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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 145

  • Festival du Film Britannique de Dinard 2015 : palmarès et compte rendu

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    Située sur la Côte d’Emeraude aux couleurs si changeantes et fascinantes, avec sa statue d’Hitchcock portant les oiseaux de son célèbre film éponyme, avec ses Union Jacks qui , le temps du festival, fleurissent un peu partout, ses bâtisses majestueuses et, selon les lumières, grandioses ou inquiétantes, la ville de Dinard, à l’image du cinéma qu’elle met à l’honneur quelques jours par an, le temps du Festival du Film Britannique, allie magnifiquement les contrastes, les paradoxes, les styles divers.

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    « Il y a deux sortes de festivals : ceux qui servent le cinéma et ceux qui se servent du cinéma. Nous appartenons à la première catégorie», a ainsi écrit Hussam Hindi, l’enthousiaste et passionné directeur artistique du festival dans son édito et, indéniablement, Dinard fait partie de ces festivals où le cinéma est la vraie star, c’est pourquoi j’ai tant de plaisir à y revenir depuis ma participation à son jury, alors présidé par Jane Birkin, en 1999 (notamment avec un certain Tom Hollander à qui le jury rendait hommage cette année). Grâce à une nouvelle agence (Pierre Laporte) qui a fait un travail admirable, le festival s’était de surcroît donné cette année des airs de Cannes, avec ses tapis rouges ornés de palmiers, sa musique euphorisante, ses photocalls qui ont ravi les festivaliers sans que cela nuise un seul instant à la convivialité et à l’accessibilité qui caractérisent ce festival.

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    Comme l’a souligné le premier édile de la ville, Mme Martina Craveia Schutz,  le président du jury de cette édition 2015, Jean Rochefort, a « illuminé et embrasé la ville », s’adressant à la salle à chacune de ses arrivées, ponctuant ses paroles de son rire inénarrable et si communicatif, et, en arrivant un matin, allant même jusqu’à raconter au public son émotion en recevant, à Dinard, une lettre d’un homme qui lui parlait de son père qui l’avait aidé pendant la guerre.

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    Ce qui distingue aussi ce festival, c’est la richesse et la diversité de sa programmation, une audace et une originalité (parfois, une radicalité) caractéristiques du cinéma britannique, synonyme de tant de styles de David Lean à Stephen Frears ou Kean Loach, des fresques lyriques au réalisme social. C’étaient plutôt le film de genre et la comédie qui étaient à l’honneur cette année et si des personnages étaient englués dans une réalité sociale c’est par le décalage que leurs protagonistes tentaient d’y échapper. L’incongruité, l’absurde, le surgissement de l’inconnu, la sauvagerie pourraient d’ailleurs être le point commun des films en lice et des avant-premières de « The Lobster »  en passant par le film qui a raflé tous les prix, « Couple in a hole » sans oublier l’étrange « Norfolk ».

    Dès la cérémonie d’ouverture, Jean Rochefort avait donné le ton en déclarant « Je suis président pour la première fois de ma vie. Il est normal que j’emmerde tout le monde » avant de présenter chaque membre de son jury : Emma de Caunes, Melanie Doutey, Alexandra Lamy, Amara Karan, Helena Mackenzie, Natalie Dormer, Pierre Salvadori, Noah Taylor, Benard Lecoq, Bertrand Faivre, Virginie Effira initialement annoncée comme membre du jury étant finalement absente.

    Les avant-premières

    Je vais d’abord évoquer mes deux coups de cœur (hors compétition) de ce festival, « The Lobster » de Yorgos Lanthimos et « 45 ans » de Andrew Haigh qui pourrait d’ailleurs être le parfait contraire du premier.

    Projeté en séance spéciale « The Lobster » de Yorgos Lanthimos avait reçu le prix du jury du dernier Festival de Cannes et si avaient existé un prix du film jubilatoire et un prix de l’originalité, il les aurait forcément aussi remportés.

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    Dans un futur (très- trop ?- proche), toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l’hôtel et a 45 jours pour trouver l’âme sœur. Passé ce délai, elle sera transformée en l’animal de son choix. C’est ce qui attend David incarné par Colin Farrell qui se retrouve dans ce fameux hôtel luxueusement glacial avec d’autres célibataires parce que que sa compagne vient de le  quitter. Moins conformiste que les autres qui choisissent généralement le chien (comme son frère qu’il traine  partout où il va), il opte pour le homard parce qu’il vit longtemps, qu’il a le sang bleu et qu’il a toujours aimé l’eau. Ceux qui trouvent l’âme sœur auront droit à une chambre plus grande, voire à un enfant (parce que « cela aide en cas de difficultés ») et, régulièrement, des démonstrations par l’absurde, leur prouvent les avantages de la vie à deux comme…ne pas mourir étouffé si on avale de travers. Pour échapper à ce destin, David s’enfuit et rejoint alors un groupe de résistants : les Solitaires …dont les règles sont aussi sectaires que celles du groupe qu’il vient de quitter.

    Un film déroutant, cinglant, burlesque, métaphorique, inventif, dans lequel l’homme est un loup pour l’homme (littéralement) –ou un Rhinocéros aurait dit Ionesco, la rhinocérite dans sa pièce éponyme métaphorisant une autre forme de totalitarisme-, profondément égoïste et dont la fin n’est pas décevante comme l’ont déploré certains commentateurs mais au contraire illustre brillamment ce propos. Le couple devient un totalitarisme condamnant le solitaire à l’animalité, excluant tout sentiment. Un film intelligemment singulier qui regorge de trouvailles insolites, certes sous influences, notamment de Buñuel (« Un chien andalou »), mais qui ne ressemble à aucun autre… Même l’univers amoureux est régi par des lois, des règles. Pour former un couple les individus doivent avoir un point commun (une myopie, un saignement de nez) et sont bien souvent conduits à mentir pour se conformer à ces principes. La spontanéité n’existe plus. Par l’absurde et la dystopie, Lanthimos souligne les contradictions de notre société, et ses tentations totalitaires. La photographie grisâtre, les ralentis, sont au service de cet univers régi par des règles implacables.

    Colin Farrell est méconnaissable et parfait pour incarner cet homme égaré entre ces deux mondes sectaires et conformistes. Un film constamment inattendu qui regorge de trouvailles (souvent au second plan), comme une gestuelle décalée, parfois « animalière ». Un ton  incisif, caustique et une incontestable inventivité visuelle au service d’une brillante satire de notre société qui condamne à s’identifier à des modèles…ou tuer l’autre pour exister. Brillant !

    « 45 ans » de Andrew Haigh en clôture

    Cette année, pour accéder à la clôture, les invités devaient arpenter un tapis rouge autour duquel était massée une foule impressionnante.

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    did4Kate (Charlotte Rampling) et Geoff Mercer (Tom Courtenay) incarnent un couple aimant sur le point d’organiser une grande fête pour leur 45e anniversaire de mariage. Ce matin-là, à quelques jours de la grande fête,  en ramenant le courrier, Kate est loin d’imaginer  qu’ une lettre va bouleverser la vie du couple : le corps du premier grand amour de Geoff, disparue 50 ans auparavant dans les glaces des Alpes, vient d’être retrouvé… La joyeuse tranquillité du couple va alors en être bouleversée et au fur et mesure des indices que Kate découvre sur cette vie passée, la jalousie s’empare d’elle et l’issue (la fête qui célèbre leur 45ème anniversaire de mariage) en devient plus incertaine.

    Au contraire de  « The Lobster » dans lequel le couple est une obligation sociétale régie par des règles strictes, dans « 45 ans » il relève d’un choix délibéré et libre. Kate et Geoff vont se choisir (ou pas) à nouveau malgré cette nouvelle qui, non seulement, remet en cause leur présent mais aussi leurs souvenirs et leur passé commun. La lenteur mais aussi la beauté et la tranquillité de la nature qui les environnement renforcent la puissance silencieuse du tsunami qui les dévaste. Charlotte Rampling et Tom Courtenay, en un regard, un geste, un silence font passer une multitude de sentiments et rendent ce film plus palpitant qu’un thriller, ce qui leur a valu respectivement un ours d’argent de la meilleure actrice et un ours d’argent du meilleur acteur, amplement mérités. D’abord à l’écoute des tourments de Geoff, Kate va finalement refuser de l’écouter tant chaque détail semble creuser ce fossé qui les sépare progressivement. La fin  de ce film délicat tout en non dits est d’une beauté et d’une intensité ravageuses portée et exacerbée par deux immenses comédiens…

    « Mr. Holmes » de Bill Condon

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     « Mr Holmes » de Bill Condon  met en scène l’élégant et charismatique Ian McKellen qui, à l’image de Charlotte Rampling et Tom Courtenay dans le film précédemment évoqué porte ce long-métrage sur ses épaules, un long-métrage qui partage aussi deux singularités de « 45 ans »: mettre en scène un protagoniste âgé et un suspense latent. Il incarne ici Sherlock Holmes, désormais à la retraite, vivant paisiblement dans le Sussex avec sa gouvernante et le fils de celle-ci, un jeune détective débutant. Avec l’aide du garçon, et bien que sa mémoire et son légendaire pouvoir de déduction ne soient plus désormais ce qu’ils étaient, Holmes se lance dans une ultime enquête, se remémorant les circonstances du cas non résolu qui l’obligea à mettre un terme à sa carrière, tout en cherchant des réponses aux mystères de la vie et à ceux de l’amour…

     Le personnage de Sherlock Holmes a donné lieu à une multitude de films mais cette fois c’est un rôle un peu différent qui est attribué au célèbre détective. A 93 ans, Holmes mène en quelques sorte sa dernière enquête en fouillant dans ses souvenirs épars et incertains, au milieu de ses abeilles,  ses regrets et le héros de Sir Conan Doyle, à l’esprit toujours alerte, malgré une mémoire et une santé défaillantes, prend un malin plaisir à déconstruire sa figure mythique préférant le cigare à la pipe et affirmant n’avoir jamais porté sa célèbre casquette, et avoir été caricaturé par Watson. Toute l’intelligence du scénario réside dans la déconstruction du mythe tout en le renforçant puisque Holmes est représenté comme une personne ayant réellement existé. Célèbre pour son rôle de Gandalf dans « Le Seigneur des anneaux », Ian McKellen est avant tout un acteur de théâtre qui, comme il l’a dit lors de la conférence de presse du film lors du Festival du Cinéma Américain de Deauville (qui lui a rendu hommage), aime donner corps à ses personnages (« Venant du théâtre, j’ai un goût pour la dimension physique des personnages »). Il apporte beaucoup de profondeur à ce Holmes. Le film est nimbé d’une splendide lumière mélancolique. Son scénario, très malin, qui alterne entre passé et présent, rêve et réalité, mythe et vérité nous amène à réfléchir sur le vrai visage des héros et des légendes, l’ingratitude de la vieillesse, la transmission et nous embarque dans une mise en abyme, dans laquelle, après avoir dénoncé la légende mensongère qui l’a enfermé, Holmes se met à inventer des histoires pour édulcorer la dureté de la réalité. Finalement un bel hommage au pouvoir salvateur des doux mensonges que sont les romans et la fiction, et à Holmes lui-même.

    « Up and down » de Pascal Chaumeil (film d’ouverture)

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     Avant le film d’ouverture a été projeté un court-métrage particulièrement réussi: « Love is blind » de Dan Hogdson, la mise en scène burlesque d’un adultère, je ne vous en dirai pas plus pour conserver l’effet de surprise mais je vous encourage vivement à le découvrir.

    L’émotion était au rendez-vous avec la projection de « Up and down » dont le réalisateur, Pascal Chaumeil, est décédé cet été. A Londres, le soir du nouvel an, Martin (Pierce Brosnan), ancien présentateur vedette grimpe sur le toit d’un immeuble.  Maureen, Jay-Jay et Jessie, trois autres cabossés de la vie (un livreur de pizzas -Aaron Paul-, musicien frustré, une mère célibataire s’occupant de son fils handicapé- Toni Colette-, la fille d’un politicien -Imogene Poots-dont la sœur a disparu) ont également eu la même idée: se jeter dans le vide du même endroit! Cette improbable bande réunie par le destin se lance alors un défi : retrouver le sens de leurs vies d’ici à la Saint-Valentin. Un excellent pitch comme l’est celui-ci ne suffit malheureusement pas à faire un excellent film. Evidemment l’émotion était au rendez-vous et l’histoire prend un tout autre relief au regard du destin tragique du réalisateur  (décédé en août d’un cancer) et de la présence digne de sa femme et ses enfants lors de la projection mais le film est plombé par une avalanche de stéréotypes (le présentateur orgueilleux, la fille du politicien aveuglé par son ambition…) et de rebondissements improbables (ces quatre-là se lient d’amitié d’emblée sans qu’on comprenne pourquoi), sans parler des personnages qui apparaissent puis disparaissent sans que personne ne s’en soucie ou encore du découpage en chapitres plus artificiel qu’utile. Le film est une adaptation du roman « Vous descendez ? « de Nick Hornby (auteur notamment de « High Fidelity »). C’est d’autant plus dommage que le sujet était passionnant: qu’est-ce qui nous retient à la vie et la vraie famille n’est-elle pas celle qu’on se choisit? On en attendait plus du réalisateur de « L’Arnacoeur » qui devrait sortir un autre film posthume avec …Romain Duris.

    Enfin, « The lost honour of Christopher Jefferies » de Roger Michell, est l’ histoire d’un enseignant à la retraite, Christopher Jefferies (fantastique Jason Watkins) à Bristol,    arrêté lorsque Joanna Yeates, qui lui avait loué un appartement, est retrouvée morte le jour de Noël 2010. Les journalistes s’emparent de l’affaire et présentent Jefferies comme un suspect malgré l’absence évidente de preuves. Un film qui met en scène l’inique et terrifiante versatilité des médias et fait l’éloge de la différence symbolisée par l’inquiétant, singulier et touchant Jason Watkins.

    La compétition

    Au programme de la compétition, des films mettant en scène des personnages en lutte pour leur survie, confrontés à la violence et la sauvagerie. Trois films dominaient la compétition (peut-être quatre, je n’ai pas vu « Departure » qui a reçu le prix spécial du jury). Le premier d’entre eux, c’est « American hero » de Nick Love dans lequel Melvin est super-héro malgré lui. La quarantaine passée il habite encore chez sa mère et ne vit que pour la fête, les femmes et la drogue. Jusqu’au jour où il réalise que la seule façon pour lui de revoir son fils, que la justice lui interdit d’approcher, c’est d’accepter son destin, et d’exploiter ses super pouvoirs pour lutter contre le crime. Mais dans un monde dans lequel personne ne comprend ni sa situation, ni d’où il tient ses incroyables pouvoirs, ces derniers pourraient bien causer sa perte… Ce film a été projeté dans une version non définitive et il a donc été recommandé à la presse de ne pas en parler et c’est bien dommage tant son originalité incontestable (entre film social et de super héros), et ses personnages liés par une indéfectible amitié dans une Nouvelle-Orléans post-Katrina, le rendent attachants. En plus produit par le producteur de « Human Traffic » (à qui le jury auquel j’appartenais en 1999 avait remis le Hitchcock d’or), ce film certes inachevé possède un charme certain et ensorcelant.

    Le grand gagnant de cette 26ème édition est « Couple in a hole » de Tom Geens dont j’ignorais le pitch avant de le découvrir. La surprise fut donc totale. Ce « couple in a hole », ce sont deux Britanniques qui vivent comme des bêtes sauvages dans un trou creusé à même le sol d’une forêt, quelque part en France. Le couple a vécu un drame moins d’un an auparavant et depuis se terre, en rupture avec la société.

    Jean Rochefort a expliqué que même si les saisons ne se suivaient pas dans ce film, même si certaines situations n’étaient pas vraisemblables, le jury se fichait bien de tout cela, captivé, et a ainsi décidé de le récompenser du prix du scénario et du Hitchcock d’or. Cette fable terrible raconte comment, pour faire face à l’indicible, au deuil inacceptable, ineffable, un couple va revenir à l’état sauvage, comme si seul l’instinct vital les maintenait encore en vie face à une société incapable de comprendre cette douleur absolue. Les plans de la nature, sauvage et impitoyable,(mais moins que l’in-humanité à laquelle ils seront ensuite confrontés) alternent avec ceux du couple qui survit plus qu’il ne vit, fuyant tout contact avec les Hommes, ne vivant que de chasse et cueillette pour le mari tandis que sa femme reste cloitrée dans son refuge comme si la lumière extérieure la confrontait à son obscure réalité. Pendant ce temps, le mari,  descendu en ville pour trouver un médicament pour la soigner d’une piqûre d’araignée  rencontre un homme (Jérôme Kircher) avec qui il va nouer une amitié.

    Le deuil apparaît alors comme un piège inextricable… La radicalité du traitement (avec néanmoins de petites incursions fantastiques) sied parfaitement à la dureté du sujet et n’a pas effrayé le public qui lui a aussi attribué son prix. Les deux acteurs principaux, Paul Higgins et Kate Dickie, se donnent corps et âme pour incarner cette folie, finalement peut-être seule réponse possible à l’absurdité d’un deuil inconcevable. Etonnant et poignant. (Et l’occasion de revoir la formidable Corinne Masiero).

     « Kill your friends » de Owen Harris, autre coup de cœur de cette compétition, mêle humour  et film noirs pour le plus grand plaisir du spectateur. Londres 1997. L’industrie musicale britannique est alors à son apogée. A 27 ans, Steven Stelfox est un dénicheur de talents sans scrupules qui essaie de se frayer un chemin dans l’univers de la pop, un monde dans lequel les carrières se font aussi vite qu’elles se défont, au rythme des caprices du public. Cupide, ambitieux, constamment sous divers drogues, il n’a qu’un objectif: trouver le prochain tube pour gravir l’échelle sociale. Et pour cela il est prêt à tout… Adapté du roman de John Niven par son auteur, le caractère jouissif de ce film (premier long-métrage de Owen Harris) doit beaucoup à son interprète principal, Nicolas Hoult, redoutablement, irrépressiblement et cyniquement ambitieux. Pour son personnage, dénué de toute morale, la fin justifie les moyens. L’élégance de la mise en scène contraste intelligemment avec la noirceur du personnage et de ses actes. Dans cet univers dans lequel la musique est un pur produit commercial, le cynisme est de mise. Danny Boyle n’est parfois pas bien loin mais Owen Harris possède un style bien un lui qui me fait attendre impatiemment son prochain film. Une plongée rythmée dans les affres de la (non) création et de ceux qui l’exploitent. La dissection de ce monde dépravée et carnassier est aussi servie par une formidable BO. Une chronique aussi grinçante que réjouissante de ces milieux (pseudo)artistiques dans lesquels l’ambition dévore et annihile toute humanité. Décidément, la sauvagerie était à l’honneur dans les films de ce festival.  Un peu coupable, on se demande finalement néanmoins si Owen Harris n’utilise pas les mêmes méthodes que celles de ceux qu’il dénonce pour séduire le public, aveuglé par cette course effrénée.

    Egalement en compétition « Just Jim » de Craig Roberts, premier film d’un jeune homme de 24 ans d’abord connu comme acteur, également présent dans « Kill your friends » et incarnant ici le rôle principal, celui d’un adolescent de 16 ans rejeté et incompris de tous, avec pour seul compagnon un chien qui va s’échapper et le laisser désespérément seul. Un voisin prénommé Dean (et qui fait apparemment tout pour ressembler au James du même nom), irrésistible Emile Hirsch, va lui venir en aide pour changer son image… Cette comédie satirique qui flirte avec le film noir souffre justement de cette alternance de genres et d’une dernière demie-heure abracadabrantesque. Dommage pour ce film qui possède un ton bien à lui et un humour féroce qui, parfois, fait mouche.

    Dans un style différent, « The Violators » de Helen Walsh nous emmène à la rencontre de Shelly et Rachel, deux jeunes filles à problèmes de milieux totalement opposés. Le hasard place leurs destins sur une route de collision qui fera le salut de l’une, mais signera la fin de l’autre. Ce film parfois éprouvant tant les réalités auxquelles sont confrontées les deux jeunes filles sont cruelles et violentes (viol, inceste) souffre d’une fin manquée que parviennent presque à nous faire oublier ses deux incroyables interprètes:  Lauren McQueenil et Brogan Ellis.

    J’ai également eu le plaisir de parler de mon parcours, de ma passion pour ce festival et les festivals, de blogs et de romans en direct sur France Bleu Armorique

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    Cette année, la boutique du festival s’était également enrichie. On pouvait notamment y trouver « Flashback », le livre des 20 ans du festival dans lequel je partage mon expérience de jurée du festival, en 1999.

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    Autre belle idée du festival cette année, sur l’initiative du directeur du Grand Hôtel, Franck Marie, un karaoké pianistique, l’occasion notamment d’entendre Bernard Lecoq entonner « I will survive » pour le plus grand plaisir de Jean Rochefort dont la chambre se situait au-dessus du piano bar. Retrouvez également mon avis sur le Grand hôtel, en cliquant ici, dans mon article sur mes bonnes  adresses à Dinard et Saint-Malo.

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    PALMARÈS – AWARDS

    Le Jury de la 26e édition du Festival du film britannique de Dinard présidé par Jean Rochefort, entouré de Emma De Caunes, Natalie Dormer, Mélanie Doutey, Bertrand Faivre, Amara Karan, Alexandra Lamy, Bernard Le Coq, Helena Mackenzie, Pierre Salvadori et Noah Taylor a décerné les prix suivants :

    Hitchcock d’Or Ciné + Grand Prix du Jury

    COUPLE IN A HOLE

    de TOM GEENS
    Ce Prix est doté d’une campagne de promotion sur les chaînes Ciné+, et d’un soutien financier apporté au distributeur et au réalisateur par la Ville de Dinard.

    Hitchcock du meilleur Scénario

     COUPLE IN A HOLE

    de TOM GEENS

    2 mentions spéciales du jury 

    pour le film

    DEPARTURE

    de ANDREW STEGGALL 

    et ses acteurs

    JULIET STEVENSON, ALEX LAWTHER,

    PHENIX BROSSARD

    Le Public de cette 26e édition a, quant à lui, décerné 2 prix

    Hitchcock du Public Première

    COUPLE IN A HOLE

    de TOM GEENS

    Hitchcock du meilleur Court-métrage

    AFTER THE END

    de SAM SOUTHWARD 

    2 prix « Coup de cœur » ont été remis  

    Hitchcock « Coup de coeur » de l’association La Règle du Jeu 

    45 YEARS

    de ANDREW HAIGH

     Les films qui concouraient pour ce prix avait déjà un distributeur en France. Distribution du film primé dans 40 salles du Grand Ouest.

    Hitchcock d’Honneur

    Orange Honorary Hitchcock, by Orange

    à

    HANIF KUREISHI

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  • Critique de UNE NOUVELLE AMIE de François Ozon à 20H55 sur Canal plus

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    François Ozon continue son rythme woody allenesque impressionnant de un film par an. Cette production filmique prolifique (tout en ne négligeant jamais la qualité) n’est pas le seul point commun entre Woody Allen et François Ozon même si leurs deux cinémas ne sont pas ceux que l’on rapproche d’emblée. Ils ont ainsi également en commun un rare sens du récit avec, notamment, des scènes d’exposition époustouflantes de maîtrise qui, immédiatement plongent, voire happent, le spectateur dans leurs univers, règle à laquelle ne déroge pas ce nouveau film d’Ozon dont les premiers plans trompeurs donnent l’illusion qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage…qui est en fait son enterrement avant de nous raconter en quelques plans, sans dialogues, et avec une efficacité redoutable, sa vie éphémère et sa relation à sa meilleure amie. Tout est dit, déjà, dans le premier plan : le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, le double, la double identité. Des premiers plans qui témoignent une nouvelle fois du sens aigu et magistral de la manipulation du cinéaste qui culminait dans son film « Dans la maison »,  labyrinthe joyeusement immoral, drôle et cruel.

    Claire (Anaïs Demoustier) et Laura (Isild Le Besco) sont deux amies inséparables depuis l’enfance. À la suite du décès de cette dernière, Claire fait une profonde dépression jusqu’au jour où elle découvre que le mari de Laura, David (Romain Duris), s’habille en femme depuis la mort de son épouse. D’abord perturbée par cette découverte, elle va rapidement entrer dans son jeu, et ainsi trouver une nouvelle amie…et retrouver le goût de la vie. Une nouvelle amie est l’adaptation de la nouvelle : Une amie qui vous veut du bien de Ruth Rendell publiée en 1985. Elle remporta le prix Edgar-Allan-Poe de la meilleure nouvelle.

    Cela pourrait être le synopsis d’une comédie, seulement, comme toujours chez Ozon, les apparences sont trompeuses. Il joue et jongle brillamment avec les genres, masculin/féminin mais aussi avec les genres cinématographiques racontant son histoire comme un thriller sentimental dans lequel la tragédie semble pouvoir survenir à tout instant. Que ce soit dans « Potiche », « Jeune et jolie », « Dans la maison », « Huit femmes » etc, dans son cinéma, les êtres ne sont ainsi jamais réellement ce qu’ils paraissent. Tout est en trompe l’œil. Un film multiple et audacieux derrière sa linéarité et son classicisme apparents. Des personnages qui ne sont jamais ce qu’ils paraissent, y compris le mari borné de Claire comme le suggère un plan fugace. Ozon dresse le portrait d’un être et d’une famille qui font éclater les carcans, et qui, en les détruisant, se reconstruisent et se libèrent.

    Si Claire et David révèlent leurs vraies personnalités, l’un et l’autre en assumant leur féminité, travestissant la réalité, maquillant leurs désirs et leurs identités, c’est aussi pour faire face au choc dévastateur du deuil. Le deuil est un sujet récurrent dans le cinéma d’Ozon, déjà présent notamment dans un de ses plus beaux films, « Sous le sable » qui était d’ailleurs aussi un autre très beau portrait de femme. Dans « Le temps qui reste », la mort rôdait, constamment, film sur les instantanés immortels d’un mortel qui en avait plus que jamais conscience face à l’imminence de l’inéluctable dénouement. La souffrance commune de Claire et David, celle du deuil, va révéler une autre douleur commune, celle d’une personnalité qui les étouffe et n’est pas réellement la leur.

    Romain Duris éprouve un plaisir, communicatif, à incarner ce personnage donnant vie à une Virginia, diaboliquement féminine et férocement présente. Anaïs Demoustier est, quant à elle, d’une justesse sidérante et parvient à trouver sa place (ce qui n’était pas gagné d’avance) face à ce personnage haut en couleurs et charismatique, singulièrement touchant.

    Dans ce nouveau film trouble, troublant, d’un classicisme équivoque, d’un charme ambigu, Ozon fait une nouvelle fois brillamment coïncider le fond et la forme et fait se rencontrer Almodovar, Woody Allen, Xavier Dolan avec un zeste d’Hitchcock, mais ce serait faire offense à Ozon que de l’enfermer dans ces comparaisons, aussi prestigieuses soient-elles, tant chacun de ses films portent la marque de son univers, à l’image de ses personnages : singulier et d’une jubilatoire ambivalence. J’attends déjà le prochain avec impatience…

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  • Golden Blog Awards 2015 : mes blogs cinéma et luxe participent!

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    Les concours m'ont souvent porté chance: entre les concours grâce auxquels j'ai été une dizaine de fois membre de jurys de festivals de cinéma et les concours de nouvelles auxquels j'ai si souvent participé (et que j'ai parfois gagnés), j'ai toujours aimé cette sorte de compétition (contre soi-même). Celui des Golden Blog Awards ne mesure pas l'imagination et la qualité de l'écriture mais  met "en lumière les blogueurs et influenceurs d’aujourd’hui, et les espoirs de demain."

    Même si mes chances sont quasiment nulles (aujourd'hui, très peu nombreux sont les blogs à être tenus par une seule personne comme le sont les miens dont je demeure l'unique rédactrice-ce à quoi je tiens!-, ceux-ci étant désormais des "webzines" avec une dizaine de rédacteurs et donc autant de votants assurés contre lesquels il me sera bien difficile de lutter), je tenais néanmoins à participer, ne serait-ce parce que cela permettra peut-être à ceux qui ne les connaissent pas encore de découvrir mes 7 blogs (en réalité, j'en ai inscrit 5).

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    Après 11 années à bloguer, toujours avec le même enthousiasme, je constate aujourd'hui (parfois avec dépit) à quel point les blogs ont aujourd'hui changé, parfois dénués de passion, souvent créés avec opportunisme et leurs auteurs font parfois preuve d'une exigence qui me sidère bien souvent. Il y a 11 ans, les blogs étaient pourtant seulement guidés par la passion. C'est pour partager cette passion que je continue aujourd'hui avec, toujours, la volonté de partager mes coups de cœur cinématographiques par de longues critiques (qu'il s'agisse de films d'hier ou d'aujourd'hui), de partager mes pérégrinations festivalières, culturelles et touristiques,  ...et s'il est vrai que si c'est pour raconter mes incroyables expériences de jurée dans des festivals de cinéma et les pépites que j'y découvrais que je les ai créés, c'est ensuite parfois grâce à ces blogs que j'ai pu participer à de nombreux événements, vivre des moments incroyables et des rencontres inoubliables. J'ai aussi été la première blogueuse à être accréditée presse dans les plus grands festivals de cinéma, il y a de nombreuses années déjà que ce soit au Festival du Cinéma Américain de Deauville ou au Festival de Cannes et j'ai aujourd'hui la chance d'assister au premier depuis 21 ans, au second depuis 15 ans et d'en découvrir chaque année de nouveaux (demain, vous pourrez ainsi lire mon compte rendu du Festival du Film Britannique de Dinard et le mois prochain me retrouver en direct du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule).

    In the mood qui n'était au départ que "for cinema" se décline aujourd'hui en 7 blogs, 5 sur le cinéma et 2 sur le luxe. Vous êtes chaque jour plus nombreux à les suivre, en particulier sur les réseaux sociaux, notamment plus de 5100 sur mon compte twitter principal @moodforcinema. (J'en profite pour vous inviter à me suivre sur instagram: @sandra_meziere et à rejoindre ma page Facebook principale http://facebook.com/inthemoodforcinema ). 

     Vous pourrez voter pour chacun de mes blogs sur chacun de ceux-ci dans les colonnes en haut à droite. Vous pouvez voter une fois par jour jusqu'au 26 octobre pour :

    - http://inthemoodforcinema.com

    - http://inthemoodforfilmfestivals.com

    - http://inthemoodlemag.com

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    Calendrier des Golden Blog Awards 2015 :

    ·         01 octobre - 26 octobre : Inscriptions des blogueurs et vote du public

    ·         27 octobre - 6 novembre : Session de vote du jury 

    ·         10 novembre : Cérémonie des Golden Blog Awards : Remise des trophées aux lauréats ​

    Pour en savoir plus, le site des Golden Blog Awards: http://www.golden-blog-awards.fr/ sur lequel vous pouvez également voter quotidiennement pour mes blogs : Inthemoodforcinema.com et Inthemoodforfilmfestivals.com dans la catégorie cinéma, Inthemoodlemag.com dans la catégorie art et culture, Inthemoodforhotelsdeluxe.com dans la catégorie voyage et tourisme et Inthemoodforluxe.com dans la catégorie Lifestyle.

    Merci et viva il cinema!

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  • Critique de MAGIC IN THE MOONLIGHT de Woody Allen à 20H50 sur Canal plus cinéma

    Fidèle à son habitude, Woody Allen, « retenu à New York » ne s’est pas déplacé pour l’ouverture du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2014 à l'occasion de laquelle le film fut projeté mais avait tout de même envoyé un petit mot en vidéo aux festivaliers « J’aimerais traverser l’écran comme dans La Rose pourpre » concluant, avec son humour caustique habituel que « Quoi d’autre puis-je dire : c’est bien d’être à New York aussi. »

     Après « Blue jasmine » projeté à Deauville il y a deux ans en avant-première, avec « Magic in the moonlight » il revient à la comédie, plus légère, même si le film est émaillé de ses réflexions  acerbes (mais lucides) sur la vie et même si, comme toujours chez Woody Allen, la comédie, est le masque de sa redoutable (et irrésistible) lucidité sur l’existence et les travers de chacun.

    Cette fois, il nous embarque dans les années 1920, sur la Côte d’Azur, avec un grand magicien incarné par Colin Firth qui va tenter de démasquer l’imposture d’une femme médium incarnée par Emma Stone. Le prestidigitateur chinois Wei Ling Soo est le plus célèbre magicien de son époque, mais rares sont ceux à savoir qu’il s’agit en réalité du nom de scène de Stanley Crawford (Colin Firth, donc) : un Anglais arrogant qui a une très haute estime de lui-même mais  qui ne supporte pas les supposés médiums qui prétendent prédire l’avenir. Se laissant convaincre par son fidèle ami Howard Burkan (Simon McBurney), Stanley se rend chez les Catledge qui possèdent une somptueuse propriété sur la Côte d’Azur : il y fait la connaissance de la mère, Grace (Jacki Weaver), du fils, Brice (Hamish Linklater), et de la fille, Caroline (Erica Leerhsen). Il se fait passer pour un homme d’affaires, du nom de Stanley Taplinger, dans le but de confondre la jeune et ravissante Sophie Baker (Emma Stone) qui séjourne chez les Catledge avec sa mère (Marcia Gay Harden). En effet, Sophie a été invitée par Grace, convaincue que la jeune fille pourra lui permettre d’entrer en contact avec son défunt mari. Mais, contrairement à ce qu’il pensait, non seulement Stanley ne va pas la démasquer immédiatement et se laisser, peut-être, ensorcler par la plus belle et mystérieuse des magies.

     « Magic in the moonlight » est ainsi un film pétillant sur la plus belle des illusions : le mystère du coup de foudre amoureux. Dès les premières secondes, Woody Allen, comme nul autre, dispose de ce pouvoir (dont il faut bien avouer qu’il est plus le fruit de talent que de magie) de nous plonger dans un cadre, une époque, de brosser le portrait d’un personnage (en l’occurrence, l’arrogant Stanley) et de nous embarquer dans un univers, une intrigue, un ailleurs réjouissants, quasiment hypnotiques.

     Les dialogues, qui, comme toujours épousent le débit du cinéaste, fusent à un rythme échevelé et sont délicieusement sarcastiques à l’image du personnage de Colin Firth, parfait dans le rôle de ce magicien cynique et parfois sinistre (pour notre plus grand plaisir) aux répliques cinglantes.  C’est finalement un peu le double de Woody Allen -comme le sont presque toujours ses personnages principaux, y compris lorsqu’il ne les incarne pas lui-même- : prestidigitateur du cinéma qui parvient à nous faire croire à tout ou presque, amoureux de la magie (d’ailleurs omniprésente dans ses films et qu’il a lui-même pratiquée), mais qui lui-même ne se fait plus beaucoup d’illusions sur la vie et ses contemporains, conscient cependant de notre besoin d’illusions et de magie pour vivre. Celles de la prestidigitation. Ou du cinéma. Ces deux maitres des illusions finalement ne se laissent illusionner que par une seule chose : l’amour.

     Les décors subliment la Côte d’Azur lui donnant parfois des accents fitzgeraldiens.  Hommage avant tout au pouvoir de l’imaginaire, des illusions (salvateur et redoutable) comme l’était le sublime « Minuit à Paris », avec ce nouveau film Woody Allen nous jette un nouveau sortilège parvenant à nous faire oublier les faiblesses du film (comme une intrigue amoureuse qui manque parfois un peu de magie justement) pour nous ensorceler et éblouir.

     Dialogues délicieusement sarcastiques, décors et acteurs étincelants, ode ludique aux illusions…. amoureuses (et cinématographiques ), je dois bien avouer avoir, une fois de plus, été hypnotisée par le cinéma de Woody Allen. Retrouvez également mon dossier consacré à Woody Allen avec de nombreuses autres critiques, ici.

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  • Critique de LA FIEVRE DANS LE SANG d'Elia Kazan à 20H45 sur Arte

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    Dans une petite ville du Kansas, à la veille du Krach boursier de 1929 et en pleine prohibition, Deanie Loomis (Nathalie Wood) et Bud Stamper ( Warren Beatty) sont épris l’un de l’autre mais le puritanisme de l’Amérique des années 20, l’autoritarisme du père de Bud qui veut que son fils fasse ses études à Yale avant d’épouser Deanie, la morale, et les vicissitudes du destin, vont les séparer…

    Le titre original « Splendor in the grass » (Splendeur dans l’herbe) provient d’un poème de William Wordsworth, « Intimations of immortality from Reflections of Early Childhood » qui dit notamment ceci: «Bien que rien ne puisse faire revenir le temps de la splendeur dans l’herbe…nous ne nous plaindrons pas mais trouverons notre force dans ce qui nous reste », ces vers sont repris au dénouement du film , ils reflètent toute la beauté désenchantée par laquelle il s’achève qui contraste tellement avec le premier plan du film qui symbolise tout le désir, toute la fureur de vivre (le film d’Elia Kazan n’est d’ailleurs pas sans rappeler le film éponyme de Nicholas Ray sorti 6 ans plus tôt) qui embrase les deux personnages : un baiser fougueux dans une voiture derrière laquelle se trouve une cascade d’une force inouïe, métaphore de la violence de leurs émotions qui emportent tout sur leur passage.

    Si à de nombreux égards et lors d’une vision superficielle « La fièvre dans le sang » peut paraître caricatural et répondre à tous les standards du film sentimental hollywoodien (un amour adolescent, l’opposition parentale, et le caractère parfois caricatural des personnages et notamment des parents, ou encore le caractère caricatural du personnage de Ginny, la sœur délurée et aguicheuse -interprétée par Barbara Loden- ) c’est aussi pour mieux s’en affranchir. Au-delà de ces clichés émane en effet de ce film une fièvre incandescente qui reflète magistralement celle qui enflamme les deux jeunes gens, en proie à leurs désirs qu’une mise en scène lyrique met en exergue. Le désir jusqu’à la folie, la névrose. « La fièvre dans le sang » est d’ailleurs d’une grande modernité par son évocation de Freud et de la psychanalyse. C’est aussi une réflexion sur les relations parents enfants, sur l’acceptation de l’imperfection (des parents autant que celles de l’existence).

    De nombreuses scènes rappellent la scène initiale qui résonne alors a posteriori comme un avertissement de la violence passionnelle et dévastatrice : la scène de la baignoire où, comme possédée par le désir, la rage, Deanie jure à sa mère qu’elle n’a pas été « déshonorée », dans un cri de désespoir, de désir, d’appel à l’aide ; la robe, rouge évidemment, tenue comme un objet maléfique par l’infirmière ; la cascade (d’ailleurs dramatiquement prémonitoire puisque Nathalie Wood est morte noyée en 1981, dans des circonstances mystérieuses, en tombant de son yacht appelé … « The Splendour » en référence au film de Kazan), la même que celle du début où Deanie tentera de se tuer ; les regards magnétiques que s’échangent Deanie et Bud etc.

    C’est aussi une critique de la société américaine puritaine et arriviste que symbolisent la mère étouffante de Deanie qui l’infantilise constamment (qui craint donc que sa fille soit « déshonorée ») et le père autoritaire (mais estropié ou car estropié) de Bud, un film qui n’aurait certainement pas été possible à l’époque à laquelle il se déroule (la fin des années 1920) et qui l’était en revanche en 1961.

    C’est surtout son dénouement qui fait de « La fièvre dans le sang » un grand film, une fin qui décida d’ailleurs Elia Kazan à le réaliser comme il l’explique dans ses entretiens avec Michel Ciment, (« Ce que je préfère, c'est la fin. J'adore cette fin, c'est la meilleure que j'ai réalisée : il y a quelque chose de si beau dans cette scène où Deanie rend visite à Bud qui est marié. J'ai même du mal à comprendre comment nous sommes arrivés à ce résultat, ça va au-delà de tout ce que j'ai pu faire. C'est une happy end, au vrai sens du terme, pas au sens hollywoodien : on sent que Bud a mûri, on le voit à la façon dont il se comporte avec elle, et lorsqu'il prend sa femme dans ses bras pour la rassurer. C'est cette fin qui m'a donné envie de faire le film. »), une fin adulte, une happy end pour certains, une fin tragique, l’acceptation de la médiocrité, le renoncement à ses idéaux de jeunesse, pour d’autres. Je me situerais plutôt dans la seconde catégorie. Un fossé semble s’être creusé entre les deux : Bud a réalisé une part de son rêve et vit dans un ranch, marié. Quand Deanie lui rend visite dans une robe blanche virginale, il la reçoit le visage et les mains noircis, à l’image de ses rêves (certains) déchus. Les regards échangés si significatifs, si dénués de passion (pas sûr ?), où chacun peut y voir tantôt de la résignation, des regrets, de l’amertume, rendent encore plus tragique cette scène, non moins magnifique.

    Le départ de Deanie en voiture laissant dans le lointain derrière elle Bud et avec lui : ses désirs, son adolescence, son idéalisme, nous arrache le cœur comme une mort brutale. Celle du passé à jamais révolu. Le gouffre insoluble et irréversible du destin.

    C’est donc aussi la fin, et le renoncement qu’elle implique, en plus de la mise en scène lyrique d’Elia Kazan et l’interprétation enfiévrée de Nathalie Wood et Warren Beatty, qui permet de transfigurer les clichés du film sentimental classique hollywoodien.

    Avec ce désir amoureux qui meurt, subsiste, malgré tout, un autre désir : celui de vivre. Sans la fureur. Sans la fièvre dans le sang. Peut-être seulement éclairé par le souvenir. Sans se poser la question du bonheur (Quand Deanie lui demande s’il est heureux, Bud répond qu’il ne se pose plus la question). C’est peut-être là le secret du bonheur : ne pas s’en poser la question…

    Ce film vous laisse le souvenir poignant, brûlant, magnétique, lumineux, d’un amour idéalisé, illuminé et magnifié par la beauté rayonnante, d’une force fragile, de Warren Beatty (qui n’est pas sans rappeler Marlon Brando dans « Un tramway nommé désir » du même Elia Kazan), et de Nathalie Wood (elle fut nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle, en 1962).

    Un film fiévreux et enfiévré d’absolu, à fleur de peau, sombre et lumineux, rouge et blanc, d’eau et de feu, enflammé (de désir) et de la splendeur d’un amour de jeunesse. Un film qui a la force et la violence, incomparable, à la fois désenchantée et enchanteresse, d’un amour idéalisé…ou plutôt idéal(iste).

    Peut-on se contenter de la médiocrité quand on a connu ou frôlé l’absolu ? Etre adulte signifie-t-il renoncer ? Peut-on vivre heureux sans renoncer à ses idéaux de jeunesse ? Je ne crois pas (mais peu importe hein ! -Laissez-moi mes idéaux, mon intransigeance, non, mes idéaux, de jeunesse.- Et c’est d’ailleurs aussi cette fin déchirante paradoxalement qui me plait tant dans ce film) cette fin nous répond que oui, et à cet égard, elle est loin de la happy end à laquelle nous habitue le cinéma hollywoodien classique.

    Elia Kazan, qui passera toute sa vie a essayé de justifier ses dénonciations de metteurs en scène communistes, à la commission MacCarthy, en 1952, par ce film semble aussi critiquer la société américaine et donc aussi justifier ses propres erreurs, comme il tenta de le faire toute la fin de sa vie....

    En tout cas, un classique, un poème lyrique et sensuel doublé d’une critique sociale et un portrait de l’Amérique des années 20, à (re)voir ABSOLUment.

     

    Filmographie d’Elia Kazan en tant que réalisateur :

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    Le Dernier Nabab (1977)

    Les Visiteurs (1972)

    L'Arrangement (1970)

    America, America (1964)

    La Fièvre dans le sang (1961)

    Le Fleuve sauvage (1960)

    Un Homme dans la foule (1957)

    La Poupée de chair (1956)

    A l'est d'Eden (1955)

    Sur les quais (1955)

    Viva Zapata ! (1952)

    Man on a Tightrope (1952

    Un Tramway nommé désir (1951)

    Panique dans la rue (1950)

    L'Héritage de la chair (1949)

    Le Mur invisible (1947)

    Boomerang ! (1947)

    Le Maître de la prairie (1946)

    Le Lys de Brooklyn (1945

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  • Critique de GATSBY LE MAGNIFIQUE de Baz Luhrmann à 20H55 sur France 2

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    Ci-dessous ma critique de "Gatsby" de Baz Luhrmann vu en ouverture du Festival de Cannes 2013 (et publiée suite à cette ouverture) avec, également, mon avis sur cette ouverture.

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    Chaque année, au fur et à mesure que les jours avancent et que la clôture du Festival de Cannes se rapproche, la barrière entre la fiction et la réalité s’amenuise, transformant chaque journée et chaque seconde en une troublante, délicieuse, enivrante et perturbante confusion… Cette année, pour cette 66ème édition qui s’annonce décidément exceptionnelle à tous points de vue, cette vertigineuse et grisante sensation s’est emparée de moi dès le premier jour avec, en film d’ouverture, « Gatsby le magnifique » de Baz Luhrmann, nouvelle adaptation de l’intemporel roman de Francis Scott Fitzgerald,  miroir de Cannes, de la mélancolie et de la solitude, sans doute, de quelques uns, derrière le faste, la fête, les éblouissements.

    Mais avant cela, il y a eu cette musique, dans le Grand Théâtre Lumière qui annonce la cérémonie d’ouverture et, qui, pour la 13ème année consécutive, sans que mon enthousiasme soit entamé (bien au contraire) a réussi à me faire frissonner d’impatience et de plaisir.  Avant, il y a eu la voix douce d’Audrey Tautou qui, dans une élégante robe blanche, simple et raffinée, à son image, le souffle à peine coupé, de sa voix à la fois fragile et assurée, a présenté la cérémonie. Enthousiaste, resplendissante, glamour, pétillante Audrey Tautou qui, contrairement à d’autres lors de précédentes éditions, a eu la bonne idée d’écrire son texte elle-même…et j’en tremblais pour elle devant le public sans doute le plus difficile qui soit dans cette salle en effet vertigineuse. Le prestige de l’évènement ne lui a en rien fait perdre ses moyens. Elle nous a rappelé, avec justesse, les beaux paradoxes cannois, que derrière « son air frivole », c’est la « plus fervente manifestation du 7ème art », que le festival est là pour nous « offrir du rêve » et aussi « nous faire voir la vérité ». Elle nous a aussi parlé d’émotions, de cœurs entrainés, charmés, renversés etc, de ses premières émotions cinématographiques. Et puis il y a eu la standing ovation à Steven Spilerbg, la présentation de son éclectique et splendide jury, l’aperçu des films de la sélection qui m’ont rappelé pourquoi j’aimais Cannes et le cinéma. Et pourquoi je les aimais à la folie.

    A peine le temps de comprendre que tout cela était réel, quoique pas tout à fait en apparence, que déjà Gatsby nous emportait dans son tourbillon mélancolique et festif (certains, certainement, songeant déjà à leurs « tweets grincheux », trop rarement joyeux). Je redoutais beaucoup cette adaptation, appréciant beaucoup celle de Jack Clayton (Robert Redford étant pour moi à jamais Gatsby) et aimant inconditionnellement ce sublime roman qui évite toujours soigneusement la mièvrerie et assume le romantisme effréné et exalté (mais condamné) de son personnage principal. Je redoutais surtout que Baz Luhrmann ne dénature totalement le roman en voulant le vulgariser.

    Le  film a été projeté en 3D. C’était la deuxième fois dans l’histoire du Festival après « Up » (« Là-Haut ») de Pete Docter, en  2009, que le film d’ouverture faisait l’objet d’une projection en relief.

    Printemps 1922. L’époque est propice au relâchement des moeurs, à l’essor du jazz et à l’enrichissement des contrebandiers d’alcool… Apprenti écrivain, Nick Carraway (Tobey Maguire » quitte la région du Middle-West pour s’installer à New York. Voulant sa part du rêve américain, il vit désormais entouré d’un mystérieux millionnaire, Jay Gatsby (Leonardo DiCaprio), qui s’étourdit en fêtes mondaines, et de sa cousine Daisy ( Carey Mulligan) et de son mari volage, Tom Buchanan, issu de sang noble. C’est ainsi que Nick se retrouve au coeur du monde fascinant des milliardaires, de leurs illusions, de leurs amours et de leurs mensonges.

    Dans l’adaptation de Clayton (rappelons que le scénario de cette précédente adaptation était écrit par Coppola), je me souviens de la magnificence crépusculaire de la photographie et de la langueur fiévreuse qui étreignait les personnages et nous laissaient entendre que tout cela s’achèverait dans le drame. Ici, c’est plus implicite même si de la fête émane toujours une certaine mélancolie. C’est d’ailleurs ce qui semble avoir déçu une grande partie des festivaliers hier qui s’attendaient sans doute à une joyeuse flamboyance…et, c’est selon moi, au contraire, toute la réussite de cette adaptation que de retranscrire la flamboyance de l’univers de Gatsby sans dissimuler totalement la mélancolie et même la tristesse qui affleurent dans cette débauche festive. L’amertume dissimulée derrière l’apparente légèreté. La mélancolie et le désenchantement derrière la désinvolture.

    Là aussi, Jay Gatsby n’apparaît qu’au bout de vingt minutes, voire plus.  Nous nous trouvons alors dans la même situation que Nick qui ne le connaît que par sa réputation : on dit qu’il « a tué un homme » et qu’il n’apparaît jamais aux fêtes somptueuses qu’il donne dans une joyeuse décadence.

    « Gatsby le magnifique » est à la fois une critique de l’insouciance cruelle et de la superficialité de l’aristocratie que symbolise Daisy, c’est aussi le portrait fascinant d’un homme au passé troublant, voire trouble et à l’aura romantique dont la seule obsession est de ressusciter le passé et qui ne vit que pour satisfaire son amour inconditionnel et aveugle. (Je me souvenais de la magnifique scène où Jay et Daisy dansaient dans une pièce vide éclairée à la bougie, dans le film de Clayton,  moins réussie ici). Face à lui Daisy, frivole et lâche, qui préfère sa réputation et sa richesse à Gatsby  dont la réussite sociale n’avait d’autre but que de l’étonner et de poursuivre son rêve qui pour lui n’avait pas de prix. Gatsby dont par bribes la personnalité se dessine : par sa manie d’appeler tout le monde « vieux frère », par ses relations peu recommandables. Pour Daisy, la richesse est un but (même si elle me parait moins frivole que dans le roman de Fitzgerald et que dans l’adaptation de Clayton). Pour Jay, un moyen (de la reconquérir). Elle qui ne sait que faire des 30 années à venir où il va falloir tuer le temps.

    Gatsby est une histoire de contrastes. Entre le goût de l’éphémère de Daisy et celui de l’éternité de Gatsby. Entre la réputation sulfureuse de Gatsby et la pureté de ses sentiments. Entre la fragilité apparente de Daisy et sa cruauté. Entre la douce lumière d’été et la violence des sentiments. Entre le luxe dans lequel vit Gatsby et son désarroi. Entre son extravagance apparente et sa simplicité réelle. Entre la magnificence de Gatsby et sa naïveté. Et tant d’autres encore. Des contrastes d’une douloureuse beauté dans le roman, et dans l’adaptation de Clayton dont la mise en scène (trop rare) est la réussite du film de Luhrmann (comme ces plans de Gatsby seul sur son ponton) davantage que les fastueuses et non moins réussies scènes de fête qui ne comblent pas le vide de l’existence de Gatsby.

    C’est à travers le regard sensible et lucide de Nick qui seul semble voir toute l’amertume, la vanité, et la beauté tragique de l’amour, mélancolique, pur et désenchanté, que Gatsby porte à Daisy que nous (re)découvrons cette histoire tragique. Bien que le connaissant par cœur, j’en suis ressortie avec l’irrésistible envie de relire encore et encore le chef d’œuvre de Fitzgerald, une nouvelle fois bouleversée par cette histoire d’amour absolu, d’illusions perdues, de bal des apparences, de solitude, de lâcheté, de cruauté (oui, il y a tout cela dans Gatsby) et avec l’irrésistible envie de  me laisser dangereusement griser par l’atmosphère de chaleur écrasante, d’extravagance et d’ennui étrangement mêlés dans une confusion finalement criminelle.

    Mia Farrow interprétait Daisy entre cruauté, ennui, insouciance et même folie. La Daisy de Carey Mulligan est moins déjantée, presque moins pitoyable. Si Gatsby restera pour moi à jamais Robert Redford, Leonardo DiCaprio, une fois de plus, excelle, et est un Gatsby bouleversant, énigmatique, mélancolique, fragile, charismatique, avec ce sourire triste, si caractéristique du personnage. Il incarne magnifiquement celui qui est pour moi un des plus beaux personnages de la littérature. Le talent de Leonardo Di Caprio n’est plus à prouver : que ce soit dans « Les Noces rebelles« , « Inception » ,  « Shutter Island« ou, plus récemment dans « Django unchained »  , il crève invariablement l’écran et prouve aussi son intelligence par ses judicieux choix de rôles.

    Ont participé à la B.O du film: Lana Del Rey, Beyoncé x André 3000, Florence + The Machine, will.i.am, The xx, Fergie + Q Tip + GoonRock, et The Bryan Ferry Orchestra … Ces anachronismes et cette volonté de moderniser un roman et des sentiments de toute façon intemporel  restent ici (heureusement) mesurés.

    Un film, comme celui de Clayton, empreint de la fugace beauté de l’éphémère et de la nostalgie désenchantée que représente le fascinant et romanesque Gatsby auxquelles Baz Luhrmann ajoute une mélancolique flamboyance. Il n’a pas dénaturé l’essence du roman, en choisissant justement de modérer ses envolées musicales.

    Relisez le magnifique texte de Fitzgerald, ne serait-ce que pour « La poussière empoisonnée flottant sur ses rêves » ou cette expression de « nuages roses » qui définit si bien le ton du roman et du film et revoyez l’adaptation de Jack Clayton …mais ne passez pas non plus à côté de celle-ci qui ne déshonore pas la beauté de ce roman bouleversant sur l’amour absolu, la solitude et les illusions perdues derrière le faste et la multitude, et qui ici, et en particulier hier soir, prenait une étrange résonance devant tous ces acteurs qui, sans doute, connaissent ses rêves inaccessibles (ou les rêves accomplis qui ne guérissent ni l’amertume ni la solitude) et de cruelles désillusions, la mélancolie et la solitude dans la fête et la multitude, peut-être même celui qui incarne Gatsby dont le nom toute la journée, n’a cessé d’être murmuré et hurlé sur la Croisette et qui, peut-être, s’est parfois senti comme Gatsby, dans une troublante confusion (nous y revenons) entre la fiction et la réalité.  Belle mise en abyme pour une ouverture et un film d’ouverture mêlant flamboyance, grand spectacle, mélancolie… à l’image de Cannes.

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  • Critique de HER de Spike Jonze à 20H50 sur Canal + Cinéma

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      Quatrième long métrage de Spike Jonze après « Dans la peau de John Malkovich» (1999),  « Adaptation » (2002) et « Max et les maximonstres » (2009), à l’image du premier que j’avais découvert avec jubilation au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il fut primé en 1999, « Her »  nous embarque dans les réjouissants méandres d’un imaginaire débridé, celui du cinéaste et de son personnage. A ses risques et périls.

    Direction Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly (Joaquin Phoenix),  écrivain public des temps modernes,  est inconsolable suite à une rupture difficile, en effet en instance de divorce avec sa femme Catherine (Rooney Mara) et vit seul dans un appartement sans âme. Il fait alors l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il répond à de brèves questions,  choisit une voix féminine et fait la connaissance de Samantha (Scarlett Johansson), une voix féminine intelligente, intuitive et dotée d’humour et même d’ironie. Peu à peu, l’impensable va survenir : l’homme et la machine  vont tomber amoureux…

    La cristallisation amoureuse est sans aucun doute un éternel et non moins passionnant sujet romanesque et même romantique, pour la littérature aussi bien que pour le cinéma. Un sujet maintes fois abordé que Spike Jonze modernise ici en le liant à la solitude des vies et villes contemporaines même s’il s’agit ici (en apparence) de science-fiction. Spike Jonze ou le Stendhal des temps modernes…

    A l’image de l’affiche, c’est avant tout l’histoire d’un homme seul face à nous, miroir de nos solitudes modernes, et surtout face à lui-même, et dont le métier consiste à envoyer des lettres pour et à des inconnus avant de retrouver son appartement glacial donnant sur les lignes verticales et froides de la ville, avec l’hologramme d’un jeu vidéo pour seule compagnie. Dans la première scène, il dit des mots d’amour face caméra. Puis, nous  découvrons qu’il est en réalité sur son lieu de travail, seul face à un ordinateur. Comme une prémonition.

    Nommé dans cinq catégories à la 86ème cérémonie des Oscars (meilleur film, meilleure musique, meilleure chanson, meilleur décor et meilleur scénario original), « Her » est un film d’une indéniable originalité, dans son écriture (il a obtenu le Golden Globe et l’Oscar du meilleur scénario) et dans sa réalisation. Originalité et perspicacité puisque, en exacerbant le rôle des technologies,  en nous faisant accepter pour réalité cette histoire d’amour aux frontières de la folie et de l’absurde (pléonasme ?), il porte à son paroxysme ce que nous inspirent les nouvelles technologies : le sentiment amoureux, cette « forme de démence acceptée par la société » (magnifique définition), qu’il dépeint  magistralement dans sa sublime exaltation.

    Dans cette ville intemporelle et universelle (Spike Jonze a tourné à Shangai et Los Angeles) se croisent des êtres qui vivent dans leur bulle imaginaire, soliloquant, emmurés dans leurs solitudes comme ils le sont dans cette ville tentaculaire. La technologie froide et déshumanisée va s’humaniser pour devenir l’âme sœur au sens propre, un amour désincarné, cristallisé. Her. Elle qui devient son univers au point qu’il se teinte du rouge qui la caractérise, biaise sa vision du monde, l’embellit, le transcende. La description de l’état amoureux est particulièrement réussie,  cette ivresse insensée, cette idéalisation démente, cette projection, cette réécriture de la réalité, ce cinéma, finalement. Le vrai bonheur semble dans l’ailleurs, l’insaisissable, l’imaginaire, ou alors le passé, cette « histoire qu’on se raconte » et la forme et le fond se répondent intelligemment puisque le passé idéalisé est ici raconté par des flashbacks silencieux auréolés de lumière et de bonheur.

    Spike Jonze a fait appel aux réalisateurs David O.Russell et Steven Soderbergh, pour que ces derniers confient leurs impressions sur la première version du film. Soderbergh aurait même fait des coupures radicales, peut-être que cette multiplicité de points de vue est à l’origine de l’unique défaut du film : l’impression de ruptures de rythme.

    Scarlett Johansson réussit le pari de donner corps à cette voix (elle  a même remporté le Prix d’Interprétation Féminine au 8ème Festival International du Film de Rome, en novembre 2013) et de faire exister ce personnage invisible. Quant à Joaquin Phoenix, il est une nouvelle fois d’une justesse étonnante qui contribue à nous faire croire à l’existence de ce personnage invisible dont il tombe amoureux. Un rôle majeur de plus après déjà tant de rôles marquants, que ce soit dans « La nuit nous appartient » de James Gray dans lequel il avait cet incroyable regard lunatique, fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté,  film dans lequel il est un magistral écorché vif dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère de claustrophobie du film ou encore dans le fascinant « I’m still here » , objet filmique singulier posant des questions passionnantes sur le statut de l’image (au double sens du terme d’ailleurs : image cinématographique et image de l’artiste)  et évidemment en incarnant l’inoubliable fragile Leonard dans « Two lovers ».

    Les décors et les costumes sont également particulièrement ingénieux s’inspirant du style des années 30 : Theodore porte une moustache et des pantalons tailles hautes, jamais de jeans, pas de revers, ni de col. Un univers singulier à la fois proche et lointain. L’omniprésence du rouge, la lumière naturelle dont est baigné l’appartement, tout contribue à cette impression de bulle irréelle et aveuglante que suscite le sentiment amoureux et nous transporte dans cet ailleurs vertigineux, fascinant, étourdissant et parfois effrayant.

    Un film à la fois salutaire, parce qu’il montre le redoutable et magique pouvoir de l’imaginaire et fait appel à celui du spectateur  ( par exemple pendant la scène d’amour, seul demeure un écran noir), et terrifiant en ce qu’il nous montre un univers d’une tristesse infinie avec ces êtres « lost in translation » prêts à tout pour ressentir la chaleur rougeoyante d’un amour fou, sublimé, un univers pas si éloigné du nôtre ou ce qu’il pourrait devenir.

    Une fable poétique envoûtante, terriblement mélancolique, sublimée par la musique du groupe Arcade Fire, par une réalisation inspirée et élégante mais dont la tristesse et la suffocante solitude qui en émane m’ont terrassée malgré un magnifique plan de fin qui fait intelligemment écho à celui du début et qui nous incite à regarder vers l’horizon, à ressentir de vraies émotions, ou peut-être à regarder la vie telle qu’elle est : avec ses aspérités mais toujours riche de promesses.

    En complément, retrouvez, ci-dessous, mes critiques de « I’m still here », « La nuit nous appartient », « Two lovers » et « The Immigrant ».

    Critique de « I’m still here – The lost year of Joaquin Phoenix » de Casey Affleck 

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     « I’m still here » est le premier film de Casey Affleck en tant que réalisateur, acteur exceptionnel notamment dans « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » d’Andrew Dominik ou dans « Gone baby gone » de son frère Ben Affleck.

    C’est après la fin du tournage de « Two lovers » que Joaquin Phoenix a (vraiment) annoncé qu’il voulait arrêter sa carrière pour… se consacrer à la musique. C’est son beau-frère Casey Affleck qui immortalise ces instants, pendant deux ans, de l’explication de ses motivations … à sa descente aux enfers…ou plutôt disons qu’il feint d’immortaliser ces instants puisque tout cela n’est que fiction même si pendant deux ans Joaquin Phoenix a tout fait pour (nous) laisser croire qu’il s’agissait de la réalité.

    Ce style hybride (apparent documentaire mais vraie fiction), ce jeu constant sur les frontières entre fiction et réalité ( il manipule la réalité comme les médias manipulent sa réalité) en font à la fois un film fascinant et agaçant, humble et présomptueux ; en tout cas un objet filmique singulier posant des questions passionnantes sur le statut de l’image (au double sens du terme d’ailleurs : image cinématographique et image de l’artiste).

     « I’m still here » est fascinant en ce qu’il dresse finalement bien moins le portrait d’un homme que celui de la société qui le regarde mais c’est en cela que c’est aussi effrayant d’ailleurs.  Barbe, cheveux hirsutes, tenue vestimentaire improbable et hygiène aléatoire : sa métamorphose physique s’accompagne d’une descente aux enfers mais,  plus que spectacle de sa propre déchéance, nous assistons  finalement davantage au spectacle de ceux qui regardent et se délectent de cette déchéance avec mépris, cynisme, voracité. Voracité médiatique mais aussi voracité du public. Une scène en est particulièrement significative : tandis que sur scène il ânonne tant bien que mal un pseudo rap aux paroles aussi nombrilistes qu’insultantes envers le public, et dramatiquement drôles, une marée de téléphones portables immortalise l’instant sans vergogne… et sans broncher.  Scène édifiante, cynique, dérangeante,  et finalement insultante pour le spectateur, miroir du public carnassier qui assiste à cette scène et se glorifie d’y assister. Parce que ne nous y trompons pas : s’il feint de se ridiculiser, de caricaturer l’artiste en pleine décadence,  c’est finalement lui, Joaquin Phoenix, qui en sort avec le beau rôle, paradoxalement le sien, celui de l’innocent broyé par un système face à notre inertie et notre délectation coupables.

     Certes, avant le spectateur, c’est le flux dévorant d’images médiatiques qui se nourrit sans recul de ses excès (drogue, sexe, humiliations : rien ne nous est épargné), qui absorbe sans s’interroger ou se remettre en questions, que stigmatise cette fiction aux airs trompeurs de documentaire mais c’est aussi le spectateur ou le citoyen lambda avec son téléphone portable qui en devient le complice ou l’instigateur. C’est alors faire preuve d’une certaine condescendance à l’égard du public : un public aveugle, crédule, manipulateur (d’images) manipulé et doublement manipulé. Manipulé dans le spectacle que Joaquin Phoenix lui a donné à voir pendant deux ans mais aussi manipulé dans celui qui se déroule sur l’écran. Seulement, si pour la première manipulation la supercherie a parfaitement fonctionné, la seconde (même pour un spectateur ignorant de l’histoire et du caractère fallacieux du documentaire) laisse trop souvent entrevoir son dispositif (rôle trop écrit de Puff Daddy et présence préalable de la caméra alors que celui-ci feint la surprise devant la présence de Joaquin Phoenix) pour que la manipulation fonctionne parfaitement puisque volonté de manipulation il y a bel et bien, le film étant qualifié de « documentaire ».   Il fallait en tout cas beaucoup d’audace, de détermination, de folie (ou plutôt au contraire de raison) pour continuer à jouer le jeu même pendant la promotion d’un sublime film comme « Two lovers » dont on ne peut s’empêcher de penser que ce buzz médiatique lui a nui.

     N’en demeure pas moins un film très malin dont le début fait intelligemment écho à la fin mais aussi au dernier rôle Joaquin Phoenix (de Leonard dans « Two lovers » qui au début du film se jette à l’eau) qui se jette aussi à l’eau (là aussi dans les deux sens du terme), accentuant les résonances entre fiction et (semblant de) réalité. Et si dans la fiction « Two lovers » cela a fait revenir  son personnage à la réalité, ici cela lui permet de tuer ce personnage qu’il a endossé pendant deux ans lors d’une très belle scène finale. D’ailleurs « I’m still here » contient plusieurs très beaux plans de cinéma qui signent la naissance d’un vrai cinéaste.

     Le scénario est finalement très habile, et même cyniquement drôle, parfois au détriment de ceux qui en sont les complices plus ou moins volontaires Malgré son narcissisme, sa condescendance, « I’m still here » est une œuvre passionnante, audacieuse, un saut dans le vide , une mascarade, une manipulation, une « performance artistique », un pied-de-nez à un afflux abêtissant d’images qu’il interroge intelligemment d’autant plus à une période où une affaire dont on ne sait plus très bien si elle est fiction ou réalité se déroule là aussi sur les yeux lunatiques, dévorants, carnassiers des médias et de citoyens devenus public.   Un film aussi malin que le « Pater » d’Alain Cavalier (même si je préfère et de loin celui de Casey Affleck), l’un et l’autre mettant en scène la réalité, un simulacre de réalité dont le réalisateur est le manipulateur et le spectateur la marionnette, victime d’images dont il est d’habitude le coupable, vorace et impitoyable filmeur. Une brillante inversion des rôles. Une démonstration implacable. A voir.

    Critique de « Two lovers » de James Gray

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     « Two lovers » sera également projeté au mk2 bibliothèque, vendredi 8  juillet, à 14H45.

     Direction New York, ville fétiche du cinéma de James Gray, où, après avoir tenté de se suicider,  un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle, fragile et inconstante, dont il est tombé éperdument amoureux, un amour dévastateur et irrépressible.

    L’intérêt de « Two lovers » provient avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. Si James Gray est avant tout associé au polar, il règne ici une atmosphère de film noir et une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble  crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente.

    Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d’un trouble bipolaire (mais ce n’est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…

    Il éprouve ainsi un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte  la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».

    Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray  dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne ( plan de Michelle derrière des barreaux de son appartement, les appartements de Leonard et Michelle donnant sur la même cour rappelant ainsi « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock de même que la blondeur toute hitchcockienne de Michelle), et qui exalte et détruit.

    James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudique et  la magnifique photographie crépusculaire de Joaquin Baca-Asay qui procurent des accents lyriques à cette histoire qui aurait pu être banale,  mais dont il met ainsi en valeur les personnages d’une complexité, d’une richesse, d’une humanité bouleversantes.  James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père etc).

     Un film d’une tendre cruauté, d’une amère beauté, et parfois même d’une drôlerie désenchantée,  un thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Irrépressiblement. Ajoutez à cela la bo entre jazz et opéra ( même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » que dans  le chef d’œuvre de Woody Allen « Match point » dans lequel on retrouve la même élégance dans la mise en scène et la même « opposition » entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski… : les ressemblances entre les deux films sont trop nombreuses pour être le fruit du hasard ), et James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Trois ans après sa sortie : d’ores et déjà un classique du cinéma romantique.

    Critique de « La Nuit nous appartient » de James Gray

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    La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au Festival de Cannes.  Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits  s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien  concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène…) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…

    Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?)  a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000)  qui se déroule à New York, à la fin des années 80,  la police en est un personnage à part entière.  C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille :  Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout,  et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile,  vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue  oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première  en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.

    Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé,  considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le  décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire…)

    Les bons et les méchants.  L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen  me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé,  va évoluer,  va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène  qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.

     « La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité :  fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.

     Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin… même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

     C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas  partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…

    Critique de « The Immigrant » de James Gray

     James Gray, The Immigrant, Marion Cotillard, Festival de Cannes, cinéma, critique

    Dans mon dossier publié dans le magazine des anciens élèves de l’ENA, « L’ENA hors les murs », de juillet/août 2013, à lire en cliquant ici, je vous parlais notamment de « The Immigrant » de James Gray (en salles le 27 nombre 2013), un de mes énormes coups de cœur de cette année cinématographique, le grand oublié du palmarès cannois. Retrouvez ma critique, ci-dessous et en bonus celles de « Two lovers » et « La Nuit nous appartient ».

    Projeté en compétition officielle du 66ème Festival de Cannes, The Immigrant de James Gray décidément à l’honneur cette année puisqu’il est aussi le coscénariste de  Blood ties réalisé par Guillaume Canet (également présenté à Cannes) est, seulement, le cinquième long-métrage du cinéaste américain ( après Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two lovers) et nous avons bien du mal à le croire tant chacun de ses films précédents était déjà maîtrisé, et James Gray comptant, déjà, comme un des plus grands cinéastes américains contemporains. The Immigrant a apparemment déçu bon nombre de ses admirateurs alors que, au contraire, c’est à mon sens son film le plus abouti, derrière son apparente simplicité. Il s’agit en effet de son film le plus sobre, intimiste et épuré mais quelle maîtrise dans cette épure et sobriété!

    On y retrouve les thèmes chers au cinéaste: l’empreinte de la Russie, l’importance du lien fraternel, le pardon mais c’est aussi son film le plus personnel puisque sa famille d’origine russe est arrivée à Ellis Island, où débute l’histoire, en 1923.

    L’histoire est centrée sur le personnage féminin d’Ewa interprétée par Marion Cotillard. 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine et Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution.  L’arrivée d’Orlando (Jeremy Renner), illusionniste et cousin de Bruno (Joaquin Phoenix), lui redonne confiance et l’espoir de jours meilleurs. Mais c’est sans compter sur la jalousie de Bruno…

    James Gray a écrit le rôle en pensant à Marion Cotillard (très juste et qui aurait mérité un prix d’interprétation) qui ressemble ici à une actrice du temps du cinéma muet, au visage triste et expressif. The Immigrant est ainsi un mélo assumé qui repose sur le sacrifice de son héroïne qui va devoir accomplir un véritable chemin de croix pour (peut-être…) accéder à la liberté et faire libérer sa sœur. Les personnages masculins, les deux cousins ennemis, sont  en arrière-plan, notamment Orlando. Quant à Bruno interprété par l’acteur fétiche de James Gray, Joaquin Phoenix, c’est un personnage complexe et mystérieux qui prendra toute son ampleur au dénouement et montrera aussi à quel point le cinéma de James Gray derrière un apparent manichéisme est particulièrement nuancé et subtil.

    Le tout est sublimé par la photographie de Darius Khondji (qui avait d’ailleurs signé la photographie de la palme d’or du Festival de Cannes 2012, Amour de Michael Haneke) grâce à laquelle certains plans sont d’une beauté mystique à couper le souffle.

    James Gray a par ailleurs tourné à Ellis Island, sur les lieux où des millions d’immigrés ont débarqué de 1892 à 1924, leur rendant hommage et, ainsi, à ceux qui se battent, aujourd’hui encore, pour fuir des conditions de vie difficiles, au péril de leur vie. C’est de dos qu’apparaît pour eux la statue de la liberté au début du film. C’est en effet la face sombre de cette liberté qu’ils vont découvrir, James Gray ne nous laissant d’ailleurs presque jamais entrevoir la lumière du jour. Si le film est situé dans les années 1920, il n’en est pas moins intemporel et universel. Une universalité et intemporalité qui, en plus de ses très nombreuses qualités visuelles, ne lui ont pas permis de figurer au palmarès cannois auquel il aurait mérité d’accéder.

    Tout comme dans La Nuit nous appartient qui en apparence opposait les bons et les méchants, l’ordre et le désordre, la loi et l’illégalité, et semblait au départ très manichéen, dans lequel le personnage principal était écartelé,  allait évoluer,  passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres, ici aussi le personnage de Bruno au cœur qui a « le goût du poison », incarne toute cette complexité, et le film baigné principalement dans des couleurs sombres, ira vers la lumière. Un plan, magistral, qui montre son visage à demi dans la pénombre sur laquelle la lumière l’emporte peu à peu, tandis qu’Ewa se confesse, est ici aussi prémonitoire de l’évolution du personnage. L’intérêt de Two lovers  provenait avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. C’est aussi le cas ici même si le thème du film et la photographie apportent encore une dimension supplémentaire. James Gray s’est inspiré des photos « quadrichromes » du début du XXe  siècle, des tableaux qui mettent en scène le monde interlope des théâtres de variétés de Manhattan. Il cite aussi comme référence Le Journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson.

    James Gray parvient, comme avec Two lovers, à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Longtemps après, en effet, j’ai été  éblouie par la noirceur de ce film, une noirceur de laquelle émerge une lueur de clarté sublimée par une admirable simplicité et maitrise des contrastes sans parler du dernier plan, somptueux, qui résume toute la richesse et la dualité du cinéma de James Gray et de ce film en particulier.

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