent la ville de lumière. Dans ce film, tout est poésie, ode à l’instant et à sa fragilité, à la singularité de l’être, au pouvoir de l’art et plus spécifiquement de la musique pour le sublimer, comme la célèbre chanson de Lou Reed dont s’inspire le titre.

    Ces « perfect days » sont ceux d’Hirayama (Koji Yakusho) qui travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. Une vie simple. Un quotidien très structuré que la caméra scrute avec minutie et douceur, le suivant dès l’aube dans ses rituels qu’il accomplit avec une régularité métronomique, et accompagnant son regard sur les livres, et les arbres qu’il aime photographier. Son passé va nous être conté par bribes au gré de rencontres inattendues qui apportent un éclat nouveau à sa personnalité : la riche famille qui méprise son quotidien et avec laquelle il a rompu, cette nièce qui lui ressemble tant, cette femme qui ne le laisse pas insensible, son bonheur contagieux à écouter ses cassettes, à s’occuper de ses plantes, à photographier le même arbre sur lequel rebondissent les rayons du soleil ou à lire (Faulkner ou Patricia Highsmith) avant de céder au sommeil.

    Le film a pour origine une lettre reçue par le cinéaste en 2022 qui lui disait ceci : « Seriez-vous intéressé par le tournage d'une série de courts métrages de fiction à Tokyo, peut- être 4 ou 5, d'une durée de 15 à 20 minutes chacun ? Ces films traiteraient tous d'un projet social public extraordinaire, impliqueraient le travail de grands architectes et nous nous assurerions que vous puissiez développer les scénarios vous-même et obtenir la meilleure distribution possible. Et nous vous garantissons une liberté artistique totale. » Si au mot architecture (a fortiori de toilettes publiques) vous associez la froideur, détrompez-vous, tout ici est à l’image d’Hirayama : inondé de chaleur. Le regard que ce dernier porte sur la vie et les autres est empreint de sérénité et d'empathie, et traverse l’écran pour nous envelopper de son aura lumineuse, poétique, délicate. Réconfortante. Le spectateur épouse alors son rythme, et trouve dans la répétition de ses journées, jamais ennuyeuse à vivre pour lui, une paix consolante.

    Le film entier est jalonné de tubes des années 60-70 qui exaltent la beauté de l’instant et font surgir la magie, et l’émotion. Le personnage principal incarné par Koji Yakusho ne parle pas une bonne partie du film mais la quiétude qui émane de son visage en dit tellement de son bonheur d’être là que toute parole serait redondante. Koji Yakusho mériterait d'être récompensé pour ce rôle si solaire de cet homme souvent méprisé, mais attentif à tout et tous, dont de petites touches (de rencontres, de rêves, de regards, de silences) nous révèlent le passé et l’émouvante personnalité. Wim Wenders est d’ailleurs un habitué de la Croisette qui l’a souvent récompensé :  Prix de la critique internationale pour Au fil du temps, Palme d'or, Prix de la critique internationale et le Prix du jury œcuménique pour Paris, Texas, Prix de la mise en scène pour Les Ailes du désir, Grand prix du jury pour Si loin, si proche !, et Prix spécial du jury Un certain regard, Mention spéciale du jury œcuménique et Mention spéciale du Prix François-Chalais pour Le Sel de la Terre.

    Le dernier plan, d’une grâce infinie, sur la musique de Nina Simone avec le visage d’Hirayama illuminé de lueurs, changeantes comme ses expressions, justifie son prix à lui seul et nous fait quitter la salle encore sous le charme de ce moment hors des trépidations de la vi(ll)e.

    Cette promenade poétique dans une époque agitée, qui pourrait sembler de prime abord d’une apparente banalité, s'apparente à un conte philosophique d’une grande profondeur, magistralement écrit par Wim Wenders et Takuma Takasaki (avec aussi un magnifique travail sur le son et la lumière) dont on ressort avec l’envie de contempler tout ce qui nous environne, de se laisser caresser par les rayons du soleil, de les admirer inlassablement lorsqu’ils percent à travers les feuilles des arbres, de rouler en écoutant à tue-tête la musique des années 80 (The Animals, Patti Smith,  The Rolling Stones, Lou Reed, The Velvet Underground, Otis Redding, The Kinks, Van Morrison :…rien que ça !), de se laisser transporter par cette bouffée jubilatoire et d’y puiser un invincible optimisme, une croyance en tous les possibles de l’existence que ce film esquisse avec une infinie délicatesse.

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  • Festival de Cannes 2023 - Critique de L’AMOUR ET LES FORÊTS de Valérie Donzelli (Cannes Première)

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    C’est dans la section Cannes Première qu’est présenté ce nouveau film de Valérie Donzelli, une adaptation du roman éponyme de Eric Reinhardt publié aux Editions Gallimard.

    Quand Blanche (Virginie Efira) croise le chemin de Grégoire (Melvil Poupaud), elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux. Grégoire s’appelle Lamoureux. L’amoureux qu’il semble incarner magnifiquement. Blanche le rencontre à une fête à laquelle sa sœur jumelle l’a poussée à aller.

    Face caméra, Blanche commence son récit qui nous embarque aux côtés de sa sœur jumelle. Elles sont en route pour une soirée. Dans la voiture, la musique, les couleurs qui les environnent évoquent la joie, les prémisses d’une rencontre. Quand Blanche revoit cet ancien camarade d’école à la soirée à laquelle elle accompagne sa sœur, elle ne le reconnaît pas. « Mais tu as beaucoup maigri » lui dit-elle.  Il lui raconte notamment qu’il aurait voulu être pilote d’avion. Ce complexe et ce regret seront les seules « explications » à l’homme pervers et violent qu’il deviendra. Ce soir-là, la rencontre semble magique. Ils se regardent intensément. Les autres et le monde n’existent plus. Et quand il cite (mal) Britannicus : J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler », peut-être peut-on déjà déceler les racines du mal.

    Puis cela commence par des remarques insidieuses, une nouvelle coiffure de Blanche qu’il accueille par un cassant « Je suis pas très frange en général », avant de l’éloigner délibérément de sa famille en inventant une mutation, l’obligeant à quitter la Bretagne  et la mer pour l’Est et les forêts. Et puis il y a ses expressions mielleuses, presque enfantines « Vérité, vérité » qui marquent déjà son obsession de tout savoir, comme lorsqu’il lit par-dessus l’épaule de Blanche lorsqu’elle écrit à sa sœur.

    Disons-le d’emblée, le scénario co-écrit avec Audrey Diwan, d’une force et maîtrise exemplaires, nous captive de la première à la dernière seconde, de la lumière à l’obscurité, de la respiration à la suffocation.

    La lumière du chef opérateur Laurent Tangy suit les évolutions de cette histoire du conte au thriller hitchcockien, notamment par de savants clairs-obscurs. Le cadre enferme de plus en plus Blanche, comme elle l’est dans son enfer, dans cette maison elle-même inquiétante. Seule la forêt représentera un ailleurs.

    Autour de Virginie Efira (magistrale une fois de plus) évolue une pléiade d’actrices remarquables : Virginie Ledoyen, Romane Bohringer, Laurence Côte, Nathalie Richard ou encore Dominique Reymond...  Melvil Poupaud est impressionnant dans le rôle de ce « petit monsieur » rigide, possessif, violent, d’une mauvaise foi et perversité rares, derrière une apparence lisse et élégante, dont la perversité va jusqu’à reconnaître ses fautes après avoir entendu à la radio une émission sur un homme maltraitant sa femme, avant de se positionner en victime en lui reprochant de l’avoir « laissé faire ça » :  « Pourquoi tu m’as jamais rien dit. Ce qui me tue c’est ton manque de considération. Tu dois pas m’aimer beaucoup pour me laisser devenir ce monstre. »

    Glaçante, puissante, cette histoire d’amour se transforme thriller psychologique émaillée de scènes de fantaisie au début pour ne bientôt plus laisser bientôt plus de place qu’à la noirceur, qu’à l’enfermement dans cette prison de violence et d’emprise. Elle nous laisse, comme Blanche à la fin, heureux d’être libres mais KO. Un grand film. A voir absolument.

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  • Festival de Cannes 2023 - Critique de CLUB ZERO de JESSICA HAUSNER

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    Miss Novak (Mia Wasikowska) rejoint un lycée privé où elle initie un cours de nutrition avec un concept innovant, bousculant les habitudes alimentaires. Sans qu’elle éveille les soupçons des professeurs et des parents, certains élèves tombent sous son emprise et intègrent le cercle très fermé du mystérieux Club Zéro.

    Après avoir présenté trois longs métrages, Lovely Rita (2001), Hotel (2004) et Amour Fou (2014) dans la section Un Certain Regard, Jessica Hausner fait son entrée en compétition officielle avec Little Joe, en 2019, pour lequel Emily Beecham reçoit le Prix d’interprétation féminine. Elle fut par ailleurs membre du jury de la Cinéfondation et des courts-métrages en 2011, du jury Un certain Regard en 2016, et du jury Longs-métrages en 2021.

    Cela commence dans une salle de classe dans laquelle les élèves réagencent l’espace en silence. Un étrange silence règne. Nous ne savons pas très bien dans quel pays nous sommes, ni en quelle année. Nous ne le saurons d’ailleurs jamais. Miss Novak demande à ses élèves les raisons pour lesquelles ils veulent suivre son cours de nutrition : la maîtrise de soi, le régime, l’écologie, l’alimentation saine, être en meilleure forme, sauver la planète. Telles sont leurs réponses. Elle veut leur apprendre à « manger en pleine conscience ». Pour elle « tout est question de foi », ceux qui s’y opposent font preuve « d’étroitesse d’esprit ». Elle n’est pas particulièrement sympathique mais son assurance et son discours bien rodé en imposent aux élèves.

    La froide Miss Novak la bien nommée, avec ses petits polos fermés jusqu’au cou, veut tout contrôler, surtout l’alimentation de ses élèves…ou plutôt la non alimentation.

    Cela pourrait être « réel », mais les personnages, avec leurs tenues colorées, parfois un détail qui dénote, et les décors cliniques, semblent plutôt relever du conte, et à la fois de l’absurde et de l’universel.

    Par une satire grinçante, glaciale et glaçante, la cinéaste autrichienne nous provoque, nous interpelle et nous questionne sur l’endoctrinement, la foi quand elle est aveuglement. Le casting international est parfait au premier rang duquel Elsa Zylberstein.

    Dommage que, malgré la réalisation parfaitement maitrisée de cette fable singulière, le malaise grandissant parfaitement distillé, le film nous laisse un peu sur notre faim (sans mauvais jeu de mots), n’en méritant pas moins sa place en compétition officielle au regard de sa rigueur, et de la parfaite coïncidence entre le fond et la forme qui pourraient lui valoir un prix de la mise en scène.

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  • CRITIQUE – SEMAINE DE LA CRITIQUE – LE SYNDROME DES AMOURS PASSÉES de Ann Sirot et Raphaël Balboni

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    « Rémy et Sandra n’arrivent pas à avoir d’enfant car ils sont atteints du “Syndrome des Amours Passées”. Pour guérir, il n’y a qu’une seule solution : ils doivent recoucher une fois avec tou.te.s leurs ex. »

    Tel est le prosaïque pitch officiel (écriture inclusive comprise, au risque de chagriner les amoureux de l’orthographe dont je suis…) de ce film projeté en séance spéciale de la Semaine de la Critique.

     Une Vie Démente, le premier long métrage du duo/couple avait été multi primé. Le Syndrome des amours passées est une comédie loufoque qui préfère la fantasmagorie, le ton décalé, la fantaisie et l’absurde au réalisme pour disséquer les méandres de la vie de couple.

    Une comédie portée par deux remarquables acteurs en lesquels réside la richesse du film et sur lesquels se centre entièrement la mise en scène : Lucie Debay et Lazare Gousseau, la première incarnant (au départ) un personnage aussi libéré et terre-à-terre que le second est coincé et romantique. 

    Au gré des retrouvailles, leurs certitudes vont voler en éclat et leur relation qui semblait d’une solidité inaltérable va peu à peu se détériorer. D’une inventivité indéniable, laissant une large part à l’improvisation qui met en exergue le talent de ses interprètes, ce film sur les fragilités et atermoiements du couple, traite par le burlesque le désir d’enfant et se conclut d’une manière aussi politiquement correcte que son postulat de départ revendiquait de ne pas l’être. Les saynètes avec les seconds rôles incarnés par Laurence Loiret-Caille (surtout), Nora Hamzawi, Alice Dutoit sont néanmoins un régal et méritent le déplacement.

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  • Festival de Cannes 2023 - Critique - LE THÉORÈME DE MARGUERITE (Séance spéciale)

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    Dans ce film présenté en séance spéciale, la Marguerite du théorème est une brillante élève en Mathématiques à l'ENS, dont le destin semble tout tracé. Seule fille de sa promo, elle termine une thèse qu’elle doit exposer devant un parterre de chercheurs. Le jour J, une erreur bouscule toutes ses certitudes et l’édifice s’effondre. Marguerite décide de tout quitter pour tout recommencer.

    Résumé ainsi, ce film pourrait s’annoncer comme particulièrement rébarbatif. Il ne l’est aucunement, pas une seule seconde. Quand on demande à Marguerite ce qu’elle aime dans les mathématiques, elle répond : « Je ne pourrais pas vivre sans. » Le Théorème de Marguerite est avant tout cela, une histoire de passion, de solitude face à l’engagement qu’elle implique. « Les mathématiques ne doivent souffrir d'aucun sentiment » lui assène son mentor, pourtant pour Marguerite ce n’est que cela. Un moyen aussi d’affronter les mystères du monde et la vanité de l’existence : « J'étais très angoissée par l'infini, l'idée que l'univers n'avait pas de fin. Goldbach, c'était un moyen de mettre de l'ordre dans l'infini. »

    Si vous êtes hermétique aux mathématiques, rassurez-vous, ce film vous parlera malgré tout, a fortiori si vous connaissez cet état second dans lequel vous plongent une passion ou les affres de la création. Les mathématiques sont presque un prétexte, poétique, comme ces murs recouverts de formules qui en deviennent soudain abstraits et admirables. Le parallèle est évident avec l’engagement que nécessite un film, cette formule complexe qui aboutit à la magie, ce travail acharné au résultat incertain.

    C’est avant tout le (magnifique) portrait d’une femme moderne, singulière, qui ne tombe dans aucun cliché (et cela fait un bien fou). Froide, fermée, à l’image de son prénom suranné, Marguerite n’est pas de prime abord sympathique. Les lignes cliniques et l’âpreté des décors reflètent son état d’esprit et, comme elle, ils chemineront progressivement vers la lumière, le désordre, l’asymétrie.

    Jean-Pierre Darroussin, faussement dur et autoritaire, mais surtout blessé dans son orgueil, est parfait dans le personnage du directeur de thèse et mentor, Werner. Ella Rumpf, découverte dans Grave de Julia Ducournau, se glisse totalement dans la peau de Marguerite, renfermée sur sa passion et sur elle-même, combattive, et s’ouvrant peu à peu aux autres. Elle procure toute sa force captivante au film. Celle qu’on surnomme « la mathématicienne en chaussons », le corps recroquevillé, le regard frondeur, n’est pas là pour se distraire mais dévouée corps et âme à la conjecture de Goldbach, problème irrésolu et en apparence insoluble de la théorie des nombres. Quelle intelligence dans l’écriture du scénario pour transformer ce qui aurait pu être ennuyeux et abscons en véritable thriller des émotions, palpitant. Il faudra l'arrivée d'un nouvel étudiant particulièrement brillant (Julien Frison de la Comédie Française) pour faire s’écrouler tout son édifice et la faire renaître, s’abandonner.

    Clotilde Courau dans le rôle de la mère fascinée par le « don » de sa fille et dépassée par sa mue, est une nouvelle fois d’une justesse remarquable. La magnifique Sonia Bonny incarne la lumineuse et sensuelle colocataire de Marguerite. Grâce à elle, Marguerite découvre un autre univers, celui des joueurs de Mahjong du quartier chinois de Paris et des virées nocturnes. Marguerite va peu à peu (re)naitre au monde, à la vie, à la lumière, aux désirs autres que ceux suscités par l’envie de trouver des solutions aux formules mathématiques. Elle se relève et se redresse dans tous les sens du terme, et l’environnement s’illumine.

    Un sublime portrait de femme et une brillante dissection métaphorique des effets de la création, de la solitude et de l'abnégation qu'elle implique, mais surtout un film sensible, parfaitement écrit et interprété, passionnant de la première à la dernière seconde, porté par la musique inspirée de Pascal Bideau.

    Ella Rumpf aurait aussi mérité un prix d’interprétation tant elle donne corps, vie et âme à Marguerite.

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