Ces derniers jours, semaines, j'ai été accaparée par un beau projet qui me tient particulièrement à cœur et dont je trépigne d'impatience de vous parler, ce que je ferai au fil des prochains mois, et la semaine prochaine, ce sera déjà le 41ème Festival du Cinéma Américain de Deauville (pour lequel je vous fais toujours gagner vos pass, ici, et dont le programme s'annonce exceptionnel cette année, et d'ailleurs, cette année plus que jamais, j'aurai le plaisir de vivre pleinement le festival à commencer par l'ouverture avec la projection du film "Everest" et l'hommage à Keanu Reeves, une ouverture en direct de laquelle je serai donc à suivre sur mes comptes twitter @moodforcinema et @moodfdeauville et instagram @sandra_meziere), bref, avec tout cela et d'autres activités, je n'ai pas eu le temps d'aller au cinéma depuis des...semaines mais il y a quelques films vus à Cannes et ailleurs dont je tenais absolument à vous parler, plus brièvement que d'habitude certes, mais j'espère que ces quelques mots suffiront pour vous convaincre de les découvrir...
DHEEPAN de Jacques Audiard
Photos ci-dessous prises lors des conférences de presse du Festival de Cannes
"Dheepan » de Jacques Audiard, c’est «l’histoire de trois étrangers qui, dans des circonstances difficiles, vont tenter de former une famille» comme l’a résumé Guillermo del Toro lors de la conférence de presse du jury du 68ème Festival de cannes, pour justifier ce choix d’un jury qui s’est dit « unanimement enthousiaste », mais qui est aussi ce qu’est finalement toute palme d’or telle que l’a définie Cécile de France (qui en était la remettante) lors de la clôture : « Un reflet du monde, le cœur du cinéma qui bat, intense et régulier », néanmoins de cette histoire de trois Sri-Lankais qui fuient leur pays, la guerre civile (les premières scènes, d'une force saisissante, montrent brillamment cet enfer), et qui se retrouvent confrontés à une autre forme de guerre dans la banlieue française où ils échouent, douloureuse réminiscence pour « le père de famille », Dheepan, Audiard, plus qu’un film politique a voulu avant tout faire une histoire d’amour portée par trois acteurs magnifiquement dirigés, trois êtres que le destin va réunir et lier plus fort que si des liens du sang les avaient unis.
Dans ce nouveau long-métrage qui flirte avec le film de genre (le dénouement m'avait décontenancée et avait décontenancé nombre de festivaliers mais c'est aussi là la marque d'Audiard, rappelez-vous les incursions oniriques dans "Un Prophète"), Audiard explore un nouveau territoire mais toujours porte un regard bienveillant et plein d’espoir sur ses personnages interprétés par trois inconnus qui apportent toute la force à ce film inattendu (dans son traitement et au palmarès), plus que jamais et malheureusement, d'actualité pour ceux dont les conditions de vie sont telles dans leurs pays qu'ils doivent fuir au péril de leur vie.
« Je remercie Michael Haneke de ne pas avoir tourné cette année » a ainsi déclaré Jacques Audiard en recevant son prix. Michael Haneke avait en effet reçu la palme d’or en 2009 pour « Le ruban blanc », alors que Jacques Audiard avait obtenu le grand prix pour l’inoubliable « Un Prophète ».
Date de sortie: 26 août 2015
THE LOBSTER de Yorgos Lanthimos
Sortie en salles : le 16 octobre 2015
- « The lobster » de Yorgos Lanthimos, un film pour lequel le mot jubilatoire semble avoir été inventé. Dans un futur (très- trop ?- proche), toute personne célibataire est arrêtée, transférée à l’hôtel et a 45 jours pour trouver l’âme sœur. Passé ce délai, elle sera transformée en l’animal de son choix.
Un film déroutant, cinglant, burlesque, métaphorique, inventif, dans lequel l’homme est un loup pour l’homme (littéralement), profondément égoïste et dont la fin n’est pas décevante comme l’ont déploré certains commentateurs mais au contraire illustre brillamment ce propos. Le couple devient un totalitarisme condamnant le solitaire à l’animalité.
Un film intelligemment singulier qui regorge de trouvailles insolites, certes sous l’influence de Buñuel (« Un chien andalou »), mais qui ne ressemble à aucun autre… Je retournerai le voir et vous le recommande vivement!
MON ROI de Maïwenn
Vincent Cassel, dans son meilleur rôle (celui de Georgio) suscite chez Tony (Emmanuelle Bercot), une passion étouffante et destructrice qu’elle se remémore alors qu’elle est dans un centre de rééducation après une chute de ski. Une relation amoureuse tumultueuse mêlant « joie et de souffrance » chères à Truffaut.
Un film qui exerce le même charme, doux et âpre, la même fascination troublante que le personnage principal. Le spectateur est lui aussi sous emprise. Vincent Cassel est un Georgio diaboliquement séduisant, envoûtant, un roi autoritaire, inique, détestable et malgré tout charmant, qu’il imite un serveur dans un célèbre palace deauvillais ou qu’il jette son portable (pour « donner son portable » suite à sa rencontre avec Tony) comme un roi fier, désinvolte, lunatique, arrogant, ensorcelant comme il l’est avec le sujet de son désir.
Plutôt que d’en faire un pervers narcissique caricatural, Maïwenn lui dessine des failles (une relation au père puis à sa disparition moins indifférente qu’il voudrait le laisser paraître).
Face à Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot incarne corps et âme cette femme aveuglée par l’amour qui aime follement dont, justement, le corps et l’âme souffrent et vibrent pour et par cet homme.
Maïwenn n’a peur de rien, ni d’appeler son personnage féminin « Marie-Antoinette » (d’où Tony), ni du mal au genou parce que mal au « je nous », c’est ce qui agacera ou charmera mais cette audace fougueuse est plutôt salutaire dans un cinéma français parfois trop aseptisé.
Un film qui, dès les premières minutes, où Tony se jette à corps perdu dans le vide, nous happe pour ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière seconde et jusqu’à la très belle scène finale.
A signaler : un Louis Garrel sous un nouveau jour, irrésistiblement drôle, qui apporte une respiration dans cet amour étouffant.
Après le prix du jury en 2011 pour « Polisse », avec son quatrième film seulement, Maïwenn confirme être une cinéaste de talent avec laquelle il va falloir compter.
Un rôle qui a valu à Emmanuelle Bercot le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2015 pour lequel elle a vivement remercié sa réalisatrice et son partenaire :
-« Mon bonheur de devoir partager ce bonheur avec une actrice car un peu trop grand pour moi toute seule car ce prix récompense son audace, son sens aigu de la liberté, son anticonformisme. »,
-« C’est difficile pour moi d’être ici sur cette scène sans Vincent Cassel. Vincent Cassel, mon roi c’est toi et moi, je sais ce que je te dois. » ,
- « Merci à ce jury qui visiblement a la même dinguerie que Maïwenn, le même sens de la liberté, de la non convention. Je réalise juste que parfois la vie peut aller au-delà des rêves, ce soir, la vie va au-delà de tous mes rêves. »
YOUTH de Paolo Sorrentino
Date de sortie : 9 septembre 2015
- « Youth » de Paolo Sorrentino est une symphonie visuelle éblouissante qui fait valser jeunesse, vieillesse et désirs. C’est un hymne au pouvoir émotionnel de l’art, un film qui a séduit certains festivaliers cannois autant qu’il en a agacé d’autres (le film a été applaudi et hué lors de sa projection presse).
Tout comme « La grande Bellezza » nous parlait de laideur et non de beauté, « Youth », logiquement ne nous parle pas de jeunesse mais de vieillesse, de ce qui reste quand le temps saccage tout ou l’histoire de deux amis, l’un chef d’orchestre (formidable Michael Caine) et l’autre réalisateur (Harvey Keitel) qui profitent de leurs vacances dans un hôtel au pied des Alpes. Quand l’un a abandonné sa carrière depuis longtemps, l’autre travaille sur son dernier film…
A voir aussi pour l’apparition remarquée et remarquable de Jane Fonda.
Nostalgique et caustique, élégant et parfois à la limite du vulgaire, jouant de saisissants contrastes entre les corps marqués par le temps et ceux d’une jeunesse presque irréelle, entre l’apparence de sagesse et de calme (du paysage et des personnages) et ce qu’ils dissimulent, entre le souvenir du passé et sa réalité, « Youth », à l’image de son titre aime à se jouer des paradoxes, des contrastes, des trompes-l’ œil au cœur de ce paysage trompeusement serein.
MIA MADRE de Nanni Moretti
Date de sortie : 2 décembre 2015
Un absent du palmarès cannois (qui s’est consolé avec le prix du jury œcuménique) qui a pourtant bouleversé les festivaliers et qui a souvent été cité comme potentielle palme d’or que Nanni Moretti avait déjà reçue en 2001 pour un film qui, déjà, portait sur le thème du deuil, « La chambre du fils ».
Dans « Mia madre », Margherita est une réalisatrice confrontée à la fois à un tournage avec un acteur insupportable (irrésistible John Torturro) et à la mort annoncée de sa mère.
Toute l’intelligence de Moretti réside dans l’alternance entre le burlesque et le mélodrame, la légèreté de la comédie atténuant la gravité du drame. L’illusion de légèreté du cinéma (le film de Moretti – qui lui-même avait été confronté à la mort de sa mère lors du tournage de « Habemus Papam »- mais aussi le film que tourne Margherita dans le film de Moretti, judicieuse mise en abyme) pour tenter d’affronter le gouffre étourdissant de la mort et du lendemain après la perte forcément insensée d’un parent.
Il met ainsi l’accent sur tout ce qui permet d’immortaliser la vie et le temps qui s’enfuient, notamment par un mélange des degrés de narration : les souvenirs, les livres, les rêves et évidemment le cinéma.
Un film pudique, profondément émouvant et un regard final qui vous hante longtemps après la projection et qui me hante et bouleverse encore.
HUMAN de Yann Arthus-Bertrand
Le documentaire de la rentrée à ne pas manquer, ce sera « Human » de Yann Arthus-Bertrand. Un projet salutairement fou, utopiste, (planétaire !) de 3H, dont la réalisation a nécessité 3 ans, 110 tournages dans 60 pays, pour recueillir 2020 récits de vie dans 63 langues.
Une plongée fascinante dans l’âme humaine pour tenter de comprendre le monde à travers les regards et les paroles de femmes et d’hommes, pour comprendre ce qui unit l’humain au-delà des frontières et des différences.
Des images aériennes inédites d’une beauté vertigineuse, fulgurante, étourdissante qui n’occultent pas non plus les drames écologiques de la planète, alternent avec ces témoignages poignants. Filmés devant un rideau noir, face caméra, les hommes et femmes sont extraits de leur environnement. N’en restent que les visages, la parole brute (aucun commentaire), et leurs regards : miroir de leur âme. La puissance des mots et des regards ainsi exacerbée met en lumière la beauté du monde et les maux de l’humanité (les thèmes sont parfois douloureux : guerre, exil…)
Les mêmes questions leur ont été posées : le sens de la vie, ce qu’ils veulent changer, croient-ils en Dieu, ont-ils peur de la mort. Des questions universelles. Des réponses magnifiquement singulières.
Et si le film nous parle des maux de la planète, de ses défis aussi, c’est finalement avant tout un poème optimiste, lyrique et poignant, terrible et sublime qui a pour but de rassembler autour de valeurs fortes comme la solidarité, le partage et l’engagement.
Libre de droit, Human sera disponible partout et pour tous grâce à une vague de projections, et surtout, à ne pas manquer, le Human day, le 15 septembre 2015 : toute une série d’événements autour du film. Une empathie et une bienveillance salutaires quand le cynisme est trop souvent glorifié. A voir absolument. (Le film sera également diffusé sur France 2).
IRRATIONAL MAN de Woody Allen
La comédie de la rentrée : IRRATIONAL MAN de Woody Allen (en salles, le 14 octobre)
- Irrational man, c’est LA nouvelle comédie de Woody Allen. Ce film d’une gravité légère mêle savoureusement ironie et noirceur qui culminent dans une scène de meurtre sur une musique joyeuse, un petit bijou d’ironie.
Comme dans Match point, mensonge, hasard, Dostoïevski (forte influence à nouveau de Crime et châtiment) se mêlent, bien que ce film soit plus léger que son chef d’œuvre précité.
Woody Allen possède toujours ce talent admirable, et qui n’appartient qu’à lui, pour exposer une scène et écrire des dialogues caustiques avec toujours ce regard mordant, incisif sur les êtres, la vie, l’amour, la mort.
La fin résonne comme un écho à celle de Match point, ou peut-être bien son châtiment. Savoureux !
Joaquin Phoenix est parfait dans ce rôle de professeur de philo dépressif qui trouve une bien curieuse raison de vivre que je vous laisse découvrir (en salles, le 14 octobre). Face à lui, la pétillante Emma Stone et la trop rare Parker Posey.
LA LOI DU MARCHE de Stéphane Brizé (sortie DVD)
DVD- « La loi du marché » de Stéphane Brizé (sortie : le 21 octobre 2015)
« La Loi du marché » de Stéphane Brizé nous fait suivre Thierry incarné (ce mot n’a jamais trouvé aussi bien sa justification) par Vincent Lindon qui campe un homme de 51 ans qui, après 20 mois de chômage commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral.
C’était un des films du 68ème Festival de Cannes que j’attendais le plus et mes attentes n’ont pas été déçues. Je suis ce cinéaste, Stéphane Brizé, depuis la découverte de son film « Le bleu des villes » (qui avait obtenu le prix Michel d’Ornano au Festival du Cinéma Américain de Deauville), il m’avait ensuite bouleversée avec « Je ne suis pas là pour être aimé » et « Mademoiselle Chambon » .
Une nouvelle fois et comme dans ce film précité, le mélange de force et de fragilité incarné par Lindon, de certitudes et de doutes, sa façon maladroite et presque animale de marcher, la manière dont son dos même se courbe et s’impose, dont son regard évite ou affronte : tout en lui nous fait oublier l’acteur pour nous mettre face à l’évidence de ce personnage, un homme bien (aucun racolage dans le fait que son fils soit handicapé, mais une manière simple de nous montrer de quel homme il s’agit), un homme qui incarne l’humanité face à la loi du marché qui infantilise, aliène, broie. Criant de vérité.
Dès cette première scène dans laquelle le film nous fait entrer d’emblée, sans générique, face à un conseiller de pôle emploi, il nous fait oublier l’acteur pour devenir cet homme à qui son interprétation donne toute la noblesse, la fragilité, la dignité.
Comme point commun à tous les films de Stéphane Brizé, on retrouve cette tendre cruauté et cette description de la province, glaciale et intemporelle. Ces douloureux silences. Cette révolte contre la lancinance de l’existence. Et ce choix face au destin.
Brizé filme Lindon souvent de dos, rarement de face, et le spectateur peut d’autant mieux projeter ses émotions sur cette révolte silencieuse.
Et puis, parce que ça se passe de commentaires, quelques extraits du beau discours de clôture de l’acteur dont voici quelques extraits, un discours dont la dernière phrase m’a ravagée autant que la fin de « Mia madre », il y avait comme un écho d’ailleurs… : « Je vous remercie d’avoir posé un regard aussi bienveillant et avec autant d’émotion sur le travail que Stéphane Brizé a fait avec moi et a fait tout court. » , « Ils ont contribué à un des trois plus jours de ma vie. C’est un acte politique de choisir un film comme celui-là. Je dédie ce prix à ces gens qui ne sont pas toujours considérés à la hauteur de ce qu’ils méritent et aux acteurs qui ont joué avec moi sans qui je ne serais pas là, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui suis là. », « Une pensée pour ma maman qui n’est plus là et mon père qui n’est plus là, quand je pense que j’ai fait tout cela pour qu’ils me voient et ils ne sont plus là. »
Un immense acteur qui voit enfin son talent couronné par un prix (et quel prix !) et aussi incroyable que cela puisse paraître, comme il l’a lui-même précisé, pour la première fois.
LA GLACE ET LE CIEL de Luc Jacquet
Le réalisateur de « La Marche de l’Empereur » (Oscar du meilleur documentaire en 2006), Luc Jacquet braque de nouveau sa caméra sur la fragile beauté de la nature avec ce portrait de Claude Lorius, glaciologue, l’homme qui a scientifiquement prouvé l’inexorable réchauffement climatique.
Il capte la beauté fragile et éblouissante d’une nature en péril pour souligner la nécessité impérieuse de prendre conscience de l’urgence de la situation.
La phrase finale du film, bouleversante, est un appel à l’action et la résistance et résume le message de ce film fort et nécessaire : « Mon histoire s’achève, et maintenant que, comme moi, vous savez, qu’allez-vous faire ? ».
A voir, a fortiori, en amont de Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015. , « La glace et le ciel » est aussi un projet multimédia à suivre sur www.laglaceetleciel.com
LA TETE HAUTE d’Emmanuelle Bercot (sortie DVD)
Le temps de débarrasser la scène du Grand Théâtre Lumière des apparats de l’ouverture du 68ème Festival de Cannes lors de laquelle je l'ai découvert, et nous voilà plongés dans un tout autre univers : le bureau d’une juge pour enfants (Catherine Deneuve), à Dunkerque. La tension est palpable. Le ton monte. Les éclats de voix fusent. Une femme hurle et pleure. Nous ne voyons pas les visages. Seulement celui d’un enfant, Malony, perdu au milieu de ce vacarme qui assiste, silencieux, à cette scène terrible et déroutante dont la caméra frénétique accompagne l’urgence, la violence, les heurts. Un bébé crie dans les bras de sa mère qui finalement conclut à propos de Malony qu’il est « un boulet pour tout le monde ». Et elle s’en va, laissant là : un sac avec les affaires de l’enfant, et l’enfant, toujours silencieux sur la joue duquel coule une larme, suscitant les nôtres déjà, par la force de la mise en scène et l’énergie de cette première scène, implacable. Dix ans plus tard, nous retrouvons les mêmes protagonistes dans le même bureau …
Ce film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma et l’univers si fort et singulier avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là. Depuis, je suis ses films avec une grande attention jusqu’à « Elle s’en va », en 2013, un très grand film, un road movie centré sur Catherine Deneuve, « né du désir viscéral de la filmer ». Avant d’en revenir à « La tête haute », je ne peux pas ne pas vous parler à nouveau de ce magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout. C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va » montre que, à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour. « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’embrasser la vie.
Et contre toute attente, c’est aussi l’effet produit par « La tête haute » où il est aussi question de départ, de nouveau départ, de nouvelle chance. Avec beaucoup de subtilité, plutôt que d’imprégner visuellement le film de noirceur, Emmanuelle Bercot a choisi la luminosité, parfois le lyrisme même, apportant ainsi du romanesque à cette histoire par ailleurs particulièrement documentée, tout comme elle l’avait fait pour « Polisse » de Maïwenn dont elle avait coécrit le scénario. Le film est riche de ce travail en amont et d’une excellente idée, avoir toujours filmé les personnages dans un cadre judiciaire : le bureau de la juge, des centres divers… comme si toute leur vie était suspendue à ces instants.
Le grand atout du film : son énergie et celle de ses personnages attachants interprétés par des acteurs judicieusement choisis. Le jeune Rod Paradot d’abord, l’inconnu du casting qui ne le restera certainement pas longtemps et qui a charmé l’assistance lors de la conférence de presse hier, avec son sens indéniable de la répartie (« la tête haute mais la tête froide »…), tête baissée, recroquevillé, tout de colère rentrée parfois hurlée, dont la présence dévore littéralement l’écran et qui incarne avec une maturité étonnante cet adolescent insolent et bravache qui n’est au fond encore que l’enfant qui pleure des premières minutes. Catherine Deneuve, ensuite, une nouvelle fois parfaite dans ce rôle de juge qui marie et manie autorité et empathie. L’éducateur qui se reconnaît dans le parcours de ce jeune délinquant qui réveille ses propres failles incarné par Benoît Magimel d’une justesse sidérante. La mère (Sara Forestier) qui est finalement l’enfant irresponsable du film, d’ailleurs filmée comme telle, en position fœtale, dans une très belle scène où les rôles s’inversent. Dommage (et c’est mon seul bémol concernant le film) que Sara Forestier ait été affublé de fausses dents (était-ce nécessaire ?) et qu’elle surjoue là où les autres sont dans la nuance, a fortiori les comédiens non professionnels, excellents, dans les seconds rôles.
Ajoutez à cela des idées brillantes et des moments qui vous cueillent quand vous vous y attendez le moins : une main tendue, un « je t’aime »furtif et poignant, une fenêtre qui soudain s’est ouverte sur « Le Monde » (littéralement, si vous regardez bien…) comme ce film s’ouvre sur un espoir.
Après « Clément », « Backstage », « Elle s’en va », Emmanuelle Bercot confirme qu’elle est une grande scénariste et réalisatrice avec qui le cinéma va devoir compter, avec ce film énergique et poignant, bouillonnant de vie, qui nous laisse avec un salutaire espoir, celui que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend et qui rend un bel hommage à ceux qui se dévouent pour que les enfants blessés et défavorisés par la vie puissent grandir la tête haute. Un film qui « ouvre » sur un nouveau monde, un nouveau départ et une bouffée d’optimisme. Et ça fait du bien. Une très belle idée que d’avoir placé ce film à cette place de choix et de lui donner cette visibilité.
Conférence de presse
Ci-dessous, quelques citations de la conférence de presse du film à laquelle j’ai assisté hier. Une passionnante conférence au cours de laquelle il a été question de nombreux sujets, empreinte à la fois d’humour et de gravité, puisqu’a aussi été établi un lien entre le choix de ce film pour l’ouverture et les récents événements en France auxquels le film fait d’ailleurs, d’une certaine manière, écho. Vous pouvez revoir la conférence sur le site officiel du festival. Dommage que Catherine Deneuve (étincelante) ait eu à se justifier (très bien d’ailleurs, avec humour et intelligence) de propos tenus dans la presse, extraits de leur contexte et qui donnent lieu à une polémique qui n’a pas de raison d’être.
« Je tenais à ce que tout soit absolument juste » -Emmanuelle Bercot (à propos de tout ce qui se passe dans le cadre judiciaire où elle a fait plusieurs stages avec ce souci de vraisemblance et même de véracité). « Les personnages existaient avant les stages puis ont été nourris par la part documentaire ».
« La justice des mineurs est un honneur de la France » – Emmanuelle Bercot
« Si c’est méchant, j’espère que c’est drôle ». – Catherine Deneuve à propos d’une question d’une journaliste au sujet de la caricature de Charloe Hebdo (très cruelle) à son sujet et qu’elle n’avait pas encore vue.
« C’était très important pour moi que ce film ait son socle dans le Nord. » Emmanuelle Bercot
« Ouvrir le festival avec ce film est aussi une réponse à ce début d’année difficile qu’a connu la France. » Catherine Deneuve
« En France, les femmes cinéastes ont largement la place de s’exprimer et énormément de femmes émergent. » E.Bercot
« Moi c’est le scénario qui m’a beaucoup plu et tous les personnages. C’est un scénario qui m’a plu tout de suite. » Catherine Deneuve
« Pour être star, il faut du glamour et du secret, ne pas tout montrer de sa vie privée. » – Catherine Deneuve
« Il y a une matière documentaire très forte dans l’écriture, en revanche je ne voulais pas un style documentaire dans l’image. » Bercot
Sara Forestier : « A la lecture du scénario, j’ai pleuré. Le film m’a piqué le coeur. »
« C’est totalement inespéré que ce film soit à une telle place, c’est un grand honneur. » Emmanuelle Bercot