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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 142

  • Critique - LES LYONNAIS de Olivier Marchal à 20H45 sur 13ème rue ce jeudi 19 novembre 2015

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    Avec ce quatrième long-métrage après « Gangsters », « 36 Quai des Orfèvres » et « MR 73 », Olivier Marchal continue d’ausculter le milieu qu’il connaît le mieux, celui des « flics et voyous ». Si le cinéma policier a donné la majorité de ses plus grands films dans les années 1970, (« Le Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville, « Max et les ferrailleurs » de Claude Sautet, « Police Python 357 » d’Alain Corneau…), c’est aussi la décennie symbolique des gangs comme celui des Lyonnais dont Olivier Marchal retrace le parcours, suite à la lecture d’ « Une poignée de cerises », l’autobiographie d’Edmond Vidal, un des fondateurs du « Gang des Lyonnais » et suite à sa rencontre avec ce dernier, même s’il s’en est inspiré de manière très libre puisque le livre s’arrête en 1977 alors que le film se poursuit de nos jours. En pleine affaire Neyret (le commissaire qui a même inspiré un des personnages du film), le film d’Olivier Marchal est rattrapé par l’actualité…

    Edmond Vidal, dit Momon,  fondateur du Gang des Lyonnais, c’est ici Gérard Lanvin qui, à l’approche de la soixantaine, s’est retiré des « affaires » pour s’occuper de sa femme Janou (Valeria Cavalli) qui a beaucoup souffert desdites affaires et a même fait de la prison pour lui, et pour s’occuper de ses petits enfants. Au contraire de ce dernier, Serge Suttel (Tchéky Karyo), l’ami d’enfance, avec qui il avait fait ses premiers mois de prison (pour le vol d’une caisse de cerises) et fondé le Gang des Lyonnais qui, lui, est en cavale depuis plusieurs années, et qui se fait enfin arrêter. Edmond Vidal va devoir choisir entre la promesse faîte à sa femme de ne plus reprendre « les affaires » et la loyauté envers son ami…avec qui il s’était fait connaître pour leurs braquages dans les années 1970, une série de braquages qui avait pris fin en 1974 lors d’une arrestation spectaculaire. Mais pour Momon, l’amitié prime sur tout…et surtout en vertu fameux code de l’honneur…qui veut qu’on ne laisse pas un ami en prison…

    Olivier Marchal a deux principaux atouts : bien connaître le milieu dont il parle (ce qui n’est par ailleurs guère rassurant quand on voit le portrait de la police qu’il fait ici ou dans ses autres films) et dans lequel il nous plonge et dont il nous montre une nouvelle facette à chaque  nouveau long-métrage, et savoir habilement manier les codes du récit et du polar. En commençant par la fin et nous laissant entendre que Vidal se fera tuer, il crée d’emblée un suspense qui fera un peu défaut au reste du long-métrage mais là semble ne pas avoir été l’objectif principal de Marchal qui ici cherche plutôt à retracer un parcours et une époque : le parcours d’un homme face à ses principes et ses illusions perdues et  une époque qu’il regarde avec une étrange nostalgie. Nostalgie d’un temps où un policier pouvait interroger un voyou venant d’être arrêté au restaurant avec la promesse de ce dernier de ne pas s’enfuir selon le fameux code d’honneur. « Etrange » nostalgie car Marchal semble avoir plus de fascination pour les voyous que les flics auxquels il appartenait et dont il montre ici les méthodes pour le moins douteuses. Nostalgie parce que si Le Gang des Lyonnais s’était aussi fait connaître pour réaliser des braquages sans jamais verser de sang, cette époque est  bien révolue. Le choix de Marchal du flashback avec le parallèle entre la jeunesse de Vidal (style sépia à l’appui) et le présent, permet aussi de mettre l’accent sur ce décalage. Désormais on n’hésite plus à tuer à bout portant, hommes et femmes, ni à égorger hommes et animaux.

    Le personnage de Vidal, le Gitan victime d’ostracisme qui devient chef de gang, dont les « principes » sont tellement contradictoires avec le mode de vie pour lequel, encore une fois, Marchal semble éprouver une vraie fascination, est sans doute le véritable intérêt du film, seulement Gérard Lanvin, s’il ne joue pas mal, semble ne pas totalement convenir au rôle, écrit au départ pour Alain Delon dont l’ombre semble planer sur tout le film. Voix, gestuelle, coiffure même, Lanvin semble être ici l’ombre un peu terne de Delon qui aurait en effet été impeccable dans ce rôle (et qui officiellement l’a laissé pour un différend concernant l’écriture du scénario et des raisons d’emploi du temps). On peut aisément comprendre qu’il ait été tenté par ce rôle de Parrain en voie de rédemption rattrapé par le passé, lequel Parrain semble avoir d’ailleurs beaucoup inspiré Marchal, de la scène d’anniversaire qui rappelle celle du mariage au début du film de Coppola à certaines méthodes qui rappellent celles des Corleone (Depardieu était déjà filmé en « Parrain » dans « 36 quai des orfèvres »). Mais on peut aussi comprendre ce qui a pu le rebuter et ce qui ne figurait jamais dans les films de Melville qu’il a contribué à immortaliser : une violence parfois excessive (le film est interdit aux moins de 12 ans).  Dans un souci peut-être de réalisme, et sans doute influencé par le cinéma américain, Marchal use et abuse des scènes de fusillades ou tortures qui pour moi au lieu de faire avancer l’histoire la freinent. C’est aussi ce qui m’avait dérangée dans le « Mesrine » de Richet dans lequel ce dernier était présenté comme un héros.

    « Le Gang des Lyonnais » c’est aussi la radiographie d’une époque, avec notamment les liens troubles entre le SAC et le gang.  Marchal est aussi l’auteur de la série « Braquo », dans « Le Gang des Lyonnais » figurent ainsi tous les éléments pour une série, et peut-être le format du long-métrage était-il trop étroit pour retracer tant d’évènements (les braquages sont ainsi à peine montrés).

    D’un point de vue purement cinématographique, « Le Gang des Lyonnais » est néanmoins une réussite : des acteurs talentueux (mais quelle idée d’avoir choisi Dimitri Storoge pour interpréter Lanvin jeune, il ne lui ressemble vraiment pas du tout) avec de vrais gueules de truands que Marchal semble avoir beaucoup de plaisir à filmer (Daniel Duval, Lionnel Astier, François Levantal…), une construction scénaristique habile et maîtrisée (ce qui n’exclut pas l’ennui et quelques baisses de rythme), une réalisation qui ne manque pas d’ampleur,  et un dénouement, désenchanté et mélancolique, réussi.

    De films en films, Olivier Marchal impose son style bien à lui, un singulier mélange d’âpreté, de réalisme désabusé et de sentimentalité exacerbée avec des hommes qui perdent leurs illusions, dessinant une frontière très floue entre les flics et les voyous, loin de tout manichéisme, avec le souci de montrer une nouvelle facette du banditisme ou de la police, mais aussi toujours avec une musique omniprésente, des acteurs charismatiques, de vraies « gueules » (Demongeot, Anconina, Depardieu hier)  pour renouer avec la grande époque des polars, et un dénouement toujours réussi qui laisse une empreinte forte au spectateur. Olivier Marchal a l’avantage d’être aujourd’hui le seul dans ce genre de film et film de (ce) genre en France (« A bout portant » de Fred Cavayé n’ayant pas tenu les belles promesses de « Pour elle »), même si j’avais largement préféré « Gangsters » et « 36 quai des Orfèvres » que je vous recommande de (re)voir (avec une préférence pour le premier).

  • Critique de RAPT de Lucas Belvaux à 20H50 sur France 3 ce jeudi 19 novembre 2015

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    Stanislas Graff est un homme d'industrie à qui, en apparence, tout réussit jusqu'à ce qu'il soit enlevé par un  groupe de truands sans scrupules. Débute alors pour lui un calvaire qui va durer plusieurs semaines. Pour persuader son entourage de payer, ses ravisseurs lui coupent un doigt qu'ils envoient à ses proches. Pendant qu'il est coupé du monde et humilié, la presse fait de nombreuses révélations sur ses pertes au jeu, sur ses nombreuses maîtresses, sur sa double vie. Sa femme (Anne Consigny), sa mère (Françoise Fabian) et ses deux filles découvrent par la même occasion sa face cachée...

    A certains égards, « Rapt » me rappelle  « Monsieur Klein » de Joseph Losey, dans sa négation de l'humanité et de l'identité d'un homme, dans son analyse de la barbarie, de l'inhumanité,  d'un fascisme latent.

    Lucas Belvaux, en quelques plans frénétiques et vertigineux, nous présente d'abord Stanislas Graff dans son statut d'homme d'industrie, homme de pouvoir, sûr de lui, pressé, respecté, ami des puissants, quelque peu arrogant même. Rien qui ne nous le rende éminemment sympathique ni totalement antipathique. Et puis c'est l'enlèvement, la descente aux enfers. L'homme est condamné à être enchaîné, à genoux, pire qu'un animal, amputé, humilié. Lui qui surplombait Paris de son appartement et le regardait de sa hauteur d'homme de pouvoir devant lequel on se courbe est courbé à son tour et n'a même plus le droit de lever les yeux condamné à l'obscurité et au silence. Ses bourreaux n'ont aucune pitié, uniquement guidés par l'appât du gain et la haine envers cet homme qui représente un statut auquel ils souhaitent accéder. Par tous les moyens. Même les plus vils et barbares.  Lucas Belvaux a eu l'intelligence de ne jamais les rendre sympathiques, mais de stigmatiser au contraire leur goût du pouvoir et de la violence. Et lorsque la conversation de l'un de ses bourreaux se fait sur un ton presque léger avec un accent marseillais chantant, la cruauté n'en est que plus insidieuse quand, en parlant sur un ton faussement badin et d'autant plus exaspérant, il lui remet les chaînes autour du cou.

    La réalisation, intelligemment elliptique, glaciale et glaçante, accompagne aussi bien les scènes de Stanislas avec ses ravisseurs que celles de sa famille, des avocats, de la police plus soucieux de préserver leurs intérêts que de réellement le sauver. Stanislas va devenir l'objet d'une lutte de pouvoirs acharnée. Entre la police et son avocat. Entre son entreprise et sa famille. Entre son épouse et sa mère.

    Là où le film était intéressant dans ses trois premiers quarts, il se révèle brillant et d'une cruauté ineffable dans ses dernières minutes. Libéré, Stanislas se heurte à un mur de froideur et d'incompréhension. Pas une marque d'affection ou de tendresse si ce n'est de la part de son chien à qui son apparence est bien égale ( ironie du sort pour lui qui a été réduit à l'animalité) sinon des reproches sur sa vie passée comme si cela justifiait, voire excusait, la barbarie dont il a été victime dans le regard des médias, de ses collaborateurs, et même de sa famille pour qui il n'a finalement été qu'un enjeu d'argent.

    L'image l'emporte sur la réalité des faits. Celle que les médias ont forgé  confondant fonds propres et chiffres d'affaires, confondant vie dissolue d'un homme et barbarie dont il est victime, comme si la première justifiait la seconde. Ces médias qui passent d'un sujet à l'autre, lunatiques, amnésiques, un drame en chassant un autre. La dignité avec laquelle il fait face alors qu'il a tout perdu et que sa libération s'avère être une autre forme de captivité (prisonnier de son image) le rend encore plus bouleversant, piétiné alors qu'il est à terre.

    Yvan Attal est ainsi absolument parfait du début à la fin mais encore plus dans les dernières minutes, visage émacié, méconnaissable mais digne et faisant face.

    Cette histoire inspirée de l'affaire du Baron Empain qui eut lieu en 1978 a été transposée de nos jours avec évocation de stock options et de parachutes dorés de rigueur, ce qui renforce le sentiment de malaise et de vraisemblance.

    Le dernier plan, d'une austérité angoissante, montre l'homme dans toute sa solitude, sans même une lueur d'espoir, plongé dans  un cauchemar inextricable. Un film d'une noirceur et d'une froideur rares mais judicieuses qui, du premier plan au dernier, nous tient en haleine malgré sa noirceur et sa violence psychologique suffocantes (mais toujours au service du propos). Le jeu irréprochable et subtilement froid des acteurs secondaires (délibérément hiératiques) contribue aussi à cette réussite.  Un (excellent) film particulièrement intense dont on ressort avec une forte impression qui nous accompagne bien longtemps après le générique, tout comme nous compagne longtemps ce regard d'Yvan Attal, blessé mais debout, seul mais digne. Poignant.

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  • Critique de SUR LA ROUTE DU MADISON de Clint Eastwood à 20H45 sur Arte ce dimanche 15 novembre 2015

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    (Ne lire cette critique qu’après avoir vu le film si vous ne l’avez pas vu…).

    La diffusion, ce soir, sur France 2, de « Sur la route de Madison » de Clint Eastwood me donne un excellent prétexte pour évoquer à nouveau ce grand film…

    L’éphémère peut avoir des accents d’éternité. Qyatre jours, quelques heures peuvent changer, illuminer et sublimer une vie. Du moins, Francesca Johnson (Meryl Streep)  et Robert Kincaid (Clint Eastwood) le croient-il et le spectateur aussi, forcément, inévitablement, après ce voyage bouleversant sur cette route de Madison qui nous emmène bien plus loin que sur ce chemin poussiéreux de l’Iowa.

    Caroline et son frère Michael Johnson  reviennent dans la maison où ils ont grandi pour régler la succession de leur mère, Francesca. Mais quelle idée saugrenue a-t-elle donc eu de vouloir être incinérée et d’exiger de faire jeter ses cendres du pont de Roseman, au lieu d’être enterrée auprès de son défunt mari ? Pour qu’ils sachent enfin qui elle était réellement, pour qu’ils comprennent, elle leur a laissé une longue lettre qui les ramène de nombreuses années en arrière, un été de 1965… un matin d’été de 1965, de ces matins où la chaleur engourdit les pensées, et réveille parfois les regrets. Francesca est seule. Ses enfants et son mari sont partis pour un concours agricole, pour quatre jours, quatre jours qui s’écouleront probablement au rythme hypnotique et routinier de la  vie de la ferme sauf qu’un photographe au National Geographic, Robert Kincaid, emprunte la route poussiéreuse pour venir demander son chemin. Sauf que, parfois, quatre jours peuvent devenir éternels. Avec Robert Kincaid, c’est l’ailleurs qui fait immersion dans la vie endormie de Francesca.

    Sur la route de Madison aurait alors pu être un mélodrame mièvre et sirupeux, à l’image du best-seller de Robert James Waller dont il est l’adaptation. Sur la route de Madison est tout sauf cela. Chaque plan, chaque mot, chaque geste suggèrent l’évidence de l’amour qui éclôt entre les deux personnages. Ils n’auraient pourtant jamais dû se rencontrer : elle a une quarantaine d’années et, des années auparavant, elle a quitté sa ville italienne de Bari et son métier de professeur pour se marier dans l’Iowa et y élever ses enfants. Elle n’a plus bougé depuis. A 50 ans, solitaire, il n’a jamais suivi que ses désirs, parcourant le monde au gré de ses photographies. Leurs chemins respectifs ne prendront pourtant réellement sens que sur cette route de Madison. Ce jour de 1965, ils n’ont plus d’âge, plus de passé, juste cette évidence qui s’impose à eux et à nous, transparaissant dans chaque seconde du film, par le talent du réalisateur Clint Eastwood. Francesca passe une main dans ses cheveux, jette un regard nostalgico-mélancolique vers la fenêtre alors que son mari et ses enfants mangent, sans lui parler, sans la regarder: on entrevoit déjà ses envies d’ailleurs, d’autre chose. Elle semble attendre Robert Kincaid avant même de savoir qu’il existe et qu’il viendra.

    Chaque geste, simplement et magnifiquement filmé, est empreint de poésie, de langueur mélancolique, des prémisses de leur passion inéluctable : la touchante maladresse avec laquelle Francesca indique son chemin à Robert, la jambe de Francesca frôlée furtivement par le bras de Robert,  la main de Francesca caressant, d’un geste faussement machinal, le col de la chemise de Robert assis, de dos, tandis qu’elle répond au téléphone, la main de Robert qui, sans se retourner, se pose sur la sienne, Francesca qui observe Robert à la dérobée à travers les planches du pont de Roseman, puis quand il se rafraîchit à la fontaine de la cour, et c’est le glissement progressif vers le vertige irrésistible. Les esprits étriqués des habitants renforcent cette impression d’instants volés, sublimés.

    Francesca, pourtant, choisira de rester avec son mari très « correct » à côté duquel son existence sommeillait, plutôt que de partir avec cet homme libre qui « préfère le mystère » qui l’a réveillée, révélée, pour ne pas ternir, souiller, ces 4 jours par le remord d’avoir laissé une famille en proie aux ragots. Aussi parce que « les vieux rêves sont de beaux rêves, même s’ils ne se sont pas réalisés ». 

     Et puis, ils se revoient une dernière fois, un jour de pluie, à travers la vitre embuée de leurs voitures respectives. Francesca attend son mari dans la voiture. Robert est dans la sienne. Il suffirait d’une seconde… Elle hésite. Trop tard, son mari revient dans la voiture et avec lui : la routine, la réalité, la raison.  Puis, la voiture de Francesca et de son mari suit celle de Robert. Quelques secondes encore, le temps suspend son vol à nouveau, instant sublimement douloureux. Puis, la voiture s’éloigne. A jamais. Les souvenirs se cristalliseront au son du blues qu’ils écoutaient ensemble, qu’ils continueront à écouter chacun de leur côté, souvenir de ces instants immortels, d’ailleurs immortalisés des années plus tard par un album de photographies intitulé « Four days ». Avant que leurs cendres ne soient réunies à jamais du pont de Roseman.  Avant que les enfants de Francesca ne réalisent son immense sacrifice. Et  leur passivité. Et la médiocrité de leurs existences. Et leur envie d’exister, à leur tour. Son sacrifice en valait-il la peine ? Son amour aurait-il survécu au remord et au temps ?…

    C edénouement sacrificiel est d’une beauté déchirante : avec la pluie maussade et inlassable, le blues évocateur, la voix tonitruante de ce mari si « correct » qui ignore que devant lui, pour sa femme, un monde s’écroule et la vie, fugace et éternelle, s’envole avec la dernière image de Robert Kincaid, dans ce lieu d’une implacable banalité soudainement illuminé puis éteint. A jamais. Un  tel amour aurait-il survécu aux remords et aux temps ? Son sacrifice en valait-il la peine ? Quatre jours peuvent-ils sublimer une vie ?

    Sans esbroufe, comme si les images s’étaient imposées à lui avec la même évidence que l’amour s’est imposé à ses protagonistes, Clint Eastwood filme simplement, majestueusement, la fugacité de cette évidence. Sans gros plan, sans insistance, avec simplicité, il nous fait croire aux« certitudes qui n’arrivent qu’une fois dans une vie » ou nous renforce dans notre croyance qu’elles peuvent exister, c’est selon. Peu importe quand. Un bel été de 1965 ou à un autre moment. Peu importe où. Dans un village perdu de l’Iowa ou ailleurs. Une sublime certitude. Une magnifique évidence. Celle d’une rencontre intemporelle et éphémère, fugace et éternelle. Un chef d’œuvre d’une poésie sensuelle et envoûtante.  A voir et revoir absolument.

    En complément:

    Ma critique de la pièce « Sur la route de Madison » avec Mireille Darc et Alain Delon

    Critique de « Gran Torino » de Clint Eastwood

    Critique de « Au-delà » de Clint Eastwood

    Critique de « J. Edgar’ de Clint Eastwood

  • Critique de SAMBA de Eric Toledano et Olivier Nakache ce mardi 10 novembre 2015 à 20H55 sur Canal +

    Samba, Charlotte Gainsbiurg, Omar Sy, Tahar Rahim, Eric Toledano, Olivier Nakache, cinéma, télévision, film, critique

    Après les 19, 44 millions d’entrées d’ « Intouchables », le nouveau film du tandem Toledano-Nakache était attendu. Très attendu. Il aurait été facile de surfer sur ce succès en reprenant un schéma narratif similaire mais le cinéma n’est pas de la gastronomie et suivre les recettes à la lettre ne garantit pas forcément de satisfaire les goûts du plus grand nombre et surtout le tandem n’a pas ce cynisme,  aimant profondément le cinéma, et le prouvant plus que jamais avec ce film qui marque une réelle progression dans l’écriture, dans les nuances, dans la diversité des émotions suscitées. Un film à déguster sans modération (oui, j’aime filer les métaphores). Au risque de m’attirer les foudres de certains, je dois avouer n’avoir pas partagé l’engouement général pour « Intouchables » qui contenait certes des scènes indéniablement drôles, dans lequel le tandem Cluzet/Sy excellait mais il s’agissait pour moi plus d’une suite de saynètes (certaines, il est vrai, irrésistibles comme celle de la danse) que de réel cinéma n’échappant pas à quelques clichés sur les classes sociales respectives des deux protagonistes. Ma surprise  en découvrant ce « Samba » avec un scénario et des dialogues ciselés, une recherche réelle dans la réalisation, et beaucoup plus de subtilité et sensibilité dans l’écriture, n’en fut donc que plus grande.

     A nouveau en haut de l’affiche, Omar Sy  incarne donc ici Samba, un Sénégalais en France depuis 10 ans, qui essaie de s’en sortir tant bien que mal en enchaînant les petits boulots. Face à lui, Charlotte Gainsbourg est Alice, une cadre supérieure épuisée par un burn out, terme des années 2000 un peu fourre-tout  qui désigne un des nouveaux maux du siècle : la dépression liée au travail. Tous deux luttent, à leur manière. Lui pour obtenir ses papiers et pouvoir vivre paisiblement. Elle pour se reconstruire en travaillant comme bénévole dans une association qui vient en aide aux immigrés. Rien ne devait les prédestiner à se rencontrer, tous deux venant d’univers très différents, menant des vies très différentes.

    C’est souvent ce qui, au cinéma, donne lieu aux plus belles histoires d’amour, et aux plus belles histoires : la rencontre de deux êtres que rien ne devait a priori (ré)unir comme Samba et Alice et ce film ne déroge pas à la règle.

    Le film « Samba » est adapté du roman « Samba pour la France » de Delphine Coulin, paru aux éditions du Seuil en 2011. Toledano et Nakache en avaient eu l’idée bien avant « Intouchables ». Parmi leurs nombreuses trouvailles, l’ajout du personnage d’Alice qui, notamment grâce à son interprète mais pas seulement, échappe aux stéréotypes de ces films qui, justement, racontent l’histoire de deux êtres que tout oppose. Alice n’est pas d’emblée sympathique. Un peu égoïste, snob, confrontée à des soucis parfois bien anecdotiques à côté du combat pour sa survie de Samba, elle va se révéler au contact de ce dernier par le parcours duquel il serait difficile au spectateur de ne pas être touché. De leur couple se dégage d’autant plus de charme qu’il est inattendu et pas moins crédible grâce à la délicatesse de l’écriture et des interprétations. Charlotte Gainsbourg, plus irrésistible que jamais et confirmant qu’elle est une des meilleures actrices de sa génération ( à l’affiche récemment de « 3 cœurs » de Benoît Jacquot que je vous recommandais également, ici),  incarne cette Alice dotée d’une folie douce, entre force et fragilité et rend son personnage séduisant, agaçant avec charme, passant du rire aux larmes, et nous faisant nous aussi passer du rire aux larmes. Omar Sy dégage toujours une élégance folle, emportant d’emblée l’empathie du spectateur. Deux personnages que tout oppose mais qu’une quête d’identité, la maladresse et la solitude réunissent.

    La réalisation n’est jamais négligée au profit de l’émotion, avec quelques plans remarquables, de Paris notamment,  filmée sans idéalisme ni misérabilisme et parée de couleurs inconnues.  Certaines scènes sont de vrais petits bijoux d’écriture jonglant habilement entre drame et comédie, comme cette scène après la fête à la fois drôle et émouvante. Les seconds rôles ne sont pas délaissés, a fortiori dans la scène précitée, et la fougue d’Azia Higelin, le talent Tahar Rahim qui dévoile ici son pouvoir comique, y sont aussi pour beaucoup.

    Ajoutez à cela des dialogues réjouissants, une musique originale mélancolique et envoûtante et vous obtiendrez une des grandes et belles surprises de cette fin d’année 2014, romantique et jamais mièvre, ironique et jamais cynique, actuelle et jamais démagogique et possédant toute l’élégance irrésistible de son tandem d’acteurs. Un conte moderne émouvant. Le récit rythmé et passionnant du parcours du combattant de (et qu’est) Samba et de la rencontre de ces deux solitudes réussit le difficile mariage entre drame et comédie, humour et mélancolie, film divertissant et sujet de société, plus convaincant et émouvant que n’importe quel discours (par définition abstrait) sur la cruelle réalité que vivent les sans-papiers. De ces films, précieux, qui vous donnent envie de croire à tout. Surtout à l’impossible et à la magie exaltante des rencontres improbables. Les plus belles et marquantes.

  • Concours - Gagnez vos pass pour le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule 2015

    Du 11 au 15 novembre, j'ai le plaisir d'être invitée au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule que je vous ferai vivre en direct sur mes blogs et sur twitter. Je m'en réjouis d'autant plus que j'avais particulièrement apprécié la première édition et que le programme de cette édition 2015 est encore plus riche, diversifié et enthousiasmant. En partenariat avec le festival, j'ai aussi le plaisir de faire gagner des pass pour le festival à trois d'entre vous (deux pass par gagnant, vous pourrez donc venir avec la personne de votre choix). En cliquant sur l'image ci-dessous, vous pourrez accéder au concours (attention: vous n'avez que quelques jours pour participer) mais aussi au programme complet et détaillé du festival, à mes bonnes adresses à La Baule, à toutes les informations pratiques et à mon compte rendu de l'édition 2014. Bonne chance et peut-être à bientôt à La Baule!

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  • Critique de PLEIN SOLEIL de René Clément ce 9 novembre 2015 sur Chérie 25

     

    Photos ci-dessus, copyright inthemoodforfilmfestivals.com . Projection de « Plein soleil » en copie restaurée dans le cadre du Festival de Cannes 2013.

    CRITIQUE – « Plein soleil » de René Clément

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    Ci-dessous mon article publié  suite à la projection du film dans le cadre de Cannes Classics 2013. Retrouvez également mes 9 critiques de films avec Alain Delon publiées hier à l'occasion de ses 80 ans.

    Chaque année, la section Cannes Classics réserve de très belles surprises avec des projections de classiques du cinéma en copies restaurées. Il m’a fallu renoncer à quelques unes (ah, les choix cornéliens entre les multiples projections cannoises !) mais s’il y en a bien une que je n’aurais manqué sous aucun prétexte, c’est celle de «Plein soleil » de René Clément, en présence d’Alain Delon, de retour à Cannes, trois ans après la projection du « Guépard » également en copie restaurée avec, alors, ce poignant écho entre le film de Visconti qui évoque la déliquescence d’un monde, et la réalité, et cette image que je n’oublierai jamais d’Alain Delon et Claudia Cardinale, se regardant sur l’écran, 47 ans auparavant, bouleversants et bouleversés.

    Alain Delon dit régulièrement de  René Clément  que c’est pour lui le plus grand réalisateur mais surtout le plus grand directeur d’acteurs au monde. Sa présence à l’occasion de la projection de « Plein soleil » à Cannes Classics était donc une évidence. L’acteur a par ailleurs tenu à ce qu’il ne s’agisse pas d’un hommage à Alain Delon mais d’un hommage à René Clément.

    Rappelons que Delon devait d’ailleurs au départ interpréter le rôle que Maurice Ronet jouera finalement et, malgré son jeune âge (24 ans alors), il avait réussi à convaincre Clément (et d’abord sa femme…) de le faire changer de rôle.

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    C’est une longue ovation qui a accueilli Alain Delon dans la salle Debussy  où a été projeté le film. Ce dernier était visiblement très ému par l’accueil qui lui avait été réservé lors de la montée des marches mais aussi dans la salle. Voici la retranscription de sa présentation du film, pleine d’émotion, d’humour et d’élégance. Un beau moment de cinéma et d’émotion.

    « C’est gentil de dire bravo et de m’applaudir mais attendez de voir le film, peut-être que vous allez être déçus, a-t-il répondu, avant de remercier son « très cher » Bertrand [Delanoe] et la Ministre de la Culture pour lui avoir fait « l’honneur et le bonheur » de l’accompagner dans la montée des marches. « C’est un grand moment pour moi. Je veux que vous sachiez que ma présence ici est avant tout un hommage, un hommage que je veux rendre à mon maître absolu, René, René Clément. Le 17 Mars passé, René aurait eu 100 ans et j’aurais tellement aimé qu’il soit  là ce soir. Je sais qu’il aurait été bouleversé. « Plein soleil », ça a été mon 4ème film. Personne ne savait qui j’étais. Lorsque ce film est sorti il a fait la tour du monde et ça a été un triomphe, de l’Est à l’Ouest, de la Chine à l’Argentine, et ce film a été la base de toute ma carrière et ça je le dois à René qui m’a dirigé à ce moment-là comme personne. Tout de suite après, j’ai eu la chance de faire « Rocco et ses frères ». C’est après la vision de « Plein soleil » que Visconti a décidé « je veux que ce soit Alain Delon qui soit mon Italien du Sud ». J’avais plein de choses à dire mais là vous m’avez tellement coincée, dans la rue, ça a été extraordinaire donc vraiment merci René, merci de tout ce qu’il m’a donné car ce film, je n’aurais pas eu la chance de le faire en 1959, je ne sais pas où je serais, sûrement pas là ce soir. Après « Rocco et ses frères », il y a eu un autre Clément « Quelle joie de vivre » puis « Le Guépard ». Vous voyez qu’on peut commencer plus mal. Comme Luchino m’a toujours expliqué « la première chose qu’il faut c’est des bases » et avec Clément j’ai eu mes bases, voilà. Je voudrais avoir une pensée aussi ce soir pour quelqu’un qui m’était tellement cher qui est Maurice Ronet. Il riait tout le temps, il s’amusait de cela. Il disait « tu sais nous sommes les deux meilleurs amis du monde et dans tous les films il faut que tu me tues ». On n’a jamais compris mais c’était comme ça. Et puis une pensée pour Elvire Popesco qui fait une apparition qui était ma patronne et ma maîtresse de théâtre et enfin des gens que vous n’avez pas connus mais certains ici savent de qui je parle, les producteurs qui ont été formidables avec moi dans ce film et dans d’autres, ce sont les frères Robert et Raymond Hakim. Je vais vous laisser voir ce film que je qualifie d’exceptionnel, d’extraordinaire mais vraiment extra-ordinaire. Ceux qui ne l’ont pas vu vont comprendre, ceux qui l’ont déjà vu vont se le remémorer et vous verrez en plus une copie remasterisée. Vous allez voir ce qu’est un film remasterisé, on a l’impression qu’il a été tourné la semaine dernière.  Bonne soirée. Bon film.  Pour terminer, car je sais qu’il y a ici quelques sceptiques, quelques douteux, je voudrais simplement leur dire que l’acteur qui joue dans ce film le rôle de Tom Ripley, il y a 54 ans, c’est bien moi. »

    Quel acteur peut se vanter d’avoir tourné dans autant de chefs d’œuvre ? En tout cas, c’est avec « Le Cercle rouge », « Le Samouraï », « Monsieur Klein », « Le Guépard », « Rocco et ses frères », « La Piscine », « Plein soleil » que ma passion pour le cinéma est devenu joyeusement incurable… et cet acteur en reste pour moi indissociable, la seule vraie star du cinéma français, à qui je ne désespère pas de pouvoir transmettre un jour le scénario qu’il m’a inspiré (désormais un roman publié, ici, chez Numeriklibres) ou et que je ne désespère pas de pouvoir interviewer.

    En attendant, la meilleure façon de vous en parler est certainement de vous faire partager mon enthousiasme pour les chefs d’œuvre dans lesquels il incarne des personnages si différents. Je vous propose ci-dessous 9 critiques de films avec Alain Delon qui vous permettront de (re)découvrir la diversité des (grands) cinéastes avec lesquels il a tourné mais aussi la diversité de son jeu : « Rocco et ses frères », « Plein soleil », « Monsieur Klein », « Le Professeur »,  « La Piscine », « Le Cercle rouge », « Le Guépard », « Le Samouraï », « Borsalino ». Egalement en bonus, 3 critiques de pièces de théâtre avec Alain Delon, notamment « Une journée ordinaire », pièce avec laquelle il sera en tournée avec sa fille Anouchka Delon (je vous en reparlerai). (Ces critiques ont été écrites sur mes différents sites à diverses périodes, il se peut donc qu’il y ait parfois de répétitions ou anachronismes…).

    Critique de  « Plein soleil » de René Clément (1960)

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    Dans ce film de 1960, Alain Delon est Tom Ripley, qui, moyennant  5000 dollars, dit être chargé par un milliardaire américain, M.Greenleaf, de ramener son fils Philippe (Maurice Ronet) à San Francisco, trouvant que ce dernier passe de trop longues vacances en Italie auprès de sa maîtresse Marge (Marie Laforêt). Tom est constamment avec eux, Philippe le traite comme son homme à tout faire, tout en le faisant participer à toutes ses aventures sans cesser de le mépriser. Mais Tom n’est pas vraiment l’ami d’enfance de Philippe qu’il dit être et surtout il met au point un plan aussi malin que machiavélique pour usurper l’identité de Philippe.

    « Plein soleil » est une adaptation d’un roman de Patricia Highsmith (écrite par Paul Gégauff et René Clément) et si cette dernière a été très souvent adaptée (et notamment   le roman le « Talentueux  Monsieur Ripley » titre originel du roman de Patricia Highsmith qui a fait l’objet de très nombreuses adaptations et ainsi en 1999 par Anthony Minghella avec Matt Damon dans le rôle de Tom Ripley), le film de René Clément était selon elle le meilleur film tiré d’un de ses livres.

    Il faut dire que le film de René Clément, remarquable à bien des égards, est bien plus qu’un thriller. C’est aussi l’évocation de la jeunesse désinvolte, oisive, désœuvrée, égoïste, en Italie, qui n’est pas sans rappeler la « Dolce vita » de Fellini.

    Cette réussite doit beaucoup à la complexité du personnage de Tom Ripley et à celui qui l’incarne. Sa beauté ravageuse, son identité trouble et troublante, son jeu polysémique en font un être insondable et fascinant dont les actes et les intentions peuvent prêter à plusieurs interprétations. Alain Delon excelle dans ce rôle ambigu, narcissique, où un tic nerveux, un regard soudain moins assuré révèlent l’état d’esprit changeant du personnage. Un jeu double, dual comme l’est Tom Ripley et quand il imite Philippe (Ronet) face au miroir avec une ressemblance à s’y méprendre, embrassant son propre reflet, la scène est d’une ambivalente beauté. Si « Plein soleil » est le quatrième film d’Alain Delon, c’est aussi son premier grand rôle suite auquel Visconti le choisit pour « Rocco et ses frères ». Sa carrière aurait-elle était la même s’il avait joué le rôle de Greenleaf qui lui avait été initialement dévolu et s’il n’avait insisté pour interpréter celui de Tom Ripley ? En tout cas, avec « Plein soleil » un mythe était né et Delon depuis considère toujours Clément comme son « maître absolu ». Ils se retrouveront d’ailleurs peu après pour les tournages de « Quelle joie de vivre » (1960), « Les Félins » (1964) et enfin « Paris brûle-t-il ? » en 1966.

    Face à lui, Ronet est cynique et futile à souhait. Le rapport entre les deux personnages incarnés par  Delon et Ronet est d’ailleurs similaire à celui qu’ils auront dans « La Piscine » de Jacques Deray 9 ans plus tard, le mépris de l’un conduisant pareillement au meurtre de l’autre. Entre les deux, Marge se laisse éblouir par l’un puis par l’autre, victime de ce jeu dangereux mais si savoureux pour le spectateur qui ne peut s’empêcher de prendre fait et cause pour l’immoral Tom Ripley.

    L’écriture et la réalisation de Clément procurent un caractère intemporel à ce film de 1960 qui apparaît alors presque moins daté et plus actuel que celui de Minghella qui date pourtant de 1999 sans compter la modernité du jeu des trois acteurs principaux qui contribue également à ce sentiment de contemporanéité.

    « Plein soleil » c’est aussi la confrontation entre l’éternité et l’éphémère, la beauté éternelle et la mortalité, la futilité pour feindre d’oublier la finitude de l’existence et la fugacité de cette existence.

    Les couleurs vives avec lesquelles sont filmés les extérieurs renforcent cette impression de paradoxe, les éléments étant d’une beauté criminelle et trompeuse à l’image de Tom Ripley. La lumière du soleil, de ce plein soleil, est à la fois élément de désir, de convoitise et  le reflet de ce trouble et de ce mystère. Une lumière si bien mise en valeur par le célèbre chef opérateur Henri Decaë sans oublier la musique de Nino Rota et les sonorités ironiquement joyeuses des mandolines napolitaines. L’éblouissement est celui exercé par le personnage de Tom Ripley  qui est lui-même fasciné par celui dont il usurpe l’identité et endosse la personnalité. Comme le soleil qui à la fois éblouit et brûle, ils sont  l’un et l’autre aussi fascinants que dangereux. La caméra de Clément enferme dans son cadre ses personnages comme ils le sont dans leurs faux-semblants.

    Acte de naissance d’un mythe, thriller palpitant, personnage délicieusement ambigu, lumière d’été trompeusement belle aux faux accents d’éternité, « Plein soleil » est un chef d’œuvre du genre dans lequel la forme coïncide comme rarement avec le fond, les éléments étant la métaphore parfaite du personnage principal. « Plein soleil », un film trompeusement radieux par lequel je vous conseille vivement de vous laisser éblouir !

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  • Critique de MONSIEUR KLEIN de Joseph Losey à 21h sur TV5 Monde ce 9 novembre 2015

    A l'occasion des 80 ans d'Alain Delon, hier, je vous proposais 9 critiques de ses films, à retrouver en cliquant ici, en tête desquelles se trouvait le chef d'œuvre de Losey, Monsieur Klein, à ne surtout pas manquer, ce soir.

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    A chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, brillant, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  A chaque projection, je le vois  et l'appréhende différemment.  Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

    Il s'agit de Robert Klein. Le monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein-là, interprété par Alain Delon,  voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal « Informations juives » adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et M.Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime, il devient suspect... Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître...

    La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, M.Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. M.Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égard pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable et sans doute inconsciente effronterie « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

    Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de M.Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de M.Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner n'est-ce pas déjà une négation de l'identité, cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne ?

    Cet homonyme veut-il lui  sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? M.Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là,  l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

     Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre M.Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que M.Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre M.Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité.  Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de M.Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

    Le malentendu (volontairement initié ou non ) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique  depuis Louis XIV», lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». M.Klein est donc  certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça» mais qui clame surtout : «  Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

    Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de  voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à  la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de M.Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et  ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

    Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de M.Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation des Français de cette époque au rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

    Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la   Raflé du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse délibérément emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme  à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'Histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

    La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

    Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque,  un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que « Monsieur Klein » soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et  des meilleurs décors.

    Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

    A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant ; quête de conscience et d'identité d'un homme ; mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires ; implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier...

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